Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je remercie Mme Maryvonne Blondin, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, de son travail rigoureux, qui a permis de consolider ce texte. L’action transversale qu’elle a appelée de ses vœux, c’est précisément ce à quoi nous avons décidé de travailler avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains : des hauts fonctionnaires venus à la fois de la Chancellerie, des ministères de la santé et de l’intérieur et du monde des collectivités locales veillent vraiment à prendre en compte toutes les dimensions de la protection des femmes victimes de violence.

Aussi, nous avons bien évidemment l’intention, comme vous nous y avez encouragés, madame la sénatrice, de suivre les recommandations du GRETA, sur lesquelles nous sommes en train de travailler. Vous le savez, un large plan de lutte contre la traite des êtres humains, qui prendra en considération les recommandations de cette instance, sera proposé en octobre prochain.

Surtout, vous nous avez demandé d’aller beaucoup plus loin en matière de formation des professionnels, notamment en termes de sensibilisation et d’observation des violences. Vous avez raison. C’est d’ailleurs l’une des décisions que nous avions retenues dans le cadre du Comité interministériel aux droits des femmes en novembre dernier. La MIPROF est pour partie chargée de cette mission, puisqu’elle est en train de rédiger le cahier des charges des formations pluridisciplinaires qui s’adresseront à la fois aux magistrats, aux policiers, aux enseignants, aux médecins et aux personnels de santé. Nous reviendrons sur le principe de cette formation systématique dans le projet de loi-cadre relatif au droit des femmes que je vous présenterai au mois de septembre prochain.

Je suis également très attentive aux propositions que vous formulez pour renforcer la lutte contre les mariages forcés. Comme je le disais précédemment, nous avons lancé avec Hélène Conway-Mouret un groupe de travail interministériel sur ce sujet, auquel on ne s’intéresse de si près que pour la première fois. Il s’agit à la fois de viser le monde diplomatique et consulaire et d’associer les établissements scolaires. Un travail de sensibilisation et de prévention important doit bien évidemment être conduit.

Pour répondre à votre question sur les interdictions de sortie du territoire, puisque c’était l’un des sujets que nous évoquions en aparté, sachez que la jeune fille menacée de mariage forcé peut d’ores et déjà être interdite de sortie du territoire par une ordonnance de protection.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cette disposition figure dans la loi du 9 juillet 2010, comme le sait bien M. Courteau. Le coupable peut également être interdit de sortie du territoire dans le cadre de ce dispositif. Aujourd’hui, certaines associations demandent à ce qu’on pénalise ceux qui empêchent les filles de quitter les territoires des pays étrangers. Si cela pose pour le moment un certain nombre de problèmes d’extraterritorialité, c’est un sujet sur lequel nous travaillons. Nous y reviendrons prochainement.

Pour finir, je veux remercier tous les intervenants de l’attention qu’ils portent à la question de la protection des femmes victimes de violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je joins mes remerciements à ceux de Mme la ministre des droits des femmes. Comme d’habitude, le débat mené au Sénat, comme à l’Assemblée nationale, est de grande qualité. Mais la Haute Assemblée veille avec un esprit encore plus méticuleux aux détails du droit et à la cohérence de notre système pénal.

Monsieur le rapporteur, sur le parquet, le Gouvernement travaille avec des débuts de résultats tout à fait satisfaisants sur l’application de l’article 86 du traité de Lisbonne. Il s’intéresse également à son article 85, relatif au renforcement d’Eurojust, comme en témoigne d’ailleurs ce texte.

Nous avons bien avancé, notamment avec l’Allemagne, qui est un partenaire essentiel. J’ai en effet cosigné avec ma collègue allemande un projet de texte que nous avons transmis à la Commission européenne. Par ailleurs, nous nous rapprochons de manière très encourageante de pays comme la Pologne, l’Italie ou l’Espagne, mais, je dois le reconnaître, essentiellement sur le parquet fiscal. Sur le parquet pénal, les choses sont plus compliquées, y compris avec l’Allemagne. Il n’en demeure pas moins que nous nous inscrivons dans une trajectoire positive. Dans ce contexte, les dispositions introduites par l’Assemblée nationale nous semblent quelque peu anticipatrices, et je partage votre avis quant à la nécessité de les moduler de nouveau.

Pour ce qui concerne l’ordre de transposition dans les codes, je dois reconnaître que votre observation est tout à fait pertinente. Il est toujours nécessaire de donner un peu plus de cohérence aux textes de loi, qui doivent être compris. La difficulté, c’est que l’élaboration de ce projet de loi était déjà très avancée. Il a en effet été conçu par le gouvernement précédent et soumis ainsi au Conseil d’État. En outre, même si nous avons pris de l’avance dans certains domaines, nous sommes sur la corde raide s’agissant des textes qui auraient dû être transposés en avril 2013 et nous n’avons pas entrepris ce travail de réécriture. Pour autant, concernant la réforme constitutionnelle modifiant le Conseil supérieur de la magistrature, nous avons veillé à réécrire l’ensemble de l’article 65 de la Constitution, pour y introduire une plus grande cohérence et homogénéité. Nous avons par anticipation satisfait à votre observation, monsieur le rapporteur, mais dans un autre texte.

J’ai noté les observations de Mme Benbassa, qui s’est réjouie que ce texte aille plus loin, notamment en matière de protection des mineurs et des victimes, en particulier étrangères, puisque leurs droits sont reconnus sur le territoire.

Monsieur Mazars, j’apprécie profondément l’accueil très favorable que vous faites au mandat d’arrêt européen. Cet instrument judiciaire essentiel facilite la coopération pénale et préfigure les reconnaissances mutuelles que nous inscrivons dans notre droit. Vous avez également montré votre intérêt pour les transfèrements.

Madame Blondin, Mme la ministre des droits des femmes a répondu pour l’essentiel aux observations que vous avez formulées, y compris à celles qui portaient sur les questions pénales. Pour ma part, je puis vous dire que la France a comme objectif sans cesse réaffirmé d’améliorer ses capacités à traiter ces diverses situations. Voilà deux jours, je recevais le directeur général de l'ONUDC, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui est notamment responsable de l’application de la convention de Palerme. Mes rencontres, mes entretiens bilatéraux ont pour objectif de nous permettre d'avancer de manière aussi efficace et satisfaisante que possible dans ce domaine.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait allusion aux repentis de manière générale. Vous le savez, la France travaille sur un statut des repentis. Un projet de décret est d’ailleurs dans les tuyaux depuis deux ou trois ans. En collaboration avec le ministère de l'intérieur, nous avons progressé – ce qui n’a pas été simple – sur la question de la responsabilité, de la durée et du coût de la prise en charge. C’est sur ce dernier point que tout se complique, et nous ne sommes pas encore parvenus à un accord avec le ministère des finances. Des arbitrages doivent être prochainement rendus.

Le statut des repentis intéresse plus particulièrement certains territoires, et dans un premier temps la Corse, au sujet de laquelle j'ai diffusé une circulaire de politique pénale. Ne voulant pas stigmatiser nos compatriotes insulaires, je m’empresse de préciser que ce statut sera probablement utile en d’autres lieux du territoire.

Monsieur Portelli, vos propos sur l'effectivité des droits sont tout à fait justes. Sachez que, dans le cadre des conseils Justice et affaires intérieures, la France se bat beaucoup sur cette question de l'effectivité des droits. De fait, à chaque texte de transposition du droit européen, nous sommes en permanence confrontés aux dissonances qui existent entre le droit continental et le droit anglo-saxon. Cette remarque vaut également pour plusieurs professions, notamment les professions réglementées.

Nous sommes en présence de deux conceptions divergentes, de vocabulaires différents, sans compter les traductions malheureuses. De fait, les transpositions sont un exercice certes acrobatique, mais généralement plutôt réussi, parce que si les notions et les concepts juridiques ne sont pas strictement identiques selon les pays, y compris, vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, au sein même des pays de droit continental, nous parvenons malgré tout à respecter le texte d’origine avec toutes ses précisions, tout en nous conformant à notre loi fondamentale. Car c’est bien à cet équilibre que nous devons parvenir !

S’agissant de l'effectivité des droits, sachez que, dès le premier Conseil des ministres auquel j’ai participé, le 8 juin 2012, j'ai fait valoir que la France était favorable au respect des droits des justiciables et donc à la présence de l'avocat non seulement en garde à vue – c'était déjà le cas –, mais également dans le cadre des auditions libres. Ce faisant, j’ai fait remarquer qu'on ne pouvait pas se contenter de proclamer ainsi un nouveau droit sans prendre en considération les inégalités qui en résulteraient, sachant que seuls ceux qui en auraient les moyens pourraient s’attacher les services d’un avocat. C’est pourquoi la France demande, et même revendique, un instrument législatif européen sur l'aide juridictionnelle.

En juin, nous avons obtenu que la commission travaille sur un instrument – comment dire ? – juridique, législatif. Nous devons en effet parfois gérer des nuances sémantiques. Ainsi, lorsque j'ai demandé un instrument législatif, on m'a proposé une résolution visant un legal instrument, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Donc, je précise bien que nous avons obtenu non pas un instrument légal ou juridique, mais un instrument législatif portant sur l’aide juridictionnelle, et c’est ce sur quoi travaille la Commission.

Je le répète, il serait totalement absurde de créer en même temps un nouveau droit et de nouvelles inégalités, ce qui serait contraire à l’esprit du droit français. Je puis vous assurer que nous mettons tout en œuvre pour rendre ce droit effectif.

M Michel a fait des observations sur le coût d’Eurojust. Il a également évoqué le délit d’offense au chef de l'État ; je reviendrai sur ce point lors de la discussion des articles.

Enfin, je veux dire que la possibilité pour les associations de se constituer partie civile est une réelle avancée, et nous savons gré à l'Assemblée nationale d'avoir introduit cette disposition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tous de la très grande qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Chapitre Ier

Dispositions portant transposition de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L’article 225-4-1 est ainsi rédigé :

« Art. 225-4-1. – I. – La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes :

« 1° Soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

« 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

« 2° bis Soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; 

« 3° Soit en échange ou par l’octroi d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage.

« L’exploitation mentionnée au premier alinéa est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de soumission à du travail ou des services forcés ou à de l’esclavage, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.

« La traite des êtres humains est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

« II. – La traite des êtres humains à l’égard d’un mineur est constituée même si elle n’est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 3° du I.

« Elle est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende.

« III. – (Supprimé) »

2° L’article 225-4-2 est ainsi rédigé :

« Art. 225-4-2. – I. – L’infraction prévue au I de l’article 225-4-1 du présent code est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende lorsqu’elle est commise dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 3° du même article 225-4-1 ou avec l’une des circonstances supplémentaires suivantes :

« 1° À l’égard de plusieurs personnes ;

« 2° À l’égard d’une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

« 3° Lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ;

« 4° Dans des circonstances qui exposent directement la personne à l’égard de laquelle l’infraction est commise à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

« 5° Avec l’emploi de violences qui ont causé à la victime une incapacité totale de travail de plus de huit jours ;

« 6° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre la traite ou au maintien de l’ordre public ;

« 7° Lorsque l’infraction a placé la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave.

« II. – L’infraction prévue au II de l’article 225-4-1 est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 500 000 € d’amende lorsqu’elle a été commise dans l’une des circonstances mentionnées aux 1° à 3° du même article 225-4-1 ou dans l’une des circonstances mentionnées aux 1° à 7° du I du présent article. » ;

3° L’article 225-4-8 est ainsi rétabli :

« Art. 225-4-8. – Lorsque les infractions prévues aux articles 225-4-1 et 225-4-2 sont commises hors du territoire de la République par un Français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 et la seconde phrase de l’article 113-8 n’est pas applicable. » ;

4° La section 3 du chapitre V du titre II du livre II est ainsi modifiée :

a) L’intitulé est complété par les mots : « et du travail forcé » ;

b) Après l’article 225-14, il est inséré un article 225-14-1 ainsi rédigé :

« Art. 225-14-1. – Le fait, par la violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. » ;

c) Au premier alinéa de l’article 225-15, la référence : « et 225-14 » est remplacée par la référence : « à 225-14-1 » ;

5° À la fin du 5° de l’article 225-19, les mots : « l’infraction prévue à l’article 225-14 » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues aux articles 225-13 à 225-14-1 ». 

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Supprimer les mots :

dans l'une des circonstances suivantes

II.- Alinéas 4 à 7, 10 et 11

Supprimer ces alinéas.

III. - Alinéas 13 à 22

Remplacer ces alinéas par onze alinéas ainsi rédigés :

2° L'article 225-4-2 est ainsi rédigé :

« Art. 225-4-2. - L'infraction prévue à l'article 225-4-1 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1 500 000 euros d'amende lorsqu'elle est commise :

« 1° À l’égard d'un mineur ;

« 2° À l’égard d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ;

« 3° À l’égard de plusieurs personnes ;

« 4° À l’égard d'une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

« 5° Lorsque la personne a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

« 6° Dans des circonstances qui exposent directement la personne à l'égard de laquelle l'infraction est commise à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

« 7° Avec l'emploi de menaces, de contraintes, de violences ou de manœuvres dolosives visant l'intéressé, sa famille ou une personne étant en relation habituelle avec lui ;

« 8° Par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la personne victime de l'infraction prévue à l'article 225-4-1 ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

« 9° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre la traite ou au maintien de l'ordre public. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le chapitre Ier transpose la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.

Cet amendement vise à appeler l’attention sur les conséquences en matière d’exploitation liées au proxénétisme que cet article impliquerait. Il vient en prolongement des travaux que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que je préside, a menés sur ce projet de loi de transposition et d’une recommandation proposée et adoptée par notre rapporteur, Maryvonne Blondin. En effet, la délégation aux droits des femmes du Sénat a adopté, comme recommandation n° 1, que « le fait de traite des êtres humains soit constitué dès lors que le but de l’exploitation est établi ».

Cet amendement reprend donc tout simplement cette recommandation. En effet, le basculement des circonstances aggravantes dans les éléments constitutifs peut rendre plus difficile l’établissement des infractions alors que, précisément, l’esprit de la loi est bien de le faciliter. Il est ainsi souligné que cette modification pourrait être interprétée « comme éloignant la France de son objectif abolitionniste en matière de prostitution et de proxénétisme ».

Ce projet de loi fait des moyens employés par l’auteur de la traite un élément constitutif de l’infraction, ce qui aura des conséquences non négligeables sur la charge de la preuve incombant aux victimes.

Nous pensons que l’action et le but visés par l’auteur de la traite doivent suffire à caractériser celle-ci. La traite serait ainsi définie comme « le fait par tous moyens de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir », dans le but de la mettre « à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, pour permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de soumission à du travail ou des services forcés ou à de l’esclavage, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit ».

Avec cette définition, plus protectrice des victimes, les moyens employés n’auraient pas à être prouvés par la victime, si ce n’est pour caractériser des circonstances aggravantes.

Il est également proposé dans notre amendement de supprimer, à l’article 225–4–1 du code pénal, la référence à une rémunération ou tout autre avantage ou à leur promesse.

Ces éléments, qui ne sont pas des circonstances aggravantes par nature, peuvent aussi être difficiles à prouver.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Richard, rapporteur. La commission n’a pas émis un avis favorable sur cet amendement, et ce pour deux raisons.

La première est que la définition proposée ne correspond pas à l’accord que nous transposons.

La seconde raison me permet de rappeler pourquoi nous devons être attentifs aux textes que nous adoptons en matière pénale.

Pour nous conformer à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous devons veiller à définir précisément et strictement les motifs permettant d'appréhender et de sanctionner un individu. C’est pourquoi il nous semble logique et cohérent que l'infraction de traite ne soit pas définie pareillement selon qu’elle implique des mineurs ou des majeurs.

Je rappelle que, dans tous nos systèmes de droit, les personnes majeures sont présumées avoir une part d'autonomie et de volonté. Par conséquent, lorsqu'il est question d'une personne majeure, la traite, pour être caractérisée comme telle, implique l'emploi de certains moyens. On ne peut pas simplement se contenter de constater qu'une personne est sous dépendance pour prononcer la culpabilité de l’individu qui l'a placée sous cette dépendance ; il faut des circonstances précises.

Rappelons-nous le premier texte de droit pénal que nous avons examiné après l'alternance politique survenue l'année dernière. À force de vouloir réduire les éléments constitutifs d'un délit, on a fini par en donner une définition tautologique. En l'occurrence, il avait été dit que le délit de harcèlement consistait à harceler ! À la suite de quoi le Conseil constitutionnel nous a tout simplement rappelé que la Déclaration des droits de l'homme imposait, lorsqu’on crée une infraction, de fixer précisément les circonstances de sa réalisation.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que la commission a considéré que l'équilibre qui résultait à la fois de notre engagement européen et du projet de loi dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale n'avait pas à être modifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement, pour les mêmes raisons que celles avancées par M. le rapporteur.

J'entends vos préoccupations, madame la sénatrice, mais aucun élément objectif et tangible ne permet de justifier votre crainte que la France ne s’éloigne de son objectif abolitionniste. La convention de 1960 que notre pays a ratifiée n’est nullement remise en cause.

Par ailleurs, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, nous sommes tenus par le principe de légalité des délits et des peines. C’est pourquoi nous devons veiller à rédiger nos textes avec une grande rigueur. À défaut, cela pourrait nous coûter cher. Aujourd'hui, grâce aux questions prioritaires de constitutionnalité, tout justiciable qui souhaite introduire une contestation peut faire appel au Conseil constitutionnel. De fait, notre droit pénal est véritablement passé au crible. Nous avons donc encore plus qu'auparavant un devoir de rigueur dans l'écriture.

Dans le cas présent, il s'agit d'une transposition en droit français d'instruments juridiques européens ou internationaux. Cela veut dire que nous sommes tenus par la signature de la France. Dans le cadre de la coopération pénale, et même simplement de l'entraide judiciaire ou administrative, les incriminations doivent être précisément définies. Si la France veut pouvoir coopérer avec ses partenaires, elle doit pouvoir lancer des commissions rogatoires internationales, il faut que le mandat d'arrêt européen soit reconnu et exécutoire, il faut que l'extradition soit une procédure reconnue et partagée. Ces différents instruments nous obligent à rédiger très précisément nos textes de loi.

Je le répète, j’entends vos préoccupations, mais je ne partage pas votre inquiétude quant à la position de la France en matière d’exploitation liée au proxénétisme, même si – soyons scrupuleux – je ferai vérifier ce point.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. M. le rapporteur a prononcé un mot essentiel : « présumées ». Une personne adulte est en effet présumée jouir d’un minimum d'autonomie. Pour autant, nous savons bien que certains adultes sont entièrement placés sous la coupe d'autres personnes, qui les tiennent par la violence ou par d’autres moyens. Je pense notamment aux sectes. Aussi serait-il intéressant de creuser cette question pour voir comment faire évoluer les choses, tout en sachant que cela prendra du temps et que nous sommes effectivement liés par des conventions internationales.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 8

1° Après le mot :

afin

insérer les mots :

soit de la réduire en esclavage,

2° En conséquence, supprimer les mots :

ou à de l’esclavage

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Richard, rapporteur. Nous avons déjà expliqué pourquoi la commission avait décidé de ne pas inscrire le délit ou le crime d’esclavage ou de mise en esclavage dans le projet de loi. Reste que nous sommes tenus de faire usage du mot « esclavage » dans la définition de la traite. La rédaction actuelle ne nous semblant pas cohérente, l’amendement que je présente est donc rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Richard, rapporteur. Je souhaiterais de quelques mots prolonger l’échange que nous avons initié avec Mme la garde des sceaux sur le thème de la protection des victimes de la traite, qui est distinct de la question des repentis.

Nous observons, à travers un certain nombre d’instances pénales, la situation d’extrême dépendance dans laquelle se trouvent les victimes – souvent des jeunes femmes ou des enfants – de prostitution et de mendicité forcées. Nous mesurons tous la prise de risque que représente pour elles la décision d’échapper à l’emprise d’un groupe ou d’une bande où règnent une violence et une cruauté indicibles. Des événements récents ont montré à quel point ceux qui dirigent ces réseaux sont dépourvus de scrupules.

Il existe des dispositifs matériels et sociaux permettant d’accompagner et de protéger les victimes, qui sont également des auxiliaires essentiels de la justice pour confondre les chefs de gangs. Cependant, nous n’avons pas voulu adopter un nouveau dispositif législatif, qui aurait créé des obligations à l’égard de l’exécutif, avant d’en avoir mesuré toutes les répercussions.

En attendant, nous encourageons le Gouvernement à poursuivre son action en faveur de la protection des victimes. Le faible nombre de poursuites qui aboutissent en raison du règne de la loi du silence et de la terreur en démontre la nécessité.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, le Gouvernement partage entièrement votre préoccupation.

Lors d’une précédente législature, des dispositions en faveur des victimes, notamment en ce qui concerne leur accompagnement matériel, avaient été adoptées. Cependant, le texte avait été appauvri pendant son parcours législatif et, au bout du compte, il n’était pas tout à fait satisfaisant.

Nous allons faire le point avec la ministre des droits des femmes sur ce sujet. Il faudra probablement que nous reprenions ce texte et que nous y apportions des améliorations.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France
Article 2 bis

Article 2

(Non modifié)

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° A Après l’article 2-21, il est inséré un article 2-22 ainsi rédigé :

« Art. 2-22. – Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la lutte contre la traite des êtres humains, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les infractions de traite des êtres humains réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-9 du code pénal. Toutefois, l’association n’est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l’accord doit être donné par son représentant légal. » ;

1° Au premier alinéa de l’article 706-47, après le mot : « sexuelles », sont insérés les mots : « , de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur » et, après la référence : « 222-31, », sont insérées les références : « 225-4-1 à 225-4-4, » ;

2° Au début de l’article 706-53, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« À tous les stades de la procédure, le mineur victime d’un crime ou d’un délit peut, à sa demande, être accompagné par son représentant légal et, le cas échéant, par la personne majeure de son choix, sauf s’il a été fait application de l’article 706-50 ou sauf décision contraire motivée prise par l’autorité judiciaire compétente. » – (Adopté.)

Chapitre Ier bis

(Division et intitulé supprimés)

Article 2
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Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2 bis

(Supprimé)

Chapitre II

Dispositions portant transposition de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales