M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’il est le produit de notre histoire sociale, notre système de retraite par répartition doit être préservé. Il y va de l’égalité, de la solidarité et de la cohésion sociale, autant de principes et de valeurs qui doivent guider l’actuelle majorité.

Nous devons à la fois garantir le pouvoir d’achat des retraités d’aujourd’hui et assurer une retraite décente aux générations futures. Lors de la dernière conférence sociale, le Président de la République l’a très justement rappelé : « Parler des retraites, c’est parler de l’avenir. C’est parler de cette promesse que la société fait à chaque génération et à chacun de ses membres. »

Malgré les réformes engagées au cours des vingt dernières années, le déséquilibre financier de notre système de retraite menace sa pérennité. Les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, publiées au mois de décembre dernier, sont alarmantes : si rien n’est fait, le système de retraite accusera un déficit de plus de 21 milliards d’euros en 2020 !

Rappelons que la réforme de 2010 prétendait pourtant garantir l’équilibre à l’horizon 2020. Son principe reposait sur une idée simple : comme les Français vivent plus longtemps, il faut reculer l’âge légal de départ à la retraite. Cette réforme, imposée aux forceps et sans concertation – nous l’avions alors combattue –, était injuste et financièrement irresponsable. Elle n’a pas tardé à se solder par un échec.

Rétablir l’équilibre des régimes est de nouveau une impérieuse nécessité pour permettre non seulement aux actifs qui arrivent en fin de carrière de partir à la retraite dans de bonnes conditions, mais aussi aux jeunes d’accéder à une retraite convenable.

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, il s’agit de relever un triple défi. Nous devons faire face aux contrecoups de la crise économique de ces dernières années et à une réalité démographique qui pèse de plus en plus lourd sur notre système de retraites. Mais la solidarité ne doit en aucun cas devenir un fardeau pour ceux qui devront en faire preuve.

Si aucune réforme n’est mise en œuvre, le montant des pensions des futurs retraités baissera considérablement. Nos concitoyens les plus aisés, à l’inverse des plus défavorisés, capitaliseront alors pour compléter leur retraite. Par conséquent, les inégalités ne feront que s’accroître et la fracture sociale s’accentuera.

Garantir l’avenir de notre système de retraites suppose aussi que nous engagions une réflexion plus globale. Dans le souci de renforcer le système par répartition, les radicaux de gauche appellent de leurs vœux depuis plusieurs années la mise en place d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.

M. Gilbert Barbier. Exactement !

Mme Françoise Laborde. Nous avons très tôt plaidé pour une réforme qui consisterait à remplacer les annuités par des points ou des comptes notionnels au sein d’un régime universel. Le septième rapport du COR, publié au mois de janvier 2010, a d’ailleurs démontré que le passage à un régime par points ou en comptes notionnels était techniquement possible et permettrait, notamment, d’intégrer des dispositifs de solidarité. Je regrette à ce titre que la réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique demandée par le Sénat en 2010 n’ait jamais eu lieu.

Pour autant, madame la ministre, votre projet de loi comporte de très bonnes mesures, lesquelles apportent des solutions. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité, en particulier, est une excellente initiative.

Alors que la réforme de 2010 établissait une véritable confusion entre pénibilité et invalidité,…

Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Laborde. … la pénibilité est enfin reconnue comme étant l’exposition à des facteurs de risque qui réduisent l’espérance de vie sans incapacité. Nous ne pouvons que souscrire à cette mesure. Toutefois, nous vous proposerons d’assouplir le dispositif. Ainsi, pourquoi les salariés seraient-ils obligés de consacrer les vingt premiers points à la formation ? Il est important, selon nous, de leur laisser le choix de l’utilisation de leurs points.

Par ailleurs, le présent texte comporte des avancées, notamment pour ce qui concerne les personnes ayant eu des carrières longues ou heurtées, ou encore les retraites agricoles. Les mesures d’aide au rachat de trimestres d’études, de valorisation des années d’apprentissage et de stage destinées aux jeunes vont également dans le bon sens.

Je me réjouis des quelques dispositions tendant à améliorer les droits à la retraite des femmes. Je pense, par exemple, à la validation des périodes de congé de maternité. En revanche, je regrette vivement que la refonte des majorations de pension visant à mieux compenser l’arrivée d’enfants dans le foyer soit renvoyée à 2020. Je vous rappelle que les femmes retraitées percevaient, en 2011, une pension moyenne de 932 euros alors que celle des hommes s’élevait à 1 603 euros.

Enfin, les sénateurs RDSE, comme les députés du groupe RRDP, ne sont pas favorables au report de la revalorisation des pensions au 1er octobre. En effet, cette mesure va entraîner une diminution du pouvoir d’achat des petits retraités.

Vous avez déclaré, madame la ministre, qu’il n’avait jamais été question de mettre à contribution les plus petites retraites. « Le Premier ministre l’a toujours dit et je le répète, les petites pensions sont préservées », avez-vous affirmé. C’est pourtant incontestablement l’inverse qui va se produire !

Certes, les personnes qui perçoivent l’allocation de solidarité aux personnes âgées seront épargnées par ce gel de six mois. Toutefois, est-il nécessaire de rappeler que seules 600 000 personnes perçoivent cette allocation, alors que 1,6 million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté ? Aussi proposerons-nous un amendement visant à supprimer cette disposition particulièrement injuste.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, si nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité d’agir sur le dossier des retraites, nous nous prononcerons en fonction de nos travaux en séance, auxquels nous serons particulièrement attentifs. Notre responsabilité sera à la hauteur de l’enjeu. (M. Gilbert Barbier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je concentrerai mes propos sur le volet pénibilité du présent projet de loi.

Mais je veux tout d’abord rappeler que, depuis vingt ans, ce sont des gouvernements de droite et du centre qui ont conduit toutes les réformes visant à pérenniser les régimes de retraite. Des mesures fortes en termes financiers, en termes de justice sociale ou d’équité, ont été prises régulièrement, en 1993, 2003, 2008 et 2010. Notons le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, les prémices de la convergence entre les régimes publics et privés, l’introduction de la notion de pénibilité et le report de l’âge de départ à la retraite. Le COR a estimé que l’ensemble de ces réformes aurait un impact financier total de plus de 3,5 points de PIB en 2020.

Mme Catherine Génisson. Et le Fonds de réserve pour les retraites ?...

M. Jean-François Husson. Aujourd’hui, vous reconnaissez enfin la nécessité d’agir et vous nous expliquez que vous allez garantir l’avenir du système de retraites avec cette réforme qui n’en est pas une, comme Gérard Longuet l’a justement démontré tout à l’heure : en effet, vous trouvez 7 milliards d’euros alors qu’il en faudrait 20 ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) La gauche est coutumière des rendez-vous manqués s’agissant de réforme des retraites ! (Mêmes mouvements.) Il est tellement plus facile de diminuer l’âge de la retraite en le faisant passer de 65 à 60 ans que de réformer vraiment, même si cette mesure est très lourde de conséquences pour les jeunes générations que vous trompez ainsi ! (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Bas. Très bien !

M. Jean-François Husson. En matière de pénibilité, le texte s’inscrit dans le prolongement de l’introduction de cette notion dans le code du travail en 2003, puis de la réforme de 2010, qui a maintenu l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les salariés ayant une incapacité dont le taux s’établit entre 10 % et 20 %. Cette réforme a également prévu que les entreprises de plus de cinquante salariés devraient élaborer un plan contre la pénibilité au travail.

À cette époque – il faut le rappeler –, l’opposition, c’est-à-dire la majorité actuelle, n’a voté aucune de ces dispositions !

M. Jean-François Husson. Vous reprochez aux réformes de 2003 et 2010 de n’avoir pris en compte que les facteurs d’incapacité et d’inaptitude et non pas la question plus large de la pénibilité. Mais il est très difficile de définir et d’évaluer précisément cette notion. Chacun la conçoit, l’interprète et la vit de façon différente.

En outre, tout travail peut contenir des tâches pénibles. Les effets de la pénibilité varient selon les entreprises, les postes, les individus. Ils dépendent aussi de facteurs extraprofessionnels tels que les habitudes et les conditions de vie, les conceptions en matière de santé, d’hygiène et de sécurité.

Le projet d’un compte personnel de prévention de la pénibilité fait fi de toutes ces subtilités, car il est prévu arbitrairement que toute entreprise devra appliquer les mêmes règles. Je le qualifierai de « hors-sol » et dogmatique, voire de quasiment inapplicable sur le terrain.

En matière de financement, une nouvelle fois, vous laissez une facture impayée pour les années à venir, une « ardoise », si j’ose dire, pour les prochaines générations.

En effet, le coût de la mise en place de ce compte est estimé à 2,5 milliards d’euros en 2040, tandis que les deux cotisations qui lui sont affectées rapporteront seulement 800 millions. Il est donc irresponsable de proposer un système dont on sait d’ores et déjà qu’il sera déficitaire de plus de 1,5 milliard d’euros à terme. Qui va payer la différence ?

De surcroît, les cotisations additionnelles créées pour financer ce compte s’ajoutent à la hausse de 0,3 % des cotisations employeurs prévue par le projet de loi.

L’ensemble de ces mesures représente, pour les entreprises, une charge supplémentaire de 12 milliards d’euros sur quatre ans, qui s’ajoute – faut-il le rappeler ? – au coût du retour à 60 ans de l’âge de départ légal à la retraite pour les personnes ayant eu des carrières longues décidé au mois de juin 2012 et qui s’élève à 10 milliards d’euros.

La disposition en cause aura une nouvelle fois de lourdes conséquences sur le chômage, dont vous n’arrivez toujours pas à endiguer la croissance depuis bientôt dix-sept mois.

Les cotisations salariales et patronales dépassent désormais 65 % du montant du salaire brut du salarié et pèsent excessivement sur l’emploi. Et force est de constater que les décisions de votre gouvernement ne vont pas forcément aider le marché de l’emploi à retrouver le dynamisme qui lui fait si cruellement défaut !

Par ailleurs, le texte que nous examinons va défavoriser les entreprises françaises face à la concurrence européenne. La France sera en effet le seul pays européen à s’être dotée d’un tel dispositif, au moment où l’Union européenne va autoriser l’embauche de travailleurs d’Europe de l’Est rémunérés, certes, au SMIC français, mais sans charges équivalentes et sans compte personnel de prévention de la pénibilité !

Alors que vous prétendez faire du choc de simplification administrative une priorité, vous introduisez, permettez-moi de vous le dire, un fardeau de complexité pour de nombreuses entreprises. C’est le cas, par exemple, de la fiche de prévention des expositions, qui doit être remplie pour chaque salarié en fonction de l’activité pénible qu’il exerce au cours de la journée. Les entreprises familiales employant quelques salariés, qui exercent souvent des activités très différentes au cours d’une même journée, ne pourront pas respecter un tel dispositif.

Oui, nous faisons encore fausse route avec ce débat qui prend en compte une approche que je qualifierais de négative du travail ! Réduire une activité professionnelle à la pénibilité revient en effet à envoyer un mauvais signal à ceux qui entrent dans le monde du travail. Certains métiers sont pénibles par nature, et ils le resteront, malgré la politique de prévention. C’est le cas, par exemple, d’activités du bâtiment, secteur qui connaît déjà des difficultés d’embauche et dont les acteurs craignent que ce caractère « pénible » ne repousse encore des candidats.

Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ces métiers sont véritablement pénibles !

M. Jean-François Husson. Vous courez le risque de voir les entreprises avoir davantage recours à l’intérim ou à la main-d’œuvre étrangère.

Notre approche, contrairement à la vôtre, repose non pas sur l’éventualité d’une atteinte physique, mais sur l’usure constatée chez le salarié. Elle est donc fondée sur des critères médicaux plutôt que sur une compensation sociale.

Je l’ai déjà indiqué, nous ne pouvons donner une définition uniforme et rigide de la pénibilité, comme prétend le faire ce projet de loi. Pourquoi les infirmières des hôpitaux publics devraient-elles être exclues du dispositif, alors que vous l’imposez dans les établissements de santé privés ?

La situation sera en réalité pire pour les infirmières qui ont accepté un passage en catégorie A en contrepartie d’une perte du bénéfice de la catégorie active, mais qui ne seraient pas couvertes par le nouveau dispositif.

Mme Catherine Génisson. C’est l’UMP qui n’a pas voulu les intégrer ! C’était un marché de dupes !

M. Jean-François Husson. Où sont l’équité et la justice ?

Finalement, vous voulez faire passer tout le monde sous la toise, à défaut de pouvoir faire entrer tous les individus dans le même carcan ! Vous êtes en train de reproduire la désastreuse et funeste erreur des 35 heures ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Eh oui !

M. Jean-François Husson. Vous voulez imposer arbitrairement la même réglementation à tout le monde, quels que soient les secteurs, les branches, et les réalités de l’entreprise. Or les critères de la pénibilité devraient justement relever des négociations collectives, plutôt que de la loi ou du décret.

Les conventions collectives et les accords d’entreprise prévoient d’ores et déjà pour les activités pénibles des mesures de compensation, par exemple des majorations de salaire qui peuvent aller jusqu’à 40 %, des primes, des temps de repos, du travail à temps partiel... Le dispositif supplémentaire qui nous est proposé sera-t-il cohérent avec les règles existantes de compensation et de réparation ? Vous allez créer une multitude d’exceptions qui rendront le système incompréhensible et injuste.

On peut craindre également que les salariés bénéficiant d’un compte personnel de prévention de la pénibilité ne tiennent pas à voir leurs conditions de travail s’améliorer, ce qui constitue pourtant notre objectif commun, à nous sénateurs, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ah bon ?

M. Jean-François Husson. En outre, ces fiches de poste risquent de faire naître des conflits entre salariés et employeurs quant aux critères d’évaluation de la pénibilité de telle ou telle tâche. Il se pourrait que certains employeurs hésitent à embaucher sur des postes pénibles pour éviter des situations trop difficiles à gérer, ce qui serait contre-productif pour l’emploi, convenez-en.

Enfin, je le répète, la prise en compte de la pénibilité n’a pas sa place dans le présent projet de loi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Génisson. C’est scandaleux !

M. Jean-François Husson. Cette question doit être réglée en amont des carrières, car elle dépend en premier lieu des conditions de travail.

Mme Catherine Procaccia. Tout à fait !

M. Jean-François Husson. La pénibilité doit être prise en considération dans le montant des rémunérations des salariés. Il ne revient pas aux retraites de par leurs gènes, si j’ose dire, de corriger les aléas d’une carrière.

Aujourd’hui, vous cherchez à compenser les grandes insuffisances de votre réforme. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Ce que vous nous proposez n’est rien d’autre qu’une nouvelle usine à gaz inapplicable et ne permettra pas, loin s’en faut, d’atteindre tous les objectifs que vous poursuivez. De surcroît, les entreprises en pâtiront. Il faut changer de cap !

En réalité, vous cherchez à donner du contenu à une réforme manquant de perspective, de conviction et de courage. (Mêmes mouvements.)

Cette réforme manque de perspective : elle prévoit des aménagements à courte vue qui font l’impasse sur l’ambition d’associer toutes les générations dans un grand projet qui promouvrait les solidarités partagées et refondées.

Mme Catherine Génisson. C’est n’importe quoi !

M. Jean-François Husson. Cette réforme manque de façon préjudiciable de conviction : faute de lisibilité et d’adhésion des Français, elle fragilise le contrat social de notre pays.

Cette réforme manque de courage, enfin, eu égard aux responsabilités qui sont les nôtres, et les vôtres, dans l’exercice du pouvoir. Nos compatriotes, non seulement pour participer à l’effort national et surmonter les difficultés que nous traversons actuellement, mais aussi pour garantir nos retraites de façon durable, peuvent comprendre la réelle situation.

Ce déni de réalité porte en lui les germes d’une responsabilité coupable, qui pourrait se révéler explosive, faute de cap fixé et de stratégie clairement identifiée pour la France et pour les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. René Teulade.

M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, un seul mot revient sans cesse : « retraite ». Ce terme polysémique recèle l’idée de départ, de congé, mais recouvre une kyrielle de réalités différentes, qui ont été longuement et parfaitement exposées.

Quel est donc le panorama aujourd’hui ? La retraite est envisagée sous un regard paradoxal. Toujours perçue comme une période de vie paisible, elle n’en demeure pas moins une source d’inquiétude. J’en veux pour preuve un sondage Ipsos réalisé au mois d’avril dernier pour l’Union mutualiste retraite et liaisons sociales, selon lequel 80 % des Français s’inquiètent de leurs conditions de vie à la retraite.

Pour autant, il est un rêve doré qui reste d’actualité : dans l’imaginaire collectif, la retraite prend la forme d’un droit à l’épanouissement personnel. La liberté et les nouvelles opportunités qu’offre ce temps de vie sont appréciées, par opposition aux contraintes d’un emploi trop souvent subi plutôt que choisi. À l’inverse de l’époque de la jeunesse où l’émancipation par rapport à l’habitus familial ne peut être que relative, où l’aliénation par le travail est à bien des égards tangible, la retraite est probablement le moment où l’homme prend le plus conscience de sa liberté.

Cette période est mise à profit de différentes manières, et il ne faut pas nécessairement prendre le terme « retraite » au pied de la lettre et l’assimiler à un repli en dehors de la cité.

Comme nous l’avions souligné dans un rapport du Conseil économique et social de 2000, intitulé L’avenir des systèmes de retraite, la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. Il suffit de considérer les milliers de retraités qui s’occupent bénévolement du tissu associatif maillant nos territoires pour comprendre l’importance de leur place au sein de notre société et de notre vie publique. En somme, comme l’écrivait si intelligemment Montaigne, « la vieillesse est l’âge où nous vivons l’intégralité de notre condition d’homme, et non seulement une partie tronquée de cette condition. »

Cependant, comme toute liberté, celle qui est inhérente à la retraite n’est que partielle. Elle ne peut être entière, sous peine de provoquer d’importants déséquilibres, notamment financiers, dans notre système. Or ce risque est si réel que pas moins de trois réformes ont marqué la dernière décennie, en 2003, 2008 et 2010. À l’issue de celle qui a été engagée par le Gouvernement, une quatrième aura pérennisé à moyen terme le système solidaire hérité du programme du Conseil national de la Résistance et qui vise, conformément à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, à garantir la sécurité matérielle.

Dans l’immédiat, au regard de la situation démographique du pays et du départ à la retraite des générations du baby-boom, le besoin en termes de financement du système s’établira à environ 20 milliards d’euros en 2020, soit 1 % du produit intérieur brut. Ces chiffres sont maintenant bien connus. Une nouvelle réforme des retraites n’est donc pas un luxe ; c’est une exigence.

Sans entrer dans le détail des ajustements financiers, présentés excellemment par Mme le rapporteur tout à l’heure, il est probant de constater que les mesures contenues dans le présent projet de loi répondent à deux principes liés et incontournables : l’équité et la justice. En effet, chacun doit contribuer au rééquilibrage du système de retraites en fonction de son parcours professionnel et de ses revenus. Ce principe a été rappelé et est accepté. En particulier, le Gouvernement a veillé à ne pas paupériser celles et ceux, malheureusement de plus en plus nombreux, qui sont déjà à la lisière de la pauvreté. Les classes moyennes inférieures ne peuvent supporter le coût de cette réforme.

Par ailleurs, comme le rappelle Yannick Moreau, auteur du rapport éponyme, la réforme des retraites est l’occasion de rétablir la justice au cœur de notre système. Sur ce sujet, j’aimerais effectuer une incise et faire part de mon regret à la suite du débat polémique et caricatural autour du mode de calcul des pensions entre secteur public et secteur privé, qui a initialement saturé l’espace médiatique.

À niveau de salaire identique, le taux de remplacement est quasiment similaire entre fonctionnaires et salariés – 75,6 % pour la fonction publique, 74,5 % pour la sphère privée. Autrement dit, pour une carrière comparable, le montant des pensions est équivalent entre ces deux mondes, qui sont régulièrement instrumentalisés et dressés l’un contre l’autre.

Plutôt que de s’escrimer à nourrir les amalgames, les préjugés, les fantasmes, à donner corps à des billevesées absurdes, hier sur les retraites, aujourd’hui sur l’immigration, demain sur l’assistanat sans doute, certains élus s’honoreraient à entrer de plain-pied dans le débat argumenté et à sortir, au plus vite, du dogme démagogique et populiste.

La situation économique, sociale, morale et humaine me semble suffisamment grave pour ne pas être vulgairement traitée par le truchement de slogans et de fariboles qui, à mille lieues d’être des réponses apportées aux problèmes actuels, sont des gesticulations, des actes désespérés et désespérants pour exister.

Maintenant, reprenant le cheminement de mon développement, je souhaiterais démontrer comment la valeur justice est gravée au centre de ce projet de loi, à l’inverse de celui qui avait été voté en 2010. Pour ce faire, je me focaliserai sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – cela a été excellemment souligné tout à l’heure – et l’amélioration de la retraite des travailleurs handicapés. Ces deux éléments sont très importants.

Il est trop promptement oublié que les retraités ne constituent aucunement un ensemble homogène et que des disparités injustifiables existent. Mécaniquement, les injustices dont sont victimes les femmes pendant leur vie active se conjuguent au moment de la retraite. Ainsi, selon le douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites « fin 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droit propre […] des femmes ne représentait que 53 % de celle des hommes ». Si ce ratio progresse, sous l’effet de l’accroissement de l’activité féminine et de la hausse du niveau d’études, il est impérieux de mieux prendre en compte les carrières féminines notoirement heurtées.

Ainsi, dès le 1er janvier 2014, tous les trimestres de maternité seront considérés valides, alors qu’aujourd’hui un seul trimestre est comptabilisé, indépendamment de la durée du congé de maternité. En outre, en vertu de l’article 14 du présent projet de loi, l’acquisition de trimestres sera facilitée pour les assurés percevant une faible rémunération et exerçant une activité à temps partiel réduit, principalement les femmes.

Cependant, il faut garder à l’esprit que les disparités entre les femmes et les hommes liées au montant des pensions trouvent leur racine dans les inégalités qui jalonnent la vie active. Fidèle à mes récentes prises de position au cours de la discussion relative au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, j’insiste sur la nécessité absolue de renforcer l’égalité professionnelle, en particulier salariale.

Par ailleurs, par ce texte, les possibilités d’accès à la retraite anticipée seront étendues pour les travailleurs handicapés ; c’est une avancée importante. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, jugée parfois ubuesque, sera progressivement remplacée par le seul critère d’incapacité permanente à 50 %. De surcroît, conformément à l’article 24, les assurés répondant à ce critère et ne justifiant pas d’une durée de cotisation suffisante pourront néanmoins bénéficier d’une pension à taux plein à 62 ans au lieu de 65 ans.

Je pourrais poursuivre l’énumération des mesures de justice contenues au sein de ce projet de loi et aborder le compte pénibilité, la question de la majoration des retraites des exploitants agricoles, ou encore la situation des polypensionnés, mais je préfère me concentrer sur un dernier aspect de cette réforme.

Celle-ci, par des dispositifs innovants, prend en considération les évolutions modernes, se révèle prospective et anticipe les enjeux qui se font jour. En l’espèce, le Président de la République, à raison, a fait de la jeunesse sa priorité.

Selon le baromètre de la DREES, 57 % des jeunes font montre d’un attachement certain au système de retraite par répartition, mais ils sont circonspects quant à la possibilité de bénéficier d’une pension décente. Les difficultés auxquelles ils doivent faire face pour intégrer le marché du travail, ainsi que les problématiques afférentes telles que le logement ou l’accès aux soins, expliquent ce sentiment de peur, parfois de désespoir et de désarroi, à l’encontre de l’avenir.

Victor Hugo écrivait à propos de la jeunesse : « Il lui est naturel d’être heureuse. Il semble que sa respiration soit faite d’espérance. ». Il serait aujourd’hui surpris de contempler l’évanescence de toute lueur à l’horizon.

Par conséquent, il paraît essentiel de prendre acte de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, résultant aussi bien de l’allongement des études que de la dégradation de l’emploi. Étant donné que les stages sont un passage obligatoire pour tout jeune, que les entreprises et les administrations tirent avantage des compétences acquises par ces étudiants, les députés socialistes ont introduit une disposition juste et pertinente, qui prévoit le versement de cotisations d’assurance vieillesse au titre des stages en entreprise, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une gratification.

Enfin, remédier aux affections du marché du travail – chômage, rigidités, etc. – est également l’un des axes cardinaux permettant de garantir la pérennité de notre système par répartition. Les pensions incomplètes, l’écart du montant des retraites entre les hommes et les femmes, précédemment évoqué, la situation tragique de celles qui ne vivent que des pensions de réversion sont autant de phénomènes reflétant les symptômes pernicieux qui frappent actuellement le marché de l’emploi.

Parallèlement, garantir plus de souplesse implique de ne plus penser linéairement le triptyque formation-emploi-retraite. Aujourd’hui, la vie professionnelle est rythmée par des périodes de formation, et les jeunes générations aspirent à quelques phases de « retraite », singulièrement lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. In fine, cela revient à offrir une plus grande latitude à chaque individu, à décloisonner les différentes étapes du cycle de vie et à les concevoir plutôt sous la forme d’un enchevêtrement.

En conclusion, cette réforme n’est pas placée sous le seul signe de l’équilibre financier. D’ailleurs, dans un climat politique délicat, voire délétère, le Gouvernement ne pouvait faire l’économie d’une réflexion plus aboutie. Il faut bien saisir que seules la pédagogie et l’affirmation d’un destin commun, fondé non seulement sur l’efficacité des dispositifs mis en œuvre, mais aussi sur la réaffirmation des valeurs et des repères intégralement oubliés ou, à tort, honteusement affichés,…