Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !

M. Hugues Portelli. Vous ne me ferez jamais défendre un système qui remonte à deux siècles !

Franchement, monsieur le ministre, le remplacer par un système pire encore, dans lequel le Sénat conserve ses pouvoirs tout en perdant sa légitimité territoriale, ce n’est pas possible ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je suis socialiste, j’apporte soutien et appui à l’action que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault mène pour la modernisation de la France, le rétablissement de ses grands équilibres (M. Rémy Pointereau s’exclame.), le renforcement de sa cohésion sociale sur des bases de solidarité, de compétitivité et de justice.

M. Philippe Bas. Ça va bien en le disant !

M. Yves Daudigny. Mais qu’il n’y ait aujourd’hui aucun flou : je combats les dispositions de la loi, qui conduiront en particulier, si elle est votée, à interdire l’exercice simultané d’un mandat de sénateur et d’une responsabilité exécutive locale.

M. Rémy Pointereau. Très bonne initiative !

M. Philippe Bas. C’est courageux !

M. Yves Daudigny. J’assume ici, à cette tribune, sans honte, devant les citoyens de notre pays, ce double engagement de contribuer, dans notre Haute Assemblée, à l’élaboration des lois de la France et de présider, dans l’Aisne, l’assemblée départementale.

Je l’assume d’abord parce que ce double exercice ne résulte pas d’un quelconque coup de force ou d’une liberté de choix confisquée aux citoyens ou aux grands électeurs. Il est le fruit de scrutins vécus dans une totale transparence. Et l’analyse des résultats, ceux des dernières élections législatives par exemple, montre souvent que, dans l’isoloir, l’électeur demande ce que, dans les sondages, le citoyen rejette.

Je l’assume ensuite parce que l’interdiction envisagée engendrera l’émergence exclusive d’un type de parcours d’élu. Mes chers collègues, s’il n’avait pas été possible au président d’un conseil général d’être candidat à un mandat national, jamais le plaisir ne m’aurait été donné de vous connaître, et vous n’auriez jamais eu la possibilité ou subi la contrainte de m’écouter. (M. Philippe Bas sourit.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est bien dit !

M. Yves Daudigny. La diversité des trajectoires politiques est une richesse des assemblées, de la nôtre en particulier, et j’ai tout respect pour les collègues qui font le choix de la non-conjonction d’un mandat parlementaire et d’une responsabilité locale.

M. Yves Daudigny. Je souhaite la même tolérance pour celles et ceux qui font un autre choix,…

M. Antoine Lefèvre. Oui, ce serait bien !

M. Yves Daudigny. … qui est aussi un choix de vie. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)

M. Yves Daudigny. Ce choix permet d’éclairer l’action exécutive locale, par le traitement et la connaissance des dossiers au plus haut niveau. Il enrichit le débat parlementaire de l’expérience réelle et directe de celui ou celle qui non seulement participe à la vie des assemblées locales, mais aussi doit décider, assumer la gestion, avoir une vision.

Je ne renierai pas aujourd’hui plus de trois décennies d’engagement dans l’action publique et d’exercice de responsabilités communales, communautaires, départementales puis maintenant nationales au sein de la Haute Assemblée.

Je ne renierai pas trente années d’une vie politique construite pierre par pierre, sur des bases de travail, de compétences progressivement acquises, de connaissance et de reconnaissance, de dialogue et de confiance.

Mais la question ne peut se réduire à la seule complémentarité ni à l’inclusion dans un territoire.

L’éminent professeur Pierre Avril, lors de son intervention au Sénat le 10 septembre dernier, affirmait que « l’on ne peut s’affranchir de la spécificité du Sénat », spécificité instaurée par l’article 24 de notre Constitution.

Bien sûr, le débat n’est pas tranché concernant l’interprétation de l’alinéa 4 de cet article, aux termes duquel le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour assurer cette représentation, un sénateur se doit-il ou non d’être implanté au sein d’un territoire par le biais d’une fonction locale ? Un sénateur devrait-il même avoir l’obligation, pour exercer son mandat parlementaire, d’être maire, président de conseil général – comme c’est mon cas, ainsi que celui de trente-trois de mes collègues sénateurs et de onze de mes collègues députés – ou bien encore président de conseil régional ?

Ma position est celle du libre choix ; c’est la situation présente, qui assure une diversité des situations. Je ferai simplement miens les mots des avocats Jean-Pierre Mignard et Jorge Mendes Constante, qui, en mai 2010, écrivaient que si on leur interdisait le cumul, « les représentants des collectivités territoriales – c’est-à-dire les sénateurs – seraient détachés de tout lien local, un détachement imposé contraire à l’esprit de la Constitution ». À leurs yeux, ce non-cumul « décapiterait le Sénat ».

M. Yves Daudigny. Je ne m’étendrai pas sur les arguments, démentis par toutes les études, relatifs à l’absentéisme ou au lobbying qui conduiraient à un intérêt autocentré de certains parlementaires pour les problématiques inhérentes à leurs collectivités d’ancrage. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)

Je passerai également sur l’argument mettant en avant l’exception française et l’originalité de la situation du Président de la République. À cet égard, de nombreux juristes et universitaires, comme l’historien Patrick Weil, que je cite, car son implication dans ce débat a été forte, ont pointé l’« incontestable contrepoids » que représente le cumul des mandats au regard de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. (Mme Hélène Lipietz s’exclame de nouveau.)

Le débat pourrait encore s’élargir dans deux directions que je ne ferai qu’évoquer.

Première direction, le professeur Dominique Rousseau, lors de son intervention au Sénat, affirmait que « le Sénat n’a de légitimité dans une République que s’il n’est pas le doublon de l’Assemblée nationale ». Je partage ce point de vue. La dimension duale, à la fois locale et nationale, de la représentation qu’octroie au Sénat notre Constitution participe de cette légitimité.

Seconde direction, je vous invite, mes chers collègues, que vous soyez pour ou contre ce projet de loi, à ne pas nourrir les populismes qui se développent dans l’indifférence, le rejet ou même la haine des élites, des élus, des parlementaires. Les élus qui conjuguent mandat parlementaire et exécutif local ne sont pas les criminels d’un idéal démocratique, assoiffés de pouvoirs ou d’avantages. Comme d’autres élus, ils fondent leur action sur des idéaux et des valeurs. Comme d’autres élus, ils sont porteurs de l’intérêt général et des attentes de leurs concitoyens.

« La liberté ne peut constituer qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir », écrivait Montesquieu.

Vous l’avez compris, en cohérence avec les engagements qui ont toujours été les miens, parce que j’ai la conviction que les dispositions en discussion, si elles étaient définitivement adoptées, sont porteuses pour le Sénat d’un exercice démocratique dégradé, je ne voterai pas ce texte en l’état. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – MM. Gérard Miquel, Robert Tropeano et François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, la commission des lois avait prévu de se réunir à dix-neuf heures trente, afin de poursuivre l’examen des amendements déposés sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. (M. Éric Doligé s’exclame.) Non, nous sommes tout à fait dans les délais puisque nous travaillons sur la première série d’amendements quinze jours avant d’engager l’examen des amendements extérieurs.

Cette réunion sera reportée d’environ trois quarts d’heure. Nous la tiendrons en effet juste après la réponse que fera M. le ministre aux orateurs, vers vingt heures quinze.

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous confirme que, pour la cohérence de notre débat, nous achèverons la discussion générale commune avant la suspension du dîner, qui devrait intervenir vers vingt heures quinze.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Caroline Cayeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur le cumul des mandats qu’il nous est proposé d’examiner aujourd’hui pose, selon moi, de sérieux problèmes. Je pense notamment, monsieur le ministre, à votre conception de l’organisation politique et territoriale de notre pays, et tout particulièrement au respect du rôle des sénateurs. Je ne suis d’ailleurs pas la première, à cette heure-ci, à intervenir en ce sens.

Ce projet de loi est en effet inadapté aux réalités auxquelles nous sommes confrontés sur le terrain et, donc, inapproprié au bon fonctionnement de notre démocratie. La preuve en est qu’à droite, comme au centre et à gauche, cette réforme, qui coupe les partis politiques en deux, fait voler en éclat les clivages partisans. Quant à la commission des lois, elle a rejeté les deux textes que vous nous présentez.

Il est vrai que la proposition 48 du candidat Hollande, qui sonne comme un dogme, s’impose à vous sans alternative. Mais est-ce réellement un sujet de société ou s’agit-il d’un effet de mode ? Surtout, ce texte était-il si urgent, au regard des difficultés que nos concitoyens rencontrent chaque jour ? Ils payent toujours plus d’impôt, sont toujours plus nombreux à subir le chômage et souffrent toujours plus d’insécurité dans leur ville. Je m’arrêterai là, mon collègue Éric Doligé l’ayant excellemment démontré.

Ce projet est inadapté, je le disais voilà quelques instants. Monsieur le ministre, est-il bien raisonnable, au moment où vous vous apprêtez à supprimer des milliards destinés aux collectivités locales dans les années qui viennent, d’augmenter encore le nombre des élus ?

Vous avez abandonné le conseiller territorial, qui remplaçait à la fois le conseiller général et le conseiller régional, pour finalement le remplacer par le conseiller départemental. Malgré la diminution du nombre des cantons, le nombre des conseillers départementaux restera stable, puisque, au nom du respect de la parité, il faudra désormais être élu en binôme. En Picardie, par exemple, alors que nous aurions dû compter 109 conseillers territoriaux au lieu de 186 conseillers régionaux et départementaux à ce jour, ce nombre demeurera identique en 2015, bien que le nombre des cantons ait été divisé par deux.

Aux termes du projet de loi qui nous est soumis, vous multiplierez demain le nombre des élus, les parlementaires, d’une part, les élus locaux, d’autre part. Au moment où tout le monde parle d’économies, je regrette cette inflation budgétaire.

Ce projet de loi est tout sauf réaliste, il est inapproprié et me fait penser à du bricolage territorial parce que, avant de s’attaquer au cumul des mandats de manière idéologique et dogmatique, il eût été plus sage de préparer un vrai et grand statut de l’élu local, que nous n’avons cessé de réclamer : un statut qui donne à tout citoyen l’envie d’être élu – et aujourd’hui, franchement, on ne se bouscule pas pour l’être et on se bousculera de moins en moins –, un statut qui garantisse la transparence et permette une efficacité accrue, un statut qui organise aussi concrètement la fin du mandat pour celles et ceux qui devront retourner dans la vie active.

Monsieur le ministre, vous qui avez été député-maire d’Évry – et j’ai cru comprendre que ce double rôle vous convenait et vous passionnait –, vous savez que les élus qui cumulent ne cumulent pas leurs indemnités – nous sommes écrêtés – et qu’ils jouissent de peu de privilèges : ils cumulent l’efficacité et les responsabilités…

M. Antoine Lefèvre. Et ils travaillent !

Mme Caroline Cayeux. … pour soutenir concrètement leur territoire.

M. Gérard Longuet. Très bien !

Mme Caroline Cayeux. C’est ce lien qu’il me paraît indispensable de conserver, tout particulièrement ici, au Sénat. Qui mieux qu’un maire ou qu’un élu local est à même de juger ce qui doit être amélioré dans sa ville, son département ou sa région ? Et un maire qui a la chance d’être parlementaire est doublement efficace.

Parlementaire depuis deux ans, mais maire d’une ville depuis près de treize ans – à l’époque, je ne cumulais pas –, je dois vous avouer que j’ai pu apprécier la différence du poids de l’élue locale que j’étais alors. Je devais sans arrêt me battre pour faire valoir les droits de mon territoire et de ses habitants, pour faire reconnaître notre action politique au niveau national. Maintenant que je suis parlementaire, Beauvais est entendue, Beauvais est respectée.

M. Claude Dilain. C’est cela qui n’est pas normal ! (Mme Hélène Lipietz renchérit.)

Mme Caroline Cayeux. C’est aussi le drame de l’effet pervers de notre système politique et médiatique. On ne voit qu’à travers les parlementaires ! Pourtant, qui fait vivre nos villes, nos agglomérations, nos départements ? Ce sont les élus locaux, les élus « d’en bas », si vous me permettez l’expression.

M. Georges Labazée. Ça, c’est vrai !

Mme Caroline Cayeux. C’est pourquoi je considère, comme de très nombreux collègues ici, qu’un parlementaire doit être autorisé à exercer une fonction exécutive locale, d’autant plus que, pour ce qui nous concerne, c’est là le fondement même de notre mandat de sénateur.

Mais avec ce projet de non-cumul strict des mandats, vous allez donner à la France et à nos concitoyens deux sortes d’élus, les parlementaires « d’en haut » et les élus locaux « d’en bas », alors que la force de notre modèle politique est sa capacité à permettre à tous les citoyens de représenter un jour leur territoire, leur ville, leur campagne au plus haut niveau de l’État.

Avec votre projet de loi, vous couperez malheureusement le lien qui existe entre la représentation nationale et nos territoires, lien encore plus fort ici au Sénat puisque ce sont nos collègues élus qui nous désignent. Vous contribuerez à mettre en place dans nos assemblées respectives au mieux des techniciens ou des technocrates, au pis des militants des partis politiques.

Mme Éliane Assassi. Pourquoi « au pis » ?

Mme Caroline Cayeux. Plus grave encore, vous vous priverez de l’expertise des sénateurs, qui sont élus par d’autres élus qui leur ont fait confiance. Nous sommes attachés à la responsabilité que nous ont accordée nos électeurs.

C’est donc tout particulièrement la spécificité du Sénat qui est en danger aujourd’hui et, contrairement aux idées reçues, pour une démocratie moderne et utile, efficace et dynamique, j’oserais dire : oui, il faut favoriser le cumul entre un mandat national et un exécutif local.

Monsieur le ministre, Victor Hugo disait : « Je préfère ma conscience à la consigne. » Il me semble que, dans votre passé de député-maire, vous aviez conscience que ce double mandat était un plus pour votre ville. Aussi, je vous demande de donner aux élus la capacité de garder les pieds sur terre, mais aussi d’avoir le pouvoir de vous interpeller comme je le fais ici ce soir au plus haut niveau de la nation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport d’information de mars 2012 de nos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée sur le cumul des mandats et l’étude de législation comparée, de juillet 2012, dans sept pays de l’Union européenne, portant sur le même sujet font apparaître que la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse guère 20 % dans la plupart des pays européens alors qu’elle est en France de 83 % pour les députés et de 78 % pour les sénateurs.

Certes, l’organisation territoriale diffère. Il est donc compréhensible que le niveau de cumul varie selon que l’État est unitaire ou fédéral.

Néanmoins, cela en dit long sur la situation actuelle s’agissant du renouvellement de la classe politique, surtout lorsqu’on sait qu’en 1936 seulement 36 % des députés exerçaient un mandat local. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)

Si l’on ajoute à ce constat une grave crise de confiance des citoyens à l’égard de la représentation nationale, ce qui traduit un grand désarroi citoyen, il est urgent de prendre des mesures pour préserver le pacte républicain.

Cela explique que François Hollande, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, se soit notamment engagé à faire voter une loi sur le cumul des mandats et des fonctions électives.

Le texte qui nous est soumis est donc la concrétisation de cet engagement. Il reprend les principales suggestions de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.

Le projet de loi traite de la limitation du cumul dans l’espace, mais non dans le temps. Ses dispositions ont été renforcées par les députés, qui ont élargi le champ de l’incompatibilité aux fonctions « dérivées de mandats locaux » et limité les hypothèses de cumul d’indemnités.

Au Sénat, le débat s’est engagé de manière différente qu’à l’Assemblée nationale. Ainsi, un certain nombre de collègues estiment que l’interdiction d’exercer concomitamment un mandat parlementaire et une fonction élective romprait le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Ils évoquent la spécificité du mandat sénatorial et demandent sa reconnaissance en s’appuyant sur l’article 24 de la Constitution, qui dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela justifierait, selon eux, la possibilité de cumuler une fonction exécutive locale et un mandat de sénateur.

Cette question divise d’ailleurs la doctrine, comme nous avons pu le constater lors d’une audition organisée la semaine dernière par la commission des lois de notre assemblée.

Que faut-il en penser ? Je ne doute pas de la sincérité des collègues qui demandent la reconnaissance de la spécificité du mandat sénatorial ; ils pensent probablement défendre ainsi à la fois les prérogatives du Sénat et le bicaméralisme.

M. Philippe Bas. Ils le font !

M. Michel Teston. En revanche, je ne suis pas du tout convaincu par leur argumentation, qui ne paraît ni solide juridiquement ni opportune politiquement.

Il semble d’abord difficile d’invoquer la spécificité du mandat sénatorial alors que le régime des incompatibilités des sénateurs est aligné sur celui des députés. Ce n’est pas là le fruit du hasard, contrairement à ce que prétendent certains juristes.

En outre, il est très peu probable que le Conseil constitutionnel donne de l’article 24 de la Constitution une interprétation reconnaissant un traitement différencié pour les sénateurs. Et quand bien même irait-il dans ce sens – ce qui m’étonnerait fort, car il faudrait alors qu’il opère un revirement de jurisprudence –, ne serait-ce pas la voie ouverte à une restriction des compétences du Sénat, en quelque sorte à une forme de « relégation », en le cantonnant à l’examen des seuls textes relatifs aux collectivités locales,…

M. Philippe Bas. Pour cela, il faudrait une révision constitutionnelle !

M. Michel Teston. … à l’instar de ce qui prévaut dans un certain nombre d’États voisins ?

M. Claude Dilain. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest. Dans des États fédéraux !

M. Michel Teston. En réalité, la reconnaissance d’un traitement différencié pour les sénateurs pourrait bien se traduire, à terme, par un affaiblissement du Sénat…

M. Rémy Pointereau. C’est déjà fait !

M. Michel Teston. … et par l’instauration d’un bicaméralisme très déséquilibré.

Sur le plan politique, enfin, un traitement différencié des sénateurs paraît totalement inopportun. En effet, l’existence et l’utilité du Sénat sont aujourd’hui beaucoup moins contestées par les citoyens qu’elles ne l’étaient il y a une quinzaine d’années. L’action de rénovation de notre assemblée et de son fonctionnement explique certainement cette évolution positive.

Eh bien, mes chers collègues, si, contrairement aux députés, les sénatrices et sénateurs ne devaient pas être concernés par les dispositions du présent texte, il serait à craindre que le Sénat n’échappe pas à une très forte détérioration de son image, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir quant à son existence.

M. Philippe Bas. Voilà bien les ravages de l’obsession médiatique et sondagière !

M. Michel Teston. Alors, mes chers collègues, pour ces diverses raisons, il ne faut pas chercher à obtenir un traitement différent des sénateurs par rapport aux députés ! En effet, les deux projets de loi que nous examinons autorisent le cumul d’un mandat parlementaire national ou européen avec un mandat local, départemental ou régional, non exécutif. Ils permettent donc de maintenir le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Il en irait différemment si ces projets visaient à instaurer le mandat unique. Or tel n’est pas le cas !

Je voterai donc ces projets de loi que je juge absolument nécessaires. Je note d’ailleurs qu’ils sont très voisins des deux propositions de loi que j’avais déposées sur le même sujet en 2006, et qui n’ont jamais été examinées. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Ah ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions de mes excellents collègues Philippe Bas et Gérard Larcher, qui ont, respectivement, apporté un éclairage juridique et institutionnel sur les dangers des projets de loi qui nous sont soumis. J’approuve en tout point leurs démonstrations. Je salue également les interventions des présidents Jacques Mézard, François Zocchetto et François Rebsamen.

Monsieur le ministre, votre texte qui vise à interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale, même mineure, est excellent… pour le parti socialiste. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Il est excellent pour la gauche, parce qu’elle s’offre, à moindres frais, une réforme facile et populaire, quitte à ne pas réfléchir aux conséquences institutionnelles de ce choix.

Il est excellent pour le parti socialiste, parce qu’il flatte la fibre poujadiste qui sommeille en chaque Français quand il est accablé par une situation économique et sociale dont il ne voit pas l’issue.

M. Philippe Bas. Très bien !

M. Pierre Charon. Or, quand un parti est en désamour dans l’opinion, qu’y a-t-il de plus habile que de jeter le discrédit sur l’ensemble de la classe politique ?

Il est aussi excellent pour le Président de la République, parce qu’il s’offre le luxe de se donner une image de fermeté en résistant à une majorité prétendument récalcitrante, alors que depuis le début de son quinquennat, il va de renoncement en renoncement sur tous ses engagements de campagne.

M. Éric Doligé. C’est vrai !

M. Pierre Charon. Il est excellent pour le Premier ministre et son gouvernement, puisqu’il coupe désormais tout lien entre l’élu et son territoire. Puisque le parlementaire n’assiéra plus sa légitimité sur son enracinement local, le parti socialiste pourra investir les candidats de son choix, sans lien avec les territoires.

M. Claude Bérit-Débat. Ne vous occupez pas du parti socialiste, occupez-vous plutôt de l’UMP !

M. Pierre Charon. Ces apparatchiks – dont on a tant parlé aujourd’hui – n’auront d’autre légitimité que celle de la commission d’investiture qui les aura désignés et voteront sans broncher les textes qui leur seront soumis puisque les seules personnes qu’ils auront à séduire seront les hiérarques du PS et non plus les grands électeurs. (M. Jacques Chiron s’exclame.)

Il est excellent pour la République des « camarades », puisque, dorénavant, les candidats seront cooptés dans un petit cénacle de la rue de Solférino. Cela sera particulièrement vrai pour le Sénat puisque près des trois quarts de ses membres seront élus au scrutin proportionnel. N’importe quel « camarade » pourra être placé en début de liste, quitte à n’avoir aucun lien avec son territoire pour assurer son élection.

Il est excellent, enfin, pour les officines d’influence de la gauche, qui pourront faire voter les lois les plus absurdes – je pense à la réforme de la justice, insufflée par le Syndicat de la magistrature, ou la réforme de l’école, par les syndicats d’enseignants –, sans que les parlementaires puissent faire remonter la voix du peuple.

M. Jean-Jacques Mirassou. Allons, allons !

Un sénateur du groupe socialiste. Parlez-nous du peuple, avec Sarkozy !

M. Pierre Charon. Mais il y a un autre point que, en tant que sénateur de Paris, je souhaite aborder : l’interdiction faite aux maires d’arrondissement et à leurs adjoints d’être parlementaire.

Je pourrais éventuellement comprendre que l’on interdise le cumul de mandats en cas de fonctions électives excessivement prenantes, par exemple s’il s’agit du maire d’une capitale de plus de 2 millions d’habitants ou du maire d’une des grandes villes françaises. À une certaine époque, monsieur le ministre, vos réflexions vous avaient d’ailleurs conduit à envisager de fixer un seuil de population pour l’interdiction de cumuler une fonction élective. À défaut de trouver ce seuil, vous avez proposé une stricte interdiction, qui, déjà absurde pour une petite commune, devient ridicule pour une mairie d’arrondissement.

Comme vous le savez, un maire d’arrondissement est loin d’exercer la totalité des compétences de son secteur – et que dire de ses adjoints ? Je vous épargne la liste de ses compétences. Mais tout un chacun sait bien ici qu’elles ne justifient pas que les maires d’arrondissement soient traités comme des maires de plein exercice. J’ajoute que, dans le cas de Paris, ce ne sont pas les temps de déplacement du Parlement à la circonscription qui occuperont une place trop importante dans l’agenda de l’élu !

Sérieusement, rien ne peut justifier cette interdiction, à part, peut-être, votre volonté de niveler vers le bas. Mme Hidalgo craint-elle à ce point de ne pas exercer de leadership sur ses troupes qu’elle s’ingénie à empêcher tout maire d’arrondissement d’être député ou sénateur ?

Un maire d’arrondissement siégeant au Parlement, ce n’est pas un handicap pour Paris ! En interdisant aux grands élus parisiens d’être parlementaire, on affaiblit leur influence institutionnelle.

En vérité, la seule vraie réforme serait, comme on l’a déjà dit dans cet hémicycle et à l’Assemblée Nationale, de faire élire le maire de Paris directement par les Parisiens, et le problème de cumul ne se poserait plus ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)