M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, après les cinq discours que nous venons d’entendre, je voulais souligner combien ces propos témoignent d’une conviction forte.

Cette conviction, vous la défendez particulièrement, madame Najat Vallaud-Belkacem, ainsi que j’ai pu le constater. C’est pour vous une préoccupation constante. Le mot « préoccupation » ne convient pourtant pas, il s’agit d’une volonté forte, d’une conviction, au sens plein du terme. Cette œuvre, cette histoire – j’allais dire « ce combat », mais je préfère ces termes –, vous les menez avec la force et la conviction qu’y ont mises beaucoup femmes avant vous.

On pourrait en effet en citer beaucoup qui ont partagé ce souci et cette volonté. Michèle André, par exemple, qui fut ministre des droits des femmes, avant d’autres, après d’autres, a démontré la même conviction. D’autres furent ministres avec des portefeuilles concernant d’autres domaines : parmi nous, je pense à Mme Tasca, qui a magnifié le ministère de la culture ; sur d’autres travées, je vois Mme Jouanno, qui a également exercé des responsabilités ministérielles. Je ne compte pas toutes celles qui viendront, n’anticipons pas !

Il s’agit donc bien d’une œuvre collective, voulue par les unes et les autres, que je me permettrai, avec humilité et sincérité, de saluer ici.

Dans cet hémicycle, certains hommes se sont aussi illustrés en défendant cette cause, et notamment Victor Hugo, qui siégeait à côté de la place que vous occupez, madame Assassi. Dans sa lettre à Léon Richer, il écrivait : « dès 1849, dans l’Assemblée nationale, je faisais éclater de rire la majorité réactionnaire en déclarant que le droit de l’homme avait pour corollaire le droit de la femme et le droit de l’enfant ». Devant la tombe de Louise Julien, il déclarait : « Le dix-huitième siècle a proclamé le droit de l’homme ; le dix-neuvième proclamera le droit de la femme. » Victor Hugo était optimiste ! (Sourires.) Soutenant Maria Deraismes, il disait aussi, en 1872 : « Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent : il faut qu’il cesse. » Ne l’oublions pas, entre les paroles de Victor Hugo à l’Assemblée nationale et l’apparition du droit de vote des femmes en France, un siècle s’est écoulé !

L’un de vos prédécesseurs, monsieur le président du Sénat, réunit un jour dans la cour d’honneur du Sénat les femmes maires. Quelle belle assemblée ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Il fit un discours remarquable. Il oublia simplement de dire que, durant de nombreuses décennies, le Sénat, en dépit de ses grandes qualités, s’opposa à ce que les femmes puissent exercer le droit de vote ! (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.)

Ce fut donc une longue histoire, qui n’est pas finie. Tout ce que vous avez dit, madame la ministre, comme les mots de nos trois rapporteurs et de madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, montre que nous avons encore beaucoup de travail à accomplir.

Je voulais simplement citer un fait, une phrase qui m’a frappé, celle d’un élu qui a déclaré après le vote de la récente loi sur le mode de scrutin dans les départements : « C’est la fin des départements ! » (Ah ! sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. Voyons de qui il s’agit !

M. André Reichardt. Qu’il se dénonce !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Cela nous changera des 14 % de femmes parmi les conseillers !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes chers collègues, ce jugement ne manque pas de nous faire réfléchir, parce qu’il sous-entend que le département, du moins l’assemblée départementale, ne sera plus comme avant une fois mis en œuvre ces changements. Eh oui ! Autant de femmes que d’hommes siégeront au sein de ces assemblées et la démographie sera mieux respectée, en raison des décisions du Conseil constitutionnel qui s’imposent, s’imposeraient et s’imposeront à toute majorité et à tout gouvernement, quel qu’il soit.

C’est une évolution positive, et je la défends ! Quelques conseils généraux, comme on dit encore, ne comptent qu’une ou deux femmes parmi leurs membres, et certains aucune !

Mmes Corinne Bouchoux et Michèle André. Ils sont trois !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cette situation ne reflète pas à la réalité de notre société. Nous avons beaucoup entendu ces mêmes discours. Aujourd’hui, pourtant, la parité est une réalité dans les conseils régionaux,…

Mme Éliane Assassi. Grâce à la proportionnelle !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … nous y sommes habitués. Elle va régner, grâce à une loi que nous avons récemment votée, dans les instances représentant les Français établis hors de France. Elle existe dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants et existera, bientôt, dans celles de plus de 1 000 habitants.

Lorsque je parcours les communes, j’entends ici ou là des craintes s’exprimer : va-t-on trouver assez de femmes ? Je remarque, au passage, que cette crainte existait déjà lorsque la parité s’appliquait dans les communes plus importantes. Je veux rassurer ceux qui s’inquiètent : des femmes se porteront candidates. À l’avenir, on trouvera cela normal, et cette évolution sera tout à fait légitime.

De la même manière, je tiens à saluer la loi du 31 janvier 2007, même si je n’ai pas souscrit à tous les aspects de celle-ci. (M. André Reichardt s’étonne.) Soyons objectifs, monsieur Reichardt !

Qu’il me soit permis de saluer l’arrivée de la parité dans les exécutifs locaux. Or que n’a-t-on pas entendu ?... On ne trouvera pas de femmes pour être adjointes, disaient certains. Finalement, dans tous les villages et toutes les communes, petites, moyennes et grandes, la République trouve des femmes candidates. Et c’est très bien ainsi !

En revanche, s’agissant d’autres élections, que je n’ai pas citées, je suis préoccupé par le système qui est le nôtre, et que je n’aime pas.

M. Muguette Dini. Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, ce système existe sans doute faute de mieux, mais je veux vraiment vous dire que je ne l’aime pas.

Il fut une époque, dont vous vous souvenez, mes chers collègues, où l’on pouvait payer pour ne pas faire son service militaire. Aujourd’hui, les partis politiques peuvent payer…

M. Michèle André. Oui, ils paient !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ou choisir de recevoir moins d’argent pour s’acheter le droit, si je puis dire, de ne pas respecter la parité.

Mme Nathalie Goulet. C’est bon pour le déficit !

M. Laurence Rossignol. Ils font ensuite des souscriptions !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait ! (Sourires.)

J’aimerais que l’on réfléchisse à la mise en place d’autres systèmes. Après tout, on a trouvé, pour nombre d’élections, des modes de scrutin garantissant la parité,…

M. Muguette Dini. Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … y compris pour les élections européennes. Dès lors, pourquoi cela ne serait-il pas possible pour l’ensemble des scrutins de ce pays, conformément d’ailleurs aux orientations inscrites dans la Constitution ?

M. Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour conclure, certains m’ont fait part de leurs inquiétudes concernant la parité dans les chambres d’agriculture : « Il va falloir trouver des femmes ! », m’a-t-on dit l’autre jour.

M. Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Elles y sont déjà !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ai alors répondu que j’avais rencontré, en parcourant les villages de ce département, de nombreuses femmes travaillant comme exploitantes ou salariées agricoles.

M. Nathalie Goulet. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Madame la ministre, vous avez raison de poser les règles avec ambition et réalisme pour parvenir à faire véritablement appliquer la parité. Certes, il y aura des réactions, des lourdeurs, des pesanteurs, mais vous œuvrez, nous en sommes sûrs, dans le bon sens, afin que notre société respecte tout simplement sa devise républicaine.

J’ai noté que vous aviez achevé votre propos liminaire en employant un terme très fort et très beau, qui fonde toute votre action : le mot « égalité. » C’est pourquoi les sénatrices et les sénateurs, très nombreux, je l’espère, auront à cœur de vous soutenir. (Applaudissements.)

(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il me soit d’emblée permis de vous dire la joie qui est la mienne d’être l’un des quatre hommes parmi les dix-sept orateurs inscrits dans la discussion générale sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Je remercie vivement le groupe UMP de la confiance qu’il a bien voulu m’accorder.

M. Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. André Reichardt. À chacun ses petits plaisirs ! (Sourires.)

Les hommes et les femmes sont égaux en droits, tels sont les termes de nos textes les plus fondamentaux.

Pourtant, force est de constater que des entorses à ce principe d’égalité sont commises tous les jours, que ce soit au travail, à la maison, à l’école, dans les médias, voire, selon certains, au Parlement. Alors que le traité de Rome comportait déjà en 1957 une disposition visant à lutter contre les différences salariales entre les hommes et les femmes et que, depuis 1972, pas moins de six lois ont été votées en France sur le sujet, les inégalités liées au sexe persistent dans la sphère professionnelle, sociale et politique. Comment sortir enfin des bonnes intentions pour arriver à cette égalité que nous recherchons, me semble-t-il, tous ?

Plusieurs constats sont aujourd’hui indéniables. Comme je viens de le souligner, de fortes inégalités professionnelles persistent. On parle d’égalité professionnelle et salariale depuis un demi-siècle. Or, d’après le rapport du Forum économique mondial de Davos de 2010, la France est classée au 127e rang sur 134 pays en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, derrière le Kenya et le Kazakhstan.

M. Michèle André. Bien sûr !

M. André Reichardt. On peut espérer que les choses aient changé depuis 2010, mais sans doute pas de manière radicale.

Malgré la volonté du législateur, l’égalité professionnelle n’est pas encore une orientation stratégique au sein de l’entreprise. On constate même, à certains égards, quelques signes de régression, comme si le processus de « rattrapage des inégalités » lancé dans les années 1960 était en panne.

Tout d’abord, les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois. Ensuite, à poste égal, les employeurs ont tendance à moins rémunérer les femmes, ainsi que cela a déjà été souligné. Enfin, lorsque celles-ci sont arrivées à un certain niveau, elles ne progressent plus et se heurtent encore à une sorte de « plafond de verre » : l’accès aux postes à responsabilité, notamment aux postes de direction, tant dans les entreprises privées que dans la fonction publique, est limité pour les femmes, en dépit de certaines mesures récentes, sur lesquelles je reviendrai.

De plus, les femmes connaissent un risque accru d’être des outsiders – je n’ai pas trouvé d’autre terme ! – sur le marché de l’emploi : à l’instar des jeunes, des seniors et des minorités, un certain nombre des femmes sont, on le sait bien, victimes d’un marché du travail « dual ».

En d’autres termes, les femmes sont souvent plus qualifiées, mais moins promues ; moins souvent employées dans des secteurs porteurs et moins souvent salariées à temps complet. Cette situation est certainement due au fait que la conciliation de la vie professionnelle et de la vie sociale ne se décline encore trop souvent qu’au féminin : à croire, comme cela a été relevé, que tout ce qui touche à la famille serait uniquement une affaire de femmes ! Et c’est un homme qui vous parle ! Il sait de quoi il parle ! (Sourires.)

Selon nous – c’est un élément important –, les femmes pourront pleinement investir le marché du travail quand notre vision de la parentalité aura évolué. Or je ne suis pas certain, madame la ministre, que votre texte apporte les bonnes réponses sur ce plan. Pourtant, il aurait fallu tenter de résoudre cette question, qui se situe au cœur du problème. Il en va de même hors de la sphère professionnelle, et des efforts restent également à poursuivre dans la sphère politique.

Nous avons déjà longuement évoqué cette question à l’occasion de la discussion du texte de circonstance relatif à l’élection des conseillers départementaux, qui a créé les binômes. Son objectif masqué – excusez-moi de vous le redire, madame la ministre ! – était de limiter la représentation des territoires ruraux, mais il a fini par donner la primauté à la parité, et non pas l’inverse ! (Exclamations au banc des commissions.) À cet égard, nous avions eu l’occasion de dire que, si la parité était une question légitime et un objectif à valeur constitutionnelle, elle ne devait pas non plus devenir une obsession.

Pour autant, la sphère politique n’est pas plus exemplaire que la sphère professionnelle.

M. Éliane Assassi. C’est clair !

M. André Reichardt. Selon le même classement publié par le Forum économique mondial précité, la France occuperait la 46e place sur 134 en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Sur le plan politique, serait en cause, nous dit-on, le recul des femmes occupant des fonctions ministérielles et leurs difficultés à atteindre les postes à responsabilité. Je laisse bien sûr aux auteurs de cette étude la responsabilité de leurs conclusions.

Pourtant, dans les faits, lorsque les hommes et les femmes gouvernent ensemble – permettez à un maire entré en fonctions quelque temps à peine après la mise en place de la parité pour les élections municipales de faire cette remarque ! –, la forte présence des femmes dans la vie politique change assurément des habitudes que l’on pensait indéracinables et permet de modifier en profondeur les représentations culturelles attachées à la perception de la femme dans la société.

Force est de constater qu’un changement en profondeur des mentalités est effectivement devenu incontournable en France, dans tous les pans de la société.

Plus généralement, la question de l’égalité dans l’entreprise et en politique renvoie à la place des femmes et des hommes au sein de cette société. Or nos stéréotypes perdurent, restent bien ancrés, véhiculés par la publicité et les médias, comme cela a également été souligné précédemment. Ces clichés contribuent d’ailleurs à figer la place des hommes et des femmes dans la société.

Pourtant, peut-on nier que l’égalité entre les sexes est aujourd’hui pleinement reconnue en droit ? À cet égard, la majorité précédente n’a absolument pas à rougir de son action.

Le gouvernement précédent, que nous avons soutenu, avait fait de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les violences conjugales des priorités nationales. Lors du quinquennat précédent, nous avons su défendre et promouvoir l’égalité des sexes. Grâce au travail de nos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx et Joëlle Garriaud-Maylam, nous avons, entre autres, imposé le seuil minimal de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés de plus de 500 salariés, d’ici à 2017.

Là encore, le volontarisme politique a permis de changer vraiment les choses : en trois ans, la part des femmes dans les conseils d’administration est passée de 11 % à 25 %. C’est d’ailleurs bien la réforme constitutionnelle de 2008 – nous étions alors aux manettes ! – qui a permis de faire de la parité dans la sphère professionnelle et sociale un principe constitutionnel.

Concernant les retraites des femmes, c’est également nous qui avons été à l’origine, dans le cadre de la réforme de 2010, de la prise en compte des indemnités journalières de maternité dans le calcul du montant de la retraite des mères de famille. Concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, la loi du 9 juillet 2010 a créé les ordonnances de protection permettant au juge des affaires familiales de prendre des mesures d’urgence pour protéger les femmes victimes de leur conjoint violent. Le succès de ce dispositif fut – et il l’est encore – particulièrement important, puisque plus de 2 600 ordonnances ont été délivrées en deux ans.

Par ailleurs, notre majorité a également permis la création de deux nouveaux délits : le délit de harcèlement au sein du couple pour prendre en compte les violences psychologiques ou morales et le délit de contrainte au mariage pour lutter contre les mariages forcés.

Certes, des inégalités persistent. Comme vous, madame la ministre, nous partageons la volonté d’aboutir à une réelle égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Comme vous, nous pensons que les violences physiques, morales ou sexuelles faites aux femmes constituent d’insupportables violations de la dignité humaine, qu’il convient de réprimer avec la plus grande fermeté.

Pourtant, le texte qui nous est aujourd’hui présenté, même s’il apporte quelques améliorations significatives, ne nous paraît pas de nature à répondre aux objectifs annoncés. Il ne nous semble pas être la loi-cadre dont vous nous parlez, madame la ministre.

En modifiant pas moins de huit codes, votre projet de loi, bien qu’empreint d’excellentes intentions, est un assemblage, pour ne pas dire un saupoudrage (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) de mesures imprécises et même, quelquefois, redondantes avec le droit existant.

M. Nathalie Goulet. Dommage ! Votre intervention commençait bien !

M. André Reichardt. Madame la ministre, votre objectif de promouvoir l’égalité professionnelle est fort louable, et nous y souscrivons. Reste que, en raison de l’absence, que j’ai déjà signalée, d’une réelle réflexion d’ensemble, votre projet de loi se borne à ajouter de nouveaux mécanismes de sanction, lesquels, de surcroît, me paraissent inutiles.

En particulier, la création d’un régime spécifique de la commande publique permettant d’interdire à toute entreprise qui ne respecte pas les obligations d’égalité professionnelle de soumissionner aux marchés publics n’est en aucun cas acceptable. D'ailleurs, les sanctions pénales, civiles et financières qui existent déjà sont bien plus dissuasives. Nous présenterons un amendement tendant à supprimer cette mesure pour la remplacer par un dispositif qui, à notre avis, serait bien plus efficace.

Quoi qu’il en soit, certaines dispositions du projet de loi nous semblent beaucoup plus graves encore : je veux parler de celles qui touchent à la réforme du congé parental.

En effet, votre réforme risque de se retourner injustement contre les mères de famille nombreuse, et souvent contre les plus modestes d’entre elles.

M. Roland Courteau. Tiens donc !

M. André Reichardt. Sans doute, inciter les pères à recourir davantage aux congés parentaux est une bonne initiative, mais cela ne doit pas se faire au risque de précariser les familles !

Madame la ministre, vous proposez de réserver au second parent six mois d’allocation de congé parental sur les trois ans possibles. Par voie de conséquence, de nombreuses mères de deux enfants ou plus se verront privées du droit de recevoir une allocation après que leur enfant aura atteint l’âge de deux ans et demi. Or non seulement cette disposition coercitive est loin d’être un progrès, mais elle touchera souvent les familles les plus modestes.

Comment imaginer que les femmes dont le conjoint est chef d’entreprise, commerçant, artisan ou exerce une profession libérale – il se trouve que je connais bien ces secteurs – pourront compter sur le père de leur enfant pour prendre vraiment les six derniers mois de congé parental ?

De fait, près de 80 % des mères de deux enfants ou plus utilisent leurs congés parentaux à plein temps. Pour toutes celles dont le conjoint ne pourra pas prendre de congé parental, votre projet, madame la ministre, entraînera une réduction importante de l’allocation, pourtant essentielle pour boucler le budget des familles.

Nous vous demandons donc d’écouter et d’entendre les craintes des associations familiales, qui nous ont fait part des inquiétudes que ce dispositif leur inspire.

Que deviendront les mères de famille qui, au bout de deux ans et demi, ne percevront plus la CLCA, leur mari ne pouvant pas la toucher parce qu’il est occupé ailleurs ? Ces femmes ne sauront pas quoi faire de leur enfant, alors même qu’elles devront reprendre leur activité professionnelle !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Donc, il ne faudrait rien changer ?

M. André Reichardt. L’école n’étant pas ouverte à leurs enfants, comment trouveront-elles des modes de garde ? Il me semble très important de penser à ces femmes !

Madame la ministre, comprenons-nous bien : nous ne sommes pas défavorables par principe à toutes les mesures que votre projet de loi comporte. Ainsi, la modification du régime de l’ordonnance sous protection, la généralisation du dispositif de télé-protection et la limitation du recours à la médiation pénale dans des cas de récidive nous semblent aller véritablement dans la bonne direction.

En revanche, nous regrettons que votre projet de loi ne se fonde pas sur une réflexion construite, qui prenne en compte les raisons pour lesquelles, malgré tous les dispositifs en vigueur et toutes les bonnes volontés, la situation n’a pas mieux évolué sur le plan de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, nous souhaitons rappeler au Gouvernement que l’égalité entre les sexes ne signifie pas l’indifférenciation de ces derniers. Le genre humain est fait d’hommes et de femmes, dont les rôles ne sont pas interchangeables ; l’égalité ne peut ni ne doit conduire à l’effacement de l’altérité !

Mme Catherine Tasca. Nous y voilà !

M. André Reichardt. Or nous craignons que ce projet de loi, comme celui qui était relatif au mariage entre personnes de même sexe, ne repose sur une idéologie sous-jacente : la théorie du genre, selon laquelle toutes les différences entre les sexes ne sont que des constructions sociales discriminantes. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Nier le fait biologique et affectif qui distingue les hommes et les femmes, c’est naturellement nier la réalité telle qu’elle est !

Madame la ministre, nous aurions aimé débattre d’un projet de loi qui s’attaque véritablement aux obstacles culturels à l’égalité, que nous souhaitons, comme vous, entre les hommes et les femmes.

Faute d’un tel projet de loi, nous nous sommes résolus à déposer divers amendements pour tenter de remédier, au moins, aux dispositions qui nous paraissent inacceptables, notamment la sanction des entreprises, interdites de soumissionner à la commande publique, et le partage du congé parental dans les conditions que j’ai décrites.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est du sort qui sera réservé à nos amendements que dépendra notre position sur l’ensemble du projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est bon que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes soit aujourd’hui à l’ordre du jour de nos débats ; c’est la preuve, s’il en était besoin, que les reculs, les retards et les écarts sont encore importants dans ce domaine.

Je souscris au constat dressé par beaucoup : le retard accumulé ces dernières années, voire le recul qui s’est produit nous placent aujourd’hui devant l’urgence de prendre des mesures pour assurer l’égalité.

Ce projet de loi est donc le bienvenu ; il nous paraît prendre en compte la réalité d’inégalités injustifiables entre les femmes et les hommes, en situation de travail et dans le cadre de la parentalité, mais aussi du point de vue des personnes, qui ont un rôle à jouer, non assigné, dans la société.

Pour autant, après avoir l’avoir étudié et avoir rencontré de nombreux spécialistes de la question, en particulier des responsables d’associations et les partenaires sociaux, nous regrettons que le projet de loi n’aille pas encore assez loin dans l’affirmation d’engagements pour le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes.

De fait, ce projet de loi n’est pas au niveau d’une loi-cadre englobant tous les champs dans lesquels une intervention est nécessaire. Je souhaite donc que les travaux du Sénat et la discussion des amendements continuent d’élargir les domaines couverts par le projet de loi, afin que l’on agisse partout où cela est possible pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes.

À cet égard, je signale que nous sommes assez d’accord avec les recommandations formulées la semaine dernière par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et avec les priorités qu’il désigne. Il serait utile que, grâce à ce projet de loi, la garantie des droits soit réalisée de manière effective et que l’application de ces droits soit favorisée. Il faut pour cela mettre en place les outils nécessaires, mais aussi mener, à tous les niveaux, un travail novateur dans le domaine de la lutte contre les stéréotypes.

S’il faut une véritable loi-cadre, c’est parce que, selon les mots de Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur – j’ajoute : entre l’homme et la femme –, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Cette politique d’égalité doit reposer sur un principe clair, être définie par un champ d’action précis et dotée d’une méthode reproductible, pour une mise en œuvre rapide et efficace permettant également d’être un vrai recours en cas de nécessité.

Plus concrètement, une enquête d’Ipsos commandée par le Secours populaire français et rendue publique il y a une semaine confirme que « les victimes de la pauvreté sont majoritairement des femmes » – à 56 % – et que celles-ci sont « touchées plus durement que les hommes » par les conséquences de celle-ci. C’est le cas notamment des mères célibataires, dont 62 % « ont éprouvé, au cours des douze derniers mois, des difficultés financières importantes pour se procurer une alimentation saine et équilibrée ».

Comment ne pas penser qu’une façon d’enrayer la précarité des femmes consiste à en finir avec les écarts de salaires entre les hommes et les femmes à poste équivalent, à garantir l’accès aux moyens de garde pour les enfants et à agir contre le temps partiel subi et contre la précarité ? C’est pourquoi la question de l’égalité professionnelle constitue l’une des premières préoccupations de nos concitoyens.

Le décret sanctionnant les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale hommes-femmes porte lentement ses fruits. En tout état de cause, depuis le début de cette année, quatre sociétés ont été sanctionnées financièrement pour non-respect de la parité. En outre, 400 entreprises ont été mises en demeure ; elles ont six mois pour se mettre en conformité, sous peine d’être sanctionnées par une pénalité pouvant représenter jusqu’à 1 % de leur masse salariale. Ces premières sanctions et les suivis qui vont être opérés annoncent-ils des changements vers une meilleure égalité salariale ? Nous le pensons et nous souhaitons que cette évolution se poursuive.

Des études montrent que, en 2011, quelque 79 % des femmes au foyer ont déjà exercé une activité professionnelle dans le passé, même d’une durée réduite. Elles font apparaître aussi que les raisons pour lesquelles ces femmes ont cessé leur activité ont sensiblement évolué en vingt ans. En effet, en 1991, 59 % des femmes au foyer déclaraient avoir cessé leur activité pour des raisons personnelles, tandis que, en 2011, elles ne sont plus que 21 % dans ce cas : la raison principale de la cessation d’activité est devenue la fin d’un contrat à durée déterminée, qui a concerné 35 % de ces femmes en 2011, contre 10 % en 1991.

On observe également que les femmes au foyer qui n’ont jamais travaillé sont moins diplômées et plus souvent mères de familles nombreuses. Nous en concluons que le congé parental éloigne les femmes du travail, quand elles en ont un, et favorise la décision d’un deuxième, voire d’un troisième enfant, ce qui recule le retour de ces femmes à l’emploi ou la réalisation d’un autre projet personnel, comme l’inscription à une formation professionnelle.

En 2011, 14 % des femmes âgées de 20 à 59 ans non étudiantes étaient des femmes au foyer, contre 24 % en 1991. Le nombre de femmes au foyer n’a donc cessé de diminuer, en raison principalement de la progression de l’activité féminine. Par ailleurs, le cliché de la femme au foyer a évolué en vingt ans : ces femmes sont aujourd’hui plus diplômées et, comme je viens de le souligner, leur cessation d’activité est plus souvent liée aux difficultés d’accès au marché du travail.

Les licenciements également occupent une place plus importante qu’il y a quelques années dans la cessation d’activité : ils sont impliqués dans 11 % des cas en 2011, contre 4 % en 1991. Ainsi, avec un passé professionnel davantage marqué par des CDD qu’auparavant, certaines femmes abandonnent l’espoir de retrouver un emploi et deviennent non actives sur le plan professionnel.

Les femmes les plus défavorisées sont aussi les moins diplômées, surtout avant 40 ans, qu’elles aient ou non des enfants. Ainsi, 23 % des femmes sans diplôme sont en temps partiel subi, contre 9 % des hommes dans le même cas. Les inégalités pour l’accès à l’emploi à temps plein sont encore plus fortes dans la population féminine que dans la population masculine.

Autre chiffre éloquent : le taux d’emploi des femmes ayant deux enfants est de 59,6 %, alors que celui des hommes dans la même situation est de 90 %.

Mes chers collègues, je vais faire appel à votre imaginaire. Quand un homme dit : « J’ai obtenu une augmentation parce que j’ai progressé dans mes fonctions et responsabilités professionnelles, je suis marié et installé dans une grande maison avec mon épouse et mes deux enfants », on l’admire, on le félicite, on envie les signes extérieurs et probants de sa réussite sociale, certainement bien méritée parce qu’il s’est beaucoup consacré à sa carrière professionnelle.

Seulement, si c’est une femme qui tient ces propos, on commence par lui demander comment elle fait pour y arriver avec des journées de vingt-quatre heures ; on se demande qui va tout gérer et qui, de l’emploi de cette femme ou de ses enfants, va pâtir de cette accumulation ; de surcroît, on parie sur un prochain burn out ou sur un « pétage de plombs » fatalement lié à la vie fatigante et contraignante des femmes. (Mmes Catherine Tasca et Laurence Rossignol acquiescent.) C’est peut-être une caricature, mais elle n’est pas tout à fait fictive !