Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La région non plus !

M. Vincent Peillon, ministre. Il arrive parfois que les collectivités locales – je le vois dans un certain nombre de cas – jouent un rôle et portent des valeurs qui peuvent être utiles à vos objectifs, lesquels sont partagés, me semble-t-il, par l’ensemble de cette assemblée.

À propos d’un certain nombre d’autres questions, des inquiétudes légitimes se manifestent.

S’agissant de l’orientation, vous devriez vous dire – peut-être est-ce le cas ? – que, au fond, quitte à prévoir un cadrage national des politiques d’orientation, autant que ce soit dans une loi d’orientation et de programmation de l’éducation nationale, plutôt que dans d’autres textes. En tout cas, les principaux acteurs étatiques de l’orientation préfèrent cette solution, car l’éducation nationale garantit qu’il y aura bien une politique d’État et que les personnels qui, au sein de mon administration, assurent ces missions continueront à le faire dans le cadre d’une politique nationale, au sein d’établissements dans lesquels l’État gardera toutes ses prérogatives.

Si nous pouvons mieux coordonner les politiques d’orientation conduites par l’État et les autres dispositifs existants, nous aurons progressé.

Vos inquiétudes portent également sur les cartes de formation professionnelle. Cette question fait maintenant l’objet d’un débat public. Notre objectif est que les régions et l’État travaillent ensemble du mieux possible, sans que quiconque impose son point de vue de façon univoque.

Il faut donc prévoir un dialogue obligatoire. Nous en cherchons encore les meilleures formules, mais je souhaite qu’il permette aux régions de s’impliquer pleinement – c’est tout à fait naturel, puisqu’il s’agit de leurs compétences – dans ces questions de formation professionnelle. Une grande réforme est d’ailleurs annoncée sur le sujet. À l’inverse, je souhaite que l’État exerce pleinement ses responsabilités et garde la maîtrise, bien entendu, de son offre d’éducation, grâce aux ouvertures et aux fermetures des formations, mais aussi à la contractualisation.

Je ne veux pas qu’apparaisse un déséquilibre tel que l’État serait alors obligé de subir une logique régionale, elle-même au service d’intérêts économiques exclusifs et de court terme. Inversement, je ne veux pas que les régions se voient imposer, comme c’est arrivé, vous le savez, dans un certain nombre de cas, un diktat de l’État, qui ne serait pas légitime au regard de l’intérêt des élèves. Nous avons donc à construire cette position d’intelligence collective. Toutefois, à aucun moment je n’ai pu imaginer – sinon il n’y aurait pas eu de projet de loi d’orientation et de programmation – que l’État abandonnerait ses responsabilités.

Un certain nombre de vos propos visaient à montrer à quel point notre projet de loi, malgré ce que certains veulent en dire, porte des réformes déterminantes pour l’avenir.

C’est vrai sur le numérique, mais aussi sur l’appréhension des projets éducatifs de territoire. C’est vrai sur la modernité de l’apprentissage d’une langue étrangère dès le CP. C’est vrai aussi de notre volonté de voir l’école transmettre les valeurs de la République – je remercie les sénateurs radicaux d’avoir insisté sur ce point –, en particulier la morale laïque, sur laquelle nous aurons l’occasion de discuter lors de l’examen de l’article correspondant.

Dans notre tradition, cette morale est tout sauf une morale d’État ! Au contraire, son enseignement vise à donner à chacun la capacité de construire sa propre liberté – une notion qui, avant même l’égalité, est la valeur première de notre République.

Monsieur Couderc, j’ai compris que vous alliez voter notre projet de loi, puisqu’il vous donne entièrement satisfaction quant à la promotion des langues régionales. Au passage, permettez-moi tout de même de vous rappeler que, de même que la suppression de l’aide aux directeurs d’école et, depuis 2010, que la suppression de l’accompagnement des enfants en situation de handicap, la suppression des postes aux CAPES de langues régionales résulte d’une décision de mes prédécesseurs.

Pour l’enseignement des langues régionales, toutes les avancées ont été dues à des ministres de gauche, de Lionel Jospin à Jack Lang. La raison de cet intérêt est simple et vous l’avez très bien exprimée à la tribune, monsieur Couderc, de même que nos amis ultramarins : le plurilinguisme contribue à une meilleure appropriation par chacun de sa propre langue…

M. Vincent Peillon, ministre. Je ne rouvre pas les débats d’il y a vingt ans, comme j’ai pu l’entendre dire, et je ne cherche pas non plus à opposer jacobins et girondins.

Au contraire, nous avons la volonté d’affirmer que l’universel que nous souhaitons promouvoir se construit non pas sur l’éradication des différences, mais sur la capacité à faire de ces différences l’expression de cet universel, qu’elles viennent même renforcer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette doctrine, commune aux républicains siégeant sur toutes ces travées, nous a toujours guidés pour la promotion des langues régionales, et nous poursuivons donc dans cette voie sans hésitation.

Madame Dominique Gillot, vous avez évoqué avec émotion la situation de l’accueil des enfants en situation de handicap dans l’école de la République. À plusieurs reprises, j’ai voulu inscrire mon action dans une continuité – je ne sais pas à quoi cela sert, d’ailleurs, puisque, dans le fond, on n’en voit jamais le retour ! Tel est le cas des plates-formes de suivi des décrocheurs, de l’enseignement de la morale et de la lutte contre le harcèlement, prévus par mon prédécesseur. De même, la loi Fillon de 2005 évoquait déjà l’accueil des enfants en situation de handicap.

Cet accueil est promu à tous les niveaux par le présent projet de loi, comme il ne l’a jamais été auparavant, avec la reconnaissance de la politique inclusive. Ce choix va nous conduire à recruter, à la rentrée prochaine, plusieurs milliers d’assistants de vie scolaire supplémentaires. Je suis prêt à demander à la Nation de faire cet effort, puisqu’elle l’a choisi. Par ailleurs, ce n’est que justice pour les enfants concernés.

Lorsque nous nous rendons dans des établissements accueillant des enfants en situation de handicap – nous l’avons fait ensemble, madame la sénatrice –, les personnels, les parents, les autres élèves reconnaissent tous qu’ils en tirent un enrichissement. Il s’agit non pas simplement de rendre service à ces enfants, mais aussi d’éduquer tous les autres et de les faire grandir. Il faut donc que nous soyons cohérents et que nous y consacrions les moyens nécessaires.

La gauche, parce qu’elle met évidemment en conformité ses actes et ses discours – nous le voyons dans le cas de l’école –, créera dès la rentrée prochaine les milliers de postes nécessaires à l’accueil des enfants en situation de handicap.

Dès notre arrivée aux responsabilités, 1 500 postes supplémentaires ont été créés. Je laisserai au Président de la République et au Premier ministre le soin d’annoncer ce que nous ferons l’année prochaine, mais l’effort sera sans commune mesure avec ce qui a pu être accompli auparavant dans ce pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Je profite de ma présence à cette tribune pour rappeler aussi que la situation des directeurs d’école, dans notre pays, est très difficile. Après dix ans pendant lesquels l’ancienne majorité n’a rien fait, si ce n’est supprimer leurs aides administratives, je rétablirai dans leur intégralité ces dernières dès la rentrée à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons aborder l’examen des articles. Je suis prêt à toutes les ouvertures, mais je ne voudrais pas que l’on profite de cette disposition d’esprit pour faire croire que tout est dans tout et qu’il n’y aurait rien de nouveau dans ce texte. Ce n’est pas vrai ! La politique que conduit la gauche – j’espère qu’elle sera rassemblée dans cet hémicycle – tranche radicalement avec celle des gouvernements précédents.

Lorsque nous affirmons donner la priorité à l’enseignement primaire, nous inversons un mouvement vieux d’un siècle et demi ; mais, dans le même temps, c’est pendant les dix dernières années que l’on a enregistré le plus de suppressions de postes. Lorsque nous remettons en place la formation des enseignants, nous savons qu’elle a pu parfois être insatisfaisante, certes, mais elle a bel et bien été supprimée pendant ces trois dernières années. Lorsque nous reconnaissons que l’apprentissage demande du temps et qu’il faut donc revenir sur des rythmes scolaires uniques au monde – 144 jours par an et des journées surchargées –, il faut rappeler que cette situation a été créée il y a quatre ans seulement !

Comme l’a dit M. Assouline, ce que nous faisons pour le numérique ne s’inscrit pas dans la continuité, c’est bel et bien une révolution. Les projets éducatifs de territoire, quant à eux, changent totalement la représentation de la scolarité. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Il faut que vous conveniez que ce projet de loi est un grand texte. Il faut que vous admettiez, à un moment ou à un autre, qu’il faut savoir définir des priorités. Nous avons fait le choix d’accorder la priorité à l’école ; manifestement, la précédente majorité avait fait d’autres choix. Nous l’assumons pleinement, pour tous les enfants de France, sans esprit partisan, et je souhaite que vous puissiez nous rejoindre à l’issue de ce débat ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des motions.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par MM. Legendre, Carle, Bordier et Chauveau, Mme Duchêne, MM. Dufaut, A. Dupont et Duvernois, Mme Farreyrol, MM. B. Fournier, J.C. Gaudin, Grosdidier, Humbert, Leleux et Martin, Mme Mélot, M. Nachbar, Mme Primas, MM. Savin, Soilihi, Vendegou, Lenoir et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, d’une motion n° 165.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (n° 569, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Sophie Primas, pour la motion.

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, au-delà des mots choisis et commentés par certains de nos collègues, nous semble décevant, car il est trop incomplet et éloigné de nombre des réalités et des causes de l’échec scolaire.

Un moment d’alternance politique est pourtant favorable pour oser engager les réformes de fond, que vous avez vous-même maintes fois appelées de vos vœux. Pourtant, avec ce projet de loi, vous tournez autour des vrais enjeux du monde de l’éducation, sans jamais oser vous lancer dans une politique globale.

Cette politique, vous auriez pu la construire en analysant encore mieux, comme l’a fait la Cour des comptes, les failles de notre système éducatif. Au lieu de cela, nous renouons avec un vocabulaire certes fourni, très riche, très généreux, mais trop souvent idéologique, et avec des objectifs – éducation à la santé, à la morale laïque, à l’égalité de genre, à la sensibilité artistique – certes extrêmement importants, mais parfois périphériques au regard des difficultés extrêmes rencontrées par certains, qui appellent d’autres priorités ; je pense aux méthodes pédagogiques, au socle commun et à sa définition, à l’orientation, au rôle de l’inspection, à l’apprentissage.

L’essentiel de votre réforme repose sur l’octroi de moyens supplémentaires à l’école. Parlons donc de ces moyens ! Nous partageons avec vous la conviction que l’école doit échapper aux logiques comptables. Sur ce point, je me permettrais de citer un ancien président de l’université d’Harvard, qui disait : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ! ».

Cependant, l’éducation nationale ne peut se dédouaner de la nécessité de s’assurer de la juste utilisation de chaque denier public. Notre déficit public s’élève à 4,8 % du PIB, loin de notre objectif de 3 %, et nous n’arrivons pas à sortir de la spirale des déficits records. La précédente majorité avait souhaité réduire les dépenses de l’éducation nationale – et nous l’assumons –, en appliquant la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Ce choix reposait sur un postulat que vous rejetez d’office, celui de l’absence de lien entre les résultats éducatifs et une augmentation des moyens.

Pourtant, ce postulat n’est pas le nôtre, mais celui de la plupart des études traitant des questions éducatives. Ainsi, dans le quatrième volume de ses résultats pour 2009, intitulé Les Clés de la réussite des établissements d’enseignements, le PISA remarquait une « corrélation faible entre les ressources pédagogiques et la performance des élèves », cette dernière étant plutôt liée, dans les nations industrialisées, à la « qualité des ressources humaines, c’est-à-dire les enseignants et les chefs d’établissement ». De fait, le seul type de ressources pour lesquelles PISA montre une corrélation formelle avec la performance des élèves est « le niveau des salaires des enseignants par rapport au revenu national ».

Cette appréciation éclairera peut-être l’actuelle majorité sur les choix de ses prédécesseurs, qui n’ont pas jugé utile d’augmenter les ressources humaines globales, pour plutôt participer à une revalorisation du traitement des enseignants et de leur formation, ce qui ne sera plus possible à l’avenir, puisque vous vous liez les mains, monsieur le ministre, en consacrant votre budget à des augmentations du nombre de postes.

Ce constat vient d’être confirmé, aujourd’hui même, par un rapport de la Cour des comptes traitant du métier d’enseignant. Selon ce document, « le ministère de l’éducation nationale ne souffre pas d’un manque de moyens ou d’un nombre trop faible d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants ». La Cour des comptes souligne que les effectifs des enseignants du secondaire n’ont pas cessé d’augmenter entre 1993 et 2005, alors que ceux des élèves diminuaient parallèlement. Et entre 2009 et 2011, les effectifs d’enseignants du primaire augmentaient, quand ceux de leurs élèves stagnaient.

Par ailleurs, pour les sages qui ont rédigé ce rapport, aussi incroyable que cela puisse paraître, les décisions de recrutement sont guidées par le volume d’heures de cours et le souci d’assurer chaque année, grâce aux postes ouverts au concours, des débouchés satisfaisants aux universités. M. le Premier président Didier Migaud souligne par ailleurs la nécessité d’une redéfinition du métier d’enseignant, d’une réflexion sur les affectations et sur la régionalisation des embauches.

Autrement dit, le lien de causalité entre l’augmentation du nombre de postes et les résultats scolaires, sur lequel se fonde le Gouvernement aujourd’hui pour légiférer et pour élaborer sa nouvelle politique publique de l’éducation, est faux et clairement dénoncé comme tel par la Cour des comptes.

Le dépôt de cette question préalable nous paraît donc s’imposer, en raison de votre analyse inexacte de la situation, mais également de la déconnexion des solutions que vous envisagez avec la réalité du terrain.

L’écart se creuse, effectivement, entre les élèves performants et les élèves en très grande difficulté scolaire. Ces difficultés apparaissent dès les premières années et se répercutent sur le reste de la scolarité de l’élève si elles ne sont pas prises en compte et résolues dès leur apparition. Elles correspondent également, le plus souvent, aux inégalités sociales, vous l’avez souligné.

L’étude de la proportion d’élèves en retard à l’entrée en sixième en 2010 indique que 3,4 % des enfants de cadres et d’enseignants entrent dans cette classe avec un retard, alors que 18,3 % des enfants d’ouvriers sont dans ce cas.

D’une politique de massification des moyens que vous nous proposez aujourd’hui, nous devons passer impérativement à une politique de prise en charge diversifiée des élèves, avec une personnalisation de l’enseignement, afin de ne laisser personne au bord du chemin. Pour aider ces élèves en grande difficulté – moi qui suis élue de la partie populaire du département des Yvelines, avec ses quartiers en difficulté, je sais de quoi je parle –, il faut reconnaître la nécessité d’adopter des démarches spécifiques, ce qui ne revient en aucune façon, bien sûr, à les stigmatiser.

Cette démarche doit être engagée dès l’école élémentaire et nous approuvons, monsieur le ministre, votre choix de donner la priorité à l’enseignement primaire. Malheureusement, vous ne prévoyez pas d’enseignements ni d’accompagnements spécifiques à ce stade, ou du moins pas clairement.

Pourtant, plusieurs expérimentations mentionnées dans le livre de notre collègue Jean-Claude Carle ont démontré que l’individualisation de l’enseignement est bien plus efficace qu’un cours magistral dans les petites classes. Je pense aux exemples canadien, anglais ou finlandais. Voilà une idée qui, clairement exprimée dans ce projet de loi, aurait pu faire l’objet d’une refondation.

Par ailleurs, vous ne traitez du collège que pour vous assurer qu’il est bien monolithique, et vous omettez le lycée. Vous délaissez ainsi les conditions de l’intégration professionnelle des élèves.

Pourtant, vous le savez comme moi, il n’y a pas d’élèves en échec : il n’y a que des élèves qui ne sont pas à leur place, qui sont mal orientés, qui ont d’autres rêves, d’autres compétences à valoriser pour ne pas être sur la voie de l’échec scolaire.

La voie professionnelle doit pouvoir être proposée dès la quatrième, de manière plus spontanée, aux élèves dans le processus d’orientation, même avant quinze ans, notamment par des personnes extérieures à l’école, par exemple des chefs d’entreprise, qu’il conviendrait de faire entrer dans les collèges et les lycées.

Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le fait que, tel qu’il est conçu aujourd’hui, le métier de conseiller d’orientation-psychologue n’est plus adapté aux besoins des élèves. Il faut réinventer un nouveau mode de recrutement et de gestion des carrières, rendant impérative une meilleure connaissance continue des métiers et de la réalité économique, afin de renforcer l’« approche métiers » de l’éducation à l’orientation dans l’enseignement secondaire.

En conclusion, malgré le travail important de Mme la rapporteur, travail que je tiens à saluer, nous demandons que ce projet de réforme soit réétudié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, contre la motion.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, en cette période de crise morale, économique et sociale, la jeunesse de notre pays a plus que jamais besoin d’espoir. La refondation de l’école contribuera à lui redonner cet espoir et à transformer la promesse républicaine en réalité.

L’état de notre école est alarmant et les difficultés relevées depuis vingt ans sont bien réelles. Nous partageons tous ce constat et il est nécessaire que, sur des sujets comme celui de l’école, nous nous rassemblions.

À l’issue de l’école primaire, un élève sur quatre dispose d’acquis fragiles et 15 % sont en grande difficulté, entamant leur scolarité dans le second degré avec de graves lacunes. Cette situation regrettable conduit trop souvent à une orientation subie par les jeunes, vécue comme une décision-sanction.

D’après l’enquête PISA de l’OCDE réalisée en 2009, un jeune de quinze ans sur cinq, connaît de très grandes difficultés de maîtrise de la langue écrite, ce qui correspond à une hausse de 30 % entre 2000 et 2009. Cette maîtrise est pourtant une condition sine qua non pour réussir dans l’ensemble des disciplines, pour s’intégrer dans le monde professionnel et, surtout, pour exercer ses droits et devoirs en tant que citoyen.

On relève aussi que 12 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans finissent par quitter le système scolaire sans diplôme ou avec le seul diplôme national du brevet des collèges.

Lorsque l’école publique est en difficulté, ce sont des milliers d’enfants qui, tous les ans, quittent le système scolaire sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter correctement, sans qualification secondaire, dans un monde où celle-ci est pourtant impérieuse.

Avons-nous le droit de leur dire qu’il est trop tard ?

Cette situation s’est progressivement et rapidement dégradée, avec l’aide de la précédente majorité.

Alors que nos enfants devront affronter la crise économique, la crise de l’emploi, la crise écologique, de quels outils disposeront-ils pour supporter ces mutations ?

Depuis au moins dix ans, nous ne cessons de le répéter : l’école va mal ! Le précédent gouvernement a préféré sacrifier l’école de la République sur l’autel d’une vision libérale et mercantile du service public, au lieu de la renforcer.

Mme Catherine Morin-Desailly. C’est caricatural !

Mme Françoise Laborde. Il a fait le choix d’une logique purement comptable appliquée à la maîtrise des dépenses de l’éducation, mettant ainsi en péril l’avenir même de la France, avec comme mesure phare la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui a entraîné de manière mécanique, dans l’éducation, la suppression de 80 000 postes en cinq ans. Notre taux d’encadrement se situait pourtant parmi les plus bas des pays de l’OCDE, avec une moyenne de 18,7 élèves par enseignant, contre 15,8 en 2010.

On a justifié toutes ces suppressions par la nécessité de procéder à un audit des politiques publiques, de s’interroger sur leur pertinence, afin de réaliser des économies.

Or, je le répète, cette vision comptable de l’éducation était réductrice et a transformé l’école en variable d’ajustement.

À la question « faut-il créer 60 000 postes dans l’éducation, dans le contexte budgétaire actuel, malgré de faibles marges de manœuvre ? » je réponds oui, mes chers collèges, car l’élévation du niveau d’éducation de nos enfants, l’amélioration de leur insertion professionnelle et de leur capacité d’innovation participeront au redressement de la France, à la croissance, à la réduction des déficits et de la dette publics.

À la question « ces 60 000 nouveaux postes vont-ils aggraver notre situation budgétaire ? » je réponds non, car leur création a été compensée par la réduction de la dépense dans le budget de l’État.

À la question « la dépense publique pourrait-elle être mieux utilisée ? » je réponds que là n’est pas le problème. L’investissement dans l’éducation a augmenté de 36 % entre 2000 et 2009 dans les pays de l’OCDE, contre seulement 9 % dans notre pays. Si la dépense éducative de la France, avec 6,3 % du PIB, continue de se situer dans la moyenne des pays de l’OCDE, à savoir 6,4 %, doit-on considérer que cette dépense est excessive ? Je ne le crois pas.

Certains pays consacrent à leur système éducatif plus de 7 % de leur PIB : l’Islande, la Corée du Sud ou le Danemark se situent à environ 8 %, la Nouvelle-Zélande à 7,4 % et les États-Unis à 7,3 %. Tous ces pays ont bien compris que les dépenses en matière d’éducation constituent des dépenses d’avenir, des dépenses publiques utiles, efficaces, indispensables et rentables. La priorité accordée à la jeunesse de notre pays doit passer par l’investissement dans l’école de la République, non par le désinvestissement.

Les moyens prévus pour cet investissement sont considérables. Utilisés pour donner aux enseignants et aux personnels d’éducation une formation de qualité, ils auront un impact fort sur la réussite scolaire.

Après avoir constaté les effets de la suppression de l’année de formation initiale des enseignants et de leur formation professionnelle, peut-on objectivement considérer que cette réforme n’est pas urgente ?

Mes chers collègues, le rétablissement d’une formation pour les futurs enseignants, de la maternelle à l’université, et l’extension de la formation à tous les personnels d’éducation sont des mesures qui justifient à elles seules l’examen de ce texte.

La mise en place d’une année de stage permettra également aux lauréats des concours de bénéficier d’une réelle expérience pédagogique, d’apprendre à gérer une classe, d’être préparés à exercer un métier qui s’apprend.

La suppression de 80 000 postes et la fin de la formation professionnelle des enseignants ont contribué au renforcement des inégalités sociales et territoriales.

En 2009, nous étions au vingt-septième rang des trente-quatre pays de l’OCDE au regard de l’équité scolaire. De manière ironique, il se trouve que c’est une organisation internationale connue pour sa vision libérale qui nous prodigue des conseils pour réduire nos inégalités scolaires !

Hélas, les effets d’une telle politique sur l’éducation des enfants semblent presque indolores lorsqu’on possède dans son jeu la carte du privé. Peut-on stigmatiser les familles qui le peuvent d’y envoyer leurs enfants ? Non, car elles ne sont pas responsables de l’instauration d’une école à plusieurs vitesses. C’est à l’État de faire le nécessaire et de reprendre les choses en mains. Il y a aussi de ce point de vue urgence à agir.

Chers collègues de l’opposition, dans vos interventions, vous reconnaissiez vous-mêmes hier, comme vous le faites aujourd’hui, que l’école va mal, qu’elle est en crise et que le constat est alarmant. Vous avez d’ailleurs déposé un grand nombre d’amendements, montrant ainsi que vous êtes prêts à apporter votre pierre à l’édifice de l’école de la République. Dans ces conditions, pourquoi déposer et soutenir des motions de procédure ? Voudriez-vous, en vous opposant le temps d’une ou deux motions à ce texte, tenter de défendre le bilan des majorités successives depuis plus de dix ans ?

Mes chers collègues, sans céder à une lecture partisane et réductrice de la politique éducative, il faut reconnaître que bien des mesures prises par la précédente majorité ont eu pour effet d’aggraver les inégalités sociales et territoriales en matière d’éducation, et je le déplore.

Où est passé le principe de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire proclamé par Condorcet ? Où sont passés le programme de Belleville, les lois Ferry, la loi de 1905 ou encore programme du Conseil national de la Résistance ?

En outre, la reproduction des inégalités ainsi que l’aggravation de l’échec scolaire ont été entretenues par la mise en place d’une orientation subie, résultant notamment de déterminismes sociaux et territoriaux et de la mise à mal du principe du collège unique.

Le projet de loi y remédie et le texte adopté par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication rappelle à juste titre que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser, car toute personne a une place dans la société, un rôle à y jouer, et l’école doit pouvoir guider tout un chacun vers ce rôle.

Le texte consacre notamment le droit à la formation pour les jeunes « décrocheurs » et il rend ainsi effectif le droit à l’instruction reconnu pour tous les enfants et tous les adultes par le préambule de la Constitution de 1946, lequel a, chacun le sait, valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi supprime les dispositifs d’orientation précoce, réaffirme le principe du collège unique – sans idéologie – et accorde une place essentielle à l’orientation pour que celle-ci puisse être choisie, pour qu’un large éventail de possibilités s’ouvre à tous les élèves et pour permettre de relancer le fameux ascenseur social.

Le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel proposé à chaque élève devra tenir compte des perspectives professionnelles, mais aussi de ses propres aspirations.

Ces mesures sont d’autant plus importantes que l’orientation choisie est une orientation réussie, un passeport pour l’avenir.

La réussite passe également par la révision du contenu des programmes scolaires, qu’il convient de rendre cohérents avec le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Le Conseil supérieur des programmes, qui comprendra désormais des membres du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental, sera consulté et proposera des recommandations en la matière.

Le socle commun de connaissances et de compétences, tel qu’il a été instauré par la loi Fillon du 23 avril 2005, a-t-il amélioré la situation ? Non ! Les compétences de base ne sont toujours pas maîtrisées et le livret de compétences est un échec éclatant, sans compter qu’il est excessivement chronophage pour les enseignants.

Le projet de loi comporte des mesures essentielles en matière de contenus. Il institue un véritable parcours d’éducation artistique et culturelle, pour que l’accès à l’art et à la culture se démocratise, quel que soit le territoire concerné. Cette mesure, avec le renforcement de la place du sport à l’école, consolide les vecteurs de transmission de nos valeurs.

Je veux m’attarder sur le nouvel enseignement civique et moral. Cet enseignement, dénué de dogmatisme, garantira le respect des opinions, des idées, des croyances. Il permettra la tolérance, le respect de tous et l’universalité de l’instruction. Il vise l’émancipation de la personne vis-à-vis des préjugés et le développement de son esprit critique ; il vise sa liberté.

Les valeurs communes héritées de la philosophie des Lumières, comme la laïcité, ne doivent pas être détournées pour diviser. Elles doivent être considérées pour ce qu’elles sont : des outils pour rassembler.

C’est sur ces valeurs que repose l’identité française, dénaturée par des débats inutilement polémiques, créateurs de divisions et de tensions au sein de notre société, et qui ont fourni un terreau de choix aux communautarismes ainsi attisés.

Ce sont des valeurs d’apaisement. Elles doivent irriguer l’ensemble des enseignements et c’est pourquoi notre groupe les défendra avec ferveur.

Toutes ces mesures tendent à fonder une nation inclusive grâce à l’école, partageant des valeurs communes, intégrant tous les futurs citoyens, sans distinction de sexe, d’origine sociale ou de culture.

Ce sont autant de connaissances, de savoir-faire qui ne s’acquièrent que par l’application d’un rythme adapté à l’enseignement et à l’enfant.

Alors qu’en 2008 le gouvernement Fillon décidait, à l’encontre de l’intérêt de l’enfant, de concentrer les enseignements sur quatre jours hebdomadaires, le gouvernement actuel rétablit de manière courageuse la semaine de quatre jours et demi. Le projet de loi prévoit la création d’un fonds en faveur des communes afin que la mise en place de la réforme se fasse sans que se creusent les inégalités entre communes favorisées et défavorisées.

Certes, plusieurs dispositions ne pourront s’appliquer qu’après la publication de décrets. Certes, ce projet de loi ne procède pas à un changement révolutionnaire du fonctionnement de notre système éducatif – mais nous ne sommes pas là pour faire la révolution ! Néanmoins, il comporte un certain nombre de mesures indispensables qu’il est urgent d’adopter.

L’avenir de la France mérite d’être discuté au sein de la Haute Assemblée. Il mérite que l’ensemble des élus se penchent sur les orientations et la programmation des moyens que le Gouvernement entend consacrer à l’institution qui a pour mission de former des citoyens en devenir.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous propose de repousser la motion tendant à opposer la question préalable et de poursuivre ainsi l’examen de ce texte fondamental, indispensable, très attendu par le monde éducatif, dans l’intérêt des enfants de la République et au service du redressement de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)