M. François Rebsamen. Et alors ? Quel rapport ?

M. Jean-Pierre Raffarin. Face à eux, j’ai vu un Président de la République française trouver la force de la résistance dans ce qui fait la force de la France : son indépendance. Dans les périodes difficiles, le meilleur des recours est celui de la grandeur de la France ! (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous n’en serez pas surpris, mes propos différeront quelque peu de ceux que vient de tenir M. Raffarin…

Ce qui nous anime, sur ce sujet, c’est la recherche permanente du rassemblement le plus large, dans l’intérêt de notre pays.

À cet égard, vous avez salué, monsieur Raffarin, la position adoptée par le Président Jacques Chirac à propos de l’intervention en Irak. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour avoir refusé d’assister à un défilé militaire donné en l’honneur de M. Bachar Al-Assad. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mes chers collègues, comme l’a souligné le Premier ministre, comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères, le régime de Bachar Al-Assad a commis l’irréparable. Personne ne le nie !

En effet, alors que, chaque jour, s’étalent aux yeux du monde entier les atrocités les plus extrêmes, le 21 août dernier, un nouveau palier a été franchi sur l’échelle de l’impensable en Syrie : l’arme chimique a été à nouveau employée et, avec une ampleur inédite, elle a frappé indistinctement combattants et populations civiles.

Une première fois, au mois d’avril dernier, le régime avait lancé plusieurs attaques. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait dénoncé les faits et publié des éléments de preuve dès le mois de juin. Ces attaques n’étaient, hélas, que des coups d’essai !

Le 21 août dernier, le régime a donc pris la décision de perpétrer un massacre de masse avec des armes marquées du sceau de l’opprobre et de l’interdit. Personne n’en doute ; ne faites pas semblant d’en douter !

Nous ne savons pas si cet acte, commis le premier jour de la mission des inspecteurs des Nations unies, était une provocation supplémentaire, un ultime pied-de-nez à une communauté internationale enlisée, ou répondait à une volonté de brouiller les pistes. En fait, quel pouvait en être le véritable mobile ?

Il y a encore deux ans, un de nos collègues disait que la Syrie, si elle n’est certes pas une démocratie, est un pays où prévaut la paix civile, qui permet de fonder des familles.

Mme Laurence Rossignol. C’était Philippe Marini !

M. François Rebsamen. Eh bien, ce n’est même plus le cas !

À n’en pas douter, Bachar Al-Assad a voulu tester les limites tolérées par les puissances occidentales qui tentent de mettre un frein à la répression sanglante qu’il inflige à une partie des populations de Syrie et d’imposer une solution politique, à laquelle tout le monde est évidemment attentif.

En faisant cela, ce régime vacillant, et non pas renforcé, commet une double forfaiture.

Il a franchi une « ligne rouge », tracée par la convention sur les armes chimiques de 1925, qui fut la réponse logique, humaniste et justifiée à l’horreur des gaz de combat employés de façon massive lors de la Première Guerre mondiale et dont furent victimes des centaines de milliers de combattants.

Bachar Al-Assad peut arguer qu’il se situe en dehors du champ de cette convention. C’est d’ailleurs ce qu’il sous-entend dans un entretien accordé à un quotidien français, quand il est interrogé sur la détention par l’armée syrienne de stocks d’armes chimiques. Mais la communauté internationale, à commencer par le secrétaire général des Nations unies, considère, à juste titre, qu’il s’agit bien d’un crime contre l’humanité. C’est la première forfaiture.

Les combattants n’étaient même pas les seules cibles de l’attaque du 21 août. Ce sont des civils, des femmes, des enfants qui ont payé le plus lourd tribut à cette attaque aux portes de Damas. Ces femmes et ces enfants représentent la moitié des victimes. Il est inutile d’employer le conditionnel : nous avons vu des photos, nous avons des preuves !

Seconde forfaiture insupportable, ultime : cette nouvelle marche dans l’escalade de l’horreur intervient alors même que ce conflit a engendré, en deux ans et demi, 3 millions de réfugiés et de déplacés. Le Haut Commissariat aux réfugiés estime à 1 million le nombre d’enfants aujourd’hui exilés. C’est donc toute une génération qui est en situation de détresse. Imaginez, mes chers collègues, les conséquences de cette situation, pour la Syrie, tout d’abord, mais également, dans les années à venir, pour les autres pays de la région touchés par le conflit.

Alors, que devons-nous faire ? Quel est notre devoir ?

J’ai écouté avec intérêt l’intervention de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui a exposé toutes les raisons de ne rien faire. Je pense, pour ma part, que la communauté internationale, la France, ses alliés ne peuvent pas rester inactifs face à cette nouvelle tragédie ! Elle ne peut se contenter d’une simple condamnation morale, qui n’atteindra jamais un tel régime ! Celui-ci n’a que faire des préoccupations humanitaires ; seules sa propre survie et celle du clan au pouvoir le préoccupent depuis des années : il est prêt à toutes les extrémités pour les assurer, et si nous restons les bras croisés, les choses empireront.

Nous avons donc le devoir de l’arrêter, de mettre un coup d’arrêt à l’utilisation d’armes chimiques : c’est cela, le sujet de notre débat d’aujourd’hui, et non pas de savoir s’il faut ou non voter ; sur quoi voterions-nous, d’ailleurs ?

Nous ne savons pas si nous obtiendrons l’aval de la Russie – ce serait certes largement préférable ! –, et donc la résolution des Nations unies qui permettrait de conférer une légalité absolue à une intervention militaire. Pour autant, il s’agit bien de faire respecter le droit international ; les arguments en faveur de la légitimité d’une action coercitive ne manquent pas et méritent d’être entendus.

Même si la Syrie n’est pas partie prenante à la Convention pour l’interdiction des armes chimiques signée en 1993, l’emploi des armes de cette nature constitue incontestablement une violation du droit international. Comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies le 21 août 2013, « toute utilisation d’armes chimiques par un quelconque camp et en n’importe quelle circonstance constituerait une violation du droit international humanitaire ». C’est légitime ! Un régime politique, quel qu’il soit, ne saurait s’exonérer du respect d’un socle minimum de valeurs et de principes qui sont au fondement même de la communauté des humains. L’interdiction de l’emploi d’armes de destruction massive contre des populations civiles en fait naturellement partie. À ce propos, nous nous félicitons que la Coalition nationale syrienne s’engage, comme vous l’avez rappelé voilà quelques jours, monsieur le ministre des affaires étrangères, à proscrire les armes chimiques dans un avenir que nous espérons proche. (M. Alain Gournac s’exclame.)

Par ailleurs, je veux ici rappeler que l’Assemblée générale des Nations unies, afin de pallier les carences du Conseil de sécurité, a adopté plusieurs résolutions concernant la Syrie. La dernière, en date du 15 mai 2013, comporte les deux éléments essentiels suivants.

Tout d’abord, elle souligne, en son paragraphe 6, que « la crise en République arabe syrienne menace sérieusement la sécurité de ses voisins et la paix et la stabilité régionales et a de sérieuses répercussions sur la paix et la sécurité internationales ». Or l’existence d’une menace pour la paix et la sécurité internationales est une condition sine qua non du recours à la force.

Ensuite, cette même résolution fait référence à la persistance de violations et d’atteintes flagrantes, généralisées et systématiques aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales par les autorités syriennes et les milices progouvernementales. On en sait assez sur ce sujet ! En l’espèce, il s’agit non pas de violations ponctuelles des droits de l’homme, mais bien d’un manquement généralisé du régime syrien à son obligation de protéger sa population, qu’il veut même « liquider » !

Nous sommes en présence non pas d’un manquement à n’importe quelles règles du droit international, mais de violations de normes dites impératives du droit international. Je rappelle que ces normes impératives ont ceci de particulier qu’elles s’imposent à tous. Leur respect est dû à la communauté internationale dans son ensemble, et il ne peut y être dérogé en aucune circonstance.

Peu importe, donc, que la Syrie n’ait pas ratifié le statut de la Cour pénale internationale : l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité s’impose à ses dirigeants, puisque la violation grave d’une norme impérative internationale constitue un crime international. Sa violation justifie donc pleinement une intervention coercitive.

La légitimité d’une intervention provient aussi des preuves. Or le ministre des affaires étrangères a rappelé que la France dispose d’un faisceau de preuves de la responsabilité du régime syrien.

À cet égard, j’indique à M. Raffarin que la mission des inspecteurs de l’ONU est d’établir s’il y a eu ou pas emploi d’armes chimiques, et non qui, le cas échéant, les a utilisées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas pareil !

M. François Rebsamen. Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’efficacité de nos services de renseignement. Ils prouvent ainsi qu’ils sont l’une des clefs de voûte de notre autonomie stratégique, permettant à la France de disposer d’une liberté d’appréciation des situations de crise que peu de pays possèdent. Cette autonomie stratégique et cette liberté d’appréciation sont au fondement de notre indépendance politique.

Que savons-nous aujourd’hui de cette attaque ?

J’ai écouté avec attention, monsieur le ministre, ce que vous nous avez dit à ce propos. Nous savons qu’elle était préméditée. Nous savons qu’elle a été préparée en trois jours. Nous savons, enfin, que la seule structure disposant des moyens matériels, logistiques et humains nécessaires pour mener ce type d’opération est l’armée syrienne. Une telle attaque suppose en effet un entraînement, des infrastructures et un savoir-faire dont les insurgés sont dépourvus.

Mes chers collègues, j’entends, ici et là, avancer des comparaisons hasardeuses avec les cas irakien ou libyen. Rien n’est plus erroné.

En Libye, la coalition internationale est intervenue sur le fondement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, pour empêcher la Jamahiriya libyenne de massacrer des civils. Cette intervention a précipité la chute de Kadhafi.

Nous ne sommes pas non plus, comme Bachar Al-Assad et les Russes le prétendent, dans la fantasmagorie des armes de destruction massive de l’administration Bush à propos de l’Irak, dont nos amis Anglais, et surtout leur Premier ministre, David Cameron, ont dernièrement payé assez cher les conséquences ! Dans ce cas-là, les missions d’inspection internationales n’avaient pu apporter d’éléments tangibles relatifs à un réarmement irakien en matière d’armes de destruction massive.

Aujourd’hui, dans le cas qui nous occupe, les preuves de l’emploi d’armes chimiques sont là. Elles existent.

De fait, ces actes sont donc constitutifs d’un crime contre l’humanité au sens du droit international et doivent donner lieu à une sanction, qui ne peut être que de nature militaire. En cela, nous ne nous conduisons pas purement en guerriers ; nous cherchons des solutions afin d’empêcher Bachar Al-Assad et son régime de continuer à perpétrer de tels crimes, qui ne peuvent nous laisser indifférents.

Le massacre de la Ghouta ne saurait être la réédition du drame de Srebrenica, à l’occasion duquel la communauté internationale, pourtant bien présente, s’était illustrée par sa passivité. La passivité, en l’occurrence, serait une nouvelle faute qui entacherait profondément notre mémoire.

Le massacre de la Ghouta ne peut attendre une justice qui serait hypothétiquement rendue sur le tard, après un jugement tout aussi hypothétique de ses responsables, comme dans le cas du massacre de 4 000 Kurdes à Halabja, commandité par Saddam Hussein.

Ce massacre massif et aveugle ne peut rester impuni et doit être sanctionné. Comme le Président de la République l’a déclaré, nous sommes manifestement en présence d’« une violation monstrueuse des droits de la personne humaine ». Le seul message que ce régime puisse comprendre est une vigoureuse intervention militaire.

Cela a été rappelé maintes fois, et répété encore aujourd’hui : même si cela peut choquer, il s’agit non pas de libérer la Syrie, ni de renverser Bachar Al-Assad – à titre personnel, je n’y verrais pourtant pas d’inconvénient –, mais d’interdire à ce régime, qui ne connaît ni limite ni retenue lorsqu’il s’agit de massacrer sa propre population, d’utiliser l’un des modes opératoires les plus effroyables de son arsenal.

Cette action militaire, au regard des faits et des éléments de droit que j’ai soulevés précédemment, est, je le pense, légitime et doit avoir une valeur de dissuasion. Il serait pour le moins curieux de considérer comme illégale une action qui vise à faire respecter le droit international.

La dissuasion est l’objectif principal de l’intervention militaire, autrement dit le « but de guerre ». Il s’agit de sanctionner militairement le régime et de marquer notre détermination quant aux limites à ne pas franchir. C’est la seule et unique façon d’ouvrir la voie à une solution politique. Vous pouvez ne pas être d’accord avec nous sur ce point, chers collègues de l’opposition, mais alors, faites des propositions !

Pour marquer notre détermination, il faut envisager une action proportionnée mais ferme contre le régime de Damas, dans le cadre d’une coalition internationale.

Vous avez pris un malin plaisir, monsieur Raffarin, à affirmer que nos partenaires européens ne se joindraient pas à nous, comme si vous le souhaitiez au fond de vous-même. Pour notre part, nous voulons les convaincre et constituer cette coalition internationale, sans pour autant court-circuiter l’ONU. Aujourd’hui, cependant, le Conseil de sécurité est empêché d’agir.

La France ne veut pas faire la guerre au peuple syrien. La France, vous le savez, a été exemplaire depuis le début de la guerre civile. Notre diplomatie s’est distinguée par la recherche obstinée d’une solution politique visant au départ de Bachar Al-Assad et à un avenir meilleur pour la Syrie.

Contrairement à ce que l’on a pu dire ou écrire ici et là, il s’agit non pas d’agir dans la précipitation, mais d’intervenir dès lors qu’un faisceau de preuves est réuni.

Tout d’abord, cela a été rappelé, nous n’agirons que dans le cadre d’une coalition, qui devra être la plus large possible. Lorsque la France et les États-Unis convergent vers un même objectif, à savoir la justice et le respect du droit international humanitaire, il s’agit là d’une vision partagée de la justice, apte à rassembler bien au-delà de nos deux pays.

Cette coalition ne pourra agir que dans le seul dessein de sanctionner le régime de Bachar Al-Assad, et se bornera donc à mener des actions ciblées et limitées dans le temps.

Je ne doute pas que le Gouvernement, que nous soutenons, prendra les mesures nécessaires pour préserver nos intérêts dans la région et assurer la sécurité de nos implantations diplomatiques, ainsi que celle de nos ressortissants et de nos soldats engagés au Liban.

Le conflit syrien irradie déjà bien au-delà des frontières du pays et menace aujourd’hui de déstabiliser l’ensemble de la région, ne serait-ce que par l’afflux de réfugiés au Liban, en Jordanie, en Turquie.

Bachar Al-Assad ne fait d’ailleurs pas mystère de ces menaces. En cet instant, la communauté française, la représentation nationale doivent être rassemblées. La France ne peut pas se laisser intimider par les propos d’un dictateur rapportés par un de nos journaux ! Ce n’est pas tolérable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Chers collègues de l’opposition, nous avons su, à d’autres époques, applaudir certaines interventions de membres de gouvernements que vous souteniez. J’aurais apprécié que vous fassiez de même aujourd’hui, à votre tour, eu égard à la grande qualité du discours de M. le ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Et vous, que faisiez-vous lorsque vous étiez dans l’opposition ?

M. François Rebsamen. Enfin, pour clore la polémique sur la nécessité d’un vote, je souhaiterais rappeler ici quelques éléments de droit. Je pense que vous connaissez l’article 35 de la Constitution, puisque vous l’avez voté.

Aux termes de cet article, le Gouvernement « informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger ». Je remercie d’ailleurs le Gouvernement de le faire, comme d’avoir communiqué à l’ensemble des responsables politiques de notre pays les éléments qu’il détient. Il est important que chacun puisse disposer de toutes les informations nécessaires pour se forger sa propre opinion.

M. François Rebsamen. Je rappelle que certains de ceux qui aujourd’hui réclament un vote s’y étaient farouchement opposés en 2008. Il est vrai que l’on a le droit de changer d’avis ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mais vous avez voté l'article 35 de la Constitution, mes chers collègues !

À l’heure où nous parlons, l’intervention est à peine à l’état de maturation, puisqu’il est a priori exclu que la France agisse seule. Demander un vote à ce stade n’a par conséquent pas grand sens.

M. Didier Guillaume. Aucun sens !

M. François Rebsamen. Et un vote sur quoi ?

La question ne peut se poser que plus tard, mais personne ne niera qu’il s’agit là de la responsabilité pleine et entière du Président de la République.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. De toute manière, ce n’est pas comparable, puisque, maintenant, c’est sans mandat de l’ONU !

M. François Rebsamen. Vous risquez d’avoir des surprises !

Nous mesurons les risques que comporte une telle intervention, mais, mes chers collègues, ainsi que cela a été souligné, c’est l’honneur et la grandeur de la France d’être en pointe dans le combat pour le respect des droits humains les plus élémentaires, ces droits bafoués depuis trop longtemps par le régime de Bachar Al-Assad.

Malgré ces risques, nous savons aussi pertinemment qu’une non-intervention aurait des conséquences bien plus graves pour l’ensemble de la région, voire pour la communauté internationale.

Raisonnons a contrario, car je crois que c’est l’argument le plus fort en faveur de l’intervention, et imaginons un instant que l’action du régime de Damas ne soit pas sanctionnée.

Le régime poursuivra l’utilisation d’armes chimiques – ce n’est pas rien ! –, occasionnant de nouveaux massacres de masse, repoussant dans leur dernier retranchement les forces insurgées, à commencer par les unités de l’Armée syrienne libre – il n’y a pas là-bas que des combattants d’Al-Qaïda –, et écartant du même coup toute solution politique.

Ne rien faire, ne pas intervenir serait le plus mauvais signal envoyé à toutes les puissances, et il y en a, qui souhaitent se soustraire au droit international. Ainsi, l’Iran ne serait plus du tout dissuadé de poursuivre son programme nucléaire. De manière générale, et ce qui serait encore plus inquiétant, les dynamiques de prolifération des armes de destruction massive seraient encouragées.

La convention sur l’interdiction des armes chimiques serait irrémédiablement abîmée. Dans le même temps, le subtil et fragile édifice fait de conventions et de traités, bâti à grand-peine, auquel a contribué notre pays dans le cadre de sa politique extérieure, s’écroulerait. La lutte contre la prolifération et l’emploi des armes de destruction massive est un domaine dans lequel notre pays a toujours été précurseur, car nous avons conscience, et le Premier ministre l’a rappelé, qu’il s’agit d’un enjeu majeur de sécurité collective.

Enfin, ce n’est pas trop de le dire, il y va de la survie de l’avenir des révolutions arabes et de notre responsabilité à l’égard de ceux des peuples qui conquièrent leur liberté en versant le prix du sang. (Murmures sur certaines travées de l'UMP.) Il est vrai que certains préfèrent Bachar Al-Assad... Moi pas !

Les régimes autocratiques se verraient déliés du peu de scrupules qui les retiennent dans leur répression. Nous ne pouvons le tolérer.

De fait, une non-intervention aurait des conséquences plus graves pour l’ordre international qu’une intervention militaire opérée en coalition, même sans résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous le savons, il s’agit d’une décision courageuse et difficile. Je veux saluer ici la détermination sans faille et la ténacité du Président de la République et de l’ensemble de l’exécutif. Ce sont de ces mêmes qualités qu’ils ont su faire preuve à l’occasion de la crise malienne.

La France doit continuer à assumer ses responsabilités, comme elle le fait depuis le début de la tragédie syrienne. Elle doit continuer à œuvrer pour réunir les conditions permettant de sanctionner ce régime qui n’a pas droit à l’impunité. En même temps, nous en sommes bien d’accord, elle doit poursuivre sa quête visant à l’émergence d’une solution politique, seul horizon possible pour la Syrie. De cela, nous sommes tous persuadés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la tragédie dans laquelle s’enfonce la Syrie et le martyre subi par son peuple placent aujourd'hui la France devant une alternative cruciale : soit préparer la guerre en soutenant les visées de l’administration américaine en Syrie et au Proche-Orient, soit définir un rôle propre, indépendant et positif, contre les illusions de la force et les dangers de l’intervention militaire, pour une solution négociée garantissant l’arrêt des massacres et une transition vers la démocratie.

Le choix qui doit être fait est d’une grande portée pour la Syrie, pour toute la région, pour la France. Il mérite et appelle un débat, mais aussi un vote du Parlement, ainsi que je l’ai demandé au Président de la République dès le 27 août.

Quelque deux Français sur trois se déclarent aujourd’hui opposés à une intervention militaire. En Europe comme aux États-Unis, des constats semblables témoignent aussi d’interrogations, de réticences et d’hostilités massives à la guerre.

Le choix de la guerre ne peut être celui d’un seul homme. Devant un enjeu si crucial, dans un monde devenu si complexe, nos institutions, qui réservent au seul chef de l’État le pouvoir d’engager nos armées, témoignent de leur archaïsme. Je réitère ici notre demande solennelle : aucune décision ne doit être prise sans un vote du Parlement.

M. Jean-Marc Todeschini. Vous voteriez quoi ?

M. David Assouline. Oui, que voteriez-vous ?

Mme Éliane Assassi. À quoi servons-nous, sinon ?

M. Pierre Laurent. La crise syrienne est devenue une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans maintenant, par la brutale et sauvage répression lancée par le régime de Bachar Al-Assad contre son peuple et amplifiée depuis par l’internationalisation et l’ingérence militaire croissante des puissances régionales et internationales dans le conflit. La France n’a malheureusement pas été en reste.

Le drame syrien est donc aussi devenu une crise géopolitique internationale, dans une région, le Proche-Orient, où tous les conflits s’entremêlent.

Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France, c’est la capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de règlement politique. Or ce qui se prépare, ce que vous nous invitez à soutenir, c’est l’inverse, à savoir une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La France ne doit pas s’y engager. Elle doit choisir une autre voie d’action. Oui, la France doit agir, mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à la guerre, du sang au sang.

Quel est le sens de l’entreprise de guerre que vous envisagez ? Punir le régime de Bachar Al-Assad ? Le « punir », dites-vous, pour empêcher que ne se renouvelle l’usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix, quelle est son efficacité réelle ? Quelles en seront les conséquences, quelle sera son utilité pour faire progresser l’indispensable solution politique dont le Président de la République affirme lui-même qu’elle reste la seule véritable issue ?

Peut-on bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le coup », juste « pour voir », comme au poker, sans s’appuyer sur la légalité du droit international et un mandat de l’ONU, sans évaluer les risques d’un embrasement régional, notamment au Liban où, dans les faits, il a déjà commencé avec une succession d’attentats, de représailles et de vengeances, sans mesurer les conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du régime, sans veiller au sort de nos deux otages dans ce pays ? Ne les oublions pas !

Le degré supplémentaire franchi dans l’horreur par l’usage massif d’armes chimiques justifie, selon vous, que la France entre à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?

L’usage des armes chimiques est inqualifiable. C’est un crime effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l’ont commis dans la violation manifeste des conventions qui les interdisent : ceux-là devront en rendre compte quand les responsabilités seront clairement établies de manière internationale.

La France, comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a le devoir de remettre tous les éléments dont elle dispose à la mission d’enquête de l’ONU et au Conseil de sécurité pour que ceux-ci établissent officiellement les responsabilités. À cet égard, j’estime qu’en tant que parlementaires, c'est-à-dire représentants d’un pays membre du Conseil de sécurité, nous devrions éviter les déclarations qui, comme j’ai pu l’entendre ici, traitent par-dessus la jambe le travail des inspecteurs de l’ONU.

La France déclare détenir des preuves, et nous les prenons au sérieux, mais rien ne la dispense de tenir compte des résultats de la mission d’enquête de l’ONU, rien ne l’autorise à pouvoir prétendre « punir » seule, sauf à contribuer ainsi elle-même à discréditer la légalité internationale.

Comme le notait déjà la commission d’enquête internationale indépendante dans le rapport remis à l’ONU au mois de juin dernier, « la Syrie est en chute libre, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont une réalité quotidienne en Syrie. Personne n’est en train de gagner la guerre et personne ne la gagnera ». Face à l’amplification des crimes, qui dure depuis des mois, avant même l’attaque chimique, la France doit inlassablement travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.

L’escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et nous éloignera de la solution politique et négociée incontournable.

Les autorités françaises mesurent-elles avec suffisamment d’attention et de prudence les expériences désastreuses des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, conflits que personne dans le monde ne peut oublier ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force, une « solution » en prenant, selon la formule consacrée, « toutes les mesures nécessaires ». Or les gouvernements coalisés n’ont finalement récolté que la poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos.

Le syndrome d’un modèle d’intervention libyen, mené par le pouvoir sarkozyste dont on mesure pourtant aujourd’hui les effets désastreux, a malheureusement dramatiquement marqué la diplomatie française dans la crise syrienne. Est-ce qu’avec ces guerres la démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s’est renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions internationales en sont sorties consolidées ?

Que de questions sans réponse ! Que de risques majeurs sans vision politique digne de ce nom ! Que d’échecs tragiques et stratégiques dont on ne tire pas les leçons !

Encore une question : le peuple syrien, première victime de cette crise, n’est-il pas en réalité le grand oublié de cette tragédie (Mme Éliane Assassi acquiesce), otage dramatiquement effacé de la confrontation des intérêts géopolitiques de puissances dont la Syrie est hélas devenue une sorte de ligne de front ? Au mois de mars 2011, le peuple de Syrie s’est soulevé pacifiquement, comme celui de Tunisie ou celui d’Égypte, au cours de ce que l’on a à l’époque appelé le « printemps arabe »... Ce fut pour les libertés, pour un État de droit, pour la justice sociale, pour la souveraineté.

Ce mouvement, c’est la vérité du peuple syrien, c’est l’espoir du peuple syrien.

Ce mouvement, nous l’avons soutenu contre la dictature criminelle et corrompue de Bachar Al-Assad. Nous le soutenons toujours, en Syrie comme ailleurs.

On voit aujourd’hui combien la conquête de l’émancipation politique et sociale engagée par ces peuples est complexe et difficile. Elle l’est particulièrement en Syrie, où le régime, dès les premiers jours, a choisi une répression féroce et meurtrière qui n’a fait qu’accélérer la militarisation de la crise et une terrible escalade dans la confrontation armée, avec des exactions d’une sauvagerie inouïe.

Le bilan de cette crise est épouvantable ; nous le connaissons tous : plus de 100 000 morts, plusieurs millions de réfugiés, une société pulvérisée par la violence des affrontements, par les divisions politiques et confessionnelles, par les atrocités commises par des groupes salafistes qui sont, pour l’essentiel, des corps étrangers à une société syrienne profondément laïque, mais armés par des puissances régionales dont certaines font, paraît-il, partie de nos alliés…

Alors, oui, il faut arrêter ça ! Il faut arrêter ça pour le peuple syrien. Il faut arrêter ça pour toutes celles et tous ceux qui, en 2011, se sont mobilisés pacifiquement dans ce pays. Il faut arrêter cette escalade tragique et chercher le chemin d’une issue politique pour aller vers une transition démocratique.

Une intervention militaire, dirigée par un duo isolé de puissances occidentales, hors du droit, constituerait un degré supplémentaire dans l’inacceptable, aux conséquences incontrôlables.

Ce n’est pas par la guerre que l’on peut protéger les peuples et gagner une sécurité humaine. La France doit prendre d’urgence un autre chemin, définir une vision politique et prendre de fortes initiatives.

Oui, il y a une alternative à la guerre !

Nous appelons donc les autorités françaises à proposer à tous nos partenaires internationaux, dès la réunion du G20, une rencontre au sommet de tous les belligérants et des principales puissances impliquées, les États-Unis et la Russie, bien sûr, mais aussi la Turquie et l’Iran, notamment, afin de définir les conditions d’un arrêt de l’escalade dans la confrontation militaire.

Il faut reprendre l’esprit et l’ambition de la deuxième conférence de Genève, qui aurait pu tracer la voie d’une telle solution il y a déjà des mois. Mais, au lieu de la soutenir dès juin 2012, au lendemain de Genève I, vous l’avez aussitôt mise en doute, monsieur le ministre, au motif que l’accord passé à l’époque ne prévoyait pas assez clairement la mise à l’écart de Bachar Al-Assad.

L’occasion de stopper les massacres a été gâchée. Or, aujourd’hui, vous préconisez une intervention aux risques énormes en déclarant qu’elle ne vise pas le départ de Bachar Al-Assad.

Où est la vision, où est la cohérence ?