Mme Virginie Klès. Au contraire, les sénateurs qui ne seront plus membres d’un exécutif local ne souffriront-ils pas d'un déficit d'image, si bien que, pour le combler, ils seront obligés d'être encore plus présents sur le terrain ?

M. Yves Daudigny. Excellente question !

Mme Virginie Klès. Par ailleurs, voici ce qui aurait pu être fait en amont de la présentation de ce texte, et qui aurait sans doute été de nature à apaiser le débat : s'attaquer aussi au problème de l'accumulation des mandats locaux. Ces cumuls horizontaux heurtent peut-être davantage les parlementaires que nous sommes que les citoyens, qui en voient moins les conséquences.

Il aurait également convenu d'anticiper plus en amont les conséquences du présent projet de loi organique et de réaliser, peut-être, une étude d'impact : l'interdiction de cumuler un mandat de maire d'une commune – quelle que soit sa taille – avec un mandat de parlementaire ne conduira-t-elle pas ces élus locaux à opter pour des mandats de conseiller général et régional, inversant l'équilibre de la représentation des territoires au sein de notre Haute Assemblée ? N’aurait-on pu apaiser ainsi un certain nombre des craintes qui ont été exprimées sur la mort programmée du Sénat ?

En tout état de cause, que le texte finalement adopté soit celui qui a été voté par l’Assemblée nationale, celui qui sera voté par le Sénat ou encore un texte de consensus, il faudra en suivre les évolutions. La féminisation des fonctions, dont nous avons parlé hier dans cette enceinte lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – je constate que les hommes étaient d’ailleurs beaucoup moins nombreux – évoluera-t-elle positivement ? Qu’en sera-t-il de l'absentéisme ? La qualité du travail s'améliorera-t-elle ? Surtout, les relations entre le Sénat et l’Assemblée nationale se caractériseront-elles par un dialogue renouvelé qui contribuera à une véritable modernisation du Parlement ?

Tous les membres de mon groupe n’ont pas encore arrêté leur position ; leur vote dépendra de l'évolution du texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la crise économique que nous traversons depuis plusieurs années, s’ajoute une crise de la démocratie représentative sans précédent.

Le sentiment de défiance des citoyens envers leurs élus n’a jamais été aussi prégnant. Et n’oublions pas un sentiment d’éloignement, voire d’abandon. Ce rejet s’accompagne d’une profonde interrogation sur l’efficacité de nos institutions et sur notre rôle de parlementaire.

Pour contrer ce ressentiment, il nous faut répondre aux aspirations légitimes de nos concitoyens à plus de transparence, de représentativité et d’égalité.

Tout d’abord, je peux l’affirmer sans me tromper, nos assemblées sont loin de ressembler à la société qu’elles représentent ; plus grave encore, nous apprenons que 80 % des Français estiment que nous formons une caste qui s’arc-boute sur ses privilèges.

Le présent projet de loi organique donnera un souffle nouveau à notre démocratie en permettant, n’en doutons pas, l’entrée dans notre hémicycle d’un plus grand nombre de femmes, encore trop largement minoritaires, de jeunes, d’ouvriers, d’employés ou de Français issus de l’immigration, ces dernières catégories de personnes en étant magistralement absentes …

Mme Mireille Schurch. À cet égard, et ce fait est reconnu par tous aujourd’hui, la loi sur la parité est très bénéfique là où elle s’applique. Pourtant, que n’a-t-on pas entendu lors de son examen ! Je constate que nous avons ici une bonne marge de progression.

Le présent projet de loi organique conduira à diversifier la classe politique : est-ce cela qui inquiète ? Je pense au contraire que la diversité des parcours passés, personnels, professionnels ou électifs des uns et des autres enrichira nos débats, apportera des idées neuves. Pour les sénateurs de mon groupe, la démocratie implique non un super-professionnalisme des élus, mais une hétérogénéité d’expériences qui fonde leur légitimité et leur force. Sans cela, c’est la démocratie que l’on continue de blesser, au mépris du peuple souverain.

Doit-on considérer qu’un parlementaire n’exerçant pas de mandat exécutif local serait moins bon qu’un autre qui ne se dédie qu’à sa mission législative nationale ? C’est un propos que l’on entend depuis le début de l’après-midi. Ce serait faire insulte à certains de nos éminents collègues, puisque 23 % des sénateurs n’exercent pas d’autre mandat et 40 % aucune fonction exécutive locale.

Pourquoi les parlementaires seraient-ils déconnectés des réalités locales ? Ils ont déjà acquis une bonne connaissance du terrain avant d’accéder à un mandat national. Cette expérience nécessaire d’élu local ne peut, bien évidemment, être contestée pour les sénateurs.

Toutefois, selon le principe de subsidiarité, point n’est besoin d’un mandat national pour répondre aux problématiques du terrain : l’école, les services publics, les infrastructures, le développement économique, les réseaux. En effet, et nous le savons bien, deux autorités de niveaux différents n’ont pas à prendre en considération les mêmes problèmes. Ainsi, les questions de politique nationale ne sont pas de la compétence des collectivités locales.

Si nous devenons tous des élus nationaux sans mandat exécutif local, nous allons en effet devoir réfléchir aux moyens de mieux affirmer notre présence dans nos départements et mieux relayer notre travail parlementaire.

Mme Mireille Schurch. Nous pourrons également réfléchir à la création de passerelles nouvelles, par exemple avec le Conseil économique, social et environnemental, dont la fonction a évolué et qui se prononce de plus en plus sur les sujets qui intéressent les parlementaires.

Nos concitoyens, mais aussi le monde syndical, associatif, économique, les élus locaux attendent de notre part plus de proximité et d’échanges. Ce texte organique ouvrira des pistes nouvelles de réflexion qui conduiront, j’en suis sûre, à revaloriser le rôle du parlementaire. Nul motif d’inquiétude pour nous.

Nous devons aussi répondre à l’aspiration à plus d’égalité de nos concitoyens. Pour les sénateurs de mon groupe, faire le choix du cumul des mandats, c’est maintenir un système profondément inégalitaire.

En effet, les maires de villes comparables n’ont pas le même pouvoir ni, d'ailleurs, les mêmes moyens selon qu’ils sont ou non parlementaires. En outre, cette inégalité se constate sur un autre terrain : celui de la représentation égale des citoyens. Par le biais du cumul des mandats, certains citoyens sont mieux représentés que d’autres. Or nous sommes élus pour participer à la détermination de la politique nationale, à la formation de la volonté générale, et non pour nous transformer en « VRP » de tel ou tel territoire.

Mme Mireille Schurch. À cet égard, le débat sur l’acte III de la décentralisation a illustré de façon bien regrettable cette logique poussée à l’extrême : les territoires étaient mis en concurrence, chacun défendait sa ville, sa métropole, le regard national a été biaisé par la confusion des genres.

Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !

Mme Mireille Schurch. Répondre à cette exigence forte de rénovation de la démocratie implique également que les parlementaires aient du temps pour s’occuper de la chose publique.

Notre mission première, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et, aujourd’hui, évaluer les politiques publiques, requiert du temps.

Les sujets dont nous avons à connaître sont variés, complexes et techniques ; ils sont le reflet non seulement de notre société, mais aussi de la multiplication des sources du droit, qu’elles soient européennes, voire internationales, ou encore d’autres contraintes dans lesquelles notre action est enserrée.

Alors que notre société est celle de la vitesse, que le temps se monnaye, nous devons prendre la mesure de la chance qui nous sera offerte par le présent projet de loi organique. Les hommes et les femmes politiques ont besoin de leur temps, de tout leur temps !

Cette remarque vaut aussi pour les élus locaux. En effet, les lois successives de décentralisation ont changé la morphologie de notre pays et les missions de ces élus. Le mandat local exige des arbitrages constants et une présence à plein temps. L’exercice de mandats locaux, tels qu’ils existent aujourd’hui, ne laisse que peu de temps aux parlementaires qui les détiennent.

Cette question du temps n’est pas anodine, car c’est seulement en ayant du temps à disposition que les parlementaires pourront faire du Parlement un véritable pouvoir au sens où l’entendait Montesquieu : un pouvoir qui arrête le pouvoir, un pouvoir qui éclaire et conseille les autres pouvoirs.

Ce projet de loi organique traduit selon nous le renouveau dont le Parlement et la classe politique tout entière ont besoin. C’est aussi la condition du contrat social.

Si nous comprenons les inquiétudes des uns, car ce texte aura un impact dès les prochaines élections municipales, aucune fausse bonne raison n’est aujourd’hui acceptable, aucune fausse bonne raison ne serait comprise par nos concitoyens. La pétition contre le cumul de mandats qui circule depuis le rejet de ce texte par la commission des lois a déjà recueilli plus de 100 000 signatures !

Il s’agit non pas de convaincre, mais de faire preuve de volonté et de courage. Selon nous, aucune hésitation n’est permise. La mise en application de ce projet de loi organique constitue l’opportunité de repenser notre action tant ici au Sénat que dans nos départements, de privilégier le travail en équipe et en réseau. Nous gagnerons en efficacité et en lisibilité ; le travail parlementaire, j’en suis sûre, en sortira grandi.

Cet acte politique majeur est, je le souhaite, la première étape indispensable pour redonner du sens à notre démocratie, du sens et de la noblesse au politique, et pour restaurer la confiance de nos concitoyens.

Bien sûr, il appelle d’autres dispositions, que vous aurez sans doute à cœur de nous présenter, monsieur le ministre, telles que la limitation du cumul des mandats dans le temps, le statut de l’élu, l’interdiction de cumuler des indemnités – tout cela a été dit. Mais il est attendu par nos concitoyens, et nous leur devons une réponse claire et unanime, tant le climat politique devient délétère. L’inverse aurait un effet dévastateur.

C’est pourquoi, après un débat que nous souhaitons fructueux et respectueux dans notre hémicycle, comme nous en avons l’habitude, nous appelons de nos vœux l’adoption de ce texte. Le groupe communiste républicain et citoyen votera unanimement en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord regretter que le texte qui nous est présenté soit examiné, une fois de plus, après engagement de la procédure accélérée, tant décriée par la gauche lorsqu’elle était dans l’opposition et qui, aujourd'hui, l’accepte sans broncher. Peut-être la gauche s’habitue-t-elle à ces méthodes, le recours à cette procédure étant désormais quasi permanent…

En l’espèce, je m’étonne toutefois d’une telle pratique dans la mesure où il n’y a aucune urgence dans les faits. En effet, au mépris, d’ailleurs, des engagements du Président de la République et du Premier ministre, vous avez décidé, monsieur le ministre, de n’appliquer le texte qui nous est soumis qu’en 2017, c'est-à-dire dans quatre ans. Vous l’avouerez, c’est pour le moins curieux ! Vos prédécesseurs confrontés au problème du cumul des mandats, pourtant socialistes, avaient eu plus d’égards envers le Sénat puisque les textes examinés en 1985 et en 2000 avaient fait l’objet respectivement de deux et de trois lectures

En réalité, et vous l’avez clairement dit dans votre propos, vous voulez une fois de plus écourter le débat et donner au plus vite le dernier mot à l’Assemblée nationale, sans vous soucier du point de vue du Sénat. Une fois de plus, le Gouvernement témoigne de son mépris pour la Haute Assemblée, dans la droite ligne des propos de Lionel Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique ».

Monsieur le président du Sénat, vous êtes le garant des prérogatives de la Haute Assemblée. Je m’étonne que vous tolériez cela, vous qui déclariez, lors de votre élection, votre volonté « que notre assemblée soit confortée dans ses prérogatives, restaurée dans son rôle de représentant des élus locaux et des territoires, rénovée dans son mode de fonctionnement ».

M. Yves Détraigne. Très bien !

M. Hervé Maurey. Les amitiés politiques ne doivent pas vous conduire à laisser ainsi piétiner notre institution !

Sur le fond, le présent projet de loi organique a au moins un avantage : il va conduire les socialistes à mettre en 2017 leurs actes en conformité avec l’engagement pris huit ans plus tôt, en 2009, selon lequel tout élu à une élection parlementaire abandonnera ses mandats exécutifs locaux dans les trois mois. Cet engagement, pourtant rappelé par Mme Aubry, n’a pas, semble-t-il, été entendu si j’en crois le palmarès établi par le magazine L’Express, qui atteste que les plus grands cumulards sont à gauche ! Je n’oublie pas non plus la situation de certains collègues qui siègent sur la gauche de cet hémicycle…

Le parti socialiste nous demande donc de légiférer pour que ses élus respectent leurs engagements, soit ! Mais vous conviendrez que c’est un peu court.

Alors, pour justifier cette réforme, vous nous indiquez, monsieur le ministre, qu’il s’agit de tirer les conséquences de la décentralisation. Mais si tel était vraiment le cas, vous proposeriez la mise en place, tant attendue, d’un statut de l’élu local, qui est dans la droite ligne de la décentralisation ! Et vous ne baisseriez pas les dotations des collectivités locales pour la première fois de notre histoire ! Vous n’imposeriez pas sans aucune concertation une réforme des rythmes scolaires qui leur pose de graves problèmes en termes de financement et d’organisation ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Oui, je comprends que cette remarque vous gêne ! Vous n’imposeriez pas sans arrêt de nouvelles normes aux collectivités. Bref, cet argument ne tient pas !

Toujours selon vous, monsieur le ministre, le texte serait également destiné à renforcer les droits du Parlement. Il est vrai que ceux-ci en ont bien besoin, et la manière dont vous nous traitez aujourd'hui encore en témoigne. Nous sommes bien loin des engagements du Président de la République sur ce sujet. Toutefois, ce que vous proposez ne renforcera en rien les droits du Parlement, pas plus d’ailleurs qu’il ne permettra le renouvellement de la classe politique – j’y reviendrai tout à l’heure.

Enfin, vous nous expliquez que le présent texte organique répond aux attentes de nos concitoyens. Je crois qu’aujourd’hui les Françaises et les Français ont malheureusement d’autres attentes…

M. Manuel Valls, ministre. Bien sûr !

M. Hervé Maurey. Le chômage devait baisser en 2013, les augmentations d’impôt ne devaient toucher que les riches ; vous vous faisiez fort de rétablir la sécurité. Certes, il est plus difficile de répondre à ces préoccupations qu’à la prétendue volonté de nos concitoyens de lutter contre le cumul.

M. Michel Vergoz. Arrêtez la polémique !

M. Hervé Maurey. Le texte que vous nous présentez est donc, avant tout, destiné à répondre au populisme et à l’antiparlementarisme ambiants et, par là même, à les encourager.

L’opinion publique est opposée au cumul, alors, supprimons le cumul : cela s’appelle ni plus ni moins de la démagogie !

Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est non pas la suppression du cumul des mandats, mais la modernisation de la vie politique, ce qui n’est pas la même chose. Or votre texte ne permettra pas cette modernisation, car il n’aborde que la question du cumul, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg.

En réalité, vous nous proposez un texte qui réussit à être à la fois insuffisant dans son étendue et, sans doute pour tenter de compenser cette insuffisance, excessif dans sa portée.

Je voudrais le rappeler, pour ce qui me concerne, je suis favorable à ce que l’on aille plus loin dans la limite du cumul et que l’on clarifie les règles existantes. Il n’est pas normal que les présidences d’EPCI ne soient pas concernées par l’interdiction de cumul, alors que les fonctions de conseiller municipal de communes de plus de 3 500 habitants le sont.

Je vous rappelle que j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’interdiction avait été adoptée pour les EPCI de plus de 30 000 habitants. C’était un premier pas qui, malheureusement, n’a pas franchi le barrage de l’Assemblée nationale. Je ne me souviens pas, d’ailleurs, avoir été beaucoup soutenu à l’époque par mes collègues siégeant sur les travées situées sur la gauche de cet hémicycle …

Je suis donc favorable à un renforcement des textes existants, mais pas à une interdiction totale de tout cumul, comme vous le proposez.

Franchement, qui peut considérer que l’on ne peut pas être parlementaire et adjoint au maire d’une commune de 150 habitants ou vice-président d’un syndicat scolaire gérant une école primaire en milieu rural ? Personne !

Et si tel était le cas, si la fonction parlementaire exige un engagement à plein temps, pourquoi alors avoir permis dans le récent texte relatif à la transparence de la vie publique qu’elle puisse être cumulée avec une activité professionnelle ? Pourquoi pourrait-on être parlementaire et avocat et non parlementaire et élu local ? Cela montre bien, monsieur le ministre, à quel point vous êtes dans l’excès et dans la démagogie !

Dans le même temps, ce texte apparaît tout à fait insuffisant. Pourquoi le non-cumul ne concerne-t-il pas les grands élus locaux ? Pourquoi un parlementaire ne pourrait-il pas être adjoint au maire d’une petite commune quand un maire de grande ville pourra continuer à présider l’agglomération, à être vice-président du conseil général ou à présider divers syndicats ?

Je vous signale que dans le département dont je suis élu j’arrive, selon le classement d’un magazine national, loin derrière le maire du chef-lieu qui n’est pourtant pas parlementaire !

Votre projet est également insuffisant parce que si l’on veut moderniser la vie publique et renouveler la classe politique – ce que vous prétendez vouloir faire –, il faut limiter le nombre de mandats dans le temps, comme l’avait d’ailleurs décidé la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette disposition permettrait un véritable renouvellement de la classe politique.

À cet égard, l’exercice successif de trois mandats parlementaires me semble suffisant et c’est ce que propose le groupe UDI-UC.

Il faut également, comme c’est le cas dans les grandes démocraties, que les hauts fonctionnaires élus au Parlement démissionnent de la fonction publique.

M. Gérard Cornu. Tout à fait !

M. Hervé Maurey. Le projet de loi organique est encore insuffisant, car si l’on veut que les parlementaires ne soient que parlementaires, ils n’ont pas besoin d’être si nombreux. Si vous voulez renforcer le rôle du Parlement, il faut que les parlementaires disposent de plus de moyens pour travailler, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, et pour contrôler le Gouvernement. Cela n’est possible, vous le savez, que si l’on réduit leur nombre.

Enfin, ce texte est dangereux pour notre institution. Je vous rappelle que, en application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représente les collectivités locales. Comment pourrons-nous représenter les collectivités locales si, demain, aucun d’entre nous ne participe plus à un exécutif, même d’une petite commune ?

Vous me rétorquerez que l’on pourra toujours être conseiller municipal, mais vous savez très bien qu’un conseiller municipal demeure très éloigné de la gestion de la commune dont il est élu. Sur ce point, je partage tout à fait le point de vue du président du groupe socialiste.

J’ajoute, ce qui est rarement évoqué, qu’un sénateur, s’il n’est pas en charge d’un exécutif, contrairement à un député, est peu en contact avec les citoyens. Il l’est avec les élus, certes, mais pas avec les citoyens. Or si je connais les problèmes de mes concitoyens, …

Mme Hélène Lipietz. Parce que vous croyez les connaître ?

M. Hervé Maurey. … leurs difficultés en matière de logement, d’emploi, ou encore leurs difficultés de fin de mois, c’est parce que je suis maire ! Le jour où nous n’exercerons plus ces fonctions, nous serons totalement déconnectés des préoccupations de nos concitoyens et, par là même, des réalités du pays.

Mme Hélène Lipietz. N’importe quoi !

M. Hervé Maurey. Des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité des collectivités locales dont ils ont en charge la représentation ; des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité du pays et de leurs concitoyens, alors qu’ils doivent légiférer ; des sénateurs beaucoup moins présents sur le terrain, puisque vous avez obtenu que 75 % d’entre eux soient désormais élus au scrutin proportionnel et doivent ainsi plus leur élection aux partis politiques qu’aux grands électeurs : on le constate, le texte qui nous est proposé affaiblirait gravement notre institution.

M. Jean-Claude Lenoir. Ce que Lionel Jospin n’a pas réussi à faire !

M. Hervé Maurey. C’est peut-être d’ailleurs ce que vous voulez, monsieur le ministre… Tel est peut-être l’objectif inavoué de votre réforme. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Comment ne pas remarquer que ce gouvernement n’aime pas le Sénat ? Comment ne pas remarquer qu’il veut créer un Haut Conseil des territoires qui risque de porter atteinte aux prérogatives du Sénat ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le ministre, le Sénat est, je crois, coupable aux yeux du Gouvernement d’être le dernier bastion de défense de la ruralité et des territoires. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Vous avez réduit le poids des élus ruraux dans les assemblées départementales après que l’on a réduit leur poids dans les communautés de communes et d’agglomération. Vous avez réduit le rôle des élus ruraux dans le collège sénatorial. C’est à présent au rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités locales que vous vous attaquez.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC, résolument ouvert à de réelles évolutions sur le sujet et à une véritable modernisation de la vie publique, ne votera pas le projet de loi organique en l’état. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout ou presque a été dit sur le cumul des mandats. Dans le peu de temps dont je dispose, permettez-moi d’aborder cette question sous un angle parfois occulté.

Abdelmalek Sayad, le grand sociologue trop tôt disparu, a écrit : « Exister, c’est exister politiquement ».

M. Henri de Raincourt. C’est rassurant ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. La question est donc posée : nos instances politiques, en n’étant pas représentatives de l’ensemble de la population française, n’en condamnent-elles pas certaines catégories à une forme d’inexistence ? Femmes, jeunes, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres, personnes issues de l’immigration, ultramarins s’y retrouvent-ils à proportion de leur présence réelle dans la société? Certes, non.

Rien d’étonnant à cela. Comme le rappelait le philosophe et économiste Cornelius Castoriadis, « dès qu’il y a des représentants permanents, l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées du corps des citoyens pour être remises au corps restreint des "représentants" qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d’infléchir, de bien de façons, l’issue des prochaines "élections"».

Le cumul des mandats, ça sert à cela aussi, et donc à limiter la fluidité de la circulation du personnel politique, son rajeunissement, sa féminisation, sa diversification. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !

Mme Esther Benbassa. Si le texte débattu aujourd’hui est adopté, le renouvellement sociologique espéré des élus aura-t-il lieu ? Ce n’est même pas sûr !

La loi sur la parité entre les hommes et les femmes fournit un précédent très modérément encourageant. Elle a eu quelques bons effets, certes, mais le vivier de recrutement des femmes élues est resté le même – anciennes collaboratrices devenues députées –, impliquant une surreprésentation de certains profils sociologiques ; globalement, les mêmes que ceux des hommes : blancs, plus de cinquante ans, de milieu aisé, éduqués…. Dans ces conditions, je peine à imaginer ce qu’il en ira demain – pour m’en tenir à ce seul aspect des choses – de la représentation de la diversité.

« Diversité », doux terme consensuel, héritage des années 2000. Est-il bien compatible avec notre universalisme républicain, selon lequel l’égalité se réalise en faisant abstraction, justement, des différences de naissance entre les individus ? Toute revendication portée au nom d’un groupe n’est-elle pas, chez nous, a priori illégitime ?

Le « clientélisme électoral », quant à lui, perdure, ciblant qui les Juifs, qui les musulmans, qui les Arméniens, qui les Asiatiques, voire toutes ces populations, et ce alors même qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du vote ethnique sur le résultat d’une élection.

« Diversité », contorsion rhétorique éloignant de nous le spectre du fameux communautarisme, nous évitant surtout d’appeler un chat un chat et rendant d’un coup invisibles ces minorités que l’on appelle pourtant « visibles ».

Les chiffres parlent. Nous avons bien noté une légère percée au Parlement. Les personnes issues de la diversité n’y représentaient que 1 % des élus jusqu’aux dernières élections. Pas de véritable bond, pourtant, ne doit être noté. À l’Assemblée nationale, l’avancée est modeste : une petite dizaine en tout, hors outremers. Au Sénat, la situation n’est guère plus glorieuse : nous nous comptons sur les doigts d’une seule main...

Redescendons sur terre : seulement 2,2 % des 9 737 candidats se présentant aux dernières élections cantonales en métropole étaient issus des minorités visibles, alors que les personnes d’origine maghrébine, turque, africaine ou asiatique représentent 8 % à 10 % de la population française ! Le déséquilibre est patent, plus à l’UMP qu’au parti socialiste, il faut l’avouer. Quelle frilosité !

Quels sont les arguments avancés pour la justifier ? La peur de faire le jeu du Front national ou la crainte que, une fois élus, ces gens-là ne défendent d’abord les intérêts de leur communauté d’origine. Est-ce bien vrai ? Dès 2008, 57 % des Français estimaient qu’il n’y avait pas assez de personnes appartenant à une « minorité visible » parmi les parlementaires et 85 % d’entre eux se disaient prêts à voter pour un candidat issu d’une telle minorité.

Ce contexte a-t-il changé depuis ? Peut-être. Ce sont plutôt les partis politiques qui ne changent pas. Oubliées, les interventions du parti socialiste de 2005 au congrès du Mans, soulignant que « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la société française » !