Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Michel Berson. … et le développement de projets de recherche collaboratifs entre le secteur public et le secteur privé. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements, adoptés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui, en faisant évoluer les modalités d’attribution du crédit d’impôt recherche, permettront d’atteindre ces deux objectifs.

Je voudrais maintenant aborder une question qui n’est pas sans rapport avec la réussite du projet de loi : quel financement pérenne pour l’enseignement supérieur et la recherche dans les années à venir ?

Rapporteur spécial de la mission « Enseignement supérieur et recherche », je suis conscient qu’il sera difficile, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, de dégager des crédits supplémentaires importants, quand bien même il s’agit d’un secteur prioritaire de l’action gouvernementale. Toutefois, la question du financement de l’enseignement supérieur et de la recherche relève moins du niveau des crédits qui y sont consacrés que de la répartition juste et efficace des ressources disponibles.

En guise de réponse à cette question, je ferai deux réflexions.

L’an dernier, j’ai publié un rapport d’information sur le crédit d’impôt recherche. Le montant de ce dispositif, qui était de 1,8 milliard d’euros en 2007, s’est élevé à 5,5 milliards d’euros en 2012, à 5,735 milliards d’euros en 2013 et devrait se stabiliser autour de 6 milliards d’euros à partir de 2014. Ces chiffres sont éloquents.

Il n’est pas question de remettre en cause le crédit d’impôt recherche : sa stabilisation est un engagement du Président de la République et une recommandation du rapport Gallois. Je pense néanmoins que l’on pourrait plafonner ce crédit d’impôt à hauteur de 5 milliards d’euros, par le biais d’une ou deux dispositions fiscales qui réduiraient notamment les effets d’aubaines dont bénéficient les grandes entreprises.

M. Michel Berson. Près de 1 milliard d’euros pourraient être ainsi « récupérés » - le mot n’est peut-être pas élégant, mais il dit bien ce qu’il veut dire - pour les universités, la recherche et l’enseignement supérieur.

Ma seconde réflexion concerne le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce dernier s’élève à 26 milliards d’euros en 2013, hors investissements d’avenir et crédit d’impôt recherche. Les crédits consacrés à la formation professionnelle sont d’un montant comparable : 28 milliards d’euros en 2013.

Or chacun sait qu’une large part, voire une très large part, de ces dépenses obligatoires ne sont pas pertinentes : seulement 2 % d’entre elles sont consacrées à l’enseignement supérieur. À l’évidence, notre système de formation professionnelle n’est pas performant ; il va d’ailleurs être réformé. Nous disposons donc aussi de marges appréciables dans ce secteur qui pourraient être utilement dégagées au profit des universités, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Grâce à ce projet de loi, notre pays va bénéficier d’une stratégie nationale de recherche et d’innovation forte et lisible. Il s’agit d’un grand progrès. Il serait maintenant souhaitable que notre système d’enseignement supérieur et de recherche soit également doté d’une stratégie de financement pérenne.

Ces quelques réflexions n’ont d’autre objectif, au terme de notre discussion générale, que d’ouvrir un débat auquel nous ne pourrons échapper. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. J’indique d’ores et déjà que je suspendrai la séance à dix-neuf heures trente, car notre ordre du jour prévoit la tenue d’un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 à vingt et une heures trente. Nous examinerons donc la motion tendant à opposer la question préalable demain matin.

M. Jean-Claude Lenoir. Nous serons là !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat de bonne facture qui a pu se dérouler dans la sérénité. La passion aidant, certains articles de ce texte ont en effet fait couler beaucoup d’encre. Sans doute n’en méritaient-ils pas autant, comme certains d’entre vous l’ont fait remarquer, mais il est vrai qu’il s’agit de sujets sensibles – je le dis à M. Legendre et à Mme André – puisqu’ils touchent à la culture et à l’identité.

Je vous remercie donc à nouveau de la qualité de ce débat. Qualité ne signifie pas fadeur ou unanimité : nous avons constaté des divergences, voire des contradictions, que je voudrais commencer par évoquer.

Comme à l’Assemblée nationale, j’ai entendu tout et son contraire à propos du projet de loi. Tout d’abord, il ne serait pas assez ambitieux et se contenterait de corriger quelques erreurs.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Pour autant, il serait inacceptable, car il détricote tout ce qui a été fait. Il s’agit de la première contradiction que je souhaitais relever.

Ensuite – tout ce qui est excessif est difficilement crédible -, le projet de loi ne s’intéresserait pas à la réussite étudiante. Il s’agit pourtant de l’une de nos priorités et près de la moitié des articles de ce texte y sont consacrés. Levons toute ambiguïté immédiatement : le projet de loi s’intéresse réellement à la réussite étudiante !

Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Tout à fait !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. À entendre certains, le projet de loi manquerait également d’ambition, parce que son titre n’est pas ronflant. Peut-être est-ce une question culturelle, mais, tout au long de ma vie professionnelle et quels que soient les postes que j’ai pu occuper, je n’ai jamais vu de correspondance entre l’ampleur d’un titre et celle de l’ambition, de la réalisation ou du changement réellement intervenu. Mieux vaut être modeste sur les titres et efficace sur le terrain ! Cela me paraît être une meilleure politique.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. « Pourquoi une réforme ? », ai-je aussi entendu. Si l’on regarde attentivement les indicateurs que j’ai rappelés précédemment, les faits montrent qu’une réforme est indispensable : quand l’Allemagne affiche dans des filières non sélectives un taux de réussite universitaire de 60 % à bac+3 – ce qui prouve bien que de telles filières peuvent être de qualité – tandis que le nôtre est de 32 %, il y a un problème ! Surtout après un plan « Réussite en licence » qui a coûté 730 millions d’euros à la nation et qui, de fait, a servi à colmater les brèches liées au passage en RCE dont le transfert avait été totalement sous-estimé.

Ce serait une loi d’orientation et non de programmation ? C’est vrai ! Il s’agit d’une décision gouvernementale, interministérielle, qui s’impose à moi. Néanmoins, et je le redirai, ce projet de loi s’accompagne de moyens dévolus au changement qu’il met en place. Par parenthèse, je rappelle que la loi LRU - que l’on n’aurait pas dû détricoter - n’était pas non plus une loi de programmation mais une loi d’orientation qui organisait un transfert un peu à marche forcée. Je venais d’être élue député quand la discussion a débuté fin juin ; la loi fut votée dans les premiers jours d’août, c’est dire si la concertation a vraiment été rapide ! Au final, cette loi s’intéressait surtout à la gouvernance et aux transferts.

Nous en discuterons tranquillement, mais je pense que la gouvernance doit être au service de priorités. Contrairement à ce qu’ont dit certains d’entre vous, nous ne faisons pas une loi autocentrée, nous ne recréons pas des communautés autocentrées. Or quoi de plus autocentrée qu’une loi uniquement dévolue à la gouvernance ?

De plus, en l’absence de concertation, ce genre de texte rate sa cible. Résultat, six ans après, on constate que cela ne marche pas et que les universités sont en déficit : 19 % d’entre elles ont une trésorerie négative et les fonds de roulement sont passés d’une moyenne de un mois et demi à une moyenne de quinze jours, le seuil prudentiel étant à un mois de fonctionnement. Il ne s’agit que de moyennes, ce qui veut dire que certaines universités vont mieux mais que d’autres vont beaucoup moins bien. Une partie des 1 000 premiers postes - qui sont des postes fongibles - a d’ailleurs servi à renflouer ces dernières. Toutefois, près de 800 postes ont bien été affectés à la réussite en licence, et je m’en réjouis. Ces postes ne fondront pas comme neige au soleil, à l’image de ce qu’il est advenu des 730 millions d’euros qui ont servi de rustine.

Le projet de loi a l’ambition de servir deux priorités qui s’imposent à la nation et qui concernent à la fois notre place dans le monde et nos emplois. Quand 25 % des jeunes sont au chômage, on peut se poser la question de savoir si, oui ou non, l’université doit servir à créer des emplois. Moi, je considère que l’employabilité n’est pas un gros mot !

M. Jean-Claude Lenoir. Sur ce point, nous sommes tout à fait d’accord avec vous !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. L’employabilité est d’autant plus importante que nous avons pour mission de favoriser l’insertion professionnelle de ces jeunes et de leur procurer un emploi. Cela paraît une évidence, mais il faut tout de même le rappeler : l’emploi est la première des dignités, la première des solidarités. Où sont l’autonomie, l’indépendance ou la dignité sans emploi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Sophie Primas applaudit également)

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Nous connaissons les statistiques : les jeunes diplômés trouvent plus facilement un emploi.

Nous y reviendrons, mais il est vrai que ces missions sont à la fois du ressort du secteur public et du secteur privé. Public et privé peuvent travailler ensemble, c’est même indispensable si l’on veut favoriser l’employabilité. Nous devons mettre un terme aux expériences menées en silo qui ne servent qu’à creuser des fossés. J’évoquais précédemment la « vallée de la mort » qui sépare ainsi le secteur public du secteur privé.

Si le projet de loi est centré sur deux priorités principales, d’autres sujets sont également évoqués. La richesse des débats montre que le projet de loi n’est ni aussi fade ni aussi creux que cela a pu être annoncé. Je souhaite toutefois revenir sur ces deux priorités.

La première, c’est la réussite étudiante. Cette réussite passe d’abord par l’orientation. On ne peut accepter qu’un bac pro ait trois chances et demie sur cent de réussir sa licence alors que l’université constitue rarement son premier vœu. Il s’agit d’un massacre social, car ces jeunes sont issus de milieux modestes. On ne peut accepter non plus qu’un bac techno ait seulement un peu plus de neuf chances sur cent de réussir sa licence quand la moyenne s’élève à un peu plus de 30 %. Cette moyenne montera d’ailleurs mécaniquement si nous savons orienter ces jeunes dans les filières qui sont faites pour eux. Cela facilitera également le travail des enseignants chercheurs qui se trouvent face à des jeunes d’un niveau extrêmement hétéroclite. Ceux d’entre vous qui ont enseigné - nous sommes nombreux dans ce cas - savent combien il est difficile de tirer vers le haut une population de jeunes d’un niveau très hétéroclite.

On ne peut à la fois reconnaître cela et dire qu’il ne faut pas toucher aux IUT, ni aux STS. On ne peut dire non plus que les bacs pro sont faits pour travailler tout de suite : allez dans les usines, allez dans les unités de production, vous verrez qu’il faut maintenant une formation de niveau bac+2. Un bac pro est démuni : il peut convenir pour un emploi manuel ou un emploi dans la production, mais il sera incapable ensuite de se reconvertir faute de posséder les bases nécessaires. Dans les unités chimiques, par exemple, vous trouverez des bacs+3 qui se situent entre technicien et ouvrier qualifié. C’est cette qualification-là que l’on demande maintenant dans les unités de production.

Si l’on veut sauver notre industrie, il ne suffit pas d’être incantatoire : il faut être pratique, pragmatique. Nous devons former les jeunes ou reconvertir les moins jeunes. C’est pourquoi j’ai inscrit la formation tout au long de la vie dans les missions – j’ose le dire - de cette nouvelle université.

La réindustrialisation de notre pays doit s’appuyer sur une gamme de produits et de services d’une qualité suffisamment élevée pour nous prémunir contre les concurrences déloyales venant de l’autre bout du monde, où les conditions sociales ne sont pas acceptables. Mais comme il faut bien que les gens travaillent dans ces pays-là également, nous devons toujours avoir un temps d’avance. Et ce temps d’avance, c’est l’innovation, les techniciens, l’université, les intellectuels qui aiment la production. Il n’est pas antinomique d’être un intellectuel et d’aimer la production. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. Bravo !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. J’ai également entendu que le présent texte était opposé à l’autonomie. Comme si l’autonomie était née en 2007 ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est bien le cas !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je le rappelle, l’autonomie, c’est Edgar Faure en 1968.

Mme Sophie Primas. Ça ne marchait pas !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Relisez les projets de loi successifs, vous le constaterez ! Ensuite, c’est Alain Savary, puis Claude Allègre sous le gouvernement de Lionel Jospin. Enfin, la loi de 2007 a organisé le transfert de la masse salariale, dans la droite ligne de ce mouvement.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je le répète, l’autonomie n’est pas née en 2007, révisez un peu votre histoire !

M. Jacques Chiron. Pour eux, tout a commencé en 2007 !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous n’avons pas oublié ce que disait la gauche à l’époque !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je sais très bien ce que j’ai dit !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’y étiez pas !

M. le président. Mes chers collègues, laissez Mme la ministre s’exprimer.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Si, j’étais alors député, et je sais précisément ce que j’ai dit en 2007.

M. Jean-Claude Lenoir. Et je m’en souviens très bien !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Aujourd’hui, la situation correspond tout à fait à ce que nous avions prédit, Alain Claeys, Jean-Yves Le Déaut et moi-même : il aurait mieux valu nous écouter à l’époque !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. La première priorité, comme je l’ai dit, c’est la réussite des étudiants. Or, on l’a vu, celle-ci tient à une meilleure orientation des bacs pro et des bacs techno. C’est absolument indispensable ! Il faut également multiplier les passerelles, car aucun étudiant ne doit être condamné par son milieu social d’origine. Bien souvent, les titulaires de ces diplômes sont issus de catégories modestes. Nul ne doit être contraint de renoncer à ses études !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Les passerelles doivent permettre de remédier à ces situations, tout en mettant un terme à des stratégies d’évitement : je l’ai constaté en région parisienne, certains étudiants qui ont eu un bac général avec une mention « bien » se dirigent vers les IUT pour s’inscrire ensuite en licence. En effet, leurs familles et eux-mêmes ont peur des deux premières années à l’université, non pas parce que la qualité des formations y est mauvaise, mais parce qu’ils ne sont pas rassurés quant au type d’accompagnement proposé.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Il faut donc garantir un accompagnement plus individualisé, plus personnalisé et mieux connu des lycéens. Cette question a été évoquée au cours de la discussion générale. Il est certain que cette mesure aura un impact, si les lycéens savent réellement ce qui les attend à l’université.

Une enquête a été menée au titre du système admission post-bac, ou système APB, qui regroupe les 11 000 formations proposées aux étudiants après le bac, et plus précisément au sujet du premier clic. Elle a abouti au constat suivant : les lycéens demandent à disposer d’un contact avec les enseignants du supérieur, quel que soit leur statut, lorsqu’ils sont encore scolarisés dans le secondaire. Le décloisonnement est toujours bon pour la culture et pour l’interdisciplinarité. Il ouvre l’esprit et évite le repli sur soi.

Ces jeunes souhaitent que des enseignants du supérieur viennent à leur rencontre, dans leur lycée, pour leur dire ce qu’ils attendent et pour pouvoir ainsi anticiper les méthodes de travail qui leur seront demandées à l’université. C’est comme cela que l’on prépare aux études supérieures !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Il ne s’agit pas d’engager la « secondarisation » de l’université ou de créer des antennes universitaires, comme j’ai pu l’entendre. D’ailleurs, je n’aime pas cette expression : chaque université a ses qualités et ses compétences.

L’établissement qui réussit le mieux l’insertion professionnelle de ses étudiants, c’est l’université de Chambéry, et ce pour la seconde année consécutive. Il ne s’agit pas d’une grande université en termes d’effectifs. Chambéry n’est d’ailleurs pas une métropole. Il n’en est pas moins vrai que cet établissement est le meilleur quant à l’insertion professionnelle, grâce à l’écosystème dont il bénéficie, à savoir Savoie Technolac. Ce dispositif, mis en œuvre grâce à l’aide des collectivités territoriales,…

Mme Sophie Primas. Et voilà !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. … est très bien coordonné, et l’État le reconnaît désormais : il fonctionne extrêmement bien !

Je le répète, les universités peuvent garantir une véritable insertion professionnelle, pour peu qu’on l’accompagne, pour peu qu’on la mette en valeur, pour peu qu’on l’organise.

Mme Sophie Primas. Et pour peu qu’on la veuille !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Aujourd’hui, cette insertion professionnelle n’est pas réellement organisée.

Nous ne sommes pas dogmatiques. Nous savons que le dogmatisme ne mène à rien d’efficace : des quotas sont certes nécessaires, mais ils doivent être négociés au cas par cas entre les recteurs et les directeurs d’établissement, suivant les territoires et les domaines concernés. En effet, il existe des cas de figure très différents.

Le président de l’association des IUT nous a expliqué qu’à Montluçon les effectifs étaient composés à 84 % d’élèves titulaires d’un bac technologique et qu’il manquait des étudiants pour remplir l’établissement. En revanche, dans certains IUT de la région parisienne, pas très loin d’ici, on rencontre des titulaires d’un bac S, avec mention « bien ». Est-ce normal ? Non ! Il faut garantir de l’homogénéité, mais il faut également raisonner selon les spécificités.

Mme Sophie Primas. C’est ça, la diversité ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. L’innovation pédagogique est, naturellement, un facteur de réussite des élèves. Toutes les études le prouvent : la pédagogie et la formation des enseignants sont au cœur de la réussite des collégiens, des lycéens et des étudiants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, allez voir à Montréal quel est l’accueil et le tutorat dont bénéficient les étudiants à l’université ! Vous verrez quelle est la qualité du dialogue, quel est le niveau des équipements numériques ! Vous verrez quelles sont les responsabilités qu’assument les uns et les autres ! Ces pratiques, que nous devons développer, étaient totalement absentes de la loi LRU, car il n’y était pas question de la réussite étudiante. Aujourd’hui, il faut en parler, et ce de manière extrêmement concrète.

À cette fin, un accompagnement en moyens est nécessaire, j’en conviens tout à fait. Les moyens existent, ce sont les 1 000 postes supplémentaires par an pendant cinq ans. Je le rappelle, seuls deux ministères bénéficient aujourd’hui de dotations de postes, celui de l’éducation nationale et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui sont actuellement sous-dotés, de manière plus ou moins grave selon les domaines et les territoires.

Ce constat a été dressé : le modèle SYMPA – système de répartition des moyens à la performance et à l’activité – n’a été mis en œuvre que partiellement, et n’a de sympathique que le nom.

Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Nous avons d’ores et déjà commencé à le remettre à plat, car, aujourd’hui, les niveaux de dotation peuvent varier de un à cinq entre certains domaines des sciences humaines et sociales, d’une part, et certaines spécialisations des sciences dures, d’autre part. Certains matériels justifient un investissement marginal supplémentaire – de fait, les sciences exactes exigent des équipements souvent plus importants et plus coûteux –, mais rien ne pourra jamais justifier de telles disparités. Ainsi, en concertation – car nous souhaitons responsabiliser les différents sites –, nous allons mettre un terme à ce système.

Je souhaite maintenant évoquer un sujet sur lequel je n’ai pas encore beaucoup insisté : la simplification des formations.

Nous n’allons pas procéder de manière autoritaire. Nous allons proposer une nomenclature sur laquelle nous sommes en train de travailler avec les comités « licence », les comités « master » et les territoires. À ma grande surprise – je dois l’avouer –, ce chantier se déroule bien mieux que prévu : chacun a pris conscience de la complexité actuelle des formations, qui est à la fois antidémocratique et contre-productive. En effet, une offre confuse dévalue nos enseignements, alors même qu’ils sont de qualité.

Aujourd’hui, les employeurs, les familles, les élèves qui ne disposent pas des décrypteurs sociaux nécessaires dans leur entourage et nos partenaires internationaux ne comprennent plus nos formations à l’université, tant elles sont complexes. Il est donc indispensable de les simplifier. Toutefois, nous ne sacrifierons pas des disciplines aussi transversales que l’urbanisme et les études de genre, domaines sur lesquels mon attention a été appelée.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. J’en profite pour rassurer Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, qui, parmi d’autres, s’est préoccupée de cette question.

En la matière, il s’agit également de responsabiliser : lorsqu’on accrédite les universités, ce sont les universités qui s’organisent. Certaines d’entre elles l’ont déjà fait : allez voir le portail de formation de l’université de Bourgogne. Il est extrêmement bien fait. Il est organisé en grands domaines, et cette présentation est très efficace. Hélas, toutes les universités n’ont pas accompli ce travail. L’État doit donc assumer ses responsabilités, car le temps presse et la concurrence va vite, partout dans le monde. Celle-ci nous impose de progresser plus rapidement. Voilà pourquoi l’État consacre des crédits à cette question.

En tant qu’ancienne élue de terrain et pour avoir siégé, quinze années durant, dans divers conseils d’administration d’universités, de pôles de recherche et d’enseignement supérieur et de grands établissements, je souhaite vous livrer mon témoignage. De fait, certains propos ne correspondent pas aux réalités que l’on peut vivre dans notre pays.

Certains prétendent que la loi LRU a accordé une complète autonomie aux territoires. Mais on ne pouvait jamais bénéficier d’une dérogation aux circulaires ou aux réglementations en vigueur pour adapter certaines normes à notre écosystème. On imposait la même chaussure à tous les territoires, comme si chaque territoire avait le même pied !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. C’était très irritant, et les Grenoblois n’étaient pas les seuls à se rebeller. Je sais que l’on percevait partout ce même agacement, qui revenait à dire : « Quelle est l’autonomie, puisque nous devons entrer dans un moule que l’on ne peut pas modifier ? » Dès que l’on souhaitait prendre la moindre initiative, on était rappelé à l’ordre, par exemple lorsqu’il s’agissait d’associer les collectivités territoriales à la réflexion sur les initiatives d’excellence, les IDEX. Ce n’était pas possible, ce n’était pas prévu !

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. C’est vrai !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Les collectivités territoriales étaient là pour signer les chèques dans le cadre des plans Campus – je rappelle que ces crédits s’élevaient tout de même à 1 milliard d’euros –, mais elles ne participaient pas à la gouvernance. En arrivant à ce ministère, j’ai constaté que, sur les 5 milliards d’euros des plans Campus, seuls 153 millions d’euros étaient engagés sur des crédits d’études, cinq ans après leur définition et la sélection de treize sites qui devaient pourtant être des établissements d’avant-garde. Rien n’avait été fait !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Or, passé cinq ans, on n’est plus d’avant-garde : les autres pays, par exemple la Corée, ont parcouru la distance que vous n’avez pas eu le temps de franchir.

Ainsi, il faut relativiser la question de l’autonomie : c’est un beau mot, c’est une valeur que nous revendiquons, mais l’autonomie réelle dont bénéficiaient les établissements sur le terrain était extrêmement faible. Les ministres compétents n’en étaient peut-être pas suffisamment conscients : toute initiative entraînait immédiatement un rappel à l’ordre, car il fallait respecter à la lettre la réglementation.

Pour notre part, en déléguant l’accréditation pour les formations, nous garantissons une véritable autonomie, nous faisons confiance aux sites et aux acteurs. Je suis certaine que cette méthode assurera l’efficacité de notre réforme. Dans cinq ans, nous n’en serons pas à regretter de l’avoir menée.

Je remercie M. Roche de son soutien, réellement objectif, à l’expérimentation de nous menons et qui tend à diversifier l’origine des médecins.

La situation actuelle explique peut-être que, plus largement, les vocations scientifiques fassent défaut : les sciences en général, notamment la physique, la chimie et les mathématiques, sont utilisées non pas comme un savoir destiné à stimuler et à ouvrir la curiosité, mais comme un vecteur de sélection. C’est le cas pour les médecins. Or qui peut tomber amoureux d’un vecteur de sélection ? Pas grand monde, ou alors des personnes qui n’ont pas réellement les qualités relationnelles que doit posséder un médecin.

Il faut donc bien ouvrir le mode de sélection des futurs praticiens. Pour l’heure, l’humain, le relationnel et bien d’autres critères n’entrent pas en ligne de compte. Je remercie M. Roche de l’avoir souligné.