compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Ouverture de la deuxième session extraordinaire de 2012-2013

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 28 août 2013 portant convocation du Parlement en session extraordinaire le 4 septembre 2013.

Ce décret vous a été adressé le 29 août dernier.

Acte est donné de cette communication.

En conséquence, la deuxième session extraordinaire de 2012-2013 est ouverte.

2

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du 25 juillet 2013 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

3

Décès d'anciens sénateurs

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues René Marquès, qui fut sénateur des Pyrénées-Orientales de 1992 à 2001, et Dick Ukeiwé, qui fut sénateur de Nouvelle-Calédonie de 1983 à 1992.

4

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 1er août 2013, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Acte est donné de cette communication.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi et d'un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013.

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 septembre 2013.

6

Dépôt de rapports

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre les rapports suivants :

- en application de l’article L.O. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, le rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales pour l’année 2011. Ce rapport a été transmis à la commission des lois ainsi qu’à la commission des finances ;

- en application de l’article 17 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, le rapport évaluant l’impact de la loi n° 2008-790 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire. Ce rapport a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ;

- trois rapports respectivement relatifs à la mise en application :

∙ de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ;

∙ de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière ;

∙ de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement.

Ces trois rapports ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

J’ai, en outre, reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le projet de contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions pour la période 2013-2015. Ce document a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ainsi qu’à la commission des finances.

J’ai enfin reçu :

- de M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, conformément à l’article 114 de la loi du 28 avril 1816, le rapport sur les opérations de cet établissement en 2012. Ce rapport a été transmis à la commission des finances ;

- de M. le gouverneur de la Banque de France, président de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, le dixième rapport annuel de cet organisme, portant sur l’année 2012. Ce rapport a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

7

Dépôt de demandes d’habilitation

M. le président. Par lettre en date du 26 juillet 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Martinique en date du 18 avril 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à fixer spécifiquement pour son territoire les règles en matière d’énergie, et notamment de maîtrise de la demande d’énergie et d’énergies renouvelables.

Cette délibération a été transmise aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

Par lettre en date du 26 juillet 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Guadeloupe en date du 14 juin 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à fixer spécifiquement pour son territoire les règles en matière de maîtrise de la demande d’énergie, de développement des énergies renouvelables et de planification énergétique.

Cette délibération a été transmise aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

Par lettre en date du 30 août 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Martinique en date du 28 juin 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-1 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à adapter et à fixer spécifiquement pour son territoire des règles en matière de transport.

Cette délibération, ainsi que les observations qu’elle appelle de la part du Gouvernement, ont été transmises aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

8

Débat sur la situation en Syrie

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la situation en Syrie.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, aux premières heures du 21 août, à quelques kilomètres du centre de Damas, près de 1 500 civils, dont des centaines d’enfants, sont morts, asphyxiés dans leur sommeil, assassinés par le régime syrien, dans ce qui constitue, en ce début de siècle, le plus massif et le plus terrifiant usage de l’arme chimique.

Ces faits, chacun d’entre nous a pu les découvrir, immédiatement après ce drame, sur des dizaines de vidéos : des vidéos tournées par des médecins, des voisins, des parents, à la fois terrifiés et conscients du devoir d’informer le monde sur l’horreur de ce qui venait de se produire.

Chacun d’entre nous a pu voir les images abominables de l’agonie des victimes, de ces cadavres d’enfants alignés. Sur ces cadavres, pas une goutte de sang, pas une blessure ; juste la mort silencieuse par l’emploi des gaz dont plus personne ne nie qu’ils aient été utilisés cette nuit-là.

Au-delà de ces images terrifiantes, de quoi sommes-nous certains ?

C’est pour en informer la représentation nationale que le Premier ministre, les ministres de la défense et des relations avec le Parlement et moi-même avons réuni, lundi dernier, les présidents des deux assemblées, des commissions compétentes et des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le Gouvernement en est convaincu, la gravité du moment exige transparence et dialogue républicain.

Nous sommes certains de l’ampleur du bilan, qui pourrait atteindre jusqu’à 1 500 victimes. Des évaluations indépendantes, comme celles de Médecins sans frontières, le confirment.

En analysant des vidéos, que nous avons authentifiées, nos propres services sont parvenus au constat que toutes les victimes étaient localisées dans des quartiers contrôlés par l’opposition. Tous les symptômes observés sont cohérents avec une intoxication aux agents chimiques. Des éléments en notre possession, comme en celle de nos alliés, indiquent que du gaz sarin a été utilisé.

Nous sommes certains que la Syrie dispose de l’un des stocks d’armes chimiques les plus importants au monde : plus de 1 000 tonnes d’agents chimiques de guerre et des dizaines de vecteurs.

Nous sommes certains que le régime syrien a déjà employé l’arme chimique à plusieurs reprises ces derniers mois à une échelle beaucoup plus réduite, dans le but de reconquérir des zones tenues par l’opposition et d’y semer la terreur. Nous avons récupéré et analysé des échantillons qui ont confirmé l’emploi de gaz toxiques à Saraqeb ou à Jobar. Ces éléments ont été transmis aux Nations unies.

Nous sommes certains que cette attaque s’inscrivait dans le cadre d’une offensive pour la reconquête d’une zone clé qui commande l’accès à Damas. Elle avait fait l’objet de préparatifs dans les jours précédents, incluant des mouvements d’agents chimiques depuis les principaux points de stockage du régime. Après l’attaque, nous sommes aussi certains que des bombardements intenses ont tenté d’en effacer les traces.

Nous sommes certains, enfin, que l’opposition n’a pas les capacités de conduire une opération d’une telle ampleur. Aucun groupe appartenant à l’insurrection ne dispose des quantités d’agents chimiques, des vecteurs ou des compétences nécessaires pour mener à bien une telle attaque.

C’est donc une certitude : il y a bien eu une attaque chimique massive le 21 août dans la plaine de la Ghouta. Le régime syrien en porte l’entière responsabilité.

Cette certitude, nous la partageons avec nos partenaires américains, britanniques, allemands, turcs. La Ligue arabe l’a elle-même confirmé à l’occasion de sa réunion ministérielle de dimanche dernier, en évoquant la responsabilité du régime.

La recherche de cette responsabilité n’entre pas dans la mission des enquêteurs des Nations unies. Ces enquêteurs ne pourront donc que confirmer l’usage de l’arme chimique.

Face à ces faits incontestables, que choisir : l’action ou la résignation ? Pouvons-nous nous contenter de condamner, d’en appeler à un sursaut de la communauté internationale pour qu’enfin s’ouvrent des négociations de paix qui ne viennent pas ?

À ces questions, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a apporté une réponse claire et conforme à la mobilisation de la France depuis le début de la crise syrienne.

Nous avons été les premiers à reconnaître la coalition nationale syrienne, à lui apporter notre appui, à répondre à l’urgence humanitaire, à promouvoir une solution politique. Sans relâche, nous avons aussi multiplié les contacts pour chercher des solutions à cette tragédie avec nos partenaires européens, nos alliés, les pays de la région, la Russie et la Chine.

Ne pas réagir, ce serait tolérer que demeure impuni un recours massif à l’arme chimique.

Ne pas réagir, ce serait adresser à M. Bachar Al-Assad et au peuple syrien un message terrible : l’arme chimique peut être utilisée demain à nouveau contre Damas, contre Alep, de façon peut-être encore plus massive.

Ne pas réagir, ce serait mettre en danger la paix et la sécurité de la région tout entière, mais aussi, au-delà, notre propre sécurité. En effet, il faut poser la question : quelle crédibilité auraient ensuite nos engagements internationaux contre la prolifération des armes de destruction massive, y compris l’arme nucléaire ? Quel message enverrions-nous à d’autres régimes – je pense à l’Iran ou à la Corée du Nord ?

Ce message serait malheureusement très clair : vous pouvez continuer ; la possession de ces armes vous confère l’impunité ; la division de la communauté internationale vous protège.

Ne pas réagir, ce serait enfin fermer la porte à un règlement politique du conflit syrien. Oui, la solution à la crise syrienne sera politique et non militaire. Mais regardons la réalité en face : si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à de tels agissements du régime, il n’y aura pas de solution politique. Car quel serait l’intérêt pour M. Bachar Al-Assad de négocier, tant qu’il croit qu’il peut, comme il l’a encore répété, par écrit, au début de la semaine, « liquider » – c’est son propre terme – son opposition, notamment au moyen d’armes qui sèment la terreur et la mort ?

Pour toutes ces raisons, le Président de la République française a fait le choix de l’action ; le choix d’une action légitime, collective et réfléchie.

L’action est d'abord légitime, car le régime syrien a massivement violé ses obligations internationales. En employant l’arme chimique, M. Bachar Al-Assad a violé ses obligations au titre du protocole de 1925 qui en prohibe l’usage et que la Syrie a ratifié en 1968. Il a bafoué le droit international humanitaire en menant des attaques indiscriminées, interdites par les conventions de Genève. Il s’est rendu coupable d’un crime de guerre. Il a commis ce que le Secrétaire général des Nations unies a qualifié de « crime contre l’humanité ».

En plus de ces violations, le régime syrien a refusé constamment de coopérer avec la communauté internationale : en empêchant l’accès de la commission d’enquête internationale sur les droits de l’homme ; en s’opposant, pendant cinq mois, à la présence des inspecteurs sur les armes chimiques ; en écartant les différentes tentatives de cessez-le-feu ; en multipliant les obstacles à l’action humanitaire en Syrie.

Bien sûr, une autorisation explicite du Conseil de sécurité serait souhaitable. Mais, là aussi, regardons la réalité en face. Depuis deux ans et demi, la Russie et la Chine ont bloqué toute réponse à la tragédie syrienne, y compris en opposant à trois reprises leur veto. Notre tentative, il y a une semaine, d’un projet de résolution autorisant une riposte ferme à l’attaque chimique du 21 août a elle aussi été stoppée net.

La gravité de la menace associée à l’emploi de l’arme chimique nous oblige à agir.

L’action que nous envisageons est réfléchie et collective. Le Président de la République l’a indiqué, elle devra être « ferme et proportionnée ». Ponctuelle, elle devra viser des objectifs significatifs, mais ciblés. Il n’est pas question d’envoyer des troupes au sol. Il n’est pas question d’engager des opérations militaires pour renverser le régime.

Bien entendu, nous souhaitons le départ de M. Bachar Al-Assad, qui n’hésite pas à menacer directement notre pays et qui croit même pouvoir intimider la représentation nationale. Oui, nous souhaitons son départ, dans le cadre d’une solution politique en faveur de laquelle la France continuera à prendre l’initiative.

Notre message est clair : l’emploi d’armes chimiques est inacceptable. Nous voulons à la fois sanctionner et dissuader, répondre à cette atrocité pour éviter qu’elle ne se reproduise. Nous voulons aussi montrer à M. Bachar Al-Assad qu’il n’a pas d’autre solution que la négociation.

Certains nous disent qu’une réaction compliquerait encore la situation. Mais, là aussi, j’en appelle à votre lucidité. La déstabilisation des pays de la région, qui font face à l’afflux de plus de deux millions de réfugiés, est une réalité. L’inaction face aux souffrances du peuple syrien fait le lit des extrémistes. Ne pas laisser impunis les crimes du régime syrien, c’est au contraire le moyen pour nos démocraties de conforter, comme il le faut, l’opposition syrienne modérée.

C’est ainsi que nous serons fidèles à nos valeurs, sur lesquelles se fonde l’engagement de la France dans le monde. La France a en effet une responsabilité particulière. C’est une chance et une exigence, qui contribuent à la grandeur de notre pays. Soyons unis pour rester fidèles à cette vocation.

La France n’agira pas seule. Elle joindra ses efforts à ceux d’autres partenaires, à commencer par les États-Unis d’Amérique avec lesquels elle s’est toujours retrouvée dans les moments critiques quand la cause était juste. Nous comptons également sur le soutien des Européens et des pays de la région, notamment au sein de la Ligue arabe. Le Président de la République poursuit son travail de conviction afin de réunir la coalition de soutiens la plus large possible. La réunion du G20 à Saint-Pétersbourg, à partir de demain, en sera l’occasion.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’année prochaine, nous commémorerons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, qui a été marquée par la première utilisation massive de gaz toxiques comme arme de combat. Un siècle plus tard, alors que les armes chimiques ont été bannies par le droit international, nous ne pouvons accepter un épouvantable retour en arrière.

Dans ces circonstances graves, il importe que la représentation nationale soit éclairée. C’est pourquoi nous nous engageons à continuer à vous informer dans les jours prochains sur l’évolution de la situation, dans le respect des équilibres institutionnels découlant de notre Constitution. En toute hypothèse, la décision ultime ne pourra être prise par le Président de la République que lorsque sera constituée la coalition, seule à même de créer les conditions d’une action.

Mesdames, messieurs les sénateurs, face à la barbarie, la passivité n’est pas une option. En tout cas pas pour la France. Ne pas réagir, c’est laisser M. Bachar Al-Assad poursuivre ses atrocités, encourager la prolifération et l’emploi d’armes de destruction massive, abandonner la Syrie et la région tout entière au chaos et céder aux menaces. Avec ses partenaires, la France prendra donc ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Histoire connaît un de ces moments de fièvre où le temps s’accélère. Nous ne sommes pas réunis aujourd’hui, en session extraordinaire, pour seulement débattre de notre implication dans une guerre civile. Ce qui se joue actuellement touche à la stabilité d’une région entière, aux grands équilibres géopolitiques mondiaux, et aussi à la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.

Depuis plusieurs mois la machine médiatique et politique s’emballe. Les polémiques fleurissent, parfois sur le fond, souvent sur la forme. La question d’un vote à l’issue de ce débat a suscité une vaste controverse, que j’ai un peu de mal à entendre tant la Constitution est claire à ce sujet. Son article 35 prévoit en effet que « le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger » et que « cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote ».

Je rappelle d'ailleurs, peut-être plus particulièrement à l’intention des membres de l’opposition (Protestations sur les travées de l'UMP.) 

M. Jean-Claude Gaudin. Ne nous faites pas la leçon !

M. Jean-Michel Baylet. Avant de protester, laissez-moi aller au bout de mes propos !

Je rappelle que cette disposition existe depuis la révision constitutionnelle de 2008. C’est incontestable ! J’ai d'ailleurs voté cette révision constitutionnelle.

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave !

M. Jean-Michel Baylet. Je rappelle également qu’une procédure identique a été suivie lors de l’engagement de nos forces en Libye.

La représentation nationale se réunit donc normalement aujourd'hui, car la situation dramatique en Syrie a franchi, ces dernières semaines, les limites de l’horreur. Depuis le déclenchement des premières manifestations contre le régime, le cap des 110 000 morts est dépassé, tout comme celui des deux millions de réfugiés. Par ailleurs, l’usage d’armes chimiques, pourtant prohibé par les accords internationaux, est avéré, et M. le ministre des affaires étrangères vient de nous le confirmer. Et il ne fait guère de doute que cet usage soit le fait du régime lui-même.

Bien sûr, l’effroi né de ces massacres ne doit pas occulter la complexité de ce conflit ni les conséquences de notre éventuelle intervention. Autour du drame syrien s’enchevêtrent en effet les grands enjeux du Proche-Orient et du Moyen-Orient : tensions confessionnelles entre chiites et sunnites, rivalité pour le leadership régional entre les puissances voisines – Turquie, pays du Golfe, Iran – et quête d’influence de la Russie.

Cette prise de conscience indispensable ne doit cependant pas servir d’alibi à un renoncement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a eu raison, lors de son allocution devant la conférence des ambassadeurs, de signifier au dictateur syrien qu’il ne pouvait plus gazer son peuple en toute impunité.

L’inaction, face à ce qui constitue une provocation de la part du régime syrien, serait un signal dramatique envoyé au monde. À long terme, elle serait dangereuse, manifestant une impuissance, et signifierait la perte définitive de l’influence occidentale sur la scène internationale.

Par cette intervention, il ne s’agit pas de soutenir une rébellion dont nous connaissons l’hétérogénéité et les problématiques, ainsi que l’extrémisme de certaines de ses composantes. Il s'agit d’adresser un double message : l’un directement à Bachar Al-Assad, lui intimant que ses manquements aux conventions internationales en matière d’utilisation d’armes chimiques ne seront plus tolérés ; l’autre à ses alliés, la Russie, l’Iran, mais aussi le Hezbollah, qui aident militairement et de manière directe le régime syrien. Il s’agit en particulier de montrer au nouveau président iranien, M. Rohani, notre détermination s’agissant de l’usage d’armes chimiques et notre fermeté quant à l’évolution du programme nucléaire iranien.

Si l’on se place du côté des valeurs, ne pas intervenir serait indigne. Si l’on raisonne en matière de rapport de forces, en regardant les intérêts de la France, ne pas intervenir serait une faute.

Je sais que d’aucuns opposent intervention armée et solution politique. Je pense au contraire que des frappes ciblées, qui – le Président de la République l’a répété – n’ont pas vocation à renverser le régime – encore que, pour ma part, je ne serais pas malheureux de voir chuter Bachar Al-Assad –, …

MM. Jean-Claude Gaudin et Roger Karoutchi. Pour le remplacer par qui ?

M. Jean-Michel Baylet. … permettraient de dépasser certains obstacles empêchant aujourd'hui le règlement politique du conflit.

À ce jour, sur le plan diplomatique, nous ne pouvons que constater le blocage institutionnel aux Nations unies. Entre les mesures dilatoires du gouvernement Al-Assad, le rejet, du fait des vetos russes et chinois, des projets de résolution présentés au Conseil de sécurité, et les nombreux reports de la conférence dite « Genève 2 », la Syrie et ses alliés entretiennent volontairement l’impasse.

Certains pointent aussi du doigt la menace d’un embrasement de la région. À ceux-là, on peut objecter que le conflit syrien s’est déjà internationalisé et a largement dépassé les frontières de la Syrie : il affecte le Liban surtout, déstabilisé par une série d’attentats et l’afflux de réfugiés, mais aussi la Turquie, l’Irak et la Jordanie.

Une intervention ciblée en Syrie à laquelle participerait la France devra bien sûr s’accompagner d’un renforcement de la sécurité de nos ressortissants civils et militaires dans la région ; je pense notamment aux militaires déployés au Liban dans le cadre de la force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL.

Mes chers collègues, si une riposte s’impose, des questions subsistent, c’est vrai, quant à ses modalités.

Lundi dernier, le Premier ministre a évoqué « une action ferme et proportionnée ». Nous y souscrivons.

Mais la question du calendrier de l’intervention se pose. Nous le constatons, ce calendrier évolue constamment. Il est désormais évident – et cela vient de nous être rappelé – que rien ne se fera avant le vote du Congrès américain, qui interviendra le 9 septembre. De plus, dans les prochaines semaines, les observateurs des Nations unies rendront leur rapport sur l’utilisation d’armes chimiques.

Bien sûr, l’hypothèse d’une action isolée de la France est écartée. Le temps dont nous disposons doit donc être mis à profit pour convaincre et élargir les contours d’une coalition. Dans cette optique, le G20 de demain et vendredi à Saint-Pétersbourg sera crucial. Des réunions entre pays européens auront lieu en marge de ce sommet. Il faudra aussi, à cette occasion, parler avec la Russie, sans laquelle, nous le savons, une solution politique sera difficile à trouver.

Mesurant l’inquiétude de nos compatriotes, le Président de la République a également prévu de s’adresser aux Français en temps utile.

Enfin, monsieur le ministre, nous souhaitons que le Parlement soit pleinement associé, dans les prochains jours et les prochaines semaines, à la gestion de cette crise.

Mes chers collègues, la France doit délivrer un message fort, non seulement en raison des valeurs qu’elle porte, mais aussi au nom de nos relations anciennes avec la Syrie, qui ont été forgées par l’histoire.

Parce que nous sommes conscients des enjeux qui sous-tendent la situation actuelle, nous souhaitons assurer le Président de la République de notre soutien à sa démarche. Ce faisant, nous renforcerons et amplifierons la voix de la France. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais, depuis le début de notre mandature, le Sénat n’a eu à débattre d’un sujet aussi grave. C’est donc avec une extrême gravité, avec sérieux et sincérité, qu’il convient de nous exprimer.

En réalité, la question de savoir s’il faut ou non intervenir relève à mes yeux d’un faux débat. Prisonniers à la fois de l’urgence et du pourrissement du conflit, nous devons plutôt nous attacher à définir la réaction la plus appropriée possible, ce qui exige que soient précisément établis tout à la fois le cadre de cette réaction, les mesures qui la composent et celles qui devront permettre d’en assurer le suivi.

À mon sens, il y a à ce sujet un large consensus entre nous, sachant que nous avons tous également à l’esprit le fait qu’une mauvaise intervention est parfois tout aussi néfaste, sinon plus, qu’une non-intervention.

Il est évidemment hors de question, pour la France, de s’engager seule, et il ne s’agit pas non plus de donner un blanc-seing à une coalition dont nous ne connaîtrions ni les contours précis, ni les objectifs, ni les prolongements politiques.

Il paraît donc essentiel de mettre à profit les jours qui viennent, la réunion du G20, celle des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne et la réflexion qui s’engage entre nos collègues parlementaires américains pour mettre tout cela au clair.

Aujourd’hui 4 septembre 2013, nous en sommes à plus de 100 000 morts et à 6 millions de personnes déplacées, dont 2 millions ont quitté la Syrie et se trouvent dans des camps situés dans les pays limitrophes, notamment dans les zones les plus pauvres de la Turquie et de la Jordanie, où elles vivent dans des conditions abominables. Sur ces 2 millions de personnes, plus de la moitié sont des enfants. L’Organisation des Nations unies est formelle : cette situation est absolument inédite.

Nous constatons un degré de violence, notamment envers les plus faibles, jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est là un fait indéniable, comme l’usage des armes chimiques, que personne ne nie, même si, aux yeux de certains, les responsabilités ne sont pas assez clairement établies.

Nous étudierons évidemment avec la plus grande attention les résultats de l’inspection conduite par les Nations unies, mais cette dernière n’a de toute façon pas vocation à révéler publiquement l’origine de ces armes chimiques.