Mme Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Eh non !

Mme Cécile Cukierman. Ces chiffres et cet exemple ont le mérite de souligner l’importance de ce que l’on appelle les rôles sociaux de sexe : les femmes, du fait de leur place dans la reproduction, seraient assignées par nature à jouer un rôle dans la sphère familiale, tandis que les hommes seraient assignés à agir dans la sphère publique, laissée de fait vacante.

C’est pourquoi il est crucial de lutter contre les stéréotypes – je sais, madame la ministre, que vous êtes attachée à ce combat.

Ces stéréotypes sont ancrés souvent depuis le plus jeune âge par les parents, mais aussi par les différentes personnes que les enfants rencontrent : professionnels, enseignants et enseignantes, éducateurs et éducatrices. Ils sont souvent renforcés par des remarques ou par des comportements involontaires, qui entraînent de l’inégalité sans que cet effet ait été consciemment recherché ; nous devons toutes et tous nous interroger sur ces comportements, et il est nécessaire de former les différents professionnels à cet égard.

Si l’on avance globalement sur l’idée que le pouvoir, la supériorité ou l’intelligence n’auraient pas de sexe, les chiffres à notre disposition indiquent bien que des freins, pas toujours identifiés comme étant le résultat de processus d’exclusion ou d’inégalité, perdurent.

Je ne reprendrai pas les chiffres, nous les connaissons. Chaque année, autour du 8 mars, ils font la une des journaux et, malheureusement, restent les mêmes, qu’il s’agisse de l’accès aux postes à responsabilité ou de décision dans le monde du travail, du nombre de femmes maires, députées ou sénatrices, du nombre de femmes à la tête de très grandes associations...

À cet égard, j’ai coutume de citer en exemple les associations de parents d’élèves, que je respecte par ailleurs : au sein des conseils de vie locale, les femmes ont une très large place, mais quand on monte au collège et au lycée, de très nombreux hommes apparaissent, qui pourtant étaient bien sûr les pères de leurs enfants depuis le début de la scolarisation de ces derniers !

Si nous sommes d’accord pour dire et penser que toute personne ne souhaite pas et ne peut pas devenir P-DG, ministre, pilote d’Airbus, infirmier, puériculteur ou couturier, l’enjeu est que, en revanche, toute personne qui le souhaite puisse y arriver sans entraves liées à son sexe. Lutter contre la précarité et la pauvreté est une exigence politique d’autant plus forte. Agir de cette façon, c’est aussi combattre les différentes inégalités.

Parmi les conditions favorisant l’émancipation des femmes et leur pleine participation à la vie économique et sociale dans les sphères publique et privé, il en est une majeure : ne pas exercer de violence à leur encontre.

La violence est, de manière générale, à bannir des comportements humains. Toutefois, il se trouve que les violences sont majoritairement exercées par les personnes de sexe masculin envers des personnes de sexe féminin. Quelque 75 000 femmes sont victimes de viol chaque année. Une femme meurt des coups de son conjoint tous les deux jours et demi, comme le rappelait Mme la rapporteur de la commission des affaires sociales. Et 38 % des femmes assassinées dans le monde l’ont été par leur partenaire. Une lutte implacable doit être menée et, comme nous y invite le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ce texte doit constituer une rupture sur le sujet.

Mes chers collègues, j’en appellerai une nouvelle fois à votre imaginaire : est-il possible de penser, de croire, d’entendre qu’une jeune fille qui a été violée ou battue « a laissé faire », ou même « l’a bien cherché » ? Qu’une femme harcelée au travail « le mérite » ou que tout cela n’est qu’une blague de potache censée mettre une bonne ambiance entre les salariés ? Qu’une autre, mariée de force, finira par trouver le bonheur auprès de son mari ? Tout travail de responsabilisation, tout dispositif d’alerte, de veille, de protection, tout renforcement de la coordination des actrices et acteurs de terrain sur ces questions est à valider car, plus jamais, nous ne devons entendre cela.

Il convient de détailler, dans ce chapitre 1er du titre III, les actions relatives à la protection des femmes victimes de violences, en comprenant bien ce que signifie ce terme, ce qu’il peut recouvrir comme diversité de cas et entraîner comme épreuves pour les victimes.

Il est à noter également combien il est important que les médias, la publicité et, plus largement, celles et ceux qui alimentent les discours, de plus en plus fréquents aujourd’hui, autour d’une émancipation féminine qui se ferait « grâce » au regard que les hommes portent sur les femmes prennent conscience que la dérive vers ce qui est appelé le « porno chic » peut favoriser des actes de violence d’hommes envers des femmes. Et s’il arrive que des actrices en jouent et en vivent, les effets de certaines de leurs déclarations peuvent êtres néfastes sur des personnes fragilisées et les amalgames malheureusement vite faits : une femme égale un objet.

Il ne s’agit pas pour nous de tomber dans la pruderie et de revenir à l’époque de la morale et de la censure ou à une hypocrite bienséance des comportements. Il s’agit de mesurer la portée de certains actes et de certaines paroles, d’autant plus lorsque ceux-ci sont véhiculés massivement.

Les femmes doivent oser. Elles sont de plus en plus nombreuses à faire la preuve de leur pleine capacité à assurer les responsabilités qui leur sont confiées, en démontrant qu’elles veulent non pas une guerre des sexes, mais le plein exercice de la démocratie, en étant à la place qu’elles sont en droit d’occuper en tant que moitié de l’humanité. Montrons donc l’exemple dans nos assemblées et gageons que ce nouveau projet de loi apportera une pierre supplémentaire, solide, à l’édifice de l’égalité. Pour notre part, nous y veillerons.

Madame la ministre, je l’ai dit, ces deux jours vont être riches. Nous avons, comme d’autres groupes, déposé de nombreux amendements. Nous souhaitons, bien évidemment, soutenir ce texte et lui donner une portée plus forte. Nous serons donc attentifs au sort qui sera réservé à nos propositions.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, notre objectif est bien, à l’issue de ce débat, d’envoyer à l’Assemblée nationale un texte qui affirme réellement cette volonté d’égalité entre les femmes et les hommes dans les différents champs de la société. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Madame la ministre, mes chers collègues, tout le monde l’a rappelé, l’histoire est longue, même très longue, et les quelques chiffres qui sont parfois exhibés pour nous démontrer que la situation s’améliore ressemblent, en réalité, à une bien pauvre aumône.

La réalité est malheureusement très simple, et elle a été rappelée à plusieurs reprises : dans le monde économique et politique, dans l’univers des médias, de la culture et du sport, au sein des syndicats aussi, le pouvoir est à plus de 80 % masculin – donc, à moins de 20 % féminin.

En revanche, pour ce qui est de la paupérisation des familles monoparentales, des violences sexuelles, de la prostitution, le rapport s’inverse. Plus grave encore, le recul nous menace ; nous défendons la parité et l’égalité, mais les nouvelles générations baignent dans un contexte culturel qui pourrait, dès le plus jeune âge, leur faire intégrer que l’inégalité est quasi naturelle.

Nous n’avons donc qu’un message à délivrer en priorité : ne nous résignons pas, la France n’est pas condamnée à conjuguer les droits de l’homme au masculin !

Madame la ministre, cette loi va dans le bon sens parce qu’elle est globale. Elle est pratique, concrète et, dans l’ensemble, nous la soutenons. Naturellement, cette introduction positive n’est pas un blanc-seing. Quelques sujets fâchent notre groupe – je pense tout particulièrement au congé parental, sur lequel Mme Muguette Dini reviendra sans doute –, et il en est d’autres sur lesquels nous aimerions aller plus loin. Ainsi, s’agissant des violences sexuelles, nous souhaiterions revenir sur cette éternelle question des délais de prescription. Muguette Dini y reviendra certainement aussi – vous connaissez sa constance sur ce point !

Toutefois, globalement, nous sommes ouverts. Nous sommes extrêmement favorables aux dispositions relatives aux familles monoparentales. À ce propos, il serait, à mon sens, utile qu’une loi entière soit consacrée à ces familles. Les règles qui nous régissent ont, en effet, été définies sur un modèle familial dit « classique », qui n’est plus adapté à la réalité actuelle. La contradiction existant entre cette réalité sociétale et les règles qui nous régissent poussent aujourd’hui de nombreuses familles dans la désespérance et la paupérisation. Ce serait donc faire œuvre utile que de parvenir à un accord sur ce sujet de société.

Je ne reviendrai pas sur les dispositions concernant l’objectif de parité, car je veux en venir tout de suite à trois sujets qui me tiennent à cœur, dont les deux premiers seront peut-être les plus délicats dans cet hémicycle.

Le premier concerne la reconnaissance des droits des personnes transgenres ou transsexuelles, et c’est bien d’égalité que je veux vous parler.

Parce que nos connaissances ont évolué, la transsexualité est une réalité. Être transsexuel n’est pas une maladie, pas plus que ce n’est un caprice. On ne choisit pas d’être femme, on est femme au-delà de son apparence. Cela vient d’être rappelé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les procédures actuelles de changement d’état civil plongent ces personnes dans un tel état de désespoir que, aujourd’hui, leur taux de suicide est considérable. Cela tient à notre procédure qui, vous le savez, est à 100 % médicalisée. Il suffirait de la modifier et de confier cette décision à la justice.

Je ne pense pas qu’il faille ouvrir un débat sur la théorie du genre ici, car je doute que nous parvenions à un consensus… Je défends simplement la cause de ces personnes oubliées parce que j’ai eu la chance de les rencontrer et parce que je suis libérale et place toujours l’individu au-dessus des conventions sociales. Je ne pense que l’égalité entre les hommes et les femmes – pardon, entre les femmes et les hommes ! – ne s’arrête pas à la porte des personnes transsexuelles ou transgenres : la loi, rien que la loi… mais pour tous !

Deuxième sujet délicat : la prostitution. Je précise que mes positions sont parfaitement distinctes de celles qui sont exprimées dans le rapport que Jean-Pierre Godefroy et moi-même rédigeons. Je suis abolitionniste, je le revendique, et ce que je découvre sur la prostitution au fil de l’élaboration de ce rapport ne fait que renforcer mes convictions.

Les personnes prostituées, il faut le dire dès l’abord, méritent notre respect. Il faut en parler autrement. Certaines ont fait le choix d’être prostituées, mais elles sont rares, et de plus en plus. La grande majorité est, en réalité, victime de réseaux de criminalité organisée, qui se jouent des règles européennes et font preuve d’une violence inouïe. Nous parlons d’un crime organisé qui est, à l’heure actuelle, le troisième business le plus rentable, après les armes et la drogue, et qui se développe à grande vitesse.

Les amendements que je défendrai visent simplement à inverser notre regard. Ces personnes, majoritairement des femmes, sont non pas des coupables, mais bien des victimes. Comme toutes victimes, elles doivent être protégées pour pouvoir dénoncer ces réseaux. Les clients ne sont pas des hommes bienveillants ou ignorants, ils sont indirectement complices de ces crimes.

Certains voudraient faire une distinction entre traite des êtres humains et prostitution. La réalité est que cette distinction fait le jeu des réseaux, et le grand pays des droits de l’homme qu’est le nôtre, qui va donner des leçons à travers le monde, ferait bien d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe sur son territoire, à quelques kilomètres à peine de cet hémicycle !

Troisième sujet prioritaire à mes yeux, sans doute le plus simple à évoquer : la lutte contre l’hyper-sexualisation.

Ce sujet a souvent été repris au cours des discours. Notre constat est que l’égalité est menacée par la banalisation de l’hyper-sexualisation et des codes de la pornographie. Peut-être que nous, en tant qu’adultes, ne le voyons pas, mais nos enfants baignent dans ce contexte. Que vous preniez les dessins animés, les jouets, les sites internet, les journaux pour jeunes filles, partout, vous retrouvez ces codes de l’hyper-sexualisation. Et quand je dis « partout », la liste est longue !

Je sais que le législateur n’est pas un moralisateur : nous n’avons pas à définir ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. En revanche, nous avons le devoir de traduire dans notre droit un principe international qui est celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il serait bon d’avoir, comme nous avons une Charte de l’environnement, une Charte de l’enfant.

Les concours de beauté d’enfants, les concours de « mini Miss », par exemple, ne me semblent en rien répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant. Aussi vous proposerai-je de les interdire purement et simplement, même si je sais que les modalités juridiques de cette mesure doivent être définies. Madame la ministre, je tiens d’ailleurs à cet égard à remercier votre cabinet, qui est toujours très disponible.

Mes chers collègues, ce débat sera très intéressant. Le pire serait la résignation face à ce que je définis bien comme un combat, monsieur Sueur. Il ne s’agit pas d’un combat personnel, même si nous avons pu parfois subir quelques quolibets. Nous n’avons pas ici, dans notre combat, à panser de blessures individuelles. Nous ne demandons pas l’aumône. C’est la République qui est un combat, et c’est pour cela que j’utilise ce terme, car il s’agit d’un combat pour l’égalité, d’un combat pour la méritocratie.

Dans un pays qui, aujourd’hui, ne cesse de chercher les moyens de renforcer ses richesses, notamment humaines, il est véritablement dommage de laisser sur le bord de la route autant de talents. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si, depuis des décennies, la situation des femmes dans la société française nourrit le débat politique et, il faut le reconnaître, a connu des bouleversements importants, les acquis demeurent malgré tout fragiles. Que ce soit à l’école, au travail, au sein du couple ou de la famille ou dans l’espace public, les inégalités liées au sexe persistent. C’est une réalité.

En matière d’égalité professionnelle, la France a progressivement mis en place une politique incitative et s’est dotée d’un arsenal législatif de plus en plus perfectionné. Pas moins de six lois ont été votées depuis 1972. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Ces lois ne sont pas appliquées, et les inégalités restent toujours profondément ancrées, si bien que l’on en oublierait presque que des textes ont été, un jour, adoptés. Ce projet de loi, ce énième texte, va-t-il enfin débloquer la situation ?

En juillet dernier, madame la ministre, vous vous étiez engagée à reprendre, par voie d’amendement, des éléments de l’Accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle conclu le 19 juin dernier. C’est chose faite. Je regrette seulement que de telles dispositions aient été introduites à la dernière minute, tout comme je regrette l’absence de mesures sur l’égalité salariale.

Certes, vous avez renforcé les pénalités qui pèsent sur les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Aujourd’hui, quatre entreprises ont été sanctionnées financièrement et quatre cents mises en demeure de se mettre en conformité avec la loi dans les six mois.

Les chiffres sont implacables : les femmes occupent 82 % des emplois à temps partiel ; elles sont surreprésentées dans les emplois précaires ; leurs salaires sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes et, à diplôme égal, elles accèdent moins aux postes à responsabilité que les hommes, en vertu du fameux « plafond de verre ».

Les raisons sont simples : la femme, lorsqu’elle devient mère, joue un rôle important dans l’éducation des enfants. Le plus souvent, c’est elle qui s’arrête de travailler pour les élever ; c’est encore elle qui s’occupe d’eux lorsqu’ils sont malades, qui aménage son temps de travail pour pouvoir aller les chercher à la crèche et s’en occuper le soir. En résumé, c’est elle qui met sa carrière entre parenthèses le temps que les enfants grandissent.

Or rien ne justifie a priori que ce soit elle plutôt que lui. L’égalité salariale, et plus généralement l’égalité professionnelle, ne peut se faire sans un partage des tâches domestiques, qui restent, aujourd’hui encore, une prérogative très majoritairement féminine.

Ces deux combats doivent être menés conjointement. Ils nécessitent de changer, dès le départ, les mentalités, d’augmenter l’offre de garde des jeunes enfants, de favoriser le télétravail, mais aussi – j’ai eu l’occasion de le dire au cours de nombreux débats au Sénat – d’inciter les entreprises à supprimer les nombreuses réunions programmées après dix-huit heures ou à développer leurs propres crèches.

Selon l’anthropologue Françoise Héritier, l’homme est représenté, depuis l’origine de l’humanité, comme une puissance dominante, image que nous reproduisons plus ou moins consciemment. Il est donc essentiel de combattre fermement ces stéréotypes et de reconnaître aux femmes la place qui leur revient dans notre société, la même – ni plus, ni moins – que celle des hommes.

C’est dans cet esprit, pour favoriser le retour des femmes vers l’emploi et rééquilibrer la répartition des responsabilités parentales au sein du couple, que le projet de loi a engagé la réforme du complément de libre choix d’activité. C’est une très bonne chose, dans la mesure où, à l’heure actuelle, le congé parental est pris à 97 % par les mères.

Pour autant, cette réforme soulève à mon sens plusieurs questions. Tout d’abord, la période de six mois destinée au deuxième parent, c’est-à-dire le père dans la très grande majorité des cas, n’est qu’une faculté et non une obligation. Or il est avéré que les lois, particulièrement celles qui concernent l’égalité entre les femmes et les hommes, sont inefficaces si elles ne sont pas contraignantes.

Actuellement, à partir du deuxième enfant, le complément de libre choix d’activité est versé jusqu’au mois précédent le troisième anniversaire de celui-ci. Désormais, la durée initiale du versement ne sera plus que de trente mois et il ne pourra être prolongé de six mois qu’à la condition que les deux parents y aient recours. Si le père ne souhaite pas prendre cette période de six mois, le couple en perdra donc le bénéfice. Dans ce cas, qu’adviendra-t-il des enfants ?

La question de leur accueil dans une structure se posera réellement. Ils seront trop jeunes pour entrer à l’école maternelle et les parents auront certainement des difficultés à trouver un mode de garde. Il est à craindre que les mères n’en seront les premières pénalisées. Attention : on ne peut, d’un côté, défendre le congé parental choisi et non subi, et, de l’autre, fragiliser les mères.

Enfin, alors que le projet de loi s’attache à impliquer les pères dès les premières années de la vie de l’enfant, les sénateurs du RDSE regrettent que ce texte n’aborde pas la question, particulièrement douloureuse, de la garde des enfants en cas de divorce ou de séparation parentale. En effet, malgré la loi du 4 mars 2002, qui encadre la résidence alternée, les enfants sont encore très majoritairement confiés à la mère, ici aussi sur la base d’un préjugé qui joue cette fois parfois en défaveur des hommes.

Dans de très nombreux cas, le juge privilégie les liens entre la mère et l’enfant, et ce au détriment du père. Si la justice ne doit pas pouvoir imposer la résidence alternée des enfants en cas de divorce, rien ne doit pouvoir l’empêcher, lorsque l’un des parents la demande. Il y a aussi, dans ce domaine, beaucoup de progrès à faire pour combattre les préjugés et tendre vers une égalité entre les hommes et les femmes ! C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement en ce sens. Mon groupe attend beaucoup, madame la ministre, de la réponse que vous nous apporterez.

En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et plus particulièrement les violences conjugales, je ne peux que me réjouir des différentes mesures prévues dans le projet de loi. Elles marquent, à mon sens, des avancées importantes. Mon groupe les soutiendra sans réserve.

J’en citerai quelques-unes : l’allongement de quatre à six mois de l’ordonnance de protection interdisant à un conjoint violent d’entrer en contact avec sa victime ; l’éviction du conjoint violent du logement du couple ; la généralisation du téléphone grand danger, qui permet aux femmes équipées d’avoir un accès prioritaire à la police ; ou encore la fin du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales.

Au cours de l’année 2011, 146 personnes, dont 122 femmes, sont décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Cette même année, 906 viols et 53 868 violences non mortelles ont été commis sur les femmes au sein du couple. Cette réalité insoutenable est inacceptable.

S’agissant du stage de sensibilisation, auquel nous préférons le terme de responsabilisation, nous vous proposerons de le rendre obligatoire en cas de récidive. Nous vous soumettrons également plusieurs amendements visant à renforcer la protection des femmes, et parfois des hommes, renvoyés à l’étranger contre leur gré, par leur famille, en vue d’y subir, outre le mariage forcé, de multiples violences physiques et psychologiques. Ces victimes vivent un véritable cauchemar.

Je tiens enfin à saluer la décision de Mme la rapporteur d’inscrire dès à présent dans la loi l’obligation de former les différents professionnels susceptibles d’intervenir dans la prévention et la détection des violences faites aux femmes.

Cette formation est indispensable pour que la victime puisse un jour se reconstruire. Les violences conjugales, tout particulièrement, ne doivent pas être traitées comme de simples violences et appellent non seulement une réponse judiciaire, mais aussi un traitement d’ensemble réunissant compréhension, accueil, protection et reconstruction de la victime.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Françoise Laborde. D’ailleurs, depuis 2003, les policiers et gendarmes qui le souhaitent peuvent déjà bénéficier d’une formation relative à l’accueil et à l’audition des femmes victimes de violences sexuelles. Cela leur permet de prendre conscience que leur rôle ne s’arrête pas à celui d’enquêteur et qu’ils doivent aussi tenir compte des besoins des victimes, de leur traumatisme, de leurs sentiments de honte, de culpabilité et de peur.

S’agissant, enfin, du volet parité de votre projet de loi – sujet ô combien passionnel ! – mon groupe estime qu’il est excessif de vouloir imposer une telle notion partout et à tout prix. Le texte va très loin et nous craignons, madame la ministre, que cela ne nuise à la cause que vous servez : trop de parité peut nuire à la parité ! Vous savez que plusieurs de mes collègues s’étonnent, par exemple, de l’absence de parité au sein de la magistrature, dont la promotion de 2012 compte 82 % de femmes.

Si la parité est un principe tout à fait louable, elle ne saurait être la référence ultime. Nous faisons tous le même constat : la moitié de la population française peine à accéder aux responsabilités, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales. Pour autant, la parité ne peut pas s’imposer au détriment du mérite. Nous devons nous demander si la sexualisation systématique est la meilleure solution. Les femmes doivent-elles, comme le demandait tout à l’heure notre collègue Virginie Klès, être condamnées à ne réussir que par la mise en place de quotas ?

Particulièrement attachés à la tradition républicaine de l’indifférenciation du citoyen, les radicaux souhaitent qu’hommes et femmes puissent exprimer leurs talents en vertu de leurs compétences et non de leur sexe.

Madame la ministre, vous aurez compris combien le RDSE sera attentif au débat qui va s’ouvrir, auquel il participera bien évidemment, et s’inquiétera du sort qui sera réservé à un certain nombre de ses amendements. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteurs, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, je citerai, pour commencer, quelques chiffres pris au hasard. Première sélection du Goncourt 2013 : 15 écrivains retenus, dont seulement 4 femmes ; site internet du Who’s Who : 21 450 notices biographiques consultables, seulement 3 054 femmes, pour 18 396 hommes. Ne parlons pas de la composition de nos deux chambres, qui compte seulement un quart de femmes ! C’est une telle assemblée qui débat aujourd’hui des inégalités entre les femmes et les hommes, et ce, j’y insiste, malgré la loi imposant la parité aux partis politiques. Qu’en serait-il sans cette loi ? Je me le demande !

Par exception, j’ai compté aujourd’hui, depuis le début de la séance, à peu près 23 femmes et 11 hommes. « Affaire de femmes, qu’il faut laisser aux femmes » ont dû se dire d’aucuns, ce qui explique sans doute le faible nombre de sénateurs hommes dans l’hémicycle.

Je vous le demande, quelles armes nous reste-t-il donc pour faire avancer l’égalité entre femmes et hommes ? Tout d’abord, la volonté de persuasion des femmes elles-mêmes, leur détermination à prendre toute leur place dans les partis, dans les entreprises et à l’université, mais aussi l’exemple donné par notre exécutif, qui est paritaire, et les projets de loi qu’il nous soumet, tel celui-ci, qui tendent simplement à rendre aux femmes leur dû et servent, à leur façon, une juste cause, portée par les femmes elles-mêmes depuis plus de deux siècles.

Il est un secteur que je connais un peu : c’est celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce lieu où se forment les élites. Même si elles sont majoritaires à l’entrée à l’université, les femmes continuent d’être minoritaires, et parfois lourdement, dans les filières les plus prestigieuses, donnant accès aux emplois supérieurs : disciplines scientifiques, grandes écoles, écoles d’ingénieurs. Elles sont moins nombreuses aussi dans les cursus longs, notamment le doctorat. Mêmes inégalités au sein des corps d’enseignants et de chercheurs : les femmes sont toujours minoritaires dans les disciplines scientifiques, mais aussi parmi les professeurs et les directeurs de recherche, toutes disciplines confondues.

Sans doute plus grave encore, parce que c’est là que s’élaborent les stratégies susceptibles de changer la donne, les femmes sont largement exclues des lieux de décision du système universitaire : présidences d’universités ou d’établissements de recherche, sièges aux conseils d’administration, directions de projets structurants, tels les Idex ou les Labex.

L’Union européenne produit tous les trois ans un document comparant la situation en ce domaine dans ses États membres. Le dernier, celui de 2009, souligne le retard français en la matière. Quant au tableau de bord de l’OCDE concernant la science, la technologie et l’industrie pour 2011, il n’est pas plus flatteur.

Je renvoie les amateurs de statistiques catastrophes aux chiffres publiés en 2012 par votre ministère, madame Vallaud-Belkacem, sur les inégalités entre les hommes et les femmes. Un coup d’œil furtif suffit pour être saisi par la leçon qu’ils donnent.

Nos aïeules féministes avaient pris leur destin en main pour obtenir leurs droits, y compris celui de voter. À nous de donner un nouveau coup de collier pour que nos lois n’en restent pas au stade des vœux pieux. Et pour que nous puissions être aux côtés des hommes, pour changer ensemble ce qui devrait l’être.

Je n’aime pas les dogmes. Dirais-je que je suis féministe ? Je ne sais trop. Je crois en tout cas au pouvoir des mots, lorsqu’ils mènent à l’action. « On ne naît pas femme, on le devient » : la phrase est célèbre, quoiqu’un peu galvaudée. Beaucoup la citent, y compris ceux qui n’ont pas lu Simone de Beauvoir. Elle n’en eut pas moins l’effet de la foudre sur la jeune adolescente que j’étais au début des années soixante dans mon Istanbul natal. Et pour cause : dans les familles juives bourgeoises, on s’ingéniait à donner aux filles l’éducation qui en ferait de bonnes épouses et des mères irréprochables.

J’aurais sans doute suivi ce destin-là si je n’avais un jour lu Le Deuxième Sexe, au lieu des Cronin, Guy des Cars et autres auteurs abrités par la bibliothèque de l’école congréganiste où j’étais élève. J’en ai été renvoyée : je lisais un livre dont le titre contenait le mot « sexe ». Vous imaginez ! Toujours est-il que mon existence allait être bouleversée.

On peut critiquer les écrits de Simone de Beauvoir. Pas cet appel à se construire.

L’égalité des femmes et des hommes se construit. Et certaines lois y contribuent, qui encouragent les femmes à se construire comme les égales des hommes. Sans que le féminin se confonde avec le masculin. En restant femmes, capables de se faire, de faire et d’aider celles qui ont du mal à se faire et à faire. C’est un combat – non une guerre – qui inclut la négociation, la diplomatie, le dialogue avec les hommes.

Une nouvelle rengaine court pourtant les rues, fort prisée par les opposants au mariage pour tous, dénigrant une prétendue « théorie » du genre. Depuis quand le genre est-il donc une « théorie » ? De quoi s’agit-il donc ? Le « genre » est un concept servant à l’analyse du poids des représentations culturelles dans la définition des rôles respectifs des hommes et des femmes dans nos sociétés. Les « études de genre » ne sont rien d’autre que ce qu’on appelait, il y a peu, « études sur les femmes » ou « études féministes ».

Absurdes pétitions, vains bavardages. Batailles d’arrière-garde pour défendre les stéréotypes qui emprisonnent les femmes dans la condition qui leur est dévolue par les hommes et par la société depuis la nuit des temps.

Les femmes enfantent. Il y a bien là assignation biologique. Là, mais pas au-delà. Le traditionnel partage des tâches, y compris les tâches domestiques ou d’éducation des enfants, ne doit rien à la nature, mais tout à des constructions culturelles qui, pendant ce temps, permettent aux hommes de faire carrière.

Certes, si les femmes gagnent du terrain, les hommes perdront un peu – mais un peu, seulement – de leur pouvoir. Il faut parfois savoir perdre pour gagner en démocratie ! Et n’oublions pas que les femmes aussi ont leurs minoritaires : étrangères immigrées, transgenres, personnes prostituées. Minorités de cette minorité que sont les femmes dans la perception de la gent masculine, même si elles représentent la moitié de l’humanité. Notre droit se doit de les protéger. À nous aussi, les femmes, de les aider et de ne pas les regarder avec mépris ou indifférence. Elles sont simplement nos sœurs, plus désavantagées encore.

Votre projet de loi, madame la ministre, ne les inclut pas. Dommage ! Car il aurait alors été plus audacieux. Le groupe EELV a déposé plusieurs amendements visant à garantir leur protection.

Toujours est-il que nous voterons votre texte, le considérant comme une étape importante dans la voie de l’égalité femmes-hommes, même s’il reste encore incomplet. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)