M. Gérard Larcher. En écoutant les différentes interventions sur l’article 5, je me suis dit que les difficultés que nous connaissions depuis la réforme des retraites de 2003 pour définir la pénibilité n’étaient guère réglées. En effet, nous risquons d’aboutir à une liste extrêmement longue et variée – et je n’ose évoquer la question des Français établis hors de France –, qui ne définira pas pour autant ce qu’est la pénibilité. Or c’est bien sur cet obstacle que nous butons.

Madame la ministre, pensez-vous vraiment qu’un texte législatif résoudra ce problème ?

Nous connaissons bien la question de la prévention, qu’a évoquée Philippe Bas. Elle a fait l’objet d’un travail avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.

M. Gérard Longuet. C’est exact !

M. Gérard Larcher. De la même façon, depuis le début du XXe siècle, nous avons travaillé de manière empirique sur la prévention au travail, quand pénibilité rimait avec mortalité précoce, qu’il s’agisse des mineurs, des marins, en particulier les marins au long cours, des chauffeurs de locomotive à vapeur, des travailleurs exposés aux risques chimiques. D’ailleurs, sur ce dernier point, le plan REACH nous a fait progresser en matière de prévention à l’échelle européenne.

Il nous est arrivé de ne pas tirer les conséquences des changements des conditions de travail et de laisser de côté certains secteurs. Je pense au dossier de l’amiante que j’ai eu à traiter à l’époque. Les « préretraites amiante » ont en quelque sorte constitué une compensation de cette absence de prévention.

Sur la question qui nous occupe, mes chers collègues, au-delà des aspects financiers – et nous voyons bien que nous ignorons encore le coût de cette mesure –, il nous faudra veiller à ce que cette fiche individuelle ne devienne pas un nouveau livret ouvrier, ce document qui, je le rappelle, marquait les parcours professionnels et était un facteur de discrimination indirecte.

C’est la raison pour laquelle, à l’issue de ce débat sur l’article 5, il me paraît essentiel, en application d’un texte qui m’est cher, celui de l’agenda social de 2007 (Sourires sur les travées de l’UMP), de renvoyer ce sujet à la négociation entre partenaires sociaux. Cela permettrait de franchir un pas majeur, car nous pourrions assigner à cette discussion un objectif et une date butoir. Tel est le sens de cet amendement.

Si nous agissons autrement, mes chers collègues, vous verrez que, de décret en décret, nous aurons les pires difficultés à définir la pénibilité. Nous serons sans cesse confrontés à des procédures reconventionnelles sur les décisions qui auront été prises. Nous n’avons donc pas d’autre solution. Si la discussion entre partenaires sociaux n’aboutit pas, le Parlement, s’inspirant de la négociation, devra être saisi de la question de la définition de la pénibilité.

Malgré les difficultés et les échecs que nous avons connus sur ce dossier – j’en sais quelque chose ! –, je le répète, il nous faut impérativement repasser par la case partenaires sociaux. En effet, ce n’est pas au détour d’un texte de cette nature que nous pourrons définir la pénibilité une fois pour toutes ; en revanche, nous pouvons fixer les conditions et les objectifs d’ouverture d’un compte individuel, ce qui nous renvoie au débat que nous avons eu hier, notamment avec Jean-Marie Vanlerenberghe. Dans le cas contraire, croyez-moi, ce sujet ne sera pas clos avant longtemps ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. L’amendement n° 137, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Cet amendement est bref, mais utile.

Pour en présenter l’objet, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler le célèbre sketch de Fernand Raynaud, Le fût du canon. (Exclamations amusées.) Interpellé par son officier, un soldat ne sait que répondre à la question : « Combien de temps met le fût du canon pour refroidir ? » Il est vrai qu’il n’avait pas intégré de grandes écoles comme certains d’entre vous... (Sourires.) Devant son incompétence, l’officier lui lit la phrase du manuel : « Un certain temps. » (Nouveaux sourires.)

Depuis, chaque fois que je croise le terme « certain » ou une imprécision de ce type dans un document officiel, surtout lorsqu’il s’agit d’une loi, je trouve cela pour le moins inapproprié et me remémore cette scène.

Madame la ministre, l’expression « certains seuils » peut être porteuse du meilleur ou du pire pour les salariés à qui elle sera opposée. Comme votre collègue Michel Sapin, vous êtes quotidiennement interpellée par des salariés victimes de l’amiante et, vous le savez, les seuils ne peuvent recouvrir toutes les situations.

Que dire des salariés qui sont exposés à la radioactivité souvent longtemps, mais toujours en dessous du seuil de dangerosité ? Pourtant, cette exposition a des conséquences sur leur santé, comme l’a reconnu récemment une décision de justice condamnant l’entreprise EDF pour ces motifs.

La définition du seuil est repoussée à la rédaction du décret. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut supprimer cette référence, qui est source de complexité, mais aussi d’insécurité pour les travailleurs. Ce sont les salariés eux-mêmes qui sont les mieux placés pour définir la pénibilité, ceux qui la subissent et ceux qui défendent leurs intérêts. Faisons leur confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. L’amendement n° 138, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

a) À la première phrase, après les mots : « travailleur exposé », sont insérés les mots : « , au-delà de certains seuils déterminés par décret après avis conforme des organisations représentant les salariés et les employeurs » ;

La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Cet amendement pourrait paraître de pure forme. Il n’en est rien. Il témoigne au contraire de notre inquiétude. Cette préoccupation s’exprime d’ailleurs sur toutes les travées, même si ce n’est pas pour les mêmes motifs.

Madame la ministre, vous n’avez pas voulu nous entendre sur la notion de seuil, nous le regrettons. Nous continuons de préférer la formulation de l’article L. 4121-3-1 du code du travail actuellement en vigueur qui parle de « facteurs de risques professionnels ». Elle nous paraît plus ouverte et moins floue.

L’article 5 prévoit que ces seuils seront fixés par décret. Nous souhaitons préciser « après avis conforme des organisations représentant les salariés et les employeurs. » Nous voulons en effet que cette notion de seuils que vous maintenez soit au moins la plus consensuelle possible, afin d’éviter les interprétations et la multiplication des recours en justice.

Vous avez renforcé le dialogue avec les organisations syndicales et c’est une bonne chose. Vous avez d’ailleurs tellement « sacralisé » ce dialogue que vous avez même tenté d’amoindrir l’apport de la représentation nationale aux questions relatives au droit du travail. C’est bien ce que nous avons vécu lors du débat sur la transcription de l’Accord national interprofessionnel : tout l’accord, rien que l’accord !

Cette page est d’ailleurs loin d’être tournée. Les salariés commencent à subir les conséquences de cette « libéralisation » du marché du travail et les abus des entreprises que nous prévoyions commencent malheureusement à devenir réalité. Bon nombre de salariés découvrent en effet avec effarement qu’ils peuvent être remerciés aujourd’hui, quasi manu militari, après de bons et loyaux services, sans avoir eu le temps d’émettre la moindre contre-proposition ni même de se défendre contre la fâcheuse tendance qu’ont certains groupes à provoquer des faillites de leurs filiales pour se séparer à moindre coût de leur personnel.

Par conséquent, accordez-nous, sans jeu de mots aucun, cet amendement qui renforcera le dialogue social en amont de la publication du décret. Les organisations syndicales ouvrières ont travaillé à cette question de la pénibilité pendant toute la phase de préparation de ce projet de loi, même si, j’en conviens, toutes n’ont pas la même lecture de ce texte.

À l’instar de mon collègue, je souligne que l’histoire de la pénibilité dans notre pays est jonchée d’expériences douloureuses et devrait nous appeler à une plus grande vigilance dans l’examen des situations. Une région comme la mienne a payé un lourd tribut avec la silicose et l’amiante.

Les organisations syndicales seraient très satisfaites que l’adoption d’un amendement sénatorial renforce leurs prérogatives, leur accordant ce que je me permets d’appeler un « droit de suite » législatif. Sur un sujet comme celui-ci, l’apport des organisations syndicales représentant les salariés et les employeurs est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. L’amendement n° 139, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) À la première phrase, après le mot : « santé, », sont insérés les mots : « et après consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans le cadre de ses missions définies à l’article L. 4612-2 du présent code, ou des délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés » ;

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, doivent intervenir dans la définition de la pénibilité. Oui, nous sommes attachés à ce que la pénibilité, sa définition, la question des seuils, si ardemment défendue par les organisations syndicales, n’échappe pas à leur nécessaire vigilance. Malheureusement, nous avons souvent vu le patronat combattre pied à pied des avancées sociales quand il était le seul aux manettes.

Il s’agit donc de préciser que les instances représentatives du personnel – le CHSCT, à défaut le comité d’entreprise ou les délégués du personnel – sont associées en amont à la définition de la pénibilité.

La tendance à minorer la pénibilité du travail, comme tous les maux sociaux dans les entreprises, est hélas ! une vieille habitude des employeurs. Ainsi, combien a-t-il fallu de suicides à France Télécom ces dernières années pour que l’on reconnaisse enfin que l’organisation même du travail voulue par la direction créait du stress et conduisait à un harcèlement massif des salariés ?

La pénibilité est une chose trop importante pour en laisser la définition aux seuls employeurs, si je puis paraphraser un ancien président de la Ve République, et non des moindres !

La contre-expertise sociale des salariés et de leurs représentants est indispensable, surtout lorsqu’il s’agit, au bout de la chaîne, d’ouvrir des droits nouveaux, en l’espèce le droit de partir plus tôt à la retraite, puisque ce sera l’une des trois possibilités offertes par le compte prévention de la pénibilité.

Nous sommes pour la définition la plus large de la notion de pénibilité. C’est pourquoi nous pensons que la consultation du CHSCT et ou des instances représentatives du personnel est indispensable.

M. le président. L’amendement n° 330 rectifié, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) À la même phrase, après le mot : « santé, », sont insérés les mots : « et après consultation du médecin du travail » ;

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Cet article renforce la fiche de prévention de la pénibilité, qui devient un véritable fichier, exhaustif, chiffré et concret, regroupant les différents facteurs de pénibilité.

La définition des seuils constitue également une avancée majeure. Désormais, les risques seront quantifiés, ce qui permet de sortir des simples déclarations d’intention. Nous serons naturellement attentifs aux décrets d’application, mais nous saluons l’initiative.

M. Roland Courteau. C’est bien !

M. Jean Desessard. Il est prévu que la fiche ainsi établie par l’employeur est communiquée au service de santé au travail qui la transmet au médecin du travail. Si ce début de dialogue est bénéfique, nous considérons qu’il ne va pas assez loin. En effet, le dispositif actuel précise simplement les modalités de communication du contenu de la fiche, préalablement établi par l’employeur. Nous estimons au contraire que le dialogue doit se situer en amont pour être réellement efficace.

En conséquence, nous proposons que la médecine du travail soit consultée avant l’établissement de la fiche. En effet, le médecin du travail, par son expérience et sa position dans le monde du travail, connaît les situations à risque d’une manière concrète, puisque son rôle est de constater, prévenir et combattre les dommages à la santé dans le monde professionnel.

Ces missions s’inscrivent parfaitement dans la logique de lutte contre la pénibilité des articles 5 et 6 du présent projet de loi. En prévoyant les conditions d’une réelle consultation, notre amendement vise à mettre la médecine du travail au service des employés en situation de travail pénible et à permettre un éclairage médical des décisions de l’employeur, axé sur la santé des travailleurs.

Intégrer a priori la médecine du travail au dispositif sera également de nature à renforcer la transparence et la clarté du processus pour l’employeur et permettra au salarié de disposer d’une preuve incontestable de la pénibilité de son poste. Les risques de recours contentieux s’en trouveront ainsi réduits et l’accent mis sur la prévention se fera au bénéfice de l’employeur comme du salarié. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. L’amendement n° 407, présenté par Mme Demontès, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) À la même phrase, après les mots : « les conditions de pénibilité » sont insérés les mots : « résultant de ces facteurs » et après les mots : « disparaître ou réduire » sont insérés les mots : « l’exposition à » ;

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement tend à apporter des précisions rédactionnelles à l’article relatif à la fiche de prévention de la pénibilité, afin de faciliter sa compréhension : ce sont bien les conditions de pénibilité résultant des facteurs de risques professionnels qui doivent être suivies, et les efforts de l’employeur doivent porter sur la réduction de l’exposition des salariés à ces facteurs.

M. le président. L’amendement n° 141, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

L’ensemble des fiches individuelles est présenté chaque année au comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, ou à défaut aux délégués du personnel.

La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Par cet amendement, nous entendons revenir sur la question de la mise en œuvre pratique du dispositif de prise en compte de la pénibilité.

La fiche de prévention des expositions, qui viendra compléter le dispositif existant des fiches d’exposition aux risques professionnels créé en 2010, constitue le pivot du compte individuel. C’est sur la base de ces fiches, en effet, que les droits des salariés seront mesurés.

Certes, l’alinéa 12 de l’article 5, dans sa rédaction actuelle, prévoit que l’employeur remet chaque année au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ou, à défaut, dans les entreprises de moins de 50 salariés, aux délégués du personnel, « un bilan de l’application du présent article ». Ce bilan devra inclure le nombre de fiches complétées, les conditions de pénibilité auxquelles sont exposés les salariés, ainsi que les mesures préventives mises en œuvre par l’employeur.

Cette disposition est salutaire : elle permet au CHSCT de jouer pleinement son rôle de veille permanente. En ce sens, les travaux de l’Assemblée nationale ont enrichi le projet de loi.

Pour autant, le CHSCT se verra communiquer uniquement un bilan sur l’application de l’article 5 et non pas les fiches elles-mêmes, ce qui le privera de toute possibilité d’en vérifier la réalité. Qui plus est, si le projet de loi prévoit que les salariés peuvent contester le contenu des fiches ou obtenir, en agissant en justice, leur modification, le CHSCT ne dispose, lui, d’aucune prérogative en la matière. Le risque est donc grand que des employeurs peu scrupuleux transmettent au CHSCT comme aux salariés des informations erronées qui, si elles ne sont pas contestées, pourraient le rester.

Dès lors, la transmission des fiches, et non pas simplement celle du bilan prévu par le présent article, constitue une garantie supplémentaire pour les salariés.

M. le président. L’amendement n° 142, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le non-respect des dispositions du précédent alinéa est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 € ou de l’une de ces deux peines seulement.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, j’aimerais rectifier l’amendement n° 142. Les remarques faites en commission par Mme la rapporteur, ce matin, me poussent en effet à supprimer la peine d’emprisonnement qu’il prévoit.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 142 rectifié, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et qui est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le non-respect des dispositions du précédent alinéa est puni d’une amende de 3 750 €.

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Laurence Cohen. Malgré le maintien de la notion de « seuils », particulièrement floue, je salue le premier pas que constitue ce texte en matière de pénibilité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est un de ses aspects, madame la ministre, qui a obtenu le soutien des organisations syndicales. Nous voudrions, dans cet esprit, contribuer à renforcer les avancées qu’il permet.

Certains considèrent, je le sais, que nous sommes méfiants à l’égard des chefs d’entreprise. Pourtant, au cours de l’examen de ce projet de loi, nous avons avancé des propositions qui permettraient d’encourager certains employeurs, notamment celle visant à moduler les cotisations sociales. L’idée, en bref, est d’encourager les entreprises vertueuses en matière d’emploi, de formation professionnelle et d’égalité entre les femmes et les hommes, et de décourager les chefs d’entreprises voyous, ceux qui ne sont que peu ou pas respectueux des normes sociales et environnementales.

La prise en compte de la pénibilité par la fiche individuelle de prévention des expositions aux risques professionnels, qui suivra le salarié dans tout son parcours professionnel, est une bonne chose. Mais l’expérience prouve – pensons à l’égalité professionnelle, mes chers collègues ! – que des mesures non contraignantes ne sont pas appliquées, aussi justes soient-elles. Or les salariés auront un besoin impérieux de cette fiche, qui permet la traçabilité de leur exposition à la pénibilité. En détenant ce document, qui est opposable, ils pourront justifier de leur histoire de vie au travail.

Il y a fort à parier que les chefs d’entreprise, s’ils doivent respecter cette obligation sans s’exposer à une sanction, auront tendance à minimiser l’exposition à la pénibilité du salarié ou à oublier de lui remettre sa fiche individuelle à son départ.

La peine que nous proposons n’est pas exorbitante, mais elle peut être dissuasive. Alors, ne nous privons pas d’offrir aux salariés une sécurité, une garantie, un « filet social » supplémentaires. De notre point de vue, madame la ministre, le nouvel acquis, que vous souhaitez introduire par la loi, a besoin d’être consolidé.

M. le président. L’amendement n° 143, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° À la dernière phrase du second alinéa, après le mot : « travailleur, » sont insérés les mots : « ou d’incapacité supérieure à un taux fixé par décret, le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle il a signé un pacte civil de solidarité ainsi que » ;

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Mes chers collègues, comme vous le savez, l’information et la formation en matière de prévention des risques professionnels sont une obligation à la charge de l’employeur. Elles concernent tous les salariés, y compris les intérimaires, les sous-traitants, les personnels de maintenance ou d’entretien. L’objectif est de permettre aux salariés de connaître les risques professionnels auxquels ils sont exposés, d’appliquer les mesures de prévention et de savoir la conduite à tenir en cas d’accident.

Les formations relèvent de l’initiative de l’employeur. Chaque salarié doit bénéficier d’une formation pratique et appropriée en matière de sécurité à son embauche, après un arrêt de travail d’au moins 21 jours et à chaque modification technique et/ou changement de poste de travail. La formation devra être adaptée à la nature et à l’activité de l’entreprise, à sa taille, au type de risques auxquels le salarié est exposé et au poste qu’il occupe.

Nous l’avons vu, c’est le document unique des risques professionnels qui reprend les résultats de l’évaluation des risques et prescrit les actions de prévention à mettre en œuvre. Ce document est obligatoire, quel que soit le secteur ou la taille de l’entreprise. Il est l’outil incontournable de toute démarche de prévention dans l’entreprise, et doit être mis à jour au minimum tous les ans.

Par cet amendement, nous souhaitons ouvrir le droit à la communication de ce document à la famille d’un salarié décédé. Actuellement, les seuls acteurs internes à l’entreprise à avoir ce droit sont les instances représentatives du personnel, les personnes exposées à un risque pour leur sécurité ou leur santé, le médecin du travail. Pour les acteurs externes, il s’agit de l’inspection du travail ou encore des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale.

Il est important, vous le comprenez, que la famille du salarié malheureusement concerné puisse, si elle le juge nécessaire, déposer un recours contre l’employeur, comme c’est le cas, désormais connu et reconnu, des victimes de l’amiante.

M. le président. L’amendement n° 308, présenté par M. Patriat, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Après le mot :

individuelle,

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

selon des modalités particulières.

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 423, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Remplacer les mots :

dans des conditions définies par décret en Conseil d’État

par la phrase :

. Les conditions dans lesquelles les entreprises utilisatrices transmettent ces informations et les modalités selon lesquelles l’entreprise de travail temporaire établit la fiche de prévention des expositions sont définies par décret en Conseil d’État.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Cet amendement a pour objet de répondre à la préoccupation qui a poussé M. Patriat à déposer l’amendement n° 308, qu’il n’a pas pu soutenir. Il tend à adapter le mécanisme d’établissement des fiches de pénibilité à la situation particulière des intérimaires.

M. le président. L’amendement n° 307, présenté par M. Patriat, est ainsi libellé :

Alinéa 12, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Les entreprises utilisatrices mentionnées à l’article L. 1251-1 mettent en œuvre ces mesures pour les travailleurs temporaires mis à leur disposition.

Cet amendement n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur ces dix amendements restant en discussion commune ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ces amendements visent tous à améliorer le dispositif relatif à la pénibilité, sans pour autant le remettre en cause. Tout le monde semble convaincu de l’extrême importance de cet article du projet de loi.

Dans le détail, l’amendement n° 265 présenté par M. Larcher tend à mettre en place une négociation sur la question de la pénibilité au niveau des branches professionnelles. Nous avons vu apparaître cette même demande au cours des auditions que nous avons menées. Elle émanait, en particulier, des branches professionnelles organisées. C’est précisément là qu’est le problème, monsieur Larcher, et vous le savez bien !

En effet, les branches professionnelles de certains secteurs sont capables de travailler sur cette question. Quelques-unes, d’ailleurs, ont déjà mis en place des dispositifs liés à la pénibilité. Je pense en particulier à la branche professionnelle de la métallurgie et à l’Union des industries et métiers de la métallurgie, l’UIMM, qui ont beaucoup travaillé sur ce point, mais aussi à la branche chimie.

Le problème, c’est que certains secteurs d’activité ne sont pas organisés en branche professionnelle, ou ne le sont que de manière peu satisfaisante. Dès lors, vouloir que la négociation ait lieu au niveau des branches professionnelles, revient à écarter du dispositif tout un ensemble de professions dont les salariés sont exposés à des facteurs de risque. Je vois bien, monsieur le sénateur, que vous tentez de contourner cette difficulté – dans le bon sens du terme ! – en nous proposant de nous inspirer du travail réalisé sur ce point par les branches professionnelles qui ont les moyens de le faire sérieusement, avant de généraliser le dispositif.

Il a semblé à la commission que cette méthode comportait un risque. Je précise, je l’ai dit aux membres de la commission, que les dispositions du projet de loi sur la pénibilité, telles qu’elles sont rédigées, n’empêchent absolument pas qu’il puisse y avoir une négociation de branche. La loi ne l’empêche pas, monsieur le sénateur, mais elle ne la rend pas automatique non plus ! Cette solution a paru la plus judicieuse à la commission.

Par ailleurs, vous savez sûrement, monsieur le sénateur, vous qui êtes très au fait de ces questions, qu’un rapport récent, rédigé par le directeur général du travail et portant sur la réforme de la représentativité patronale, souligne la grande diversité de l’organisation des branches professionnelles. Il indique également que certaines d’entre elles adoptent une attitude très réservée sur les questions qui nous occupent.

La commission estime donc qu’il faut veiller à ne pas écarter du dispositif un certain nombre de salariés. C’est pourquoi elle a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 265, en admettant toutefois qu’il posait une vraie question.

L’amendement n° 137 tend à la suppression des seuils minimaux d’exposition aux facteurs de pénibilité.

Pour la commission, la définition de seuils d’exposition aux facteurs de pénibilité constitue une avancée importante, pour qu’une approche la plus objective possible de la pénibilité soit adoptée et que la détermination des salariés exposés ne soit pas laissée au seul jugement de l’employeur, comme c’est le cas aujourd’hui.

Ces seuils seront également la base du compte personnel de prévention de la pénibilité. Mme la ministre nous donnera certainement des informations sur les modalités de définition de ces seuils, point sur lequel pèse aujourd’hui une interrogation.

On sait les seuils à ne pas dépasser, au-delà desquels des délits peuvent être constitués – c’est en particulier le cas de l’exposition au bruit –, mais comment définit-on les seuils minimaux ? Pour les établir, un dialogue devra s’engager, après le vote de ce texte, entre l’administration et les partenaires sociaux sur des bases les plus scientifiques possible et non arbitraires.

La commission est donc défavorable à cet amendement n° 137.

L’amendement n° 138 prévoit l’avis conforme des partenaires sociaux pour la détermination des seuils d’exposition aux facteurs de pénibilité.

Madame Demessine, en présentant cet amendement, vous avez évoqué les expériences douloureuses rencontrées dans un certain nombre de secteurs que vous connaissez bien, chère collègue. Vous souhaitez la mise en place d’un mécanisme de co-élaboration de la norme servant à la définition des seuils d’exposition à la pénibilité. Les partenaires seront, comme cela est prévu dans le projet de loi, bien évidemment consultés sur leur définition.

Vous allez me rétorquer que ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, ou plutôt en l’écrivant…