M. Alain Richard. Exactement !

M. André Gattolin. Cependant, les éléments d’ores et déjà réunis par plusieurs gouvernements, mais aussi par les organisations humanitaires et plusieurs grands médias, notamment Le Monde et la BBC, vont tous dans le même sens : d’une part, ces armes ont bel et bien été utilisées ; d’autre part, le régime de Damas est a priori le seul à être en mesure de mener des attaques comme celle du 21 août dernier, dans les faubourgs de la capitale, où se concentre une partie des opposants démocrates à Bachar Al-Assad.

Les déclarations récentes, proprement surréelles, de M. Bachar Al-Assad à un quotidien français ne laissent guère de doutes quant à sa détermination meurtrière et à ce qu’il serait capable de faire en l’absence de réaction internationale.

Disons-le clairement : si nous persistons à ne rien faire face à la nouvelle montée en horreur du conflit, nous entérinons de fait la dépénalisation de l’usage des armes chimiques, que le régime syrien conçoit manifestement comme une arme conventionnelle, puisqu’il les a utilisées à plusieurs reprises, alors que leur prohibition constitue un pilier du droit international et humanitaire depuis la fin de la Première Guerre mondiale et la signature du Protocole de Genève, en 1925.

Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir anéanties les composantes démocratiques de la rébellion –celles précisément qui ont été visées par le bombardement du 21 août –, ce qui laisserait alors la place à un face-à-face entre Bachar Al-Assad, appuyé par ses alliés iraniens et ceux du Hezbollah, et les composantes résolument anti-démocratiques de la rébellion.

Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir l’ONU encore plus affaiblie qu’elle ne l’est déjà. Certains de nos collègues, sceptiques quant à l’opportunité d’une intervention internationale, considèrent qu’une telle action porterait un coup fatal à l’influence de l’ONU.

En réalité, c’est plutôt l’inaction qui constituerait le plus grand risque sur ce plan, car elle consacrerait le pouvoir de nuisance de pays tels que la Russie, qui abuse en permanence de son droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. En empêchant depuis deux ans tout règlement politique du conflit, c’est bien ce pays qui a rendu possible la perpétuation des atrocités commises par le régime syrien.

Le débat que nous menons aujourd’hui ne s’achèvera pas par un vote, ce qui est après tout logique à ce stade, puisque beaucoup de paramètres peuvent encore changer. C’est la semaine prochaine que nous pourrons et devrons voter – les écologistes le demandent instamment –, une fois que ces paramètres auront été précisés.

À cet égard, je poursuivrai mon propos en évoquant trois points qu’il faudra impérativement approfondir avant une convocation ultérieure du Parlement.

Le Congrès américain devrait voter le 9 septembre prochain sur la participation des États-Unis à une intervention aérienne, ciblée et circonstanciée, participation à défaut de laquelle une action militaire française serait évidemment remise en question. Mais, quelle que soit la décision finale de nos alliés, il convient de mobiliser la communauté internationale sur ce dossier comme elle ne l’a jamais été jusque-là. À l’heure actuelle, plusieurs membres importants de la Ligue arabe, mais également la Turquie et le Japon, ont fait connaître leur soutien à une éventuelle opération, sans que l’on sache, pour le moment, comment ce soutien pourrait se traduire concrètement.

Mais il faut aller encore plus loin ! De grands pays émergents comme le Brésil doivent être approchés, pour voir dans quelle mesure leur position pourrait évoluer, compte tenu des derniers développements en cours. L’Union européenne doit se mobiliser en tant que telle et sortir de sa coupable torpeur.

Je mentionnai à l’instant les limites du Conseil de sécurité de l’ONU, mais il est frappant de constater que l’Assemblée générale de celle-ci, qu’aucun veto ne peut paralyser, reste elle aussi absente de ces débats. La France et ses partenaires doivent demander sa convocation en urgence afin de rappeler avec force l’interdiction du recours aux armes chimiques et de réclamer une enquête de la Cour pénale internationale sur les derniers bombardements. L’adoption probable d’une telle déclaration conforterait la volonté du Gouvernement d’intervenir. Un tel vote n’aurait certes pas le même poids qu’une résolution du Conseil de sécurité, mais il permettrait néanmoins de sortir quelque peu de l’insupportable situation de blocage qui affecte l’ONU depuis le début de ce conflit.

Il faut bien rappeler que les composantes démocratiques de l’opposition syrienne, en particulier l’Armée syrienne libre, réclament aujourd’hui une intervention de la communauté internationale. Ce n’était pas le cas voilà deux ans, car elles craignaient alors que le régime de Bachar Al-Assad n’instrumentalise à son profit une intervention extérieure. Aujourd’hui, cette partie de l’opposition réclame une telle intervention, et il est frappant de constater qu’elle est encore largement sous-équipée par rapport aux autres acteurs du conflit, en dépit des promesses de livraisons d’armes qui lui ont été faites. Qu’attendons-nous pour la renforcer et pour traiter véritablement les représentants de cette opposition démocratique comme des interlocuteurs pleinement légitimes ? À mon sens, c’est là une nécessité absolue si nous voulons que l’état des forces en présence puisse véritablement évoluer.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la rébellion syrienne a débuté en réaction au sort qui avait été réservé à des enfants de moins de 15 ans ayant un peu naïvement repris un slogan des révolutions arabes : « le peuple veut la chute du régime ». Cela leur valut d’être arrêtés et torturés… Deux ans plus tard, ce sont toujours les enfants qui sont les premières victimes de cette guerre ignoble. Leur mise en sécurité, ainsi que celle des millions de personnes déplacées, doit être désormais notre priorité, y compris d’ailleurs en dehors du théâtre d’opérations proprement dit.

Comment la France compte-t-elle participer aux efforts internationaux visant à accueillir les réfugiés syriens ? Le Gouvernement reviendra-t-il rapidement sur sa décision de janvier dernier de contraindre les ressortissants syriens se rendant par exemple aux États-Unis ou au Canada à demander des visas de transit aéroportuaire pour la moindre escale dans les zones d’attente de nos aéroports, ce qui a pour conséquence évidente de gêner la fuite de personnes déjà terriblement éprouvées ? Bien sûr, il s’agit là de mesures modestes au regard de celles que nous avons évoquées précédemment, mais une telle mise en cohérence avec les principes humanitaires les plus élémentaires me semble plus que nécessaire, alors même que la population syrienne paie le prix non seulement de la folie de son dictateur et de ses soutiens, mais aussi des erreurs commises par celles et ceux qui se disent à ses côtés.

Le groupe écologiste du Sénat salue la volonté du Président de la République de sortir de la terrible inaction internationale qui a jusqu’à présent prévalu à l’égard du drame syrien. Nous demandons aujourd’hui au Gouvernement de mettre à profit le court délai qui a été octroyé par les circonstances pour préciser les modalités de l’action de la France, élaborer d’éventuelles alternatives à une intervention aérienne, en complément ou en substitution à celle-ci si nos alliés venaient à y renoncer, et s’investir plus que jamais dans la préparation d’une conférence Genève 2, visant à réunir l’ensemble des parties prenantes pour ouvrir la voie à une transition que nous appelons toutes et tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République nous invite à débattre d’une éventuelle intervention en Syrie. En cet instant, je voudrais exprimer non seulement mon intime conviction, mais aussi un sentiment très largement majoritaire parmi nos concitoyens.

Faut-il voter, au terme de ce débat ? Le texte actuel de la Constitution est sage, car il préserve notre capacité d’initiative, sans interdire un vote en fonction des situations. Aujourd’hui, me semble-t-il, il n’y a pas d’effet de surprise à rechercher et le répit américain montre qu’il n’y a pas d’urgence. Aussi serait-il dommage de ne pas pratiquer cet exercice démocratique.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Philippe Adnot. Faut-il intervenir ? Je ne le pense pas : ce conflit est un conflit interne à la Syrie, qui met en jeu des options politiques, ethniques et religieuses. Sommes-nous certains que ceux qui souhaitent substituer leur pouvoir à celui de Bachar Al-Assad seront plus démocrates et plus respectueux de la vie d’autrui ? Des exemples récents suggèrent le contraire.

Quel serait le fondement de notre action ? J’ai été très heureux de la position de Jacques Chirac lorsque la question d’une intervention en Irak s’est posée. Je n’ai pas approuvé l’intervention en Libye…

M. David Assouline. Et au Mali ?

M. Philippe Adnot. … et nous avons bien vu les conséquences de cette déstabilisation régionale, qui a rendu ensuite nécessaire une intervention au Mali.

Faut-il que la France soit le seul gendarme du monde ? La France aurait-elle dû intervenir lors de guerres internes, comme en Tchétchénie ou au Tibet, ou bien ne doit-elle frapper que les petits pays ?

Pour autant, faut-il ne rien faire ?

L’heure est à l’action collective. Oui, il faut désapprouver les actes d’horreur, qu’ils soient d’ailleurs perpétrés au moyen de gaz ou de bombes ! À mes yeux, les 350 ou 1 000 morts par gazage ne sont pas plus importantes que les 100 000 qui les ont précédées.

Je pense qu’il nous faut rassembler sur une même ligne un maximum de pays, placer la Ligue arabe devant ses responsabilités, annoncer l’engagement d’une action internationale en vue de faire condamner Bachar Al-Assad pour crime contre l’humanité. La mise en place d’un couloir humanitaire me semblerait également une bonne chose.

Oui, il faut agir, mais certainement pas en frappant et en causant de nouvelles morts, et sûrement pas seuls ! Le moment est venu pour l’Europe, me semble-t-il, de définir une ligne commune, et, pour la France, d’y participer pleinement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. Philippe Marini. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, la tragédie syrienne fait éclater aux yeux du monde l’extrême folie dictatoriale, la cruelle permanence des guerres de religion et l’inquiétante impuissance des démocraties.

L’impuissance, notre impuissance, tel est le sujet d’aujourd’hui. Fidèles aux grands principes de la Ve République, nous savons bien que ce débat n’est pas requis par notre Constitution, mais il est cependant indispensable. La question d’une intervention armée en Syrie divise nos alliés, mais aussi notre pays, et la clarification la plus convaincante eût été de procéder à un vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Nos amis Américains prenant le temps de la démocratie au Congrès, il n’est pas possible d’invoquer l’urgence pour priver notre Parlement de son expression la plus responsable : le vote. Nous regrettons donc que ce débat ne débouche pas sur la conclusion que nous espérions. Britanniques et Américains nous devancent à nouveau dans la pratique démocratique. Nous sommes dans cette situation curieuse et quelque peu humiliante où l’engagement militaire de la France dépend non pas de notre vote, mais de celui de nos collègues américains ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

La première condition de l’utilité de notre débat, c’est de hausser notre réflexion au-delà des traditionnels clivages partisans. La diplomatie est plus forte dans l’unité. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

La complexité du sujet, le poids de vos décisions nous obligent à prendre de la hauteur. Nous avons su montrer l’esprit responsable de notre opposition, notamment sur le dossier malien. La diplomatie française, monsieur le ministre, sait pouvoir compter sur notre soutien dans les situations les plus graves.

Pour cette raison, on ne peut accepter que l’hostilité de l’opinion publique française à l’égard d’une frappe militaire en Syrie ait pu être qualifiée de « munichoise » par un responsable du parti socialiste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur de nombreuses travées de l’UDI-UC.) La démocratie, c’est aussi le respect de l’autre, et non sa disqualification par des comparaisons historiques absurdes, injurieuses et blessantes !

En Europe, la France est aujourd’hui le seul pays à se tenir sur la ligne qu’elle a annoncée imprudemment.

Le parlement britannique a rejeté la motion présentée par David Cameron, malgré toutes les précautions de langage qu’il a pu employer en exprimant sa position. L’Allemagne a fait savoir qu’elle n’envisageait pas de participer à une action militaire en Syrie,…

M. Jean-Marc Todeschini. Comment ferait-elle ?

M. Jean-Pierre Raffarin. … l’Italie et l’Espagne, pour ne citer que ces pays, ont aussi exprimé leurs réserves quant à une action décidée en dehors du Conseil de sécurité. La Ligue arabe est elle-même profondément divisée…

M. Jean-Pierre Raffarin. … entre ceux qui veulent la chute du régime de Bachar Al-Assad et voient dans l’intervention militaire un moyen d’y parvenir et d’autres qui craignent des répercussions pour l’ensemble de la région et redoutent que les islamistes accèdent, comme ailleurs, au pouvoir.

L’envoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Lakhdar Brahimi, a fait savoir que le feu vert du Conseil de sécurité était nécessaire.

Le Brésil, qui est une grande démocratie, a évoqué la violation du droit international que constituerait une telle action, si elle était engagée sans l’aval du Conseil de sécurité.

J’arrêterai là mon énumération, sans évoquer les positions de la Russie et de la Chine, qui sont connues de longue date.

Un tel isolement de la France, fait nouveau, est pour nous tous source d’une légitime et profonde inquiétude.

Bien sûr, la position de la France ne peut résulter mécaniquement de l’attitude adoptée par ses partenaires, aussi proches soient-ils, que ce soit dans le sens de l’intervention armée ou dans le sens contraire. Il s’agit toutefois d’un élément à prendre en considération, mais comme les positions de nos alliés sont différentes, contradictoires, c’est à la France, au Président de la République, « l’homme en charge de l’essentiel », selon l’expression du général de Gaulle, qu’il revient d’arrêter la position la plus favorable aux intérêts de la France et à la recherche de la solution la plus propice à la restauration de la paix et au respect de la légalité internationale. Le moment venu, le Président de la République devra expliquer à la nation sa vision de l’avenir sur ce tragique dossier.

M. Gérard Larcher. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il est clair – on ne peut avoir aucun doute sur ce point – que le recours à l’arme chimique est fermement condamnable. Il est clair, également, que l’on ne peut laisser passer sans réagir l’utilisation d’une arme proscrite par le droit international. Cette violence est extrême, elle révolte nos consciences.

En effet, la France, membre du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, doit se sentir garante des traités internationaux. Elle ne peut donc rester les bras croisés face à leur violation manifeste.

Faut-il pour autant choisir la voie des frappes militaires pour « punir » celui qui est accusé d’avoir utilisé l’arme chimique contre sa population ? Le précédent irakien, que j’ai vécu en direct à Matignon, nous enseigne que la prudence et la vérification sont nécessaires.

Il est donc avisé de constater, quoique tardivement, que le rapport en cours d’élaboration des inspecteurs des Nations unies constituera l’un des éléments qui permettront d’attribuer internationalement les responsabilités, sans que la suspicion affecte la crédibilité de déclarations dont on sait bien qu’elles peuvent faire l’objet de manipulations.

L’histoire salue déjà la clairvoyance de Jacques Chirac, qui, en 2003, a protégé la France de l’« erreur irakienne », servant ainsi notre honneur international. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

Attendons donc le rapport des Nations unies et le débat qui s’ensuivra pour fixer et énoncer la position de la France ! Celle-ci devrait tenir compte de la dimension juridique, du droit international, ainsi que de l’efficacité des mesures qui seront prises et de leurs conséquences sur la situation politique en Syrie comme dans toute la région et au-delà.

Avant d’aborder la question de l’efficacité politique des décisions qui pourraient être prises si les faits sont établis grâce au travail des inspecteurs des Nations unies, je voudrais poser celle de la légalité internationale d’une frappe militaire.

La France a toujours eu à cœur de renforcer le poids, la légitimité et le bon fonctionnement des Nations unies. Membre du Conseil de sécurité, elle assume en effet des responsabilités éminentes. Que ce soit en Irak, avec Jacques Chirac, ou en Lybie, avec Nicolas Sarkozy, elle a tenu à ce que les procédures onusiennes soient toujours respectées. Il y va évidemment de l’image des Nations unies dans le système international, comme de l’équilibre d’un monde qui, même s’il est multipolaire ou le devient, a besoin d’éléments d’équilibre et d’une représentation universelle.

J’ai lu et j’ai entendu dire tout à l’heure que certains veulent faire de la Syrie le dossier central de la réunion du G20 de Saint-Pétersbourg : c’est ne pas tenir compte du fait que le G20 ne peut se prononcer légitimement que sur les questions économiques. En outre, court-circuiter l’ONU n’est pas dans l’intérêt de la France, qui tire une puissante influence de sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. –M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

Quel mauvais exemple nous donnerions en nous affranchissant des Nations unies dès lors qu’elles gêneraient notre liberté d’action ! Les conditions posées par le chapitre VII de la Charte des Nations unies ne peuvent être réunies : en effet, nous ne sommes pas dans le cas d’une menace contre la paix, prévu à l’article 39, ou en état de légitime défense, comme visé à l’article 51.

La tragédie syrienne dure depuis plus de deux ans, elle a fait plus de 100 000 morts par armes conventionnelles. Malgré cela, le Conseil de sécurité est toujours divisé et sa décision est dépendante d’un veto d’un membre permanent.

Invoquer la « responsabilité de protéger » les populations constitue certes une voie de recours, mais, là non plus, on ne peut s’affranchir d’un acquiescement ou d’une absence d’opposition des Nations unies.

Créer un précédent serait donc regrettable, car cela permettrait à des États mal intentionnés de prendre parti dans telle ou telle querelle intérieure au nom de la sauvegarde d’une fraction de la population. La légalité internationale prévient les abus à venir.

On parle de mener des frappes aériennes pour « punir » Bachar Al-Assad d’avoir franchi une « ligne rouge », celle de l’usage de l’arme chimique.

La dimension morale de cette forme de réaction est forte, mais celle-ci n’en suscite pas moins de sérieuses interrogations de notre part. Cela fait deux ans que les combats armés se déchaînent en Syrie. Ils ont causé plus de 110 000 morts, le déplacement d’innombrables réfugiés, des drames humains séparant des communautés qui, jusqu’alors, vivaient ensemble sans trop de difficultés. Ces actions ne sont-elles pas en elles-mêmes punissables ? Pourquoi la situation serait-elle devenue brutalement telle qu’il faille maintenant bombarder la Syrie sans mandat international ?

Le recours à l’arme chimique est odieux, insupportable, mais l’utilisation de bombes à fragmentation l’est-elle moins ? Il ne s’agit pas d’accepter, il ne s’agit pas de se résigner, mais, au contraire, de réagir de la meilleure façon, la plus efficace au regard de l’objectif visé, à savoir le retour à la paix et à la concorde civile en Syrie et dans la région !

Évidemment, nous payons tous le prix de l’attentisme de la communauté internationale sur ce dossier.

On parle de frappes « ciblées », « proportionnées », devant dissuader Damas de recourir à nouveau à l’arme chimique et attester que les lignes rouges fixées ne peuvent être franchies sans que cela entraîne de sérieuses conséquences.

Mais, parce que la situation intérieure est d’une extrême complexité, l’on dit dans le même temps que l’on ne veut pas provoquer la chute de Bachar Al-Assad et un changement de régime…

M. Philippe Marini. C’est assez hypocrite !

M. Jean-Pierre Raffarin. Punir sans abattre : or la guerre est peu compatible avec la nuance !

On sait que, en Syrie, la solution doit être politique, afin que les délicats équilibres soient ménagés, que les radicaux islamistes n’imposent pas leur loi et leur dictature.

Nous notons que le caractère exclusivement punitif donné à ces frappes militaires n’est pas approuvé par certains voisins de la Syrie, qui soutiennent les combattants et les mouvements islamistes et sont surtout portés, eux, à conjuguer tous leurs efforts pour abattre le régime de Damas.

L’impact de nos frappes aériennes serait très incertain. Je parlerai non pas de l’impact physique – qui est cependant à prendre en considération, comme le font les populations qui, actuellement, fuient la Syrie, ou comme pourrait le faire Bachar Al-Assad, en recourant à l’horrible pratique des boucliers humains –, mais de l’impact politique et diplomatique.

La région est déjà parcourue de crises et soumise à des facteurs d’instabilité. Le Liban, la Jordanie, l’Irak sont d’ores et déjà malmenés par des attentats qui traduisent des clivages religieux. Des communautés chrétiennes sont de plus en plus en butte aux exactions, aux proscriptions, alors qu’elles sont présentes dans la région depuis des millénaires. La sécurité d’Israël ne peut qu’être affectée par un environnement instable, violent. Les chrétiens d’Orient, comme nos amis du Liban, nous rappellent nos racines et nous appellent à la plus grande réserve.

De façon plus large, l’impact sur d’autres dossiers de sécurité en cours de discussion – ou de reprise de discussion – avec la Russie, la Chine, l’Iran, ne peut être que négatif si l’on substitue aux règles de la légalité internationale celles de l’unilatéralisme, de la force des armes, ou la traditionnelle arrogance occidentale.

J’entends bien ceux qui disent qu’une frappe punitive n’est pas la guerre. Mais quand on a frappé, c’est celui qui est frappé qui décide, par sa riposte, s’il y a guerre ou pas.

M. Philippe Marini. Très juste !

M. Jean-Pierre Raffarin. On ne maîtrise pas la situation au lendemain d’une frappe.

M. Philippe Marini. Très juste !

M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas être « munichois », passif et pacifique que de reconnaître que, dans les circonstances actuelles, le choix des armes n’est certainement pas la réaction la plus appropriée.

Ce serait évidemment différent si le Conseil de sécurité donnait son feu vert à une opération armée, qui aurait alors une portée politique et juridique indiscutable.

M. Jean-Pierre Raffarin. Le candidat François Hollande partageait d’ailleurs cet avis, quand il s’exprimait en ces termes sur une chaîne de radio, le 20 avril 2012 : « La France participera à une intervention armée en Syrie […] si elle se fait dans le cadre des Nations unies. » (M. Pierre Hérisson applaudit.)

Alors que faire, puisque nous reconnaissons évidemment l’odieuse utilisation d’armes chimiques ? Nous refusons l’absence de réaction, nous rejetons la résignation. (M. Jean- Marc Todeschini s’exclame.)

Même si nous devons reconnaître que la France s’est mise elle-même dans une situation où son silence serait coupable et abîmerait notre image, la France doit, d’abord et avant tout, rompre son isolement européen. Une réunion du Conseil européen nous paraît un préalable nécessaire à toute constitution d’une coalition spécifique. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Il faut bien sûr que la France agisse. Qu’elle le fasse avec les autres membres de la communauté internationale, d’abord avec l’Europe, mais aussi avec ses alliés.

La voie du consensus, du rapprochement des positions, des intérêts est, certes, plus difficile que celle des frappes militaires, mais elle seule est, selon nous, porteuse d’espoir quant à l’obtention d’une solution politique acceptable.

En effet, qui peut croire, chers collègues, que des frappes en Syrie feront avancer la solution politique ? Elles risquent, au contraire, de durcir les positions en présence et les ressentiments.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin. La condamnation du recours à l’arme chimique doit évidemment être sans ambages. Il nous faut chercher à obtenir l’appui à cette condamnation le plus large, car ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran ne peuvent non plus accepter l’utilisation de l’arme chimique. Victime, dans le passé, des armes chimiques, la Chine pourrait condamner leur emploi, pour peu que cette prise de position ne soit pas contraire à sa vision de la non-ingérence politique.

Il faut que le représentant des Nations unies et de la Ligue arabe poursuive ses efforts pour amener autour de la table de négociation les différentes parties prenantes en vue de dégager un consensus. Lakhdar Brahimi connaît bien les conditions qui doivent être satisfaites pour parvenir à la cessation de la guerre, à une transition raisonnable, à la préservation de la cohabitation la plus harmonieuse possible, en Syrie, de communautés différentes, qui doivent retrouver la volonté de vivre ensemble.

Une fois cette feuille de route établie, il faut évidemment prendre le chemin de Moscou, lieu probable de la véritable solution politique. Nous savons que les Russes n’ont pas admis l’interprétation occidentale de la résolution 1973 sur la Lybie. Il faut donc dégager avec eux un consensus sur l’interprétation de nos règles. C’est un passage obligé pour mobiliser Moscou.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce n’est pas New York, c’est Moscou !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dans cette période, la proximité avec l’Amérique n’est pas toujours un atout dans la négociation.

M. Jean Besson. Bravo pour l’amitié franco-américaine !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous attendons, monsieur le ministre, une relance du dialogue avec Moscou, qui est une constante de notre diplomatie.

Au total, le bilan des interventions militaires récemment engagées par nos démocraties n’est pas vraiment brillant.

Notre mission universelle ne consiste-t-elle qu’à remplacer des dictateurs laïcs par des dictateurs religieux ? (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Le défi est certes difficile à relever, mais il s’impose à nous au regard de cette guerre qui dure, de ces failles qui se creusent. Autant de drames qui se prolongent, mais qui doivent justement amener les acteurs nationaux et internationaux à faire des concessions et les gestes nécessaires.

La tragédie syrienne est évidemment un crime contre l’humanité. La riposte est en question, mais vous avez entendu, monsieur le ministre, notre profonde réserve, dans les circonstances actuelles, à l’égard d’une intervention armée.

Trois préalables seraient à réunir : la reconnaissance des preuves par l’ONU ; la légalisation internationale de l’intervention, qui exige une relance de la diplomatie française ; la définition des objectifs politiques par le Président de la République devant la nation, dans le contexte qui résultera du vote du Congrès américain.

L’impuissance des démocraties est le plus mauvais des signaux envoyés à une planète qui, dans son ensemble, hésite entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires.

Le message des démocraties peut être celui de la force, mais de la force légitimée par le droit. Une force certes lente, mais une force puissante. « Une force qui va et qui sait où elle va », disait Victor Hugo.

Je voudrais, en terminant mon propos, vous livrer un témoignage personnel : j’ai entendu Colin Powell et George Bush, forts de leur puissance et de leurs certitudes, nous exposer, à l’Élysée, l’argumentation du leadership démocratique.