M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons aujourd’hui intéresse les Français à un double titre.

Il les intéresse tout d’abord parce qu’il concerne le permis de conduire. En tant que ministre de la jeunesse, je sais l’importance de cette épreuve. Pour beaucoup de jeunes, le permis n’est pas une simple autorisation administrative ; il représente l’accès à l’indépendance, à la mobilité, à l’emploi. Finalement, le permis symbolise le passage à l’âge adulte.

Ce texte intéresse également nos concitoyens à un autre titre, plus tragique : il vise à sauver des vies qui, trop souvent encore, sont perdues dans des accidents de la circulation routière.

Je profite d’ailleurs de cette intervention, et le ministre de l’intérieur se joint à moi sur ce point, pour adresser un message de prudence, notamment aux jeunes conducteurs. En effet, 20 % des tués sur la route ont entre 18 ans et 24 ans.

En dix ans, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le nombre de morts sur la route a été divisé par deux : 3 653 personnes ont trouvé la mort sur la route en 2012, contre 7 242 en 2002. Le progrès est considérable, mais nous savons tous que nous ne devons pas relâcher nos efforts, que nous ne devons jamais baisser la garde.

Sauver des vies sur la route suppose bien sûr de prévenir et de réprimer les comportements dangereux au volant, qu’ils soient liés à la vitesse, à l’alcool ou à la drogue. Sauver des vies exige aussi, lors d’un accident, d’intervenir à temps, de connaître les bons gestes et d’avoir les bons réflexes.

Tel est précisément l’objectif du texte que vous avez présenté, monsieur Leleux. Sachez que le Gouvernement vise le même objectif que vous. En revanche, nous divergeons sur la façon d’y parvenir. Vous le savez, un texte très proche du vôtre a été examiné l’an passé par l’Assemblée nationale – j’avais d’ailleurs déjà eu l’occasion d’y travailler avec le ministre de l’intérieur. Les objections que je formulerai seront donc très proches de celles que nous avions opposées au député Bernard Gérard.

Je ferai tout d’abord une remarque juridique, revenant sur la conclusion de l’intervention de Mme la rapporteur : la proposition de loi initiale, avant qu’elle ait été amendée par la commission des lois, relève du domaine réglementaire, non du domaine législatif. Nous savons bien que cette limite entre les deux est parfois ténue et qu’elle est parfois difficilement compréhensible au regard de l’importance des enjeux. Elle est néanmoins constitutionnelle, et je sais que le Sénat est attaché à produire des lois qui respectent pleinement notre hiérarchie des normes.

Avec cet argument juridique, le Gouvernement ne cherche nullement à se défausser. Bien au contraire, il a pleinement conscience que les progrès, en la matière, relèvent de son entière responsabilité. Cette responsabilité est assumée et des progrès ont été accomplis, j’y reviendrai.

Sur le fond, le texte qui avait initialement été proposé à votre assemblée comportait également un certain flou quant aux modalités de mise en œuvre. S’il s’agissait réellement de créer une troisième épreuve de l’examen du permis de conduire, la surcharge de travail pour les inspecteurs du permis de conduire serait considérable et difficilement envisageable.

Je rappelle pour mémoire que l’allongement, en 2004, de la durée d’épreuve de la catégorie B du permis – on l’avait fait passer de vingt-deux à trente-cinq minutes – avait nécessité le recrutement de 195 inspecteurs supplémentaires.

Une troisième épreuve représenterait également un coût supplémentaire pour les candidats au permis ; or il est clair que l’accès à la conduite est financièrement difficile pour de nombreux jeunes.

L’exposé des motifs du présent texte précise que cette formation serait assurée par des associations de secourisme agréées, ce qui soulève au moins une autre interrogation : ces associations pourront-elles faire face à la masse que constituent les 900 000 candidats annuels au permis de catégorie B ?

Nous savons combien les délais d’attente au permis de conduire sont parfois pesants pour les candidats ; les nombreuses questions de parlementaires posées au ministre de l’intérieur sur ce sujet en témoignent. Il serait, me semble-t-il, inutile d’aggraver cet engorgement en créant une nouvelle file d’attente pour une troisième épreuve. En pratique, cet engorgement serait inévitable, les associations de secourisme agréées ne disposant pas aujourd’hui du maillage territorial suffisant pour assurer ces formations pour tous.

L’accès à la conduite est un enjeu essentiel pour de nombreux jeunes, je l’ai dit. Or des inégalités entre les candidats existent déjà, malheureusement, en raison du coût de la formation à la conduite ou des déplacements à effectuer pour aller passer les épreuves du permis ; inutile d’y ajouter des inégalités territoriales !

Une dernière objection peut être opposée à votre proposition de loi, monsieur Leleux. Elle concerne le contenu même de la formation que vous appelez de vos vœux. Certes, l’intitulé de cette proposition n’évoque plus les « cinq gestes qui sauvent », mais ceux-ci sont expressément mentionnés dans l’exposé des motifs. Or, comme l’a noté fort justement Mme la rapporteur, cette formation ne fait plus consensus. Les « cinq gestes qui sauvent » regroupent des actes de nature très différente : d’un côté, des actes faciles à réaliser sans compétence particulière, comme « alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, sauvegarder les blessés de la route en détresse » ; de l’autre, des actes de secourisme tels que « ventiler par bouche à bouche » ou « comprimer une hémorragie externe ». Le médecin que je suis aussi sait bien que ces gestes ne peuvent être mis sur le même plan.

Comme l’ont rappelé les professionnels de la sécurité civile lors des auditions auxquelles Mme la rapporteur a procédé, la ventilation par le bouche-à-bouche peut, par exemple, entraîner des manœuvres préjudiciables dans le cas de victimes chez qui on est en droit de suspecter un traumatisme du rachis. Quant aux hémorragies, on constate, depuis la mise en place des « cinq gestes », qu’elles se révèlent le plus souvent internes, du fait même de l’amélioration des mesures de sécurité et de sûreté des véhicules, notamment l’installation des airbags.

Bref, nous devons évidemment prendre en compte la réalité des blessures causées par les accidents de la circulation.

Ces objections de fond avaient conduit le Gouvernement à s’opposer à la proposition de loi du député Bernard Gérard. Pour les mêmes raisons, il émet de semblables réserves sur le dispositif initialement proposé par le sénateur Jean-Pierre Leleux.

Néanmoins, le ministre de l’intérieur s’était engagé devant les députés à prendre des mesures concrètes pour faire progresser la sensibilisation à ces problématiques. Ces engagements ont été tenus.

Pour ce qui concerne la formation, tout d’abord, le programme national de formation à la conduite, destiné aux enseignants du permis, sera revu en 2014. Dans ce cadre, la formation aux comportements à adopter en cas d’accident doit être renforcée. Ainsi, l’arrêté du 13 mai 2013 relatif au référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2014, développe et renforce le contenu de cette sensibilisation. Le nouveau livret d’apprentissage pour la catégorie B, qui entrera en vigueur à la même date, va également dans ce sens.

Pour ce qui concerne les candidats au permis de conduire, ensuite, vous avez rappelé, madame le rapporteur, que certains députés s’étaient interrogés sur l’absence de décret d’application de l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 – votée voilà tout de même dix ans, donc ! – renforçant la lutte contre la violence routière. Cet article dispose que les « candidats au permis de conduire sont sensibilisés dans le cadre de leur formation aux notions élémentaires de premiers secours ».

La mesure réglementaire en question, qui doit modifier l’article R. 213-4 du code de la route, figure dans un projet de décret portant diverses dispositions en matière de sécurité routière qui est actuellement soumis à la concertation. Ce décret devrait être transmis au Conseil d’État d’ici à la fin de l’année.

Enfin, des questions du type « que faire en cas d’accident ? » sont déjà présentes dans la banque de questions de l’épreuve théorique que l’on appelle couramment « le code ». Il s’agit désormais de renforcer ce thème : ce sera fait dans le cadre de la rénovation de cette banque de questions, à laquelle il sera procédé dans le courant de l’année 2014.

Madame la rapporteur, vous partagez, je crois, l’essentiel des objections que j’ai formulées dans la première partie de mon propos. Vous reconnaissez aussi les progrès accomplis. Il vous a néanmoins semblé nécessaire d’aller plus loin. Le dispositif que vous nous présentez aujourd’hui a le mérite d’éviter l’écueil d’une troisième épreuve du permis de conduire.

Il s’agit, plus simplement, d’instituer une obligation de formation aux notions élémentaires de premiers secours. La commission des lois s’est rangée à l’unanimité à cette proposition. J’en reconnais la simplicité. L’article unique que vous proposez n’entre pas dans les détails de cette formation, dont votre rapport écrit esquisse les grands traits.

Vos objectifs, madame la rapporteur, sont également ceux du Gouvernement. Au demeurant, ils sont déjà partiellement satisfaits : je pense au programme de formation à la conduite pour les enseignants ou à l’inclusion de questions sur ce thème dans l’épreuve théorique. Bien sûr, ces mesures peuvent encore être renforcées et les dispositions pratiques que vous proposez devront être étudiées sérieusement.

Pour autant, la difficulté juridique demeure, ce que vous admettez d’ailleurs dans votre rapport. La détermination du contenu de la formation à la conduite reste une compétence réglementaire. Mais le Gouvernement prend note de la volonté unanime de la commission des lois du Sénat de voir cette obligation inscrite dans la loi. Il en comprend d’autant mieux les motivations que nous les partageons tous puisqu’il s’agit de sauver des vies. Il s’en remettra donc à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Merci, madame le ministre !

M. le président. Mes chers collègues, conformément à la décision de la conférence des présidents, nous allons interrompre maintenant la discussion de cette proposition de loi.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, je vais suspendre la séance pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Discussion générale (suite)

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national
Discussion générale (suite)

Utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion de la proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, présentée par M. Joël Labbé et les membres du groupe écologiste (proposition n° 40, rapport n° 124, texte de la commission n° 125).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par adresser quelques remerciements.

Je souhaite tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre, ainsi que le Gouvernement. Mais peut-être fais-je là acte d’anticipation... (Sourires.)

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je prends ! (Nouveaux sourires.)

M. Joël Labbé. Quoi qu’il en soit, nous avons travaillé ensemble de façon positive.

Je remercie également mon collègue du groupe écologiste Ronan Dantec d’avoir repris au pied levé le rôle de rapporteur de ce texte.

Je tiens aussi à remercier mes collaborateurs. Il est important d’avoir une bonne équipe, et j’ai cette chance !

Mes remerciements vont en outre à tous ceux, élus, militants associatifs, représentants des ONG, professionnels, qui sont soucieux de faire diminuer l’usage des produits phytosanitaires ; certains ont engagé une démarche écologique de longue date. Ce sont de tels pionniers qui font avancer le monde !

Enfin, je veux remercier les administrateurs du Sénat, ainsi que les collaborateurs des ministères de l’écologie et de l’agriculture pour notre travail en commun.

En janvier dernier, nous débattions des conclusions de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé. Cette mission avait initialement pour office de s’intéresser aux problèmes de santé et d’environnement. Cependant, le sujet de la santé, très dense, nous ayant occupés pendant six mois, nous n’avons pas pu aborder les questions d’environnement.

Cette mission s’était mise en place sur l’initiative de Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.) Ayant été alertée par l’association Phyto-Victimes, implantée sur son territoire, elle avait, fidèle à ses habitudes, décidé de prendre les choses en main.

Ladite mission était présidée par Sophie Primas (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

Je venais d’être élu sénateur, mais j’étais sensibilisé à la question des pesticides et de leur impact sur la santé et l’environnement. J’ai donc intégré cette mission à la demande de mon groupe.

J’étais un parfait novice puisque c’était la première mission à laquelle je participais au sein de la Haute Assemblée. Or, je dois le dire, j’ai beaucoup apprécié cette expérience : je me suis rendu compte que, lorsqu’on est parlementaire et qu’on veut proposer des solutions, on se voit doté des moyens de le faire et d’aller au fond des choses. À la Haute Assemblée, en effet, nous avons encore la chance de pouvoir prendre le temps.

Du reste, tous ceux qui se sont impliqués dans cette mission ont apprécié l’état d’esprit avec lequel nous avons travaillé et la manière dont nous l’avons fait. Au demeurant, si nous nous retrouvons ce soir pour examiner cette proposition de loi, c’est grâce au travail qui a été accompli au sein de cette mission, avec le souci de l’intérêt public.

Je rappelle que la mission commune d’information a permis de recueillir les analyses et avis de 205 personnes et d’établir une centaine de propositions autour de plusieurs constats, notamment la sous-évaluation des dangers et des risques présentés par les pesticides.

Lors du débat sur les conclusions des travaux de la mission, j’avais annoncé, à ma manière parfois un peu abrupte (Sourires), mon intention de déposer une proposition de loi afin de faire vivre la richesse des échanges que nous avions eus, de donner une traduction législative aux recommandations que nous avions formulées et de répondre aux enjeux de santé publique. C’est chose faite et je suis fier que nous débattions aujourd’hui de ce texte, quelques mois à peine après la remise des conclusions de cette mission commune d’information.

Il paraît qu’il faut du temps pour faire les choses. Or j’ai parfois tendance à être pressé, surtout lorsque j’estime qu’il y a urgence. Aujourd'hui, je suis satisfait, car je considère que nous avons mis au point cette proposition de loi assez rapidement.

Comme vous avez pu le constater, ce texte ne porte pas sur les usages agricoles des produits phytosanitaires, malgré les recommandations et nombreuses propositions visant à s’attaquer à notre « dépendance », cette « addiction, dont il faut sortir », pour reprendre les termes employés devant la mission commune d’information par Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France.

Aujourd’hui, l’agriculture représente 90 % de l’utilisation des pesticides : ce n’est évidemment pas une paille ! Cela explique que la France détienne la troisième place au palmarès mondial – triste palmarès ! – des utilisateurs de pesticides, et la première au niveau européen. Il n’y a pas là de quoi s’enthousiasmer ! Quelquefois, on aimerait être le cancre !

Les conséquences de cette surdose sont aussi innombrables qu’inquiétantes. J’évoquerai en particulier l’impact sur la santé : asthme, diabètes, cancers, infertilité, malformations, perturbations endocriniennes, troubles neurologiques, notamment les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, l’autisme... La maladie de Parkinson a d’ailleurs été reconnue comme maladie professionnelle par la mutualité sociale agricole. La liste des intoxications aiguës ou chroniques liées à l’usage – d’aucuns diront : au mésusage – des pesticides est longue. Les pesticides ne sont pas des produits anodins ; par définition, ce sont des produits dangereux.

Je ne me lancerai pas dans une description minutieuse des maladies liées à l’utilisation des pesticides : elle serait trop déprimante et, de toute façon, ne serait pas exhaustive. Je me contenterai de rappeler certains constats qui ont été dressés lors des auditions et quelques phrases chocs que je ne peux pas oublier.

Ainsi, Charles Sultan, professeur au CHRU Lapeyronie de Montpellier, parle des pesticides et polluants chimiques comme de véritables « bombes à retardement » au regard des perturbations endocriniennes.

Sylvaine Cordier, de l’université de Rennes I, qui a participé à l’expertise collective de l’INSERM pour son rapport Pesticides : effets sur la santé, rappelle que « la période prénatale conditionne la vie entière » et souligne la « présomption forte d’un lien entre une exposition professionnelle de la femme enceinte à certains pesticides et un risque accru pour l’enfant de présenter une malformation génitale ». Ainsi, même avant sa naissance, l’enfant est touché !

Pour les citoyens ordinaires, le lien de cause à effet n’est pas évident puisque l’exposition aux pesticides est diffuse, peu palpable. En revanche, pour les professionnels, notamment les agriculteurs et leur entourage, ce lien devient de plus en plus évident.

Les conséquences sanitaires de l’utilisation des pesticides sont donc peu à peu reconnues.

Je l’ai dit, la mission commune d’information n’a pas pu aborder l’impact de l’utilisation des pesticides sur l’environnement. Toutefois, dans la mesure où il constitue en fait un motif majeur de la proposition de loi que nous examinons ce soir, je souhaite l’évoquer en me limitant à deux aspects : l’érosion de la biodiversité et la qualité de l’eau.

En termes de biodiversité, c’est l’ensemble de la faune et de la flore qui est touché, jusqu’à la flore microbienne qui fait la vie du sol.

L’abeille, le plus emblématique des insectes en raison de son rôle de pollinisateur, est particulièrement victime de ce fléau. Plus de 50 % des abeilles ont disparu depuis quinze ans. Si l’usage des pesticides n’est pas la seule cause de cette dépopulation, elle en est une cause majeure. Dans des régions entières, largement vouées à la monoculture, à grands renforts d’engrais et de pesticides, les abeilles ne sont tout simplement plus là pour remplir leur rôle de pollinisatrices. Ce n’est pas encore le cas chez nous, fort heureusement, mais il existe des exemples dans le reste du monde.

Ainsi, dans la région du Sichuan, en Chine, la pollinisation doit désormais se faire par la main de l’homme. En Californie, des milliers de ruches sont transportées l’hiver pour la pollinisation des amandiers, mobilisant quelque 2 200 semi-remorques pour quelque 10 milliards d’abeilles. Après quoi, les survivantes rentrent au bercail !

Quant à la pollution de l’eau, elle est la parfaite illustration de notre schizophrénie puisque nous sommes obligés de réparer ce que l’on pourrait éviter.

Le coût de traitement des apports annuels de pesticides aux eaux de surface et côtières est évalué au minimum à 4 milliards d’euros. Pour les localités situées dans les zones les plus polluées – évidemment, en Bretagne, nous nous sentons concernés –, les dépenses supplémentaires liées à la dépollution sont estimées à 215 euros par personne et par an, et ces dépenses se retrouvent directement sur la facture d’eau des ménages.

Le traitement curatif coûte 2,5 fois plus au mètre cube traité que la prévention et n’améliore nullement la qualité de la ressource. Il faut en tirer les conséquences. Alors que l’on parle sans cesse de l’assèchement des finances publiques, du pouvoir d’achat en berne des ménages, est-il raisonnable de poursuivre cette fuite en avant dans la dépense ?

L’utilisation des pesticides a donc des conséquences sur la santé, sur l’environnement, sur l’économie. Je m’en tiendrai là : les éléments à charge sont déjà suffisamment lourds pour me dispenser d’insister !

J’en reviens à l’objet de cette proposition de loi.

Ce texte se concentre sur ce sur quoi nous pouvons légiférer sans délai. Il s’agit de s’attaquer à une part de la consommation nationale qui peut paraître modeste puisqu’elle n’en représente que 5 % à 10 % – presque 10 000 tonnes par an tout de même ! –, mais qui concerne potentiellement toute la population. Sont visées l’utilisation des pesticides en dehors des zones agricoles, c'est-à-dire, pour l’essentiel, la consommation des particuliers dans leurs jardins ou sur leurs balcons ainsi que celle des collectivités territoriales pour la gestion de leurs espaces verts.

La proposition de loi s’articule autour de deux mesures.

En premier lieu, le texte tend à interdire aux personnes publiques de recourir à l’usage de produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, des forêts et des promenades ouvertes ou accessibles au public.

En second lieu, il tend à interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers.

Bien sûr, il n’est pas question d’interdire tous les produits : seulement ceux qui, du fait de leur composition, entraînent les risques et les impacts que nous avons évoqués.

Nous savons que des solutions de substitution existent. Elles sont patiemment remises au goût du jour, développées par des particuliers, des agriculteurs, des chercheurs, des collectivités...

À la conférence de presse que nous avons organisée ce matin nous avions convié Cathy Bias-Morin, directrice des espaces verts de la ville de Versailles, qui accomplit un travail exemplaire, et Emmanuelle Bouffé, paysagiste, artiste, jardinière, disciple et amie de Gilles Clément. Toutes deux sont venues nous montrer que l’on pouvait faire, et bien faire, sans pesticides. Je tiens à les remercier et, puisqu’elles sont en ce moment dans les tribunes, à les saluer de nouveau.

À l’échelon des collectivités, l’expérimentation est déjà largement engagée. Aujourd’hui, près de 10 % des communes et plus de 60 % des villes de plus de 50 000 habitants se sont lancées dans une démarche tendant vers le « zéro phyto ». Je citerai, outre Versailles, les villes de Niort, Besançon, Rennes, Lorient – parmi d’autres communes de Bretagne –, Strasbourg… Et ma petite commune de Saint-Nolff, qui n’est certes pas Versailles, pratique aussi le zéro phyto depuis 2007, terrain de foot et cimetière compris ! (Sourires.)

Comme elles sont stimulantes, toutes ces initiatives de communes de bassins versants, en Bretagne ou ailleurs, de communes en Agenda 21, de communes en transition !

Pour accompagner ces dynamiques, encore faut-il rendre l’information, la formation et les alternatives accessibles à tous. Car ce n’est pas le cas aujourd’hui : en témoignent les difficultés rencontrées par les promoteurs des substances naturelles, connues désormais sous le sigle PNPP : les préparations naturelles peu préoccupantes. De fait, régulièrement, nous sommes alertés sur l’existence de toute une série d’obstacles : cadre juridique peu adapté ; procédures de reconnaissance accessibles seulement aux grandes entreprises industrielles ; manque de cohérence, voire contradictions entre le cadre juridique français et la réglementation européenne ; faible intérêt manifesté par le secteur de la recherche, qui limite la possibilité de mener les évaluations de toxicité ; manque d’entrain des actuels détenteurs du marché agro-industriel à voir autoriser des produits naturels, non brevetés, peu susceptibles de venir gonfler leur chiffres d’affaire.

Il est nécessaire de clarifier tout cela, d’identifier les freins juridiques et économiques, afin de pouvoir les lever, et, ainsi, d’accompagner l’évolution des pratiques des collectivités, des particuliers et des agriculteurs.

C’est pourquoi l’article 3 de la proposition prévoit une étude sur les freins juridiques et économiques, qu’ils soient nationaux ou communautaires, empêchant le développement et la commercialisation des substances alternatives.

Tout au long de l’élaboration de cette proposition de loi, les contributions de citoyens, les témoignages de maires, d’élus communaux, d’agents techniques, de responsables de services d’espaces verts, de jardiniers amateurs plus ou moins éclairés, sont venus conforter mes intentions.

J’ai ainsi participé à l’initiative « Parlement & Citoyens ». Cette plate-forme Internet a pour ambition de faciliter la co-construction de propositions de loi. Le texte que nous examinons ce soir fait partie du cycle des premières propositions de loi qui ont été soumises à l’avis des citoyens : il a fait l’objet de plus de 3 000 contributions, émanant de quelque 450 contributeurs différents. Le sujet ne laisse donc pas indifférent. Mercredi dernier, j’ai conversé par Internet avec cinq de ces contributeurs...

Aucune opposition ne s’est manifestée ; pourtant, les critiques étaient sollicitées ! Au contraire, des jeunes, des étudiants, des militants associatifs, de jeunes chefs d’entreprise, se sont montrés enthousiastes et ont souhaité une application la plus rapide possible du texte. C’est même moi qui ai dû les tempérer et expliquer qu’une mise en œuvre réussie supposait d’abord une majorité pour adopter un texte…

Je pense que cette proposition de loi arrive vraiment au bon moment. Les dangers sont reconnus, les expérimentations ont déjà été menées. Plusieurs d’entre nous ont signé l’appel de Montpellier dont le député Gérard Bapt a pris l’initiative. Monsieur le ministre, cet appel a été signé par Delphine Batho et Chantal Jouanno.

M. Philippe Martin, ministre. Alors... (Sourires.)

M. Joël Labbé. Je suis d’ailleurs convaincu que, si vous aviez été parlementaire, vous l’auriez également signé.

M. Philippe Martin, ministre. Bien sûr ! (Nouveaux sourires.)

M. Joël Labbé. Cette concordance de vues, cette ambition commune, je vous propose de les concrétiser dès ce soir en adoptant la présente proposition de loi.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’oserai terminer par un propos très personnel, où il sera question de poésie.

Dans cet hémicycle, en particulier à cette tribune, les discours sont souvent très techniques, très juridiques– par définition – et trop rarement poétiques. Pourtant, nous avons besoin de poésie en ces temps quelque peu perturbés.

Les pesticides sont des armes de destruction massive. Ce sont des poisons pour l’humanité. Je leur réponds avec d’autres armes, celles que chantait Léo Ferré, des armes qui mettent de la poésie dans les discours. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Monsieur le ministre, mes chers collègues, moi qui ne suis plus très jeune (Exclamations amusées.), je garde très vivants les souvenirs de mon enfance, une enfance particulièrement heureuse. Tout petit, déjà rêveur, je passais des heures allongé et solitaire dans les herbes et je garde en moi cette sensation de vie de la terre, je garde le souvenir de ces murmures ambiants. (Nouveaux sourires.)

Il faut que nos petits – parce que nous avons fait des petits, monsieur le ministre ! – puissent renouer avec une terre fertile et bien vivante. (Nouveaux sourires.)