M. Alain Gournac. Je le crois !

M. Philippe Bas. Notre engagement public ne se divise pas. Nous y consacrons autant de temps personnel que de temps équivalent au temps professionnel. Nous ne sommes pas soumis à la législation sur la durée du travail. Nous ne sommes pas aux 35 heures ; nous aimons ce que nous faisons et le faisons sans compter. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.) C’est le seul privilège que nous revendiquons.

Les causes de l’antiparlementarisme ne résident d’ailleurs pas principalement dans le statut ou le comportement des élus, sauf dans des cas exceptionnels que nous savons dénoncer avec force. Elles résident plus sûrement dans le sentiment de l’impuissance publique, en particulier en matière de lutte contre l’insécurité, d’emploi, de pouvoir d’achat. Et telles sont les vraies urgences pour les Français !

Le présent projet de loi organique souffre, de surcroît, d’incohérences majeures.

S’il était adopté, un maire continuerait à se voir garantir par le code du travail, comme par le statut des fonctionnaires, de pouvoir exercer une activité professionnelle salariée à 75 % au moins de son temps de travail, soit vingt-huit heures. Il pourrait aussi bien poursuivre toute activité professionnelle indépendante, très prenante, mais il n’aurait le droit d’être ni député ni sénateur. Son activité privée serait donc mieux traitée qu’une activité publique. Et je ne parle pas des cumuls de mandats locaux qui permettent pourtant actuellement – le président Jacques Mézard l’a rappelé – à quelques élus de percevoir des indemnités plus élevées que celles d’un parlementaire et nullement réglementées. Or vous ne proposez aucune mesure sur ce point.

Quant au parlementaire, il continue à bénéficier du principe du libre exercice d’une profession dans les limites prévues par les incompatibilités récemment réexaminées par le Parlement. Il pourrait aussi exercer d’importantes responsabilités nationales dans un parti politique. On lui permettrait également d’assurer la présidence d’organismes nationaux : fédérations hospitalières, fédérations de logement social, Caisse des dépôts et consignations, Centre national de la fonction publique territoriale, UBIFRANCE. Mais il ne pourrait être ni maire d’une commune, fût-elle une commune de 200 habitants, ni vice-président d’un conseil général ni président de conseil régional.

L’on constate que, derrière l’apparente simplicité du projet du Gouvernement, se cachent la plus grande confusion intellectuelle – voilà la réflexion que l’on peut faire – et les plus grandes contradictions. Dans tous les cas, des activités pouvant être fortement rémunérées bénéficieraient d’un traitement privilégié par rapport à l’exercice de mandats publics au service des Français.

Sans parler d’hypocrisie ou d’imposture, on peut tout de même relever que ce projet de loi organique agite les symboles politiques sans traiter en profondeur les réalités. Les Français ne tarderont pas à s’en apercevoir. Gare aux effets boomerang ! C’est par ce genre de faux-semblants que l’on nourrit l’antiparlementarisme.

Nous ne souhaitons pas, par principe, différencier les sénateurs des députés. Nous souhaiterions même que des règles identiques continuent à leur être appliquées en matière d’incompatibilités, comme c’est le cas, non pas depuis toujours, mais tout de même depuis 1887.

C’est le Gouvernement et l’Assemblée nationale qui, par leur intransigeance sur des positions extrêmes – « révolutionnaires », avez-vous dit – nous imposent d’envisager cette solution.

Nous sommes cependant soucieux de donner toutes ses chances au maintien d’un régime de limitation des cumuls commun aux membres des deux assemblées. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à permettre l’exercice d’une fonction exécutive locale par les uns et par les autres. Cet amendement apporterait des restrictions importantes aux règles actuelles de cumul.

Seraient notamment englobées toutes les fonctions de maire et d’adjoint, de président et de vice-président d’une intercommunalité, de vice-président de conseil départemental et régional. Aucune de ces fonctions n’est actuellement prise en compte. Cela constituerait donc une évolution importante, en même temps acceptable du point de vue de nos institutions.

La seule différence avec le texte qui émane de l’Assemblée nationale résiderait dans la possibilité d’exercer l’une de ces fonctions tout en restant parlementaire.

Nous avons conscience que la majorité à l’Assemblée nationale, qui s’est clairement exprimée en faveur d’un choix plus radical, n’acceptera pas facilement la mesure que nous proposons par le biais de cet amendement, surtout si le Gouvernement ne l’approuve pas au Sénat. Mon groupe a cependant déposé cet amendement en signe de bonne volonté, pour inviter le Gouvernement à ne pas se montrer fermé et à rechercher un compromis raisonnable avec tous les groupes du Sénat.

Nous avons aussi conscience que cette option est la plus contraire au choix du Président de la République et au premier vote de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi nous proposerons un autre amendement visant à introduire une distinction entre députés et sénateurs en matière de cumuls et laissant l’Assemblée nationale adopter un régime plus restrictif pour les députés, si telle est sa volonté.

Si la France a choisi d’avoir un régime bicaméral, c’est dans l’intérêt d’une discussion parlementaire de qualité, pour élaborer de meilleures lois.

C’est aussi parce que, à côté de l’Assemblée nationale représentant directement le peuple, nous avons voulu avoir une assemblée démocratique représentant les territoires au travers de leurs collectivités et aussi, ne les oublions pas, les Français de l’étranger. Le lien entre les sénateurs et les territoires est donc inscrit au cœur de l’identité du Sénat. C’est l’article 24 de la Constitution : « Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République » et les Français de l’étranger. Comprenez que nous y soyons viscéralement attachés ! Notre légitimité en dépend. Pleinement parlementaires, nous sommes aussi maires parmi les maires, élus locaux parmi les élus locaux.

Ce qui n’est déjà pas souhaitable pour les députés serait donc inconcevable pour les sénateurs. Le bicamérisme n’est certes pas obligatoire : c’est une organisation constitutionnelle dont on peut débattre. Cependant, il n’a d’intérêt que si l’identité de chaque assemblée et son apport particulier sont respectés.

M. Bruno Retailleau. Bien sûr !

M. Philippe Bas. La différenciation que nous proposons est somme toute assez modeste : inéligibilités et incompatibilités resteront identiques. La seule différence, c'est que le député ne pourra exercer qu’un mandat délibératif local, comme l’Assemblée nationale l’a voulu, alors que le sénateur pourra détenir un mandat exécutif, comme nous souhaitons que le Sénat le décide.

Cette différenciation est justifiée par d’autres spécificités du Sénat, qui ont été rappelées par le président Mézard et sur lesquelles je ne reviens pas.

Monsieur le ministre, pour nous dissuader d’adopter cette solution, on nous dit parfois – comme vous l’avez d’ailleurs vous-même fait, et avec une certaine véhémence ! – qu’une différence supplémentaire, parmi tant d’autres, pourrait à terme conduire à une remise en cause du rôle du Sénat.

Pourtant, cette différence serait circonscrite à la seule possibilité pour les sénateurs d’exercer une fonction exécutive locale, ce qui n’est pas consubstantiel à la définition du statut commun des parlementaires héritée de la tradition républicaine et respecterait la vocation propre du Sénat.

Il y aurait dans cet argument de dissuasion une menace grave et inacceptable pour nos institutions. Comme nous sommes par construction indépendants et libres, nous sommes heureusement insensibles à ce genre de pression. Et nous le sommes d’autant plus que – faut-il le rappeler ? – aucune révision constitutionnelle ne peut se faire sans notre accord !

Avant de conclure, il me faut dire quelques mots de la procédure législative.

Plusieurs de nos collègues l’ont rappelé avec raison, le recours à la procédure accélérée pour un texte qui n’entrera en vigueur qu’à partir de 2017 n’est en rien justifié.

M. Ladislas Poniatowski. C’est incompréhensible !

M. Philippe Bas. Je considère même qu’il s’agit d’un abus de droit.

Le début de l’examen du présent texte s’est déroulé dans des conditions exécrables. Le rapport de M. Sutour a été examiné par la commission de manière improvisée.

Monsieur le ministre, vous nous dites que le Président de la République a annoncé cette réforme pendant sa campagne électorale, que cela fait longtemps que l’on en parle et que les positions des uns et des autres sont déjà connues. Soit ! Mais cela ne vaut pas dispense d’une délibération parlementaire approfondie. Ce type d’argument est très choquant et, pourtant, il ne cesse d’être invoqué, comme si certains pensaient que le Parlement est de trop et que le vote de la loi ne devrait plus être qu’une formalité, aussi vite expédiée qu’un conseil des ministres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

MM. Alain Gournac et Antoine Lefèvre. Très bien !

M. Philippe Bas. Le recours à la procédure accélérée n’est pas seulement une entrave au plein exercice des droits du Parlement. C’est aussi une manière de faire délibérer le Sénat sous la menace de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. C’est particulièrement choquant quand un projet concerne les sénateurs en même temps que les députés. Mais, en l’occurrence, ce serait de toute façon en pure perte que le Gouvernement ferait peser la menace, car son texte comporte déjà une disposition organique spécifique aux sénateurs.

Cette dernière concerne le remplacement des sénateurs qui sont élus au scrutin majoritaire et qui abandonneraient leur mandat parlementaire pour une fonction exécutive locale. Vous pourriez renoncer à cette disposition, mais, monsieur le ministre, vous ne le ferez pas : vous auriez trop peur que des élections partielles vous fassent perdre une majorité déjà courte et fragile au Sénat. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Mais il y a davantage : plusieurs amendements, dont l’un des nôtres, visent à définir un régime particulier d’incompatibilités pour les sénateurs. Si le Sénat devait voter en faveur de l’un de ces amendements, il va de soi que son adoption priverait le Gouvernement du droit de passer en force avec la complicité de l’Assemblée nationale, car in fine le texte aurait plus sûrement encore le caractère de loi organique relative au Sénat.

L’analyse juridique est simple. Je ne vous l’épargnerai pas, même si vous la connaissez bien, puisque vous y avez-vous-même fait référence : l’article L.O. 297 du code électoral, qui aligne jusqu’à présent l’intégralité du régime des incompatibilités des sénateurs sur celui des députés, ne peut entraîner l’application de nouvelles incompatibilités aux sénateurs par la seule volonté de l’Assemblée nationale,…

M. Philippe Bas. … si le Sénat décide le contraire par un vote modifiant cet article de loi organique relative au Sénat.

Sinon, la garantie du quatrième paragraphe de l’article 46 de la Constitution, ultime rempart des droits du Sénat, serait en réalité vidée de toute substance au mépris de la volonté des constituants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je rappelle les termes de cette disposition constitutionnelle : « Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. » C'est clair !

La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’application de cette disposition, quoique restrictive, ne saurait permettre à l’Assemblée nationale non seulement d’empêcher l’application aux sénateurs d’une disposition organique spécifique au Sénat qu’ils auraient adoptée, mais encore de leur imposer dans un même élan une disposition organique générale qu’ils auraient expressément refusée. Ce serait par trop contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution, qui a précisément entendu préserver les droits du Sénat sur toute question de nature organique le concernant spécifiquement.

L’article L.O. 297 du code précité n’est pas un chèque en blanc du Sénat pour l’éternité : il ne peut valoir a priori pour toute modification à venir du régime des incompatibilités. Adopté en 1985 dans sa forme actuelle pour un état donné de ces incompatibilités, il a été maintenu tel quel lors de modifications qui ont toutes été approuvées par le Sénat, sans que jamais le dernier mot ait été donné à l'Assemblée nationale. Ce serait la première fois qu’il permettrait l’application au Sénat de règles que celui-ci aurait rejetées pour lui-même.

Cette réalité juridique s’impose à tous. La portée de l’article 46 de la Constitution est d’ailleurs pleinement reconnue par le Gouvernement lui-même. Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois le 10 septembre dernier, vous avez tout à fait spontanément, et avec une grande honnêteté intellectuelle, énoncé sans détour et de la manière la plus claire l’interprétation qu’il convient de lui donner, en déclarant qu’un traitement différencié des sénateurs changerait la qualification juridique de la loi organique sur le cumul ; elle serait inévitablement considérée par le Conseil comme une décision relative au Sénat imposant un vote conforme des deux assemblées. Je ne doute pas que ce sera votre ligne de conduite ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Jacques Mézard et Nicolas Alfonsi applaudissent également.)

Il n’y a donc aucune ambiguïté : le dernier mot ne pourra revenir à l’Assemblée nationale si le Sénat différencie les règles nouvelles applicables aux mandats locaux des sénateurs par rapport à celles qui s’appliqueraient aux députés. Aucune autre lecture de la Constitution n’est recevable.

C’est dire que nous allons délibérer dans le plein exercice de nos prérogatives parlementaires, dans une égalité totale avec l’Assemblée nationale. Si celle-ci devait modifier ou supprimer une disposition de loi organique relative au Sénat que nous aurions adoptée, nous devrions nécessairement nous prononcer de nouveau pour parvenir à une rédaction commune. Et nous le ferions avec cet état d’esprit constructif que j’ai rappelé en commençant cette intervention ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Monsieur le ministre, vous avez dit votre fierté de présenter le présent projet au Parlement. C'est aussi avec fierté, certains de servir notre idéal républicain, que nous nous y opposons !

D’ailleurs, comme toutes les grandes personnalités politiques de notre pays, vous avez su concilier vos mandats de député, de responsable d’un important parti politique et de maire d’une grande ville – d’autres, vous l’avez rappelé, étaient présidents de conseil général. Ni eux ni vous n’exprimiez alors aucune espèce de contrition, ni le moindre remords. Vous ne donniez pas non plus de signe public d’épuisement (Sourires sur les travées de l'UMP.) ; vous manifestiez, au contraire, beaucoup d’enthousiasme pour l’exercice de vos mandats complémentaires, et vos électeurs vous suivaient.

Puissiez-vous aujourd’hui retrouver cet enthousiasme : nous sommes nombreux à le partager dans la passion du service des Français ! (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent vivement l’orateur. – Mmes et MM. les sénateurs de l’UDI-UC, ainsi que M. Jacques Mézard, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Marques de curiosité amusée sur les travées de l'UMP.)

M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui est le point d’orgue d’une longue succession d’échanges, de débats, de confrontations plus ou moins polémiques, de sondages et d’articles de presse ou de reportages.

La relecture de toutes ces prises de positions, que ce soit celles d’éditorialistes, de responsables politiques, d’élus, de juristes ou de constitutionalistes, montre à l’évidence que l’interdiction de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat exécutif local est, contrairement à ce que l’on dit, loin de faire l’unanimité.

On cite sans cesse des sondages, mais l’opinion publique n’est pas aussi unanime que l’on veut bien le penser : elle est en majorité favorable à une interdiction générale du cumul, sauf si cela doit concerner son sénateur-maire ou son député-maire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.) Mes collègues le savent bien !

Il est donc tout à fait naturel que ces divergences se retrouvent à l’intérieur du groupe socialiste. Vous l’avez d’ailleurs constaté en écoutant le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, dont je salue le travail, et le rapporteur du texte, Simon Sutour, tous deux membres du groupe socialiste. Ils sont favorables à l’interdiction du cumul, mais d’autres membres de mon groupe y sont opposés.

M. Bruno Retailleau. Et pas des moindres !

M. François Rebsamen. Nous en avons débattu sereinement, ce qui rompt avec l’image quelque peu monolithique que l’on donne toujours du groupe socialiste, avec sincérité et dans le respect des arguments et des convictions de chacun. Car le sujet est d’importance, puisqu’il touche au fonctionnement de nos institutions.

Ma conviction est connue : je considère que les sénateurs, élus par des élus à une immense majorité pour les représenter dans l’assemblée des collectivités territoriales de la République – c'est l’article 24 de la Constitution, dont il est inutile de rappeler les termes – doivent pouvoir cumuler un mandat exécutif local et leur mandat de parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. François Zocchetto applaudit également.)

Je n’évoquerai pas ici les députés, dont j’estime que, étant élus au suffrage universel et d’une autre manière que nous, il est logique et normal qu’ils ne puissent pas cumuler. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

En revanche, le cumul d’un mandat sénatorial avec un mandat exécutif local est pour moi une évidence. Je ne vois pas comment les grands électeurs, qui sont maires ou membres d’exécutifs locaux dans leur grande majorité, pourraient sereinement confier la mission de représenter les collectivités territoriales à un autre élu que l’un des leurs.

M. François Rebsamen. On peut objecter que la loi autorisera le cumul avec un mandat de simple conseiller municipal, général ou régional. Certes, mais ce n’est pas une fonction exécutive : ce n’est donc pas un mandat qui confère, me semble-t-il, l’expertise permettant aux parlementaires d’améliorer les textes législatifs à l’aune de leur expérience et de leur vécu.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !

M. François Rebsamen. On peut objecter aussi que le collège électoral des sénateurs confère à ces derniers leur légitimité de représentants des collectivités locales puisqu’il est composé d’élus locaux. C'est vrai, et c'est d’ailleurs la position défendue par le ministre de l’intérieur, que je salue. Mais ce serait mal connaître les maires de penser qu’ils envisageraient d’être représentés par des élus qui pourraient ne pas être, eux-mêmes, maires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

On nous dit également que le non-cumul permettra de revaloriser l’image des parlementaires auprès de l’opinion – vaste débat. Mes chers collègues, si c’était aussi simple…

M. François Rebsamen. Par ces temps de populisme et de démagogie, je crois que c’est malheureusement beaucoup plus compliqué !

M. Philippe Bas. Très bien !

M. François Rebsamen. En réalité, quand on interroge vraiment nos citoyens, pour eux, le cumul de mandats, c’est d’abord le cumul des indemnités. (Voilà ! sur les travées de l'UMP.) Il suffirait donc d’interdire ce cumul,…

M. Jean-Claude Lenoir. Pas de problème !

M. François Rebsamen. … qui, je le rappelle, est déjà écrêté. À ce propos, je vous signale que je voterai personnellement un amendement allant dans ce sens.

Les Français voient aussi dans le non-cumul une sorte de sanction à l’égard de la classe politique nationale, qu’ils tiennent malheureusement en bien piètre estime, alors que les élus locaux conservent parallèlement leur bonne image auprès d’eux – qu’ils cumulent ou pas, d’ailleurs.

On nous dit enfin que l’absentéisme serait dû au cumul de mandats.

M. Alain Gournac. C'est bien le contraire !

M. François Rebsamen. Comme vous le savez, la réalité dément bien souvent cet argument. Tous les sénateurs, y compris ceux qui cumulent, travaillent. Personne n’en doute.

Si la faculté de cumul est supprimée pour les sénateurs, nous devrons, à n’en pas douter, mener une réflexion institutionnelle sur notre bicamérisme et son évolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je ne prétends pas m'inspirer du modèle allemand puisque nous ne nous trouvons pas dans une République fédérale. Mais nous le constatons bien, d'autres possibilités existent pour assurer une représentation des collectivités.

Mes chers collègues, l’interdiction du cumul de mandats figure parmi les engagements pris par le Président de la République. Il est donc logique que le Gouvernement ait présenté un projet de loi organique allant en ce sens au Parlement, qui doit l’examiner.

Les députés ont voté cette interdiction. À titre personnel, je regrette qu’ils se soient autorisés à choisir et pour eux, et pour nous… (Sourires.) C’est maintenant au Sénat qu’il appartient de se déterminer, car le Parlement, dont fait partie la Haute Assemblée, délibère librement. L’avenir dira quelles conséquences aura cette rupture du lien local sur l’architecture de nos institutions.

Je pourrais demander pourquoi s’attaquer uniquement au cumul entre un mandat exécutif local et un mandat parlementaire. Je pourrais demander pourquoi passer sous silence le cumul dans le temps ou le cumul des fonctions. Je pourrais demander pourquoi la mesure proposée fait l’impasse sur un véritable statut de l’élu – malgré le beau travail effectué par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur au nom de la commission des lois –, qui devrait en être le corollaire. Je pourrais demander en quoi l’absence de « grands élus » affaiblirait le Sénat. Mais ces questions seraient considérées comme des manœuvres dilatoires...

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est ma conviction profonde que j’exprime devant vous en cet instant.

Je pense sincèrement que l’expertise du Sénat, reconnue et appréciée, la sagesse dont il fait preuve lorsqu’il apporte bien souvent des améliorations aux textes législatifs, en quelques mots, son rôle de législateur avisé, seraient affaiblis si, demain, le lien étroit que le cumul confère entre un exercice concret du pouvoir au niveau local et le travail législatif était coupé.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. François Rebsamen. Étant président de groupe, mon temps de parole s'imputera sur celui des autres intervenants de mon groupe. Je ne m'exprime aujourd’hui qu’en septième position et pour la première fois dans le calme, si bien que je m’autoriserai à dépasser quelque peu le laps de temps qui m’était imparti, monsieur le président. (MM. Baylet et Mézard approuvent)

Le bicamérisme ne se définit pas comme les pouvoirs des assemblées, mais comme leurs pouvoirs respectifs au sein du Parlement.

Je considère donc, pour ma part, qu’une telle disposition organique, si elle était adoptée en l’état par le Sénat, l’affaiblirait de facto par rapport à l’Assemblée nationale. Et cela, je ne le souhaite pas. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP, où fusent des « Bravos ! »)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de mon groupe vient de le rappeler à l'instant, limiter le cumul – l'« accumulation » serais-je tentée de dire – des mandats était un engagement de campagne du Président de la République. Que cet engagement se traduise en un projet de loi soumis au Parlement n’a rien d’une surprise.

Il était de toute façon nécessaire de légiférer sur le sujet et de nettoyer des tiroirs sans doute un peu trop poussiéreux. J’en veux pour preuve certains textes élaborés par la Haute Assemblée qui ne sont pas allés au bout de leur parcours législatif.

Le débat est passionné. Tant mieux ! La démocratie démontre ainsi toute sa vitalité. D’ailleurs une démocratie dans laquelle les décisions ne font pas l'objet de débats et sont votées à l'unanimité s'appelle plutôt une dictature…

En qualité de chef de file de mon groupe, je suis respectueuse de toutes les positions qui ont été exprimées, sans esprit dogmatique ni jugement péjoratif. Pas plus que je n’accuserai un non-cumulard – comme j’ai pu l'entendre ici et là dans les couloirs – de n’être qu’un candidat ayant perdu ou n’ayant pas gagné un autre mandat que celui qu’il détient, je n’affirmerai pas que les partisans d'un maintien argumenté d'une certaine forme de cumul sont crispés sur le passé.

À quelques exceptions près, tous et toutes nous partageons la volonté de rénover le Parlement et ses deux chambres caractérisées par leurs spécificités : le Sénat représentant des territoires et des collectivités territoriales, l’Assemblée nationale représentant les citoyens.

Quelques idées, du moins dans mon groupe, font consensus.

Tout d’abord, à la limitation du cumul des mandats est fortement associée l’interdiction du cumul des indemnités. Oui, sans doute faut-il interdire ce dernier et redonner à l'indemnité parlementaire sa réelle vocation : permettre à son bénéficiaire de vivre de façon autonome et indépendante, sans être soumis à des pressions, et non de s'enrichir à titre personnel, en accumulant diverses indemnités et en « gratouillant » partout afin d’en récupérer le plus possible.

Ensuite, un premier pas est fait vers l’intégration – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent – des mandats locaux exercés au nom d'une intercommunalité, reconnus comme des mandats locaux à part entière puisque leurs détenteurs sont soumis à l'interdiction du cumul avec les mandats parlementaires.

Par ailleurs, la volonté apparaît de préserver la spécificité de la représentation des territoires par le Sénat, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas toujours partagés.

Enfin, la volonté d'améliorer la qualité du travail du Sénat, d'éviter des conflits d'intérêts et, peut-être, une gestion trop prégnante des dossiers locaux à l’échelon national sont des idées largement défendues au sein de mon groupe. Là encore, les moyens pour y parvenir ne sont pas forcément partagés.

J’en arrive à un sujet, déjà largement évoqué à cette tribune, qui suscite des vives craintes et des débats : la perte du lien avec le terrain. Ce lien devrait-il se réduire à celui qui se noue lors des comices agricoles ou des inaugurations ? Ce n’est pas au cours de telles manifestations que l'on apprend le plus sur les difficultés rencontrées par les collectivités, sur les conséquences de l'application des lois que nous votons dans cet hémicycle ou de l’exercice de nouvelles compétences, etc.

Une incompréhension et une inquiétude demeurent : pourquoi placer sur un pied d’égalité les fonctions de conseiller municipal, régional, général et, demain, départemental ? Ce serait méconnaître les différences qui existent entre mandat local et mandat national. Un mandat de conseiller général n’a pas grand-chose à voir avec un mandat de conseiller municipal, qu’il s'agisse d'une commune de 100 000 habitants ou de 250 habitants.

Une autre question soulève de grands débats : le non-cumul des mandats, tel qu’il nous est proposé, règlera-t-il vraiment le problème de l'absentéisme ?