Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. En outre, notre système d’évaluation reste perfectible, même s’il a évolué dans le bon sens depuis quelques années, sous la houlette de l’actuel président de l’AERES. Je reviendrai sur cette question lors de la présentation de nos amendements s’y rapportant.

Enfin, les mondes de la recherche et de l’économie sont encore trop séparés. Comme le relève encore la Cour des comptes, la France est « bonne en recherche » mais « nettement plus faible en innovation ». Elle s’inscrit, s’agissant de cette dernière, dans la catégorie des pays « suiveurs », à la vingt-quatrième place mondiale.

Nous nous occupons insuffisamment des retombées économiques de la recherche, qui sont peu prises en compte dans les indicateurs de performance de la dépense publique comme dans les évaluations des chercheurs et des équipes.

Pourtant, des instruments ont été mis en place pour établir des ponts entre les deux mondes. Comme nous le rappelait le commissaire général à l’investissement, M. Louis Gallois, la semaine dernière en commission des affaires économiques, une partie majeure des 35 milliards d’euros du programme des investissements d’avenir, le PIA, sont consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche.

À cet égard, je m’étonne de l’absence d’intégration, dans le projet de loi, de toutes les structures mises en place par le PIA pour faciliter le transfert, les instituts de recherche technologique – les IRT –, les sociétés d’accélération du transfert de technologies – les SATT – et les instituts d’excellence énergies décarbonées – les IEED.

Il est également étonnant de constater l’absence de référence directe à l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, par laquelle transitent pourtant la moitié des crédits du PIA.

L’intégration de ces structures permettrait une meilleure cohérence ou, en tout cas, une meilleure explication au sein de ce texte, de l’organisation possible de ce « mikado ».

À ce propos, vous avez fait le choix, madame la ministre, d’établir une politique de vases communicants entre l’ANR et les grands organismes de recherche. Or, le financement sur projets ne représente qu’une faible part du financement total de la recherche, dont le niveau est d’ailleurs sensiblement inférieur à celui d’autres grands pays scientifiques.

Il permet pourtant de soutenir une recherche qui ne rentre pas forcément dans le champ des grands axes stratégiques définis au niveau national. La réduction du financement de l’ANR, prévue par la programmation triennale 2013-2015, affectera le dynamisme des équipes de recherche, ainsi que l’a clairement souligné la Cour des comptes. Pouvez-vous donc nous préciser, madame la ministre, au-delà de ce projet de loi, quelles sont les évolutions de plus long terme que vous souhaitez donner à cette structure, devenue centrale dans le paysage de notre recherche ?

J’en viens maintenant aux propositions que vous nous faites dans votre texte pour relever ces défis, madame la ministre, et aux améliorations que nous souhaitons y apporter.

Sur la gouvernance, vous mettez en place une stratégie nationale de la recherche. Passons sur le fait qu’elle remplace une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation, qu’il aurait peut-être été préférable de réorganiser. Je vous proposerai, pour ma part, de l’étendre au transfert, dont l’aspect stratégique doit, de l’avis de la commission des affaires économiques, clairement apparaître.

À l’échelon territorial, sera élaboré un schéma régional de la recherche et de l’innovation. Je vous proposerai de mieux y associer les collectivités autres que la région qui, pour certaines d’entre elles, s’investissent amplement dans la recherche.

Je pense notamment aux intercommunalités, qui, dans mon territoire comme dans de nombreux autres, contribuent substantiellement au financement de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les PRES sont supprimés au profit d’un nouveau type de regroupements : les communautés d’universités et établissements. Là encore, pourquoi mettre à bas ce qui existait pour le remplacer par quelque chose de finalement très proche ? En tout état de cause, je vous proposerai de renforcer leur statut de confédération – vous en avez parlé tout à l’heure, madame la ministre –, qui apporte davantage de souplesse, et de sécuriser leurs statuts par un vote à la majorité qualifiée des deux tiers. Cela apportera sans doute plus de stabilité et favorisera concertation et partenariat entre les membres d’une telle communauté, ce qui relève, me semble-t-il, du bon sens.

J’en viens à l’évaluation. Le texte remplace une entité qui montait en puissance et en qualité, l’AERES – certes, elle a suscité des difficultés en son temps –, par une nouvelle autorité administrative indépendante, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou HCERES. Nos auditions ont fait apparaître l’incohérence d’une telle démarche, qui entraînerait de coûts importants et retarderait les évaluations à venir. En effet, madame la ministre, si beaucoup souscrivaient à une telle idée au départ, ils ont changé d’avis, car l’AERES est précisément en train de se transformer, en corrigeant les éléments qui posaient problème. (Absolument ! sur plusieurs travées de l’UMP.)

Aussi notre commission souhaite-t-elle conserver l’AERES – je pense que d’autres amendements en ce sens ont été déposés –, tout en la faisant profiter des évolutions positives contenues dans le texte, sur votre proposition, madame la ministre.

Le projet de loi contient plusieurs articles relativement déclaratoires sur le transfert. Ils en font un objectif général de l’enseignement supérieur et de la recherche. La seule mesure opérationnelle est celle qui est prévue à l’article 55, sur la valorisation des brevets.

Or, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, il est clairement ressorti de nos auditions qu’une telle disposition poserait problème, même si l’objectif est partagé, et fort louable.

En effet, la mesure contreviendrait au droit communautaire et aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, car elle introduit une discrimination selon le type d’entreprise et constitue un obstacle aux échanges. De surcroît, elle se révélerait totalement contre-productive car – nous en avons eu des exemples concrets, dans les secteurs des télécommunications ou de la santé – environ 80 % des entreprises qui licencient nos brevets sont des entreprises de taille intermédiaire ou des grandes entreprises, et, surtout, sont situées à l’extérieur de l’Union européenne. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Un tel dispositif réduirait donc les ressources propres des organismes de recherche, et ce alors que l’État se désengage de plus en plus de leur financement, jugeant que France Brevets et la qualité des productions de nos chercheurs publics permettent de licencier plus de brevets. Mais nous fermer une part du marché sur lequel le génie français, c'est-à-dire la qualité de nos chercheurs, peut être une source de financement, serait un peu dommage.

Toujours à propos des brevets, je vous proposerai également, suivant en cela l’initiative du président de la commission des affaires économiques, M. Daniel Raoul, de ratifier l’accord européen prévoyant le brevet unitaire, qui simplifiera le quotidien de nos chercheurs et de nos entreprises.

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. En outre, je vous suggérerai d’étendre le bénéfice des contrats de travail à durée déterminée à objet défini pour une période d’un an ; cela doit normalement s’arrêter au 26 juin prochain, en l’absence d’évaluation du dispositif par le Gouvernement. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mes chers collègues, nombre de très grands instituts se sont fortement exprimés sur le sujet, en mettant en avant le risque que cela pouvait susciter dans leur fonctionnement quotidien au cours de l’année de latence, qui est indispensable.

Au final, ce texte laisse une impression mitigée. Certes, il comporte quelques avancées indéniables et a été enrichi par nos collègues députés, qui ont notamment conforté le statut des jeunes chercheurs auprès des entreprises et de la haute administration. (Marques d’approbation sur les mêmes travées.) Je sais que la mesure fait débat, mais je pense qu’il s’agit d’une belle avancée, de nature à encourager nos jeunes chercheurs. (Mêmes mouvements.)

Dans le même temps, le projet de loi ne bouleverse pas fondamentalement les choses, se contentant trop souvent de retoucher de manière cosmétique des dispositifs existants, sans aborder des enjeux importants.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous proposerai de voter les amendements qui ont été adoptés par notre commission des affaires économiques, avec le soutien de nombreux commissaires de toutes sensibilités politiques. Ces amendements ont été travaillés en lien étroit avec Mme la rapporteur de la commission de la culture, dont je voudrais saluer le travail très sérieux et constructif.

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. Nos amendements me semblent améliorer sensiblement le projet de loi dans ses volets recherche, gouvernance et transfert, et aller dans le sens du rapport de M. Louis Gallois, qui vise à créer un continuum de notre recherche de l’amont à l’aval. D’ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement ont constamment soutenu une telle démarche.

Car prenons garde d’oublier que nos chercheurs contribuent, et pourraient contribuer encore davantage demain, à créer de la valeur ajoutée et de l’emploi pour des milliers de nos concitoyens. Et cela n’est pas un gros mot, cela n’a rien d’antinomique avec le souhait, que nous formons tous, de soutenir l’excellence de notre recherche fondamentale, quel qu’en soit le domaine.

Je dois le dire, l’accueil négatif que la commission de la culture a réservé à nos amendements, pourtant adoptés par la commission des affaires économiques, a été source d’étonnement.

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. Dans ces conditions, vous le comprendrez, ma position sur l’ensemble du texte dépendra de la suite de notre débat et du sort qui sera fait à nos amendements en séance publique. Mais, comme je suis résolument optimiste, je veux espérer que nos discussions permettront de faire évoluer encore la physionomie générale du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Daniel Raoul et Roland Courteau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes.

Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes a examiné le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche en s’attachant, conformément à sa saisine et à ses attributions, à la contribution que celui-ci peut apporter à l’amélioration de la place des femmes dans ce secteur.

Notre délégation est partie d’un constat : l’incontestable réussite scolaire des filles n’a pour l’instant guère battu en brèche les profondes inégalités entre les sexes qui marquent le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le paradoxe est bien connu : les filles effectuent de meilleurs parcours scolaires ; elles sont plus nombreuses que les garçons à passer le baccalauréat et à suivre des études supérieures ; au sein d’une même classe d’âge, elles sont 54 % à être titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 39 % seulement des garçons. Mais elles n’effectuent pas les mêmes choix d’orientation, se concentrent sur un nombre assez limité de filières – des filières qui ne sont pas les plus porteuses -, et connaissent en fin de parcours des conditions d’insertion professionnelle plus difficiles et moins rémunératrices.

Une telle « ségrégation horizontale » les conduit, par exemple, à se détourner des études scientifiques et des écoles d’ingénieurs, même quand elles ont brillamment passé un bac scientifique. Ce phénomène se double d’une « ségrégation verticale » : la proportion de filles diminue aux différentes étapes des parcours universitaires. En 2011, elles constituaient 57 % des étudiants à l’université, mais seulement 47 % des doctorants, 42,4 % des maîtres de conférences, 22,6 % des professeurs d’université et 15 % des présidents d’université. Cette proportion s’est d’ailleurs réduite de moitié depuis ! Puissance du « plafond de verre »…

Le projet de loi qui nous est soumis témoigne d’une volonté de remédier à une telle situation, notamment grâce à un rééquilibrage dans la gouvernance de l’enseignement supérieur.

Notre délégation approuve les dispositions qui posent le principe de la composition paritaire de trois grandes instances chargées du pilotage et de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche : le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et le Conseil stratégique de la recherche. Porteuses d’une forte charge symbolique, elles assureront une meilleure participation des femmes à la gouvernance du secteur à l’échelle nationale.

Cependant, nous souhaiterions – c’est l’objet de notre première recommandation – que l’obligation de parité s’applique également à la composition du conseil scientifique chargé d’assister le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Nous nous réjouissons également des dispositions qui favorisent la parité dans la composition des conseils d’administration et des futurs conseils académiques de la plupart des établissements d’enseignement supérieur.

La parité sera favorisée, pour les membres élus de ces conseils, par l’obligation de constituer des listes composées alternativement d’un candidat de chaque sexe. C’est une mesure forte, importante sur le plan symbolique. Elle permettra une amélioration concrète de la proportion de femmes dans ces instances, même si l’on peut craindre que les têtes de liste ne restent majoritairement masculines.

L’Assemblée nationale a substitué le scrutin à un tour au scrutin à deux tours, prévu par le projet de loi initial et considéré à la marge comme plus favorable à la parité. Mais elle a aussi relevé à deux sièges la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, ce qui, avec les listes alternées, favorisera la parité. Ces deux modifications devraient plus ou moins se compenser. Nous n’avons donc pas demandé le retour au dispositif initial, mais nous avons recommandé à la commission de la culture de veiller au respect de ce nouvel équilibre, ce qu’elle a fait.

Nous approuvons évidemment le nouvel article 37 bis, adopté par l’Assemblée nationale, qui impose la parité dans la désignation des personnalités extérieures, ainsi que la disposition introduite à l’article 28 prévoyant la composition paritaire de la section du conseil académique compétente pour l’examen des questions individuelles. Mais nous ne pouvons pas accepter qu’une telle obligation cesse dès lors que la section examine des questions relatives aux professeurs d’université. Nous avons donc formulé une recommandation pour que l’exception soit supprimée.

Notre délégation a porté une attention particulière au champ d’application des mécanismes paritaires. Ils concernent évidemment les universités, mais aussi les autres établissements d’enseignement supérieur régis par le titre Ier du livre VII du code de l’éducation, qui ont des règles particulières d’organisation, précisées par voie réglementaire. Nous avons donc demandé au Gouvernement de modifier leurs décrets statutaires pour que ces garanties paritaires s’appliquent aussi à leurs conseils centraux.

En revanche, nous avons relevé que ces dispositions n’avaient pas vocation à s’appliquer aux établissements relevant des autres titres du livre VII, notamment aux établissements d’enseignement supérieur spécialisés : écoles d’architecture, écoles de santé publique, écoles d’enseignements artistiques.

Madame la ministre, je vous ai interrogée sur ce point lors de votre audition devant la commission de la culture. Vous nous avez expliqué qu’il n’avait pas été possible d’étendre dans l’immédiat de telles obligations à ces établissements, car ils relèvent d’autres tutelles ministérielles. Néanmoins, notre délégation demande solennellement au Gouvernement de faire le nécessaire pour qu’ils ne soient pas pour autant dispensés de tendre vers la parité dans la composition de leurs instances de direction.

La mixité dans la gouvernance passe aussi, à nos yeux, par deux mesures complémentaires que nous recommandons : d’une part, la mixité dans l’équipe de direction dont s’entoure le président d’université et, d’autre part, la mixité dans les emplois fonctionnels de direction, direction générale et direction des services.

Le projet de loi ne comporte aucune disposition spécifique pour garantir la parité dans les conseils des établissements publics de recherche. Celle-ci ne résulte donc que de l’application des dispositions législatives de portée générale en vigueur. Je pense à la loi du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », pour les établissements publics administratifs, et à la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, pour les établissements publics industriels et commerciaux.

Ces dispositions ont commencé à produire des effets positifs, mais elles restent encore peu connues dans les établissements qu’elles concernent. Un effort de clarification et des bilans périodiques nous paraissent donc utiles. Il ne suffit pas de voter des lois ; nous voulons aussi nous assurer de leur application effective.

Nous avons approuvé la disposition introduite à l’article 7 bis du projet de loi par l’Assemblée nationale tendant à confier au service public de l’enseignement supérieur la mission de conduire des actions en matière de lutte contre les stéréotypes sexués. Nous souhaitons que ces actions soient conduites en direction non seulement des étudiants, mais également des enseignants-chercheurs.

Pour favoriser les carrières des femmes, nous avons également formulé plusieurs recommandations, qui ne relèvent pas systématiquement du domaine de la loi.

Ainsi, nous avons souhaité un encadrement des dérogations qui se révéleront sans doute nécessaires à la règle des 40 % de personnes de chaque sexe dans les jurys et comités de sélection pour des disciplines où les viviers de femmes tombent en dessous de la proportion de 20 %.

Certaines de nos recommandations s’adressent plus particulièrement aux établissements : réaliser régulièrement des statistiques sexuées sur leurs étudiants et leurs personnels ; élaborer un plan d’action pour l’égalité ; ou encore confier à une personne référente la « mission égalité » consacrée par l’Assemblée nationale à l’article 25 du projet de loi.

Nous formulons également deux recommandations pour prendre en considération les interruptions de carrière liées à la maternité dans la période de référence prise en compte pour les évaluations, ainsi que dans l’attribution du congé pour recherche ou pour conversion thématique.

Nous demandons, en outre, qu’un soutien particulier soit apporté aux filles qui s’orientent vers des filières encore majoritairement masculines pour leur permettre d’aller jusqu’au bout de leur formation et d’accéder à l’emploi.

Nous approuvons la simplification de la carte des formations, mais nous demandons que les études de genre trouvent toute leur place dans la nouvelle nomenclature.

Nos quatre dernières recommandations portent sur la prévention et sur la répression du harcèlement sexuel, phénomène plus fréquent qu’on ne veut bien le croire dans l’enseignement supérieur.

Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous demandons qu’il fasse l’objet d’une enquête statistique spécifique, mais aussi qu’une politique de prévention et d’information soit développée dans les établissements.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. La procédure disciplinaire doit être réformée et le jugement de ces affaires dépaysé ; autrement dit, il doit être confié aux instances disciplinaires d’un autre établissement que celui dont relèvent la victime et l’auteur présumé des agissements.

Nous avons formulé toutes ces recommandations avec l’idée que l’enseignement supérieur et la recherche, de par leur mission et leur influence sur la marche de la société, se doivent d’être exemplaires et de contribuer à la construction d’une société plus respectueuse de l’égalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jacques Legendre applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, la loi LRU a rouvert le chantier d’une nouvelle autonomie des universités. Conjuguée à la loi Goulard de 2006 et aux investissements d’avenir décidés dans le cadre du grand emprunt, la réforme des universités a bouleversé leurs modes de gouvernance et leur pilotage, non sans critiques ni protestations.

Dans un contexte de concurrence internationale accrue, la définition d’une politique de formation et de recherche, toujours plus innovante et attractive, est devenue un enjeu fondamental, mais les conditions n’ont pas été réunies pour élever le niveau général des étudiants et favoriser la réussite de tous, comme l’a relevé Mme la ministre.

Parallèlement, de nouvelles entités sont apparues rendant encore plus complexe le paysage institutionnel universitaire, au prétexte de la lisibilité… Pourtant le système français reste dual et terriblement injuste : aux classes préparatoires, les bons élèves et les moyens ; à l’université, la gestion de ceux qui y viennent volontiers ou qui n’ont pas d’autres choix. C’est dans ce contexte que nous vient le projet de loi débattu aujourd’hui.

Nous regrettons un grand décalage entre les discours prometteurs de rupture, d’évolution significative, et la réalité plus timide de ce texte, par ailleurs dépourvu de moyens. Ce projet de loi ne répond pas aux problèmes de l’enseignement supérieur et de la recherche, ni aux enjeux fondamentaux que Mme la ministre a pourtant bien mis en exergue. Les « cinq fois mille postes » sont « virtuels », vous le savez bien. Tous ne seront pas pourvus.

Il s’agit d’un texte hétéroclite, qui vise le compromis et passe à côté des enjeux sans remédier aux effets négatifs des réformes du précédent gouvernement. À force de vouloir satisfaire tout le monde, on court le risque de mécontenter chacun, et ce malgré la volonté de dialogue.

Il y a eu des assises, il y a eu l’apparent désir de réformer, ce qui est bien, mais ne suffit pas encore. Le transfert comme nouvelle mission de l’enseignement supérieur est un élément de rupture avec notre vision de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme le démontrera notre collègue André Gattolin.

À l’heure où le budget du ministère est en baisse, cette nouvelle mission ne pourra se faire qu’au détriment des autres missions, en particulier la formation et la réussite des étudiants. Or cette dernière question est le vrai sujet que nous voulons collectivement aborder et résoudre. C’est pour nous la vraie question !

Désengagement dans la recherche privée, que nous déplorons tous, gel des postes dans la recherche publique : quel étudiant, quelle étudiante de master se risquera, demain, à entamer une thèse avec de telles perspectives, alors que nous avons cruellement besoin d’un nombre accru de doctorants et de docteurs ?

Il s’agit, enfin, d’un texte qui valorise de fait certaines disciplines au détriment des autres. Nous craignons réellement que cette politique ne mette en danger les sciences humaines et sociales dans certaines régions. Je rappelle que les sciences humaines et sociales ne sont pas seulement destinées à rendre « acceptables » des projets par ailleurs démocratiquement contestés !

La recherche fondamentale est presque traitée comme secondaire – s’agit-il d’un effet de lecture ? – alors qu’elle est indispensable au développement de la recherche appliquée. Le projet de loi prévoit, peut-être, de généraliser le modèle grenoblois ; il en oublie la particularité disciplinaire et les effets collatéraux.

Autre point alarmant, la gouvernance des communautés d’universités et établissements : elle reste un sujet d’inquiétude pour de nombreux acteurs. Les écologistes défendent depuis longtemps la création d’universités fédérales. Vous devez, madame la ministre, entendre l’inquiétude des villes moyennes, qui craignent de n’accueillir plus que de futurs collèges à l’américaine regroupant des étudiants de niveau L, alors que les masters, qui doivent peut-être être revisités, et les doctorats migreront vers les métropoles régionales, attirant à leur suite les étudiants.

Quid de l’aménagement du territoire ? Quid des statuts des personnels ? La mobilité ne doit pas induire davantage de précarité.

Par ailleurs, les communautés d’universités et établissements telles qu’elles sont proposées auront, à terme, un caractère quasi obligatoire, ce que nous déplorons vivement. Nous ne sommes pas favorables aux « mariages forcés » !

De plus, en l’état actuel du texte, le mode de gouvernance des nouvelles communautés d’universités et établissements nous semble trop peu démocratique, même si nous entendons bien que vous invoquez l’efficacité.

Le projet de loi prévoit, heureusement, ce qui est central pour nous, le remplacement de l’AERES par un Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui lui ressemble pourtant encore trop à notre goût. Nous regrettons qu’un tel remplacement ne soit pas allé dans le sens d’une réduction des redondances existantes avec les instances d’évaluation des établissements publics.

De plus, on ne va pas assez loin pour réduire la pression en faveur de l’évaluation permanente qui pèse sur les chercheurs. Ce souci d’évaluation tourne d’ailleurs à l’obsession. On en arrive à ne plus travailler pour faire de la recherche, mais uniquement pour « monter » des dossiers !

Trop d’évaluation tue l’évaluation, et les humains avec ! Entendons-nous bien : nous ne sommes pas contre l’évaluation en soi, mais nous ne voulons pas d’une mesure de remplacement et de création d’une nouvelle entité purement « cosmétique » ou « symbolique ». Nous souhaitons un vrai changement, notamment sur ce point !

Par ailleurs, il faudra revoir la place des élus, qui nous semble trop faible dans cette instance remplaçant l’AERES.

Enfin, madame la ministre, la question de la précarité des personnels n’est absolument pas traitée. Elle est même la grande absente du texte !

Les écologistes vous font une proposition solennelle : réorienter 1 milliard d’euros du crédit d’impôt recherche vers l’université. Car c’est aussi sur ce point que le présent texte fait défaut !

Ce projet de loi accorde trop de place à la valorisation économique et ne règle en rien les problèmes récurrents de fond de l’enseignement supérieur. En l’état, il ne nous satisfait pas. Si c’est un texte technique, il est lacunaire, si c’est un texte politique, il n’est pas encore à la hauteur des enjeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et de l’UMP.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche
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