M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite rendre hommage à mon tour aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, morts hier soir à Bangui sous l’uniforme de l’armée française ; je salue leur courage et leur engagement.

Le vote de la résolution 2127 à l’ONU, puis l’engagement de nos troupes en soutien de leurs homologues d’Afrique centrale sont intervenus alors que se tenait le sommet franco-africain de l’Élysée consacré à la paix et à la sécurité. De plus, il est à noter que notre débat, qui se tient en application de l’article 35 de la Constitution, survient juste avant l’examen en seconde lecture par notre assemblée du projet de loi de programmation militaire et que se tiendra demain soir dans cet hémicycle un débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 décembre consacré justement à la politique de sécurité et de défense commune.

L’adoption à l’unanimité de cette résolution vient couronner, il faut le saluer, un patient travail de notre diplomatie pour convaincre les autres pays membres du Conseil de sécurité de la nécessité absolue d’accorder un mandat clair d’intervention, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies, à la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, ainsi qu’aux forces françaises. En effet, nous le savons, d’inquiétante, la situation au nord de l’Oubangui est devenue critique, puis dramatique.

D’aucuns – un peu rapidement ou par facilité – ont rapproché le cas centrafricain du scénario malien. Si l’on peut leur concéder quelques similitudes – effondrement de l’État, tensions régionales et religieuses –, nombreuses sont les dissemblances.

L’instabilité chronique, presque consubstantielle, de la République centrafricaine et la faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, de l’État sont avérées. Face à ce lent délitement, qui s’est accentué très fortement depuis une douzaine d’années, les pays de la région sont intervenus dans le cadre de la FOMUC, la force multinationale en Centrafrique, puis de la MICOPAX, la mission de consolidation de la paix en République centrafricaine. Ils ont été naturellement soutenus par la présence française, dont l’opération Boali se bornait à la sécurisation des ressortissants français et des points d’intérêt stratégiques.

Le coup de force – le coup d’État ! – de la Séléka le 24 mars 2013 a entraîné l’éclatement des accords de Libreville, l’exil du président Bozizé et la prise de pouvoir par les anciens rebelles. Comme à chaque fois en pareil cas, cet événement a exacerbé les tensions régionales et confessionnelles dans des proportions tragiques.

En effet, face aux composantes de la Séléka, principalement issues du nord du pays majoritairement musulman – nous retrouvons là un schéma auquel nous sommes malheureusement habitués dans nombre d’États africains –, des milices d’autodéfense dites « anti-balaka » se sont constituées, esquissant un scénario de guerre civile avec son cortège de massacres, d’horreurs et de populations déplacées. Une intervention rapide, afin de mettre un terme au cycle de la violence et de la cruauté, était devenue indispensable.

L’effondrement de l’État centrafricain laissait également craindre que ce territoire ne devienne une base de repli pour les nombreux groupes armés actifs dans les pays voisins – Soudan, Tchad, République démocratique du Congo, voire Nigeria – et ne devienne une source d’instabilité supplémentaire pour l’ensemble de la région.

Mes chers collègues, j’ai entendu certains responsables politiques français faire mine de s’interroger sur les objectifs et la stratégie du Gouvernement. Le mandat donné par la résolution 2127 à la MISCA et aux forces françaises est pourtant d’une grande clarté : il légitime et encadre cette intervention. Au reste, outre le volet sécuritaire, cette opération comporte un volet humanitaire et prévoit l’accompagnement du pays dans le rétablissement de ses institutions, notamment du processus électoral.

Nous le savons tous, cette intervention était très attendue, comme en témoignent l’accueil remarquable réservé à nos troupes par la population à leur arrivée à Bangui et le fait que de nombreux habitants se soient réfugiés autour de l’aéroport de la ville, où sont stationnés les premiers éléments de l’opération Sangaris.

S’agissant de la durée de notre engagement, la résolution 2127 accorde un mandat de douze mois, mais il est bien sûr souhaitable que les unités combattantes françaises laissent place, le plus tôt possible, à une force de maintien de la paix.

Des questions et des incertitudes demeurent cependant, notamment autour du « programme DDR » – désarmement, démobilisation et réintégration de la Séléka. II est en effet à craindre un repli de ces forces dans la partie septentrionale du pays, voire dans les pays limitrophes. La question de la place du président de facto et chef de la Séléka, Michel Djotodia, dans la transition politique doit également être éclaircie. Selon les accords de Libreville, ce dernier ne pourra se présenter lors des futures élections ; le Président de la République François Hollande s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet.

Le volontarisme de la France et son rôle moteur, tant diplomatiquement à l’ONU que sur le terrain avec le déploiement rapide de nos forces, méritent d’être soulignés. Les reconfigurations géopolitiques, notamment le repositionnement des États-Unis vers l’arc Asie-Pacifique, mettent notre pays en première ligne dans la résolution des crises africaines. En conséquence, comme le préconisait le Livre blanc de la défense, les priorités de la France ont été resserrées autour du Maghreb, de la Méditerranée orientale et de l’Afrique, notamment le Sahel.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le Gouvernement ait réaffirmé, notamment dans la loi de programmation militaire, sa volonté de conserver ses bases militaires prépositionnées notamment à Djibouti, au Sénégal ou au Gabon, auxquelles s’ajoutent les bases stationnées en outre-mer.

Je rappelle que des fermetures étaient envisagées par la précédente majorité. Vous avez bien fait de revenir sur cette décision, monsieur le ministre, ce maillage nous ayant permis de déployer nos forces à Bangui avec une rapidité digne d’être soulignée.

Cette relation particulière de la France à l’Afrique se manifesta aussi, mes chers collègues, lors du récent sommet de Paris, qui a réuni les chefs d’État et de Gouvernement de l’ensemble du continent. La disparition de Nelson Mandela alors que s’ouvrait ce sommet est venue nous rappeler que les valeurs de dévouement et d’humilité de ce grand homme constituent un exemple pour les dirigeants d’Afrique et du monde.

François Hollande l’a énoncé lors de son intervention : « Sans sécurité, pas de développement, sans développement, pas de sécurité. » La doctrine du Président de la République française en matière de politique africaine s’affine de jour en jour. Elle repose sur un règlement multilatéral des conflits avec l’Organisation des Nations unies, mais aussi sur l’implication des organisations régionales, ici la Communauté économique des États d’Afrique centrale, la CEEAC, et continentales, l’Union africaine.

La France, mes chers collègues, assume donc les responsabilités qui lui incombent, que cela plaise ou non, du fait de son statut de puissance et aussi – nous devons l’assumer – de son héritage historique. Ce sont donc de véritables partenariats qui se mettent en place, témoignant là encore d’un changement d’époque.

Dans la déclaration finale du sommet de l’Élysée, les dirigeants français et africains ont souhaité la création d’une force africaine de résolution des crises dès 2015. La France pourrait participer à la formation de cette force. Bien que des questions subsistent naturellement sur son financement, monsieur le ministre, elle permettrait en tout cas aux Africains d’assurer la sécurité de leur continent.

Mes chers collègues, je salue ici la volonté du Président de la République et du Gouvernement d’informer et d’associer les présidents des assemblées, les présidents des groupes politiques et des commissions des affaires étrangères et de la défense du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce débat doit nous permettre en outre de lever les dernières interrogations nées de notre intervention en République centrafricaine.

La première concerne nos capacités de projection. Dans le cadre de la loi de programmation militaire, les opérations de gestion des crises pourront être menées sur deux ou trois théâtres d’intervention et compter, me semble-t-il, monsieur le ministre, 6 000 à 7 000 hommes.

Aux 1 600 militaires qui seront mobilisés en République centrafricaine annoncés par le Président de la République s’ajoutent les 2 800 hommes présents au Mali. Nous nous approchons, il est vrai, de la limite de nos capacités d’intervention. Il convient néanmoins de souligner que nos armées peuvent également compter sur les 15 000 hommes du format « opération majeure de coercition en coalition » ou sur les forces prépositionnées.

Une autre interrogation majeure, déjà soulignée à cette tribune, concerne l’Union européenne, qui reste en retrait – comme d’habitude, serait-on tenté de dire –, même si la Commission européenne a annoncé la mise en place d’un pont aérien humanitaire entre Douala et Bangui.

Le Président de la République l’a déclaré, le Conseil européen du 20 décembre prochain sera l’occasion de parler de la création d’un fonds destiné à financer ce genre d’opération de résolution de crise. Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ?

Enfin, se pose la question du processus de construction de la paix et de la reconstruction – voire de la construction – d’un État et d’institutions démocratiques en Centrafrique. Cela passera, comme au Mali, par une indispensable réconciliation.

Ce qui se joue aujourd’hui en République centrafricaine, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est rien de moins que la sécurité et l’avenir d’une région, mais également d’un continent. L’engagement de nos troupes et de la MISCA doit permettre aux Centrafricains de redevenir maîtres de leur destin.

Pour les raisons que j’ai exposées, cette intervention est conforme au droit international et à notre Constitution. Elle est légitime et nécessaire. Le Président de la République a eu raison de la décider, et naturellement, monsieur le ministre, les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble du RDSE vous apportent un soutien franc et massif ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela, pour le groupe écologiste.

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution. Je tiens, à titre liminaire, à rappeler la position des écologistes, qui aspirent, concernant cette intervention en Centrafrique et, plus largement, les interventions de nos forces à l’étranger, à ce que nos débats puissent être suivis d’un vote de nos deux assemblées.

En l’espèce, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, jeudi dernier, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, pour une période de douze mois. En adoptant à l’unanimité de ses quinze membres la résolution 2127, le Conseil a confié un mandat en plusieurs volets à cette mission.

Appuyée par des forces françaises autorisées à « prendre temporairement toutes mesures nécessaires », la MISCA est notamment chargée de contribuer à protéger les civils et à rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Avant de revenir plus en détail sur les diverses dispositions de cette résolution onusienne et sur la place centrale qui doit être donnée aux forces africaines dans cette opération, il me semble important de rappeler le drame qui se vit depuis déjà trop longtemps en République centrafricaine.

Depuis la prise de Bangui par la Séléka au printemps dernier, la RCA est le théâtre de pillages, d’exactions et de violences atroces à l’égard de la population civile. La situation dramatique qui touche le pays s’est aggravée ces dernières semaines, plongeant la Centrafrique dans des violences meurtrières ayant entraîné la mort de près de 400 personnes jeudi et vendredi à Bangui.

La Croix-Rouge centrafricaine ramassait toujours, samedi, des dizaines de cadavres abandonnés depuis les violents affrontements des jours précédents, suivis de tueries à l’arme à feu ou à la machette. Des centaines de blessés étaient également comptabilisés par Médecins sans frontières. Les violences sexuelles à l’encontre des femmes se sont également multipliées, tandis que des enfants ont été enrôlés comme soldats depuis plusieurs semaines.

Face à cette situation inacceptable, il était urgent de réagir. Les écologistes tiennent ici à réaffirmer que la capacité des pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement le soutien européen.

Si nous saluons l’aide logistique annoncée par plusieurs États européens au profit de la MISCA et l’annonce de l’octroi de 50 millions d’euros par l’Union européenne, à la demande de l’Union africaine, nous regrettons que la France soit à nouveau seule à intervenir dans le cadre du soutien à cette opération. L’urgence humanitaire et sécuritaire requiert un soutien collectif de nos partenaires européens, afin de protéger la population centrafricaine et de rétablir la sécurité et la stabilité du pays.

Au-delà, et c’est l’essentiel selon moi, cette opération en Centrafrique doit reposer sur l’engagement des forces africaines et leur nécessaire implication, ainsi que sur celle de l’Union africaine.

Je me félicite, à ce sujet, que lors des travaux du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, les chefs d’État et de Gouvernement aient « appelé à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies permettant de renforcer la place de l’Afrique dans le cadre d’un Conseil élargi ». Avec eux, je me réjouis également « des avancées importantes réalisées par l’Union africaine, les communautés économiques régionales et les États africains dans la mise en œuvre d’opérations de paix africaines, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, en Guinée-Bissau, au Burundi, au Soudan (Darfour), aux Comores. Ces initiatives apportent des solutions africaines aux problèmes africains et doivent être soutenues par la communauté internationale. »

Les sénatrices et sénateurs écologistes réaffirment donc aussi « l’importance de développer les capacités africaines de réaction aux crises » et saluent l’engagement de la France, lors de ce sommet, à « soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013. »

Par ailleurs, il me semble important de rappeler que, par la résolution 2127, le Conseil de sécurité prie le secrétaire général de l’ONU de créer un fonds d’affectation spéciale par lequel les États membres, les organisations internationales, régionales et sous-régionales pourront verser des contributions financières à la Mission.

La résolution lui demande également de créer rapidement une commission d’enquête internationale, pour une période initiale d’un an, chargée d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme qui auraient été perpétrées en Centrafrique « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013. Les signalements de violences, y compris interconfessionnelles ou intercommunautaires, n’ont en effet cessé de se multiplier au cours de l’année écoulée.

Je soulignerai enfin que la résolution instaure aussi, pour une période initiale d’un an, un embargo pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la RCA d’armements et de matériels connexes de tous types. Un comité des sanctions sera chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États membres, dudit embargo.

Les écologistes seront particulièrement attentifs à ces deux derniers points.

Cet engagement des forces françaises en Centrafrique en soutien à la MISCA, sous mandat de l’ONU, et à la demande du gouvernement centrafricain, de la société civile de RCA et des États voisins, est donc une étape nécessaire en vue d’éviter une catastrophe humanitaire.

Cependant, nous devons, toutes et tous, prendre la pleine mesure de la complexité de la situation géopolitique en République centrafricaine. Le mauvais état des routes et des pistes, la diversité des groupes armés, rejoints par des brigands, des bandits de grand chemin et des groupuscules crapuleux, sur fond de conflits interreligieux, rendent extrêmement compliquée la tâche de la MISCA et de nos forces armées.

Il est, dès lors, difficile de déterminer de façon précise qui agit, d’autant que nous sommes face à plusieurs groupes armés évanescents, qui risquent de se reconstituer aussi vite qu’ils seront dissous. Il s’agit donc de ne pas tomber dans l’écueil d’une vision binaire « Séléka » contre « anti-balaka », ou « musulmans » contre « chrétiens », là où la situation est beaucoup plus complexe. Notons que de nombreux Centrafricains d’obédience musulmane se désolidarisent clairement de la Séléka – déjà fort morcelée – à laquelle ils ne souhaitent pas être assimilés.

Dans ce contexte, il nous appartient de faire preuve de précaution, a fortiori en raison de la perméabilité des frontières avec les États voisins. Les enjeux géostratégiques sont de taille, le risque étant que la RCA ne devienne une base arrière de groupes plus radicaux déstabilisant ou infiltrant toute la région de l’Afrique centrale.

Si les grandes villes pourront, à terme, être mieux sécurisées, ainsi que les grands axes, tels que l’axe Bangui-Douala, l’instauration d’une paix et d’une sécurité durables risque d’être plus délicate à obtenir et à consolider dans les vastes zones difficiles d’accès que compte le pays.

Je salue d’ailleurs le courage et l’engagement des soldats de la MISCA et des troupes françaises. Notre groupe tient également à rendre un profond hommage aux deux militaires français du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres tués cette nuit en opération à Bangui.

Cette intervention s’annonce malheureusement longue, difficile, dangereuse et d’une complexité sans précédent. Comme pour l’intervention au Mali, la phase militaire devra laisser au plus vite la place à la phase politique, puis au temps du développement, mais la différence résulte dans le contexte particulier de la Centrafrique, où l’État est particulièrement affaibli depuis de nombreuses années, voire quasi inexistant.

Dans ce contexte, la reconstruction de l’État centrafricain sera le préalable nécessaire à sa stabilité et à l’organisation d’élections démocratiques, dans un pays où les archives administratives et l’état civil ont été détruits. Une fois la paix rétablie, ce que nous appelons évidemment tous de nos vœux, et rapidement, quid de la constitution de listes électorales ? Le processus n’est pas simple. Les difficultés seront multiples et nous devons d’ores et déjà les envisager.

Enfin, nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’objectif de paix et de sécurité en Centrafrique sans aborder l’ultime et nécessaire étape du développement, de la lutte contre la pauvreté, qui a d’ailleurs été intégrée au sommet de l’Élysée, sur l’initiative du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et du ministre délégué chargé du développement, Pascal Canfin.

Cette étape de reconstruction sociale et économique passera par l’aide au développement, qui nécessitera une mobilisation de tous les acteurs. Il s’agira de mettre tout en œuvre avec les autres États européens, l’Union européenne et l’ensemble de la société internationale, pour parvenir à un système de partenariat et de développement associant le futur État centrafricain reconstruit et consolidé, la société civile, les organisations régionales africaines, les États africains et les ONG.

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je pense bien entendu aussi aux Français en Centrafrique, qui, lorsqu’ils n’ont pu y rester, ont dû rentrer en France ou s’installer dans d’autres pays africains au printemps dernier.

L’intervention militaire ne suffira évidemment pas à résoudre tous les problèmes d’un pays extrêmement pauvre.

Je conclurai en citant Vassilis Alexakis, un écrivain d’origine franco-grecque amoureux de Bangui. Dans son ouvrage Les Mots étrangers, il fait une quête, l’apprentissage du sango. Pour apprendre cette langue rare, avec laquelle il n’avait pas de lien, l’auteur décide d’un voyage à Bangui. Et il écrit : « La mort aussi se lève de bonne heure à Bangui. J’ai mis du temps à me remettre de cette révélation ». J’ajouterai que, depuis le 24 mars dernier, elle ne cesse malheureusement de se lever de bonne heure pour les Centrafricains.

Afin que cela cesse au plus vite, le groupe écologiste soutiendra l’engagement des forces armées en République centrafricaine. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ensemble des intervenants, je veux rendre hommage à nos deux soldats du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, tués hier soir en République centrafricaine, et présenter nos condoléances à leurs familles et à leurs camarades.

Ces morts pour la France, pour la paix et la sécurité internationale viennent nous rappeler l’abnégation nécessaire au métier militaire, puisque celui-ci implique l’acceptation du sacrifice de sa vie. Nous exprimons notre peine profonde et notre solidarité sans faille avec nos troupes.

Comme au Mali en 2012, notre pays se trouve en pointe en République centrafricaine. Devant la dégradation insupportable de la situation humanitaire, l’alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, dès le 24 septembre dernier.

Il a fallu deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Pendant les deux mois et demi de négociation nécessaires, des massacres ont été perpétrés et la dimension confessionnelle des affrontements a parfois pris le dessus.

L’adoption rapide de la résolution, jeudi dernier, ne doit pas nous faire oublier les difficultés de sa négociation. Celles-ci me permettent d’ailleurs une nouvelle fois de saluer l’extrême compétence de notre diplomatie, qui a su rassembler et convaincre. À présent, ce sont nos soldats qui sont sur le terrain, et nous leur redisons toute la confiance et l’estime de notre commission et du Sénat tout entier pour leur dévouement et l’extraordinaire professionnalisme dont ils font preuve dans des conditions particulièrement difficiles.

Ma première remarque porte sur la notion de responsabilité de protéger, qui appartient au premier chef aux dirigeants politiques et, en cas de défaillance, à la communauté internationale tout entière au travers de l’ONU, de son Conseil de sécurité. Hors cas de légitime défense, l’ONU a en effet seule la légitimité de l’emploi de la coercition sous chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Certains y opposent le principe de souveraineté des États, qui est, d’ailleurs, le fondement même de l’ONU. Je ne vois aucune contradiction entre ces deux notions. Du reste, l’utilisation de la force n’est que le stade ultime de la démarche d’application du principe de responsabilité de protéger.

Toutefois, la souveraineté ne peut justifier qu’un gouvernement massacre sa population ou qu’il laisse se perpétrer des massacres quand l’État lui-même disparaît. Ceux qui prétendent que c’est aux peuples de choisir leurs dirigeants et de les renvoyer le cas échéant feraient bien parfois de réfléchir aux exemples récents, dont nous débattons aujourd’hui.

Outre l’urgence humanitaire, qui selon moi justifierait à elle seule notre action et qui est l’honneur de la France en République centrafricaine, comme elle le fut en Libye, quelles sont nos motivations pour intervenir ? J’en vois trois.

La première raison est que nous ne voulons pas laisser la crise dégénérer avec un État qui n’a plus d’État que le nom. Par contagion, la situation pourrait devenir extrêmement difficile et dangereuse dans l’ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région, d’avoir des conséquences extrêmement importantes sur les perspectives de développement de toute la zone et même du continent. Cette zone de non-droit attirerait certainement un certain nombre de groupes terroristes et criminels dont elle deviendrait ou pourrait devenir le sanctuaire. Après l’Afghanistan, la Somalie, le Yémen et le Mali, cela aurait pu être le cas de la République centrafricaine.

J’en viens à la deuxième raison de notre intervention. Par le désordre et l’insécurité qu’elles entretiennent, les bandes armées de toute nature, qu’il convient de désarmer – c’est une tache extrêmement délicate, urgente et immense –, permettent de masquer la présence d’éléments terroristes comme ceux de Boko Haram et de l’Armée de Résistance du Seigneur, en anglais la LRA, évoquée par François Rebsamen précédemment.

Ces éléments terroristes sont des menaces directes contre les intérêts de l’Europe et du monde. Dans une autre zone, le même phénomène peut être constaté : la progression de la piraterie dans le golfe de Guinée, dont l’activité demande à être éradiquée, conduit aux mêmes effets. Ce sujet fera l’objet des travaux de notre commission en 2014.

J’ajoute que la dérive en conflit confessionnel doit impérativement être évitée et enrayée. C’est la troisième raison de l’intervention de la communauté internationale. Le rapport présenté le 18 décembre par le secrétaire général des Nations unies mettait en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il soulignait la crainte que les affrontements ne « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l’échelle du pays avec le risque d’aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».

L’adoption des résolutions 2121 et 2127 montre que l’identification de ces menaces – la déstabilisation régionale, le risque de création d’un foyer de tous les trafics et la dérive en conflit religieux – a été partagée par la communauté internationale. Je me félicite en particulier du soutien unanime des Africains eux-mêmes et de leurs organisations régionales, dont, en tout premier lieu, l’Union africaine. Ce soutien devrait être relevé par ceux qui, comme de nouveaux cabris, agitent le souvenir de la Françafrique, que ce soit dans le débat politique intérieur ou chez certains de nos meilleurs alliés.

La doctrine fixée par le Président de la République est claire : il ne doit pas y avoir d’ingérence politique et il faut que notre action se produise à la demande et aux côtés des Africains, non en substitution à eux. C’est une différence fondamentale de la situation en Centrafrique.

L’une des conclusions du sommet de l’Élysée a été de souligner l’importance du développement des capacités africaines de réaction aux crises, afin que le continent prenne en charge dès que possible sa propre sécurité. La France « s’est engagée à soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013 ».

Cet apport de notre pays me permet d’aborder le second point de mon intervention.

Juste après la clôture de notre débat, nous examinerons en deuxième lecture la loi de programmation militaire. Comme je suis un esprit cohérent – tout au moins, j’estime l’être, et vous me direz plus tard ce que vous en pensez, mes chers collègues (Sourires.) –, je vous fais observer qu’il y aurait une contradiction certaine entre notre prise de position quasi unanime pour soutenir le Gouvernement et un vote contre les crédits de la programmation militaire. Cette loi nous confère en effet les moyens de notre action.

Nous voyons bien que sur les questions de sécurité et de politique étrangère les forces politiques savent se rassembler, car c’est l’intérêt national qui est en jeu. En luttant contre les menaces que nous avons clairement identifiées, c’est bien la sécurité de notre pays et de nos concitoyens que nous défendons. En particulier, je ne comprends pas comment il est possible d’affirmer qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, pas plus qu’il n’y a de sécurité sans développement, tout en refusant de se doter des moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif, auquel je souscris.

Pour autant, les discussions à l’ONU ou au sein de l’Union européenne posent très concrètement, monsieur le ministre, la question des limites de notre politique d’intervention en République centrafricaine comme au Mali ou en Côte d’Ivoire, et peut-être demain dans un autre pays. Le surcoût des OPEX en 2013, constaté en loi de finances rectificative, est tout de même de 1,26 milliard d’euros, à comparer aux 630 millions budgétés en loi de finances initiale pour 2013 et aux 450 millions provisionnés pour 2014.

Certes, le financement est couvert par la réserve interministérielle et nous y avons veillé en loi de programmation militaire. Il ne pèsera donc pas sur le budget du ministère de la défense. Toutefois, nous voyons bien la limite de la multiplication des interventions, alors même que nous avons beaucoup de mal à seulement stabiliser les crédits en euros constants.

Ces interventions sont pleinement justifiées, et la France doit assumer ses responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Il est cependant évident que nous ne pouvons supporter seuls le poids tant militaire que financier de ces interventions ad vitam aeternam. Le relais des organisations régionales, de l’ONU comme de l’Union européenne est indispensable sur ces deux plans. Il faut mettre nos partenaires européens devant leurs responsabilités. Si les menaces de déstabilisation en Afrique concernent directement l’Europe, alors il faut en tirer les conséquences autrement qu’en paroles et que par la politique du carnet de chèques.

La France participe déjà par son aide bilatérale, que ce soit en matière d’aide au développement ou de formation. À cela s’ajoutera la quote-part de notre pays à l’appui financier de l’Union. En plus, nous devrions supporter seuls le fardeau de l’intervention militaire ! (M. Gérard César applaudit.) Si je me félicite des soutiens apportés par certains de nos alliés, je note aussi le silence assourdissant d’autres partenaires, et non des moindres. L’inutilisation, donc peut-être l’inutilité, des groupements tactiques de l’Union européenne, ou battlegroups, est flagrante.

Nous ne pouvons être durablement les seuls à prendre nos responsabilités. Toutes ces questions, vous l’avez compris, monsieur le ministre, devront être clairement posées lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochain. Nous vous dirons demain soir quelle est la position que nous souhaitons vous voir porter à ce sommet européen, dont nous attendons beaucoup. (Applaudissements.)