M. Philippe Bas. Vous aurez du mal !

M. Claude Domeizel. En tant que socialistes, nous pouvons être fiers de vous, madame la ministre, et du gouvernement que vous représentez. Je tiens à saluer le courage, la détermination et l’esprit d’ouverture avec lesquels vous avez préparé cette réforme structurante indispensable. Vous avez réussi un exercice difficile, d’autant plus périlleux qu’il fallait faire face au poids du passé et des avantages considérés comme acquis.

Il fallait aussi tenir compte de la diversité qui caractérise notre système de retraites. À cet égard, mes chers collègues, je vous rappelle qu’il existe trente-cinq régimes de base et complémentaires, dont le plus important compte plus de 8,5 millions d’actifs affiliés et le plus petit seulement une centaine. La plupart reposent sur le principe de la répartition, mais d’autres sont fondés sur un système de points ou, parfois, de capitalisation. Sans compter que les taux de cotisation et les méthodes de liquidation diffèrent d’un régime à l’autre.

Reconnaissons-le : nos concitoyens se perdent souvent dans ce labyrinthe !

Je tiens à remercier également nos collègues Christiane Demontès, rapporteur, Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ils ont mené à bien l’analyse du projet de loi avec force intelligence et objectivité, préparant des rapports étayés dans des délais relativement courts.

Mes chers collègues, le présent projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites porte un titre parfaitement approprié à son objet.

Il faut se souvenir que, en 2010, un projet de loi censé résoudre le problème du financement des retraites, dont les auteurs promettaient même un redressement total, avait provoqué une colère généralisée et le déferlement de 3 millions de personnes dans la rue. N’oublions pas non plus que, si nous ne réagissons pas, le déficit structurel devrait atteindre 20 milliards d’euros en 2020 : il y a donc urgence à agir !

C’est pourquoi le Gouvernement a décidé d’engager une réforme de fond, avec une triple ambition : proposer une réforme responsable, qui tienne compte de la réalité incontournable que constitue l’allongement de l’espérance de vie, une réforme équilibrée, qui partage équitablement les efforts, et une réforme juste, qui accorde enfin à certaines catégories de travailleurs les droits qui leur ont été refusés lors des précédentes réformes.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le Gouvernement a respecté l’engagement de François Hollande en apportant, dès le début de la législature, un premier correctif au système de retraites ; je veux parler du rétablissement de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant cotisé toutes leurs annuités.

Ce projet de loi consacre trois objectifs : garantir dans la durée notre système de retraite par des mesures justement réparties, donner un souffle de justice au système créé voilà soixante-dix ans et rendre celui-ci plus simple et accessible à tous.

Indiscutablement, ces trois objectifs font de cette réforme une réforme de gauche : nous pouvons l’affirmer et je vais m’employer à vous le démontrer.

L’article 1er du projet de loi réaffirme le choix de la retraite par répartition, qui constitue un pacte de solidarité entre les générations et suppose une confiance partagée. Il est tout à l’honneur du Président de la République, du Premier ministre et de la ministre des affaires sociales et de la santé, tous trois socialistes, d’assurer la pérennité de ce système en relevant le défi de l’allongement de la durée de la vie.

De fait, l’espérance de vie devrait continuer de progresser d’une année tous les dix ans jusqu’en 2060 : aujourd’hui de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes, l’espérance de vie à 60 ans devrait atteindre un peu plus de 25 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes en 2040.

Par ailleurs, le phénomène bien connu des retraités du baby-boom est un facteur supplémentaire de déséquilibre du système.

L’heureuse augmentation de l’espérance de vie nous autorise, pour ne pas dire nous invite, à allonger la durée de cotisation pour rétablir l’équilibre financier dans la délicate période 2020-2040.

Dans un esprit de responsabilité et de transparence, le Gouvernement propose de remodeler le dispositif de pilotage du système de retraites, qui s’articule selon des étapes précises.

Le comité de suivi des retraites s’assurera, sur le fondement des travaux du Conseil d’orientation des retraites, du respect des objectifs financiers et sociaux du système de retraites ; il proposera des mesures correctrices si des écarts par rapport aux objectifs sont constatés, ce qui est un gage de sécurité.

Si le titre Ier du projet de loi a pour fil rouge l’équilibre financier, dont je reparlerai dans quelques instants, son titre II a pour fil rouge la justice. La pénibilité des métiers, les inégalités entre les hommes et les femmes, les carrières fractionnées, la situation des jeunes et le handicap sont autant de facteurs d’injustice : le projet de loi vise à corriger ces injustices, qui ont affaibli la solidarité du système par répartition.

Je n’entrerai pas dans le détail des différents dispositifs ; ils seront présentés lors de l’examen des articles.

J’insisterai seulement sur l’article 6, qui prévoit la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité. Il s’agit d’une avancée sociale majeure, intégralement financée par les employeurs, ce qui du reste est logique, car la pénibilité est avant tout une conséquence de l’emploi. Ce système harmonise la prévention et la réparation, sur le fondement des dix critères de pénibilité définis par les partenaires sociaux en 2008.

Grâce à cette mesure, plus de 3 millions de salariés pourront cumuler jusqu’à 100 points de pénibilité ouvrant droit à des trimestres cotisés permettant d’avancer un départ à la retraite jusqu’à deux ans, à une formation professionnelle en vue d’une évolution vers des métiers moins pénibles ou à une conservation de la rémunération en cas de passage à temps partiel. Ceux qui cumulent un métier parmi les plus durs et une espérance de vie parmi les plus faibles sont enfin soutenus ! De plus, un service en ligne permettra aux assurés de consulter l’état actualisé de leur compte pénibilité.

L’article 6 nous place au cœur de la lutte sociale pour défendre les conditions de travail de nombreux ouvriers, faire valoir la prévention et dialoguer avec les syndicats. Assurément de gauche, cette réforme ! Qui pourrait soutenir le contraire ?

Mieux encore : le Gouvernement enfonce le clou de la justice en proposant de meilleures retraites pour les femmes. De fait, leurs parcours professionnels rythmés par la place prise par la famille dans leur quotidien ou par les temps partiels subis en font les grandes perdantes du système actuel. C’est notamment à leur intention que le projet de loi prévoit une meilleure prise en compte des temps partiels. Remarquez, mes chers collègues, que 82 % des femmes pourront valider plus facilement leurs quatre trimestres annuels. N’est-ce pas là une mesure de gauche ?

Pour ce qui concerne la protection des publics fragiles, il faut aussi souligner que, à compter du 1er janvier 2014, seront réputés cotisés tous les trimestres acquis au titre de la maternité, quatre trimestres acquis au titre du chômage, au lieu de deux actuellement, et deux trimestres acquis au titre du versement d’une pension d’invalidité. Ne sont-ce pas des mesures de gauche ?

Par ailleurs, le projet de loi encourage le rachat par les jeunes actifs d’années d’étude, faculté aujourd’hui très peu utilisée en raison de son coût élevé ; le tarif de rachat de trimestres sera plus avantageux pour les plus jeunes et les salariés percevant les plus faibles revenus.

Le texte prévoit également la validation de tous les trimestres pour les apprentis et les jeunes en alternance. Quant aux stages rémunérés en entreprise, ils pourront donner lieu au versement de cotisations d’assurance vieillesse.

Le monde agricole n’est pas non plus oublié : le projet de loi concrétise les engagements pris par le candidat François Hollande en améliorant le niveau des petites retraites des non-salariés agricoles.

Enfin, nous aborderons lors de la discussion des articles la situation des personnes défavorisées et l’élargissement de l’accès à la retraite pour les travailleurs handicapés, mais aussi la meilleure reconnaissance des aidants familiaux.

Mes chers collègues, toutes ces mesures sont bien à mettre à l’actif d’un gouvernement de gauche !

Trois innovations majeures doivent encore être signalées : un compte retraite en ligne, un pilotage des chantiers de mutualisation et une réforme visant à tendre vers un interlocuteur unique pour les polypensionnés. Un service en ligne permettra à l’assuré, pour tout service et à tout moment, d’accéder à son relevé actualisé de carrière, de réaliser certaines démarches administratives et d’échanger avec les régimes concernés des documents dématérialisés.

Dans ces conditions, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites est-il un petit projet de loi, comme certains voudraient le faire croire ?

Madame la ministre, vous avez judicieusement choisi non pas de déconstruire les bases législatives déjà en place, mais d’en limiter les effets pervers, d’en combler les manques et d’en améliorer la structure.

Cette réforme est concrète et pragmatique ; elle est en adéquation avec la réalité et avec l’avenir prévisible. Menée avec un souci de concertation, elle s’inscrit dans une évolution progressive de long terme et dépasse les seuls raisonnements comptables de court et moyen terme.

Ce projet de loi vise à rétablir une justice sociale en ciblant des catégories de travailleurs aujourd’hui en difficulté, comme les femmes, les jeunes, les handicapés ou les aidants familiaux.

J’ai gardé pour la fin la question peut-être la plus difficile : celle des équilibres financiers.

M. Philippe Bas. Elle n’est pas secondaire !

M. Claude Domeizel. Pour étayer mon propos, je rappellerai brièvement l’histoire des retraites, l’émaillant d’évocations surprenantes pour certains.

De l’année 1945, nous devons retenir trois noms : Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises, et au moins deux fois longuement.

La première mesure prise fut le maintien du statut des fonctionnaires ; la deuxième mesure fut, le 17 mai, la création, dans le cadre d’un système par répartition, de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, qui regroupe les agents des collectivités et des hôpitaux.

Il fallait aussi choisir un système. Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, un point ne souleva aucune difficulté : l’âge de la retraite, qui passa de 60 ans à 65 ans. À l’époque, après les nombreux décès causés par la guerre, un certain pessimisme démographique fut à l’origine d’une telle décision.

Contrairement à ce que l’on peut entendre, deux sujets firent l’objet de débats très difficiles. Le premier portait sur la question du régime unique. Le second opposait systèmes de répartition et de capitalisation. Ambroise Croizat, ministre du travail et de la sécurité sociale de l’époque, trancha en faveur du maintien de tous les régimes existants et du système par répartition, même si certains, de façon surprenante, défendirent avec beaucoup de ferveur le système par capitalisation.

Peut-être aurait-il fallu prévoir des solutions pour les régimes qui risquaient d’être en difficultés plus tard. Peut-être aurait-il fallu constituer quelques réserves.

Le choix de maintenir les régimes existants impliquait une solidarité entre les régimes.

Ainsi, la loi de 1974 prévit-elle, face aux difficultés de certains régimes, de créer un régime unique en quatre ans. En attendant, a été créée une compensation, c'est-à-dire une aide des régimes les plus favorisés en faveur des régimes les plus défavorisés. Je peux dire ici que la CNRACL y a contribué fortement, à hauteur de plus de 65 milliards d’euros depuis 1974.

Il faut bien le reconnaître, madame la ministre, ce dispositif est à bout de souffle et il faudra le revoir. En 1974, on n’avait pas tenu compte des capacités de trésorerie de l’ensemble des régimes.

Pour atteindre l’équilibre, le premier levier, cela a été indiqué, est l’emploi.

Je rappelle que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, le nombre de chômeurs avait beaucoup diminué. À son arrivée au pouvoir, ce gouvernement avait dû faire face à un déficit de 54 milliards de francs. Il avait rétabli l’équilibre en 2002, grâce au développement de l’emploi.

Je rappelle aussi que la répartition contient dans son principe même une règle fondamentale : les employeurs et les salariés cotisent pour les retraités. C’est un système d’assurance contributif sur le produit du travail. Certains parlent même de salaires différés, conformément d’ailleurs à la théorie défendue par Ambroise Croizat. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous lire un extrait du guide de l’assuré social et des vieux travailleurs de l’époque, dans lequel le ministre écrivait : « La gestion est d’ores et déjà confiée aux assurés eux-mêmes. […] Pas d’étatisation ni de fonctionnarisation. […] L’État […] n’a plus qu’un simple rôle de contrôle technique et financier à exercer. »

Voilà le résumé d’une position qui ne doit pas être oubliée : les actifs paient pour les retraités. Ainsi, si l’on veut respecter cette règle, l’équilibre doit être trouvé dans le seul périmètre du travail.

Le présent projet de loi prévoit une augmentation des cotisations salariales et employeurs, la diminution des pensions du fait du recul de la revalorisation du 1er avril au 1er octobre et l’allongement de la durée de cotisation à partir de 2020. Comme je le disais tout à l’heure, l’allongement de l’espérance de vie nous autorise à prendre une telle disposition (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), dans la mesure où la pénibilité est prise en compte. Tel est le cas dans ce texte.

En revanche, le projet de loi ne modifie pas l’âge légal de départ à la retraite. Même si de nombreux facteurs évoluent, tel l’âge auquel un jeune commence à travailler, à partir d’un certain âge peut se poser la question de l’aptitude au travail.

Enfin, je n’oublie pas le paradoxe qui caractérise l’emploi des seniors. Nombreux sont ceux qui sont écartés par les employeurs du monde du travail avant l’âge légal de départ à la retraite.

Quant au recours à l’emprunt, il fallait bien évidemment l’éviter ! Plus généralement, le projet de loi veille à ce que les financements ne soient pas assis sur des bases éphémères ou privilégiant la fiscalité, ce qui constituerait un risque de dérive de l’assurance vers l’assistance, comme on a pu l’observer sous le régime de Pétain.

La contribution sociale généralisée, dont on a beaucoup parlé, finance aujourd'hui les droits non contributifs. J’estime, pour ma part, qu’il s’agit d’une piste à ne pas abandonner. D’abord, la compensation généralisée pourrait venir au secours des régimes « morts », qui ne bénéficient plus que de contributions restreintes, tel le régime des mines. Étant fils de mineur, je n’ai rien contre les mineurs, mais je suis contraint de constater une telle situation.

Enfin, si la CSG finance le système, comme il est possible de l’imaginer, les salariés devront voir leur contribution diminuer, pour ne pas avoir à payer deux fois.

Le Gouvernement propose donc une réforme de fond s’inscrivant dans la durée, réparant des injustices, privilégiant les mesures à l’adresse des publics défavorisés. La concertation avec les partenaires sociaux a fonctionné sereinement et le dialogue reste ouvert. Ce projet de loi contient en lui-même la garantie de grands principes de gauche, qui accompagneront pour longtemps les citoyens actifs, futurs retraités. C’est un texte qui assure et rassure.

Oui, il y a urgence à équilibrer financièrement le système, à donner de la visibilité sur le long terme, à mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la pérennité du système par répartition, auquel nous sommes tous attachés, à rassurer et informer, particulièrement les plus jeunes, qui doivent garder confiance, en un mot à dire la vérité. Tout cela implique humilité et responsabilité de la part de tous les acteurs, partenaires sociaux et élus, qui devront faire preuve de lucidité et penser avant tout aux jeunes et à leur avenir.

Enfin, un devoir s’impose à nous, élus nationaux, responsables politiques : être fidèles et respectueux des règles empreintes de générosité et de solidarité fixées en 1945 par le Conseil national de la Résistance, sous l’impulsion d’Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque. C’est dans cet esprit que le groupe socialiste aborde le présent débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inégalités professionnelles et salariales dont les femmes sont victimes s’amplifient à la retraite, tous les intervenants l’ont souligné.

La précarité, qui ne cesse de s’étendre, demeure sexuée et ce sont les femmes qui payent le prix fort de plusieurs décennies de politique d’austérité dans le secteur tant public que privé. Deux retraités pauvres sur trois sont des femmes.

La recherche effrénée par le patronat d’une réduction constante du coût du travail se traduit concrètement par l’explosion des contrats précaires et atypiques, qui font la part belle aux temps partiels. Ainsi, 82 % de ces contrats sont signés par des femmes et la grande majorité d’entre elles déclarent, lorsqu’elles sont interrogées, qu’elles préféreraient être recrutées sur la base d’un temps plein.

Les femmes sont plus nombreuses à être recrutées en CDD. Une étude menée par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2010 rappelait que seulement 41 % des CDI étaient signés par des femmes. D’ailleurs, le premier motif invoqué par les femmes ayant cessé de travailler est la fin d’un contrat précaire, alors que voilà vingt ans les raisons personnelles primaient. Cette situation renvoie naturellement à une certaine conception de la place des femmes dans le monde du travail, encore trop empreinte de la domination masculine, selon laquelle leur rémunération ne constituerait qu’un complément de salaires au foyer du ménage.

Mais elle est aussi la traduction concrète et poussée à l’extrême d’une autre forme de domination : celle de l’argent sur l’humain. Car les femmes payent plus que les hommes le prix d’un modèle économique dans lequel les richesses produites sont détournées et orientées vers la finance, la rémunération du capital prime sur celle du travail et l’organisation même de celui-ci est tournée vers l’accroissement des richesses accordées à une minorité. C’est une situation que nous ne pouvons accepter. Elle nous révolte d’autant plus que les pouvoirs publics l’encouragent en subventionnant les emplois précaires, à grand renfort d’exonérations de cotisations sociales.

À cette pression permanente sur les salaires qui s’accompagne d’une dégradation continue des conditions de travail des femmes, s’ajoute une politique d’austérité imposée par les gouvernements successifs, au prétexte qu’il faudrait réduire les déficits. Ainsi, bien que les femmes perçoivent des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes et des pensions inférieures de 42 %, les réformes successives, en allongeant la durée de cotisation, en augmentant la décote et en relevant l’âge légal de départ à la retraite, ont encore dégradé un peu plus la situation des femmes. Le présent projet de loi, dont l’objectif affiché est de réduire les inégalités dont les femmes sont victimes une fois à la retraite, ne résoudra rien.

Je fais mienne cette analyse du Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF : « les femmes continueront à toucher moins de retraite que les hommes, auront des carrières moins longues, partiront plus tard, écoperont des décotes et ne bénéficieront que rarement des surcotes ».

Certes, le projet de loi prévoit quelques mesures positives, que nous ne boudons pas : modification des règles de validation des trimestres pour les temps partiels, ou encore prise en compte de la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. Toutefois, celles-ci sont de portée limitée et ne corrigent les inégalités qu’à la marge.

L’allongement de la durée de cotisation frappera de plein fouet les femmes et les décotes réduiront encore leurs pensions injustement basses. C’est l’élément majeur de cette réforme. Mais, comme l’a souligné notre collègue Dominique Watrin, nous avons des propositions alternatives.

La lutte en faveur de l’égalité de pension entre les femmes et les hommes passe par une lutte contre les inégalités professionnelles, singulièrement salariales. À cette fin, nous proposons d’instaurer une cotisation patronale sur les emplois à temps partiel, de telle sorte que les employeurs qui abusent de ce type de contrats cotisent pour la branche vieillesse dans les mêmes proportions qu’ils le feraient s’ils recrutaient des salariés à temps plein.

Nous proposons également de repenser les conditions de calcul des retraites des salariés précaires, notamment de celles et ceux qui ont été longtemps en CDD ou au chômage, pour retenir uniquement les meilleures annuités de cotisations et garantir dans tous les cas une retraite au moins égale au SMIC. Il faut cesser d’encourager les emplois précaires en supprimant les exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs en la matière et imposer, à l’inverse de cette logique libérale, une modulation de cotisations en fonction de la politique salariale des entreprises, de telle sorte que le recours aux emplois précaires soit rendu fiscalement et socialement moins intéressant.

En bref, pour garantir aux femmes une retraite digne et égale à celle des hommes, l’égalité doit passer des frontons de nos écoles à la réalité de la société. Nous en sommes loin !

Nous ne souscrivons absolument pas au postulat, partagé par un grand nombre, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie induit naturellement un allongement de la durée du travail. Nous pensons au contraire que, pour vivre plus longtemps, il faut d’abord être en bonne santé, quelle que soit la pénibilité des emplois qu’on a pu occuper.

Pour toutes ces raisons et celles qu’a développées tout à l’heure Dominique Watrin, nous voterons contre cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, consultation et négociation, choix de mise en œuvre progressive des dispositions de refinancement, trajectoire d’équilibre pour le long terme, mesures de justice pour ceux qui exécutent des tâches pénibles, pour les femmes, pour les jeunes, pour les non-salariés agricoles, pour les personnes handicapées, pour les aidants familiaux et pour les travailleurs précaires, simplification et clarification de l’accès aux droits, création d’un système de pilotage durable : dans le contexte de vieillissement démographique et de crise économique, sociale et budgétaire que nous connaissons, cette réforme a l’ambition de maintenir et de préserver pour l’avenir un système de retraite par répartition solidaire et d’être en même temps gage de progrès social.

Avec ce texte, nous changeons incontestablement de méthodes, de projet et de perspectives.

La méthode a changé, parce que la négociation a remplacé le passage en force que nous avons connu voilà peu sur le même sujet,…

M. Yves Daudigny. … contre les milliers de manifestants d’alors et contre le Parlement par le recours, notamment, au vote bloqué.

Le projet a changé, parce qu’il comporte de nombreuses mesures de justice et crée des droits nouveaux.

La perspective, enfin, a changé, parce qu’elle s’inscrit dans la durée, celle qui est nécessaire à une mise en œuvre raisonnée des mesures de court terme et celle qui anticipe et prépare l’avenir.

Les uns jugent que cette réforme est financièrement trop rigoureuse, les autres qu’elle ne l’est pas assez. Et si pratiquement tous les articles du texte ont été rejetés en commission, mercredi dernier, c’est pour des raisons radicalement opposées !

M. Yves Daudigny. Tout aussi paradoxalement, certains ont souhaité un vrai débat en séance publique et ont déposé des amendements dans cette perspective, mais cautionneraient, en la votant ou en s’abstenant, la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui couperait court à toute discussion.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas bien de dire cela ! C’est faux !

M. Yves Daudigny. Les enjeux de ce projet devraient pourtant porter au réalisme et à la sincérité.

Est-ce une réforme systémique ? La question n’est pas éludée. Elle est posée notamment par la commission Moreau, qui a estimé, à mon sens à juste titre, que le choix de la technique de gestion des droits – par annuités, par points ou par comptes notionnels – est en réalité secondaire dans la mesure où les instruments et les indicateurs retenus pour piloter les régimes dans chacun des modèles permettent de prévoir une part de droits contributifs et une part de droits relevant d’une logique de solidarité, de même que chacun a la capacité de répondre aux besoins d’ajustements, en fonction du contexte démographique et de la croissance.

La question est moins celle des modalités de gestion, qui dépendent essentiellement des objectifs qu’on leur fixe, que celle de l’architecture de notre système, dispersée entre les vingt et un régimes de base différents recensés par le Conseil d’orientation des retraites, auxquels s’ajoutent les régimes complémentaires obligatoires.

Améliorer la performance du système suppose d’abord une convergence de principes et d’outils. En ce sens, la commission Moreau recommandait de privilégier au préalable une coordination et une mutualisation entre régimes : celles-ci limiteront les coûts, simplifieront les relations des assurés avec les caisses et permettront, à terme, de constituer la base partagée favorable à une unification.

Tel est le choix du présent projet de loi, qui prévoit, pour la première fois, à l’article 3, un pilotage crédible du système par le biais d’un comité de surveillance des retraites, renommé « comité de suivi des retraites » par l’Assemblée nationale, permanent et restreint pour être opérationnel. Faut-il rappeler que le COPILOR, le comité de pilotage des régimes de retraite, créé par la réforme de 2010, à la composition pléthorique, s’est réuni une seule fois en séance plénière et n’a rendu aucun avis ?

Ceux que devra rendre le comité en question, à date fixe, seront publics, transmis au Parlement et au Gouvernement, lequel, après concertation avec les partenaires sociaux, se prononcera devant la représentation nationale. Les décisions ne pourront plus être différées.

Le comité aura compétence non seulement sur les équilibres financiers, mais également, là encore à la différence de son prédécesseur, sur la pénibilité, sur la situation comparée des droits à pension dans les différents régimes, sur celle des hommes et des femmes et sur le pouvoir d’achat des retraités. Le pilotage prévu n’est donc pas seulement financier, il est également social. Enfin, le Fonds de réserve pour les retraites, détourné et vidé de ses actifs à la fin de 2010 de manière peu responsable, retrouvera sa fonction d’origine.

Les dispositions de l’article 3 constituent en réalité une innovation structurelle majeure pour notre système de retraite.

La deuxième rupture fondamentale à laquelle procède cette réforme est de s’inscrire dans le temps long. Les besoins de financement du régime ont été quantifiés dans cette perspective par le COR, selon différentes hypothèses. Selon le scénario intermédiaire retenu, ces besoins s’établissent pour l’ensemble des régimes, de base et complémentaires, à hauteur de 20,7 milliards d’euros en 2020 et de 26,6 milliards d’euros en 2040, compte tenu de l’accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO du 13 mars dernier.

Trois mesures d’équilibre immédiat et une mesure de long terme doivent assurer la trajectoire d’équilibre du régime, essentiellement celui du régime général.

La hausse du taux des cotisations vieillesse déplafonnées s’appliquera de manière proportionnée et progressive sur quatre ans. En 2014, elle représentera une augmentation de 2,15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC.

Le décalage de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre permet de ne pas recourir à une baisse durable du montant des pensions ou à une modification des mécanismes d’indexation. Par ailleurs, il ne touchera pas les bénéficiaires du minimum vieillesse, d’une pension d’invalidité et d’une rente accident du travail-maladie professionnelle.

Je veux dire un mot, à cet instant, madame la ministre, de l’allocation équivalent retraite, l’AER, suspendue en 2009 par le précédent gouvernement, remplacée – en partie seulement – par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, sur laquelle je veux appeler votre attention.

Le décret du 4 mars dernier témoigne d’une volonté réelle de répondre à une urgence, mais ne permet pas la prise en compte des trimestres validés au titre de l’allocation de solidarité spécifique pour les générations 1952 et 1953 et exclut la génération 1954. Compte tenu de l’article 40 de la Constitution, l’Assemblée nationale a prévu qu’un rapport serait remis trois mois après la promulgation de la future loi. Notre collègue Martial Bourquin propose de limiter ce délai à un mois. Madame la ministre, ce serait bien le moins ! Pouvons-nous compter sur votre avis favorable dans la suite du débat ? Je vous en remercie par avance.

Troisième mesure d’effet immédiat, la suppression de l’exclusion des majorations de pension de 10 % de l’assiette d’imposition des retraités ayant élevé au moins trois enfants est inscrite dans le projet de loi de finances. La Cour des comptes et la commission pour l’avenir des retraites ont en effet montré que cette majoration est inéquitable à plusieurs titres : elle bénéficie aux pensions les plus élevées, davantage aux hommes qu’aux femmes, et varie selon les régimes. Son intérêt redistributif est, selon le comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, égal à zéro. Sa suppression permettra une plus juste redistribution des avantages familiaux de retraite.

Mesure de long terme enfin, qui n’entrera en vigueur qu’à compter de 2020, de manière progressive et limitée dans le temps, l’augmentation de la durée d’assurance doit permettre d’absorber, jusqu’en 2035, la « bosse démographique » due au baby-boom d’après-guerre.

Je veux souligner ici la vision globale des équilibres recherchés par le Gouvernement et la responsabilité dont on doit le créditer à cet égard. Les pensions de retraite versées en 2011 représentaient 271,5 milliards d’euros, soit 13,6 % du PIB. Elles constituent la première dépense de notre système de protection sociale. La réforme des retraites prend donc toute sa part dans la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 du 31 décembre 2012. Selon le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2014, « au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base présentée par le Gouvernement [représentent] une amélioration du solde structurel immédiate et pérenne de 0,5 point de PIB. »

J’ai parlé aussi de progrès social, et progrès social il y a ! La reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité sont emblématiques à cet égard et constituent l’axe majeur de ce projet de loi, tout autant que la méconnaissance volontaire de la réalité des conditions de travail a été la caractéristique majeure de la réforme Fillon, alors qu’il est bien établi que l’espérance de vie en bonne santé, donc la durée de la retraite, est largement dépendante de ces conditions.

En 2010, outre que pénibilité et invalidité avaient été sciemment confondues, avait également été prévue la possibilité de négocier, par accord collectif de branche, un dispositif de compensation de la charge de travail des salariés exerçant des travaux pénibles. Était aussi prévue la création, avant le 31 mars 2011, d’un comité scientifique chargé d’évaluer les conséquences de l’exposition aux facteurs de pénibilité sur l’espérance de vie sans incapacité. Aucune branche n’a négocié d’accord et le comité envisagé n’a jamais été installé. C’est dire la volonté réelle qui était celle du précédent gouvernement !

Mais avançons. Mesure en faveur de l’emploi des seniors avec l’amélioration du dispositif de retraite progressive, bonification des droits à la retraite des femmes avec la validation de trimestres au titre du congé de maternité, amélioration des droits des travailleurs précaires avec, notamment, l’abaissement du seuil d’acquisition d’un trimestre de 200 à 150 heures SMIC, amélioration des droits des jeunes pour la validation des périodes d’apprentissage en alternance, de stage et le rachat de périodes d’études, amélioration des petites pensions des non-salariés agricoles avec, en particulier, la création d’un minimum de 75 % du SMIC garanti aux chefs d’exploitation ayant une carrière complète, accès à la retraite anticipée facilitée pour les personnes handicapées et, last but not least, amélioration des droits des aidants familiaux avec, entre autres, la création d’une majoration de durée d’assurance : telles sont quelques-unes des mesures prévues par ce projet de loi.

Avec cette réforme, madame la ministre, vous substituez à la brutalité une action préventive, dans le cadre – et telle était la recommandation du rapport Moreau – « d’un processus permanent d’examen exigeant de notre système. » Vous prouvez ainsi, parce qu’elle prend en compte et améliore réellement la situation du plus grand nombre des assurés les plus fragilisés, que c’est une réforme d’espoir et de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)