compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-pierre raffarin

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Noëlle Lienemann,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
Discussion générale (suite)

Droits et protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (proposition n° 817, texte de la commission n° 836, rapport n° 835).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi aujourd’hui soumise à votre examen touche d’abord les 50 000 personnes directement visées par une procédure de soins sans consentement. Mais elle intéresse également leur famille, leur entourage et concerne la société tout entière.

Le Conseil constitutionnel a censuré deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011 et a fixé au 1er octobre 2013 la date à laquelle le Parlement doit rendre ce texte conforme à notre Constitution. Cet impératif nous impose d’agir rapidement. Je tiens à vous assurer que j’ai parfaitement conscience des difficultés posées par ce calendrier resserré et je souhaite vous remercier, en particulier vous, madame la présidente de la commission, et vous, monsieur le rapporteur, de votre diligence.

Monsieur le rapporteur, je salue votre travail, notamment les nombreuses auditions que vous avez pu mener en un temps record. La commission des affaires sociales s’est appropriée ce texte en y apportant plusieurs modifications que j’aurai l’occasion d’évoquer au cours du débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, revenons sur la genèse de ce texte.

La décision rendue par les Sages a incité les députés de la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie à travailler, dans un premier temps, sur le sujet majeur que constituent les soins sans consentement.

Au regard des demandes nombreuses des professionnels et des attentes fortes des malades, des familles et des associations, les députés ont fait le choix d’aller au-delà d’une simple mise en conformité. Le Gouvernement soutient pleinement cette démarche, car elle vise à faire progresser les soins sans consentement.

Trop souvent, dans notre société, les soins liés à la maladie mentale inquiètent, parce que la maladie mentale fait peur. Elle reste méconnue et nous avons du mal, disons-le, tous autant que nous sommes, à nous défaire des stéréotypes qui l’accompagnent. Les malades sont régulièrement associés à des personnes dangereuses, violentes, dépendantes des autres ou encore simples d’esprit. Ils sont fréquemment perçus comme un fardeau pour la collectivité. La réalité est bien différente : la maladie mentale recouvre en réalité des situations complexes, diverses, qui ne peuvent se réduire à quelques caricatures.

Le devoir des responsables politiques et du législateur est de rappeler que celles et ceux qui souffrent doivent d’abord être considérés comme des personnes malades. L’objectif premier de la loi est de prendre en compte leur vulnérabilité et d’y apporter les réponses adaptées.

La maladie mentale fragilise au quotidien des hommes et des femmes. La souffrance psychique et physique évolue tout au long de la vie. Des épisodes de crise se suivent, mais ils succèdent aussi à des périodes d’amélioration. C’est l’incertitude sur ce que sera leur lendemain qui caractérise le plus souvent ces personnes et qui les condamne à la précarité.

Par conséquent, nous ne pouvons oublier ou négliger la vulnérabilité sociale qui frappe les personnes en souffrance. Pour elles et pour leur famille, les entraves du quotidien sont nombreuses, et tout devient plus difficile : accéder à l’école, à un logement ou à un emploi relève, chaque fois, d’un véritable parcours du combattant.

Les soins dits « sans consentement » constituent une part réduite des soins en psychiatrie. Rappelons que leur objectif n’est pas de contraindre ceux qui les refusent. Ils ont pour objet de saisir la singularité de la maladie mentale, qui empêche parfois le patient d’adhérer d’emblée à la démarche de soins.

Ne pas ignorer la réalité, c’est également rappeler que le malade peut représenter un danger, pour lui, mais aussi pour les autres. Nous devons évidemment tenir compte de cette spécificité de la maladie mentale, même si elle ne peut oblitérer l’ensemble des réponses à apporter.

Il nous faut parvenir à un équilibre entre les libertés individuelles, la nécessité des soins et l’exigence d’ordre public.

C’est justement cet équilibre que la loi du 5 juillet 2011 n’a pas trouvé. Elle est marquée, chacun s’en souvient, notamment dans cet hémicycle, par une inspiration sécuritaire. Cette dérive s’illustre à travers plusieurs dispositions, comme le renforcement des conditions de levée des mesures pour les malades hospitalisés en unités pour malades difficiles, les UMD, ou encore l’instauration de ce que l’on a pu appeler « un casier psychiatrique ».

Ce ne sont ni la réflexion ni la concertation qui ont guidé l’élaboration de cette loi ; c’est bien plutôt la réaction, dans l’urgence, à une série de faits divers.

Le milieu psychiatrique a dénoncé, avec raison, la démarche de stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques.

Par ailleurs, la loi de 2011 n’est pas adaptée aux réalités du terrain. L’expérience que nous en avons depuis son entrée en vigueur voilà maintenant deux ans l’a montré. La complexité de ses dispositions a rendu difficile sa mise en œuvre concrète par les professionnels de santé. Comme élus, vous en avez souvent été les témoins directs.

Si le Gouvernement soutient cette proposition de loi, c’est d’abord parce qu’elle se fonde sur une philosophie nouvelle. Elle fait le choix de placer le patient au cœur de sa démarche.

Cette ambition s’illustre d’abord à travers la révision des deux dispositions qui ont été jugées contraires à la Constitution.

La première révision consiste à limiter l’application du régime plus strict de levée des soins sans consentement : celui-ci ne concernera désormais que les irresponsables pénaux encourant un certain niveau de peine.

Lorsqu’il s’agira d’atteintes aux biens, le régime plus strict s’appliquera aux personnes encourant une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement. Certains cas, parmi les plus graves, seront concernés par ce régime ; je pense notamment aux destructions par incendie.

Lorsqu’il s’agira d’atteintes aux personnes, le régime plus strict s’appliquera à ceux qui ont été concernés par une procédure pénale punie d’au moins cinq années. Les agressions sexuelles y seront intégrées.

La seconde révision concerne la volonté de replacer dans le droit commun les patients hospitalisés en unités pour malades difficiles.

Il s’agit là d’un point décisif de ce texte. La loi adoptée en 2011 entretient un amalgame difficilement acceptable. Elle assimile en effet les malades difficiles à des malades dangereux.

La question de l’ordre public ne peut être éludée et constitue une priorité du Gouvernement. Cependant, il est essentiel de rappeler que la prise en charge des personnes en souffrance relève d’abord d’une démarche de soins et d’un processus thérapeutique.

Les conditions de levée plus strictes pour des malades qui nécessitent avant tout des soins plus intensifs ne sont donc pas justifiables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes qui sont directement confrontées, au quotidien, aux troubles psychiques. Régulièrement, je rencontre des professionnels de santé, des soignants, des psychiatres, des directeurs d’établissement. J’ai également souvent eu des échanges avec des associations représentant les patients, mais aussi les familles.

Que disent-ils ? Ils insistent chaque fois sur la nécessité d’accorder une place plus grande à celles et ceux qui sont les premiers concernés : les patients.

Pour y parvenir, il est décisif d’adapter la procédure judiciaire et le traitement aux spécificités des troubles psychiques.

Tel est l’objet de cette proposition de loi que le Gouvernement soutient.

D’abord, concernant la procédure judiciaire, des mesures très concrètes sont prévues.

Il s’agit de prendre en compte les besoins des malades dans la définition du lieu de l’audience.

L’audience du juge des libertés et de la détention doit pouvoir s’adapter aux personnes hospitalisées en psychiatrie, qui ne sont pas des justiciables comme les autres. Il faut donc que l’audience puisse se tenir au sein même de l’établissement de santé, sans compromettre les principes de la procédure judiciaire.

La commission a souhaité revenir sur le texte de l’Assemblée nationale qui prévoyait la possibilité pour les établissements de santé de mutualiser les salles d’audience sous certaines conditions.

En permettant une certaine souplesse, la rédaction précédente permettait aux acteurs de terrain de faciliter la mise en œuvre de cette grande avancée que constitue l’audience du juge au sein de l’établissement de santé. Celle-ci ne peut être remise ne cause : elle constitue même l’un des enjeux majeurs de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.

Mesdames, Messieurs les sénateurs, je comprends votre objectif. Néanmoins, il est nécessaire de pouvoir dans certains cas faire preuve d’une certaine souplesse pour prendre en compte la réalité à laquelle sont confrontés les établissements de santé et les professionnels de la justice. Je compte sur la sagesse des parlementaires pour que, dans la suite des débats, il en soit tenu compte.

De la même manière, vous avez souhaité supprimer totalement la possibilité de recourir à la visioconférence. Nous savons tous que, dans la très grande majorité des cas, cette pratique est inadaptée, voire déconseillée. C’est pourquoi les députés ont prévu d’encadrer très strictement son utilisation. Il paraît toutefois difficile de se priver totalement de la possibilité d’y recourir, dans les rares cas où un déplacement du juge et du malade ne serait pas possible ou pour faire face à des situations d’urgence. Là encore, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en appelle à votre sagesse.

Adapter la procédure judiciaire, c’est également rendre obligatoire la présence de l’avocat. Cette disposition est l’unique moyen de rendre pleinement effectif le droit pour le malade à être défendu.

Enfin, adapter la procédure judiciaire, c’est tout mettre en œuvre pour préserver et garantir le secret médical. La personne malade pourra ainsi être protégée en demandant que l’audience ne soit pas publique.

Sur le sujet de la procédure, le texte adopté par l’Assemblée nationale réduit le délai d’intervention du juge à douze jours. Nous ne pouvons accepter que des personnes soient maintenues à l’hôpital lorsque leur état ne le justifie pas.

Toutefois, il nous faut également faire face à la réalité et prendre en compte les contraintes de la procédure.

Pour statuer et pour organiser l’audience, le juge a besoin d’un délai. Il en a également besoin pour recueillir des avis médicaux et évaluer le mode de prise en charge. Un compromis a été trouvé sur un délai de douze jours, afin de réduire le délai actuel, qui est de quinze jours, tout en permettant à la procédure de se dérouler dans de bonnes conditions.

Le second impératif, c’est l’adaptation de la procédure de soins. Je pense d’abord aux sorties de courte durée. Elles sont partie intégrante du processus thérapeutique, lorsque l’état de santé des malades le permet.

La loi du 5 juillet 2011 a supprimé les sorties d’essai. Le Gouvernement ne souhaite pas réinstaurer des sorties qui duraient parfois plusieurs mois. Néanmoins, la loi doit permettre à une personne hospitalisée sans son consentement de pouvoir sortir un week-end, par exemple. Cela doit être rendu possible sans qu’il soit nécessaire d’établir un programme de soins, qui n’a pas de sens ici et génère des procédures administratives inutiles.

Adapter la procédure de soins, c’est également la simplifier, notamment en réduisant le nombre de certificats médicaux exigés. Leur multiplicité est souvent inutile, car elle n’est pas nécessairement une garantie pour le malade. La proposition de loi qui vous est présentée supprime le certificat du huitième jour, ainsi que l’avis conjoint exigé pour saisir le juge, qui devient un avis simple.

Vous proposez, pour votre part, de supprimer la double expertise psychiatrique exigée pour la levée des mesures de soins sans consentement des irresponsables pénaux. Il faut noter que ces expertises extérieures sont un apport indispensable pour les autorités qui ont la responsabilité de contrôler et de lever la mesure. L’analyse des psychiatres commis en qualité d’experts ne saurait en effet être assimilée à celle du collège, qui a une vocation différente. Ces expertises permettent également aux professionnels de santé d’avoir un appui pour des décisions lourdes de conséquences. J’entends votre volonté d’alléger la procédure, mais je crains que cette modification n’entrave son bon fonctionnement.

Enfin, cette proposition de loi œuvre pour le renforcement des droits des malades. D’abord, elle précise la notion de soins sans consentement, ce qui n’est pas un détail puisque l’amalgame est souvent fait avec les soins sous contrainte. La loi disposera ainsi qu’un patient faisant l’objet d’un programme de soins, et suivi en ambulatoire, ne peut être contraint, sauf à être à nouveau hospitalisé.

Cette proposition de loi réaffirme aussi un principe auquel chacun d’entre vous est profondément attaché : les personnes détenues peuvent évidemment faire l’objet de soins avec leur consentement. Cette précision n’apparaît nulle part dans la loi de 2011.

Le texte introduit enfin la possibilité pour les parlementaires de visiter les établissements autorisés à recevoir des patients soignés sans consentement, dans la mesure où ces établissements constituent alors des lieux de privation de liberté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est important pour faire progresser encore les conditions dans lesquelles sont organisés les soins sans consentement. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de tout faire pour replacer le patient au cœur de cette procédure et de faire en sorte que personnes malades et personnes dangereuses ne soient pas assimilées. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous appelle à soutenir la proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacky Le Menn, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par évoquer les sujets qui ne sont pas traités par la proposition de loi. Ce texte ne refonde pas la politique de secteur, qui reste en pratique le pilier des soins libres en psychiatrie, même si elle a été privée de base légale spécifique par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ».

Ce texte ne règle pas la question de l’inégalité des moyens et de la diversité des pratiques de prise en charge en psychiatrie sur le territoire. Il ne remédie pas à l’absence parfois totale d’activités programmées lors du retour à son domicile d’un malade hospitalisé pendant une longue période. Il n’améliore pas le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques, qui ne sont pas constituées partout, ce qui est regrettable. Il ne traite ni de la prévention primaire ni de l’éducation thérapeutique des patients. Il ne développe pas le rôle des équipes mobiles de psychiatrie ni ne renforce la continuité de la prise en charge des malades par les équipes. Il ne met pas en place une personne de confiance adaptée à la situation spécifique de la maladie mentale et de sa prise en charge, alors même que cette mesure est réclamée par de nombreuses associations.

Ces sujets sont essentiels pour la prise en charge de l’ensemble des personnes souffrant de troubles mentaux, et il faut que des réponses soient apportées aux problèmes rencontrés au quotidien par les soignants et les malades. Nous prenons l’engagement que ces enjeux essentiels pour l’ensemble des personnes souffrant de troubles mentaux seront traités dans le cadre qui leur est adapté, à savoir le volet santé mentale de la loi de santé publique à venir. Nous n’esquivons donc pas le débat sur ces sujets. Mais la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale n’a pas vocation à les aborder, car elle ne concerne pas la réalité de l’immense majorité de la prise en charge psychiatrique aujourd’hui. Son objectif est circonscrit, précis et nécessaire.

Les associations de patients nous l’ont rappelé fortement et nous en sommes nous-mêmes convaincus, la confiance est au fondement de la relation thérapeutique, que les soignants nomment « alliance thérapeutique ». La contrainte s’oppose généralement aux soins. De fait, c’est la confiance entre le malade et l’équipe soignante qui permet aujourd’hui la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux sous forme ambulatoire dans 85 % des cas. Même parmi les personnes hospitalisées, 80 % le sont avec leur consentement. Mais, pour 20 % d’entre elles, la contrainte a été le seul moyen de permettre l’accès aux soins.

Pour cette petite minorité de malades, la pathologie a aboli le discernement. Or, comme me l’a dit avec sagesse un des psychiatres que j’ai eu la possibilité d’auditionner, le discernement est la première des libertés, sans laquelle toutes les autres sont des leurres. Les soins sans consentement sont d’abord, il faut le rappeler, une mesure thérapeutique destinée à permettre aux équipes médicales qui se chargent de cette lourde tâche de tenter de rétablir le discernement des personnes atteintes des pathologies les plus lourdes.

Pour cette minorité, des dispositions spécifiques existent et doivent exister afin de permettre d’assurer l’équilibre entre la logique des soins et la protection des libertés publiques. Une mesure de contrainte qui excède ce qui est strictement nécessaire aux soins est une atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne. Le juge constitutionnel a donc décidé un contrôle des soins sans consentement par le juge des libertés et de la détention, et la loi du 5 juillet 2011 l’a mis en œuvre.

Il existe également une autre dimension des soins sans consentement, qui vise la protection des tiers. Parmi les malades qui n’ont pas conscience de leur maladie, une minorité – peut-être huit cents personnes chaque année – peut présenter, à un moment donné, un danger pour autrui. Il y a donc un enjeu en matière de sécurité qui ne peut être ignoré.

La loi du 5 juillet 2011 avait fait, dans cet équilibre difficile entre soins, libertés et ordre public, des choix très contrastés.

D’une part, je l’ai dit, elle a mis en œuvre les exigences constitutionnelles de contrôle par le juge. Elle a en outre mis fin à l’obligation d’hospitalisation complète comme unique forme de prise en charge pour les personnes faisant l’objet d’une décision de soins sans consentement.

Mais, d’autre part, elle a désigné comme potentiellement dangereux, au point qu’un contrôle particulier doive être exercé sur leur sortie des soins sans consentement, les malades appartenant à une catégorie particulière : ceux qui séjournent ou ont séjourné dans une unité pour malades difficiles, ou UMD. Le Conseil constitutionnel a jugé que ce choix était insuffisamment fondé et a censuré les dispositions prévues par la loi pour sa mise en œuvre. Il a également donné raison à notre collègue Muguette Dini, premier rapporteur de la commission des affaires sociales en 2011, en précisant que les soins ambulatoires sans consentement ne peuvent donner lieu à des mesures de contrainte.

En réponse à la censure du Conseil constitutionnel, l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont fait le choix de ne conserver des mesures plus strictes de sortie des soins sans consentement que pour les personnes déclarées irresponsables pénalement et ayant commis des actes contre les personnes passibles de cinq ans d’emprisonnement ou des actes contre les biens passibles d’une condamnation de dix ans. Nous partageons ce choix équilibré et médicalement fondé.

De même, la suppression du statut légal des UMD et leur retour dans le droit commun des services hospitaliers nous paraissent adaptés à la réalité qui est la leur. Les UMD ne peuvent plus être assimilées à des unités disciplinaires, comme ce fut le cas lors de leur création au début du XXe siècle. Ce sont des services de soins intensifs, qui doivent être également des services d’excellence permettant, avec un encadrement renforcé, la prise en charge de pathologies particulièrement lourdes. Leur fonctionnement garantit une meilleure prise en compte de la liberté des personnes, notamment au travers de la commission de suivi médical, à laquelle les soignants sont particulièrement attachés ; je le suis moi aussi. Certains s’inquiètent de leur éventuelle suppression. Pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, qu’il n’en sera rien ?

L’Assemblée nationale a également fait le choix de réformer la loi de 2011 sur des points non censurés par le Conseil constitutionnel, mais faisant l’objet d’un large consensus. Je pense particulièrement au rétablissement de dispositions relatives aux sorties d’essai et à l’allègement des procédures et des certificats. Un principe important est posé par le texte, celui de la tenue des séances du juge des libertés et de la détention au sein de l’établissement d’accueil.

La commission des affaires sociales du Sénat partage pleinement l’objectif de cette proposition de loi et a souhaité, dans le temps très limité dont elle a disposé, se placer dans le prolongement du travail approfondi accompli par l’Assemblée nationale, mais aussi, dès 2011, par Muguette Dini et plusieurs sénateurs appartenant à tous les groupes. Les amendements adoptés en commission tendent à renforcer la prise en charge médicale dans le cadre des procédures de soins sans consentement, et spécialement pour les soins ambulatoires sans consentement, et à renforcer les garanties des droits.

Ce texte est nécessaire, attendu et urgent. Malgré son examen rapide, le Sénat aura pu, je le crois, jouer son rôle. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous nous félicitons de son examen et que nous vous proposons de l’adopter dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a censuré, dans sa décision du 20 avril 2012, deux dispositions du code de la santé publique. Ces dispositions, issues de la loi du 5 juillet 2011, portaient sur les conditions de sortie de soins pour les malades psychiatriques séjournant ou ayant séjourné en unité pour malades difficiles ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale.

Le Conseil constitutionnel a différé l’effet de sa décision au 1er octobre 2013, ce qui laissait quand même au Gouvernement dix-huit mois pour modifier les dispositions censurées. Ce laps de temps était largement suffisant pour se pencher sérieusement sur ce sujet complexe, intime, touchant à l’encadrement juridique des soins psychiatriques sans consentement, qui concernaient quelque 70 000 personnes en 2011.

Or le Gouvernement n’a pas profité de ce délai. Le texte n’a été déposé à l’Assemblée nationale que le 3 juillet et n’a été débattu en séance que le 25 juillet. Nous voilà donc obligés d’examiner cette proposition de loi en session extraordinaire, à marche forcée ! Ce faisant, le Gouvernement prive le Sénat d’un vrai débat sur la santé mentale. Il serait bon que le Gouvernement ne considère par la Haute Assemblée comme une simple chambre d’enregistrement.

Ce texte est pourtant d’une importance capitale, car les soins psychiatriques sans consentement s’articulent autour de trois exigences fortes liées à des enjeux majeurs : soigner les malades, garantir la sécurité des citoyens face à des comportements potentiellement dangereux et protéger les droits et libertés fondamentaux des patients hospitalisés sous contrainte.

La loi du 5 juillet 2011 a mis en place des avancées majeures en matière d’encadrement des patients potentiellement violents et de contrôle judiciaire des mesures d’hospitalisation sans consentement. Elle a créé un régime spécifique plus strict que le précédent pour les sorties de soins prononcées par le juge ou par un représentant de l’État à l’égard des patients en UMD ou déclarés pénalement irresponsables. Elle a également introduit un contrôle systématique des mesures d’hospitalisation par le juge des libertés et de la détention dans les quinze jours suivant l’admission du patient.

Bien sûr, cette loi n’était pas parfaite et la Haute Assemblée avait déjà formulé des réserves sur certaines de ses mesures. Nous avions d’ailleurs largement modifié le texte initial.

Permettez-moi de rappeler quelques-unes de ces dispositions : il s’agissait d’offrir la possibilité au juge de statuer en chambre de conseil, de prévoir le recours à une « salle d’audience spécialement aménagée [...] pour assurer la clarté, la sécurité et la sincérité des débats et permettre au juge de statuer publiquement » et enfin d’encadrer le recours à la visioconférence, avec un aménagement spécifique de la salle d’audience et un avis médical attestant que l’état mental du patient n’y fait pas obstacle.

Le juge constitutionnel, pour sa part, a estimé que la loi ne présentait pas de garanties suffisantes justifiant l’existence d’un régime dérogatoire au droit commun. Pourtant, le texte qui nous est proposé aujourd’hui va bien plus loin que les modifications requises par la décision du Conseil constitutionnel. Plus encore, il revient sur certaines des avancées juridiques apportées par le législateur en 2011.

Madame la ministre, je tiens à vous dire que la position du groupe UMP n’est pas guidée par des calculs politiciens. Le sujet est trop important. La proposition de loi apporte au code de la santé publique certaines modifications appréciables et auxquelles nous sommes favorables.

Disant cela, je pense particulièrement à la simplification des démarches administratives à la charge des professionnels de santé, à la création de sorties thérapeutiques de courtes durées pour les patients hospitalisés ou encore à la tenue à l’hôpital des audiences devant le juge.

Mais le problème majeur de ce texte est qu’il rompt complètement l’équilibre qui prévalait dans la réforme de 2011 entre la protection des droits des malades et la protection de la sécurité des autres citoyens. Vous supprimez purement et simplement le suivi médical spécifique des patients placés dans des unités pour malades difficiles que permettait le régime dérogatoire de mainlevée des soins.

Or, le Conseil constitutionnel n’a jamais considéré que le législateur ne pouvait pas prévoir des dispositifs spécifiques, plus stricts, en matière de sortie de soins pour certaines catégories de patients psychiatriques jugés dangereux pour eux et pour les autres. Il s’est contenté de dire que certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2011, en l’état actuel, n’encadraient pas avec une précision suffisante les conditions d’hospitalisation.

La présente proposition de loi réintègre les patients en unité pour malades difficiles dans le régime de droit commun de l’hospitalisation sans consentement. Ce faisant, elle supprime la définition légale de ces unités donnée par l’article L. 3222-3 du code de la santé publique. Il convient néanmoins de rappeler que les onze UMD existant en France s’occupent de patients aux troubles mentaux particulièrement lourds et aux comportements les plus violents.

Non seulement vous supprimez la référence législative aux UMD mais vous limitez également le régime applicable aux patients déclarés pénalement irresponsables aux seules personnes dont les infractions sont susceptibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour les atteintes à la personne et de dix ans pour les atteintes aux biens.

Votre dispositif ne s’appliquera donc qu’aux patients ayant commis des infractions particulièrement graves. Les autres patients pourront quitter leurs soins psychiatriques beaucoup plus facilement, ce qui peut être dangereux à la fois pour eux et pour les autres.

Le texte qui nous est aujourd’hui présenté se fait fort de renforcer les droits des patients et les garanties judiciaires entourant les mesures d’hospitalisation sous contrainte. Ces objectifs sont fort louables mais, faute de temps et faute de concertation, certaines mesures correspondantes apparaissent comme de « fausses bonnes idées ».

Ainsi la présence de l’avocat au moment des audiences devant le juge des libertés et de la détention, le JLD, rendue obligatoire par la proposition de loi, n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact alors même qu’elle va accroître les frais de justice à la charge de l’État.

Madame la ministre, comprenez-nous bien : nous ne sommes pas contre cette mesure sur le fond. D’ailleurs, les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et de la Cour de cassation sur la présence de l’avocat au cours des procédures judiciaires vont également dans ce sens. Nous regrettons néanmoins la précipitation qui a entouré cette proposition de loi et l’absence d’étude d’impact approfondie.

La diminution du délai à partir duquel le juge judiciaire contrôle la mesure d’hospitalisation sans consentement de quinze à douze jours inquiète fortement l’Union syndicale des magistrats ainsi qu’un grand nombre de professionnels psychiatriques. Une telle réduction aura vraisemblablement un effet relatif. Surtout, elle ne renforce en rien les garanties judiciaires apportées aux patients hospitalisés sous contrainte.

La judiciarisation du système de contrôle a déjà poussé les médecins à être plus vigilants dans le suivi des hospitalisations sans consentement. Le corps médical exerce déjà son propre contrôle donnant lieu à de nombreuses sorties d’hospitalisation.

Ainsi, avant la réforme de 2011, le nombre d’hospitalisations psychiatriques sans consentement atteignant une durée de quinze jours s’élevait à 65 000 contre à peine plus de 35 000 aujourd’hui. En d’autres termes, cette diminution des délais ne permettra pas une augmentation significative du taux de mainlevées judiciaires, ce qui est pourtant le but recherché de la proposition de loi.

Enfin et surtout, c’est moins la question du délai du premier contrôle du juge des libertés et de la détention que la fréquence des contrôles ultérieurs qui nous semble importante. N’aurait-il pas mieux valu, madame la ministre, se pencher d’abord sur la période de six mois entre le premier et le deuxième contrôle du juge ?

Bien que le Conseil constitutionnel l’ait déclarée conforme à notre loi fondamentale, cette disposition nous semble mériter un vrai débat. L’intervalle de six mois, pendant lequel seul un recours du patient ou d’un proche sera possible, peut poser problème au regard des libertés individuelles du malade.

Madame la ministre, vous le voyez, la position du groupe UMP sur la question éminemment délicate des soins psychiatriques se veut constructive, loin des clivages partisans. Il n’est pas question pour nous de tomber dans une opposition stérile entre, d’un côté, « plus de sécurité » et, de l’autre, « plus de liberté ».

La loi du 5 juillet 2011, aussi imparfaite et sans doute incomplète qu’elle soit, avait pourtant jeté des bases solides en matière de politique psychiatrique. Cette loi avait fait l’objet d’une longue préparation parlementaire et d’une vaste concertation avec tous les acteurs du secteur.

Aujourd’hui, nous regrettons vivement que cette proposition de loi soit examinée à la va-vite. Un sujet aussi important méritait mieux. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)