M. le président. La parole est à Mme Michèle André, contre la motion.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la question de savoir s’il y a lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2014. Je crois que la réponse est la même pour la majorité des personnes présentes dans cet hémicycle : rien ne sert de rouvrir la discussion tant nos désaccords semblent insolubles.

Nous aurions disposé de suffisamment de temps pour aller au terme de l’examen de ce projet de loi de finances, mais nous avons été incapables d’y parvenir.

La première lecture du projet de loi de finances aurait en effet dû permettre, selon le calendrier prévu, d’examiner l’ensemble des crédits du budget général de l’État, sur la base des travaux des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis.

Cependant, l’absence d’accord sur le contenu de la première partie du projet de loi de finances a rendu impossible ce débat, laissant le soin à l’Assemblée nationale de prendre en compte un certain nombre de préconisations des sénateurs.

Cette situation de blocage, nous ne la connaissons que trop bien. Elle s’est encore répétée la semaine dernière, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2013. Elle prive de tout intérêt pratique un nouvel examen du texte. En l’absence de toute chance de voir un texte adopté par une majorité de sénateurs, le débat qui s’ouvre n’apportera rien de concret à son élaboration.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Michèle André. Comme l’a rappelé François Marc lors de son intervention en ouverture de notre discussion générale, l’Assemblée nationale ne pourrait pas même reprendre nos amendements, faute d’adoption du texte final.

Cette analyse, partagée par divers groupes de la majorité et de l’opposition, justifierait donc pleinement l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Cependant, une telle motion ne se lit pas uniquement à l’aune de son énoncé ; elle porte aussi un message à travers son objet.

Ainsi, la question préalable que nous avions présentée l’an dernier ne portait pas condamnation du Gouvernement, mais disait simplement que l’absence de tout accord possible rendait vain un nouveau débat. C’était le simple constat d’un blocage avéré, une manière de se prémunir contre les artifices d’une partie de l’opposition. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs relevé que, face à un tel blocage, l’adoption d’une telle question préalable ne constituait pas un usage manifestement excessif de la procédure.

À l’inverse, l’objet de la présente question préalable est non pas un constat technique, mais un vote politique. Ce vote réunit des contraires, disons-le même, des minorités contraires, qui s’accordent semble-t-il sur une chose : faute de majorité positive dans l’une des chambres, faute d’obtenir suffisamment de voix aux élections pour constituer une majorité,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela viendra !

Mme Michèle André. … faute de pouvoir proposer et adopter ensemble un texte contraire, ces minorités se contentent de rejeter, de condamner, de dire qu’elles feraient mieux.

Les uns ont eu l’occasion de montrer leurs qualités de gestionnaires, mais n’ont pas convaincu ; les autres auraient l’occasion de le faire avec nous, mais souhaitent rester dans une posture de dénonciation permanente.

Nous ne pouvons nous associer à cette alliance contradictoire, car elle a pour conséquence de condamner le Sénat à l’impuissance.

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Bien dit !

Mme Michèle André. Il est donc hors de question que le groupe socialiste vote cette question préalable, car, comme une majorité de parlementaires des deux assemblées, il soutient le Gouvernement dans ses choix économiques et budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues le groupe communiste, républicain et citoyen a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2014. Il s’agit là d’un moment grave pour notre assemblée.

Si je peux comprendre qu’un examen complet de ce texte en nouvelle lecture ne permettrait pas au Sénat de peser sur sa version finale, compte tenu de son rejet annoncé, je ne souscris pas pour autant aux motifs invoqués par les auteurs de cette question préalable.

En effet, nous venons de l’entendre, ceux-ci s’appuient sur une remise en question assez radicale de la politique fiscale et budgétaire du Gouvernement, que beaucoup d’entre nous soutiennent dans ses différents aspects, à savoir le nécessaire assainissement des comptes publics, le souci de la croissance et de l’emploi et la consolidation des politiques de solidarité.

La commission des finances, dont je suis ici le rapporteur général, n’a pas émis d’avis favorable sur cette question préalable, une égalité arithmétique entre les voix pour et les voix contre ayant été observée lors du vote. Pour ma part, mes chers collègues, je ne puis qu’émettre un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. André Reichardt. C’est étonnant ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera-t-il cette motion tendant à opposer la question préalable ? J’imagine que tout l’hémicycle attend avec impatience de connaître la réponse ! (Exclamations amusées.) Eh bien, la réponse est oui !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. Philippe Dallier. Pour autant, cette réponse positive appelle quelques précisions. En effet, mes chers collègues, je ne voudrais pas que vous puissiez penser que nous approuvons l’ensemble des motifs invoqués par nos collègues du groupe CRC pour présenter cette motion. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Ceux-ci mettent d’abord en avant « l’incapacité avérée à définir un texte acceptable par les majorités de gauche des deux assemblées ». J’espère ne choquer personne en affirmant qu’il ne s’agit pas de notre préoccupation première. De fait, nous constatons – et vous constatez vous-mêmes – que vous n’êtes pas en capacité de vous mettre d’accord. Bien évidemment, ce n’est pas sur cet argument que nous fondons notre position.

Les auteurs de la motion développent ensuite trois considérants.

Premièrement, ils entendent « sanctionner le recours aux procédures peu respectueuses des droits du Parlement ». Mes chers collègues, notre Constitution est bien faite, tout comme les règlements intérieurs des assemblées. Même quand il est peu facile – comme c’est le cas actuellement – de discerner les majorités, elle permet à tout le moins au Gouvernement de gouverner. On ne peut que s’en féliciter, parce qu’il n’aurait rien de pire que d’être dans l’incapacité de voter un budget, même dans des conditions particulières.

Deuxièmement, les auteurs de cette motion entendent « mettre en question des choix fiscaux et budgétaires erronés » – sur ce point, nous pouvons partager les préoccupations de nos collègues du groupe CRC – « marqués du sceau de l’austérité ». L’austérité, mes chers collègues, certains pays d’Europe la vivent ; la France, quant à elle, n’en est pas là. Il serait plus exact de parler de rigueur, tout en considérant que celle-ci pourrait être mise en œuvre par des voies différentes.

Troisièmement, enfin, les auteurs de la motion entendent « marquer leur refus d’une option générale de réduction de la dépense publique, inefficace et contre-productive ». Au groupe UMP – nos différents orateurs et moi-même l’avons suffisamment répété –, nous pensons que le Gouvernement ne va pas assez loin en matière de réduction de la dépense publique. Ce n’est donc pas sur cet argument que nous nous appuyons pour voter la motion.

À l’évidence, nous pourrions encore discuter des heures de ce projet loi de finances sans qu’une majorité se dessine. À quoi bon dans ce cas, serais-je tenté de dire.

Après toutes ces heures de discussion du projet de loi de finances initiale et du projet de loi de finances rectificative, il est bon d’abréger les souffrances du rapporteur général (Exclamations amusées.) qui, dans la nuit de vendredi à samedi, nous a montré qu’il avait un peu de mal à accepter la situation telle qu’elle se présente. Eh bien oui, c’est un constat, il n’existe pas de majorité au Sénat ! Et ce n’est pas la faute de l’opposition si vous ne parvenez pas à vous entendre !

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les arguments de fond qui sont avancés par les auteurs de cette motion. Je souscris aux remarques qu’a faites à l’instant notre collègue. Notre vision, notre position sur ce budget sont différentes de celles du groupe CRC, mais nous estimons qu’il n’y aurait aucun intérêt à prolonger davantage nos débats au Sénat, même si M. le ministre les a jugés tout à l’heure riches et intéressants.

En ne retenant en définitive que dix amendements du Sénat dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui, le Gouvernement n’a pas tiré suffisamment profit de cette richesse. Pour ma part, je trouve dommage de ne pas poursuivre nos débats, mais les prolonger, j’en ai le sentiment, ne nous permettrait sans doute pas de progresser ni d’engager les décisions qui s’imposent pour redresser nos finances publiques d’une manière plus franche que celle proposée aujourd’hui.

Au final, le groupe de l’UDI-UC votera cette motion tendant à opposer la question préalable, même s’il n’approuve pas totalement les arguments invoqués par ses auteurs. Je le répète, il ne nous servirait à rien de discuter plus encore, nous sommes tous très occupés et avons bien d’autres choses à faire. À quoi bon poursuivre une discussion qui ne permettrait en rien d’enrichir ce texte ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe du RDSE, très majoritairement, par dix-huit voix sur dix-neuf, votera contre cette motion. En effet, nous n’approuvons absolument pas les motivations de ses auteurs.

Nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec l’ensemble des textes du Gouvernement – auquel cas, nous le lui disons. Dans le cas présent, nous discutons du projet de loi de finances et il faut être très clair : ou l’on soutient le Gouvernement ou on ne le soutient pas. Or le projet de loi de finances est l’acte clé d’une politique. Si nous ne votions pas le budget, alors il nous faudrait en tirer immédiatement les conséquences.

M. Robert Tropeano. Très bien !

M. Jacques Mézard. Cela étant dit, monsieur le ministre du budget, nous sommes convaincus de la nécessité de redresser nos comptes. Depuis des mois, vous vous évertuez à faire en la matière un travail positif, utile et indispensable si, comme je l’ai déjà indiqué, nous ne voulons pas pénaliser les générations futures. Pour autant, nous l’avons dit également, cet effort de redressement trouve une limite, celle de l’impact négatif qu’il pourrait avoir sur la croissance. L’équilibre est très difficile à trouver, pour tout gouvernement, particulièrement en période de crise. En tout cas, je salue les efforts tout à fait positifs qui sont accomplis.

Pour toutes ces raisons, nous ne suivrons pas nos collègues communistes et voterons contre la motion qu’ils ont déposée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. Je serai très brève. Je souhaite simplement réagir aux propos de Michèle André. Nous avons en effet des désaccords, cependant l’attitude des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne se résume pas à une attitude de simple opposition ; en effet, nous avons constamment essayé d’avancer des propositions afin de contribuer à la réflexion. Nous souhaiterions débattre en profondeur de la façon de sortir des difficultés dans lesquelles nous nous trouvons. Or, même si ce débat nous semble difficile aujourd’hui, il faut pourtant le mener.

Nous avons vu comment, dans un certain nombre de pays européens, le choix d’accorder la priorité au redressement des déficits publics, en particulier en réduisant les dépenses et sans se donner la possibilité de soutenir la croissance, a des effets contre-productifs et aggrave encore les difficultés. Tels sont les sujets dont nous voudrions discuter. Nous ne nous enfermons pas dans une attitude d’opposition systématique, mais nous estimons, aujourd’hui, que ce type de réflexion n’est pas entendu. C’est pourquoi nous voterons bien évidemment notre motion.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° I-7, tendant à opposer la question préalable et dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 108 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 189
Contre 145

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2014 est rejeté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2014
 

6

Nomination de membres de commissions

Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame M. François Grosdidier, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Louis-Constant Fleming, démissionnaire, et M. Louis-Constant Fleming, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. François Grosdidier, démissionnaire.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 18 décembre 2013 à quatorze heures trente et le soir :

1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal (n° 700, 2012-2013) ;

Rapport de M. Alain Néri, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 221, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 222, 2013-2014).

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (n° 697, 2012-2013) ;

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 219, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 220, 2013-2014).

3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d’Ivoire (n° 703, 2012-2013) ;

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 223, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 224, 2013-2014).

4. Nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour 2013 (n° 241, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures cinquante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART