M. Michel Sapin, ministre. Vous opérez, monsieur le sénateur, un parallélisme avec le DIF, mais les modes de financement de celui-ci n’étaient pas les mêmes que ceux du compte personnel de formation. Avec le CPF, on acquiert des droits ; le système n’est pas lié à l’entreprise.

Je comprends l’idée qui sous-tend cet amendement : l’entreprise où une faute grave a été commise ne devrait pas avoir à financer la formation du salarié licencié par elle pour faute grave. Cependant, dans le système que nous avons retenu, les relations au sein de l’entreprise et les droits à la formation sont totalement disjoints, ces derniers étant strictement attachés à la personne. C'est la raison pour laquelle la situation qui prévalait avec le DIF n’a plus de raison d’être avec le CPF.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 193, présenté par Mmes Cohen et David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 21

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. L’alinéa 21 de l’article 1er prévoit que, lorsque la durée de la formation choisie est supérieure au nombre d’heures inscrites sur le compte personnel de formation, le titulaire du compte peut lui-même l’abonder en heures complémentaires pour assurer la formation souhaitée. Nous sommes opposés à une telle possibilité.

En effet, si l’idée de permettre aux salariés d’accéder plus facilement à une formation professionnelle est légitime, elle ne peut reposer sur les capacités financières des salariés.

Pourquoi, me direz-vous, quand on sait qu’un plafond de 150 heures ne permet pas d’accéder à une formation longue et réellement qualifiante, ne pas prévoir que le salarié peut abonder lui-même son compte, lui accordant ainsi une grande marge de manœuvre dans l’utilisation de son droit ?

Nous partons du constat, largement établi, d’un accès à la formation actuellement très inégal : les ingénieurs et les cadres ont un taux d’accès à la formation de 56,5 %, presque deux fois plus élevé que celui des ouvriers, qui n’est que de 32,4 %.

Permettre au salarié d’abonder lui-même son compte personnel de formation, c’est maintenir le statu quo qui permet aux salariés des professions les plus qualifiées, et donc les mieux rémunérées, d’avoir un accès prioritaire à la formation, quand ce sont les salariés des professions les plus précaires et les moins qualifiées qui en ont le plus besoin.

Permettre au salarié d’abonder lui-même son compte personnel de formation, c’est oublier que l’accès à la formation professionnelle ne doit en aucun cas reposer sur un quelconque critère financier, qui sera forcément désavantageux pour les salariés les moins bien lotis financièrement. Ce serait donc favoriser une certaine frange de salariés au détriment d’autres.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Mon cher collègue, je vous suivrais sur cet amendement si l’on faisait de cette possibilité une obligation pour le salarié. Or il s’agit au contraire de lui offrir une liberté de choix, bien que celle-ci dépende également, j’en conviens, de ses capacités financières.

Il paraît préférable de laisser le système se développer dans un cadre de co-construction volontaire, en laissant une place au souhait de l’intéressé. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 194, présenté par Mmes Cohen et David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 30

Supprimer cet alinéa.

II. – Alinéa 31

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Art. L. 6323-6. – I. – Les autres formations…

III. – Alinéa 36

Remplacer la référence :

III

par la référence :

II

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Ce qui nous pose problème à l’alinéa 30, monsieur le ministre, c’est le fait que les formations « permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences » soient éligibles au compte personnel de formation.

Nous sommes opposés non seulement à l’idée même d’un socle commun de connaissances et de compétences au sein de la formation initiale, que nous considérons comme une approche réductrice des missions essentielles de l’école, mais aussi à ce que des formations dispensées dans le cadre professionnel au titre du CPF visent à acquérir des compétences qu’il revient à l’école de transmettre, sous des formes différentes, bien entendu, selon les âges et les personnes concernées.

En tout état de cause, si ce socle fait défaut, il nous semble qu’il est de la responsabilité de l’employeur de former ses employés afin que ces derniers puissent lire, écrire et compter correctement. Pour ce faire, il dispose de la prérogative du plan de formation. À nos yeux, de telles formations, qui ne relèvent pas de la qualification professionnelle mais sont essentielles à la sécurité et à l’efficacité du salarié, ne doivent pas être imputées sur le compte personnel de formation, celui-ci étant strictement réservé à des formations professionnelles qualifiantes destinées à permettre au salarié de gagner des compétences dans son métier ou dans un autre domaine.

À titre d’illustration, je rappellerai que l’employeur dispose d’une obligation de moyens et de résultat en matière de sécurité au travail. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la manière dont pourrait évoluer la jurisprudence. Un salarié ne sachant pas lire correctement peut ne pas respecter une consigne élémentaire de prudence et exposer sa vie ou celle de ses collègues à un risque certain. Dans ce cas, l’employeur peut être considéré comme responsable, les juges estimant qu’il n’a pas mis en œuvre tous les moyens pour que les consignes soient comprises et assimilées. Mais si, demain, un employeur peut avancer l’idée qu’un salarié a commis une imprudence parce qu’il ne savait pas lire et qu’il avait refusé une formation lui permettant d’acquérir ce socle de connaissance, qu’adviendra-t-il de cette obligation de résultat ?

Selon toute vraisemblance, le risque est grand d’inverser la logique actuelle et de faire peser finalement sur les salariés les moins formés, notamment ceux qui n’ont pas bénéficié d’une formation initiale suffisamment achevée, une forme de responsabilité jusque-là partagée avec l’employeur. Cela constituerait à nos yeux un revirement majeur de jurisprudence que nous ne saurions accepter.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de supprimer l’alinéa 30 de l’article 1er. La formation destinée à savoir lire, écrire et compter est indiscutablement un vrai sujet aujourd'hui, mais elle ne saurait s’imputer sur le compte personnel de formation, sauf à en travestir l’objectif premier.

M. le président. L'amendement n° 225, présenté par Mme Blandin, M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 30

Après les mots :

d'acquérir le socle

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Je suis très sensible à l’argumentaire que vient de développer ma collègue Cécile Cukierman. Dans l’hypothèse où son amendement ne serait pas adopté et l’alinéa 30, supprimé, le présent amendement pourrait constituer une solution de repli.

Si le compte personnel de formation est une véritable avancée vers le droit universel à la formation, la rédaction actuelle de l’alinéa 30 de l’article 1er nous laisse très perplexes. En effet, celle-ci précise que « Les formations éligibles au compte personnel de formation sont les formations permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences défini par décret. »

Mais de quel socle parle-t-on ?

La récente loi de refondation de l’école de la République, promulguée en juillet 2013, prévoit un nouveau socle commun dit « de connaissances, de compétences et de culture » qui sera défini par décret après avis du Conseil supérieur de programmes. Ce nouveau socle se substituera à celui qui avait été institué en 2005 et qui définissait, entre autres, ce que nul n’était censé ignorer en fin de scolarité obligatoire, à savoir la maîtrise de la langue française, la pratique d’une langue vivante étrangère, la maîtrise des techniques de l’information et de la communication.

Notre amendement a donc pour but de lever l’ambiguïté injustifiée liée à la coexistence de deux socles dans nos textes et dans l’esprit des usagers de l’école et de la formation professionnelle.

Vous l’avez compris, à la lumière des arguments avancés par Cécile Cukierman, je suis favorable à la suppression de l’alinéa 30, mais, en tout état de cause, je pense qu’il convient d’éviter la coexistence de deux socles, car il sera difficile de savoir lequel est le bon ! (Sourires.)

M. le président. L'amendement n° 90 rectifié, présenté par M. Cardoux, Mmes Boog, Bouchart, Bruguière et Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, M. Dériot, Mme Deroche, MM. Fontaine et Gilles, Mmes Giudicelli et Hummel, M. Husson, Mme Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Milon et Pinton, Mme Procaccia et MM. Savary, Vial, Reichardt et Mayet, est ainsi libellé :

Alinéa 30

Remplacer les mots :

par décret

par les mots :

par le comité observatoires et certifications du comité paritaire national pour la formation professionnelle et l’emploi prévu à l’article L. 6123-5

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Cet amendement vise en quelque sorte à « redonner la main » aux partenaires sociaux.

Ces derniers ont prévu expressément que les formations éligibles au CPF sont obligatoirement des formations qualifiantes conduisant à une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles – RNCP –, à un certificat de qualification professionnelle de branche ou interbranches, à une certification inscrite à l’inventaire mentionné au sixième alinéa de l’article L. 335-6 du code de l’éducation, à la qualification des demandeurs d'emploi ou au socle de connaissances et de compétences mentionné au point 4.4 de l’ANI du 5 octobre 2009.

Dans une logique de simplification, il me paraît souhaitable d’épargner au pouvoir réglementaire le soin de ratifier par un décret ces précisions élaborées par les partenaires sociaux. Cela irait en outre dans le sens du « choc de simplification » que les uns et les autres essayent de mettre en place actuellement.

M. le président. L'amendement n° 279, présenté par M. Patriat, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 30

Compléter cet alinéa par les mots :

ainsi que les formations qualifiantes incluses dans les programmes régionaux de formation professionnelle financés par les régions

II. - En conséquence, alinéa 35

Supprimer les mots :

les régions et

La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Il s’agit, par cet amendement, d’englober dans les formations éligibles au CPF les formations qualifiantes issues des programmes régionaux de formation, élaborés en concertation avec les acteurs locaux, notamment les partenaires sociaux.

Cet amendement est donc très simple !

M. Michel Sapin, ministre. Mais il n’est pas anodin !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. L'amendement n° 194 tend à supprimer la possibilité de suivre, grâce au CPF, des formations permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences.

Je rappelle que cette disposition, qui est issue de l’ANI, permettra aux salariés les moins formés d’accéder, sur leur initiative, aux connaissances de base qu’ils n’ont jamais pu acquérir.

Je rappelle aussi que ces formations sont opposables à l’employeur et pourront être suivies sur le temps de travail. Il me paraît donc important de les maintenir dans le périmètre du CPF.

Je rappelle enfin que les partenaires sociaux – j’anticipe sur les deux amendements suivants – ont décidé de définir ce socle avant la fin du premier semestre 2014 : nous y sommes presque.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 194.

Par l’amendement n° 225, Jean Desessard propose que puisse être acquis, par le biais du CPF, le socle de connaissances de l’éducation nationale. Soyons clairs : tel n’est pas l’objet de cet article.

Les partenaires sociaux ont défini leur propre socle de connaissances et de compétences, qui ne se confond pas avec celui que l’éducation nationale est chargée de fournir et qui a vocation à être acquis à l’issue de la scolarité obligatoire. Ces deux socles sont de nature différente.

La formation professionnelle ne peut, à elle seule, combler les insuffisances de la formation initiale ou y parer. Elle doit, au contraire, mettre l’accent sur les compétences aujourd’hui indispensables à l’exercice d’une activité professionnelle. Ainsi, les partenaires sociaux vont probablement intégrer dans le socle l’aptitude à travailler en équipe – cela ne s’apprend pas à l’école (Marques d’étonnement sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.) –, la maîtrise des outils informatiques et bureautiques et, le cas échéant, la pratique d’une langue étrangère.

La commission est donc défavorable à l’amendement n° 225.

Monsieur Cardoux, pour justifier votre amendement n° 90 rectifié, vous nous expliquez que les partenaires sociaux doivent pouvoir faire leur affaire de la définition du socle et qu’il est donc inutile que cela passe par un décret.

Il me semble évident qu’il appartient aux partenaires sociaux de définir ce socle. Je l’ai dit, ils se sont engagés à le faire avant la fin du premier semestre. Néanmoins, il faut un décret pour conférer une valeur juridique à ce qu’ils auront décidé, et je ne doute pas que le Gouvernement s’appuiera sur les travaux des partenaires sociaux pour rédiger ce décret.

J’en arrive à l’amendement de notre collègue et ami François Patriat. Je comprends que, en tant que président de région, il défende cet amendement qui vise à ce que les formations figurant au programme régional de formation soient éligibles au CPF sans avoir à figurer sur l’une des listes élaborées par les partenaires sociaux. Il y a là une proposition de cohérence et de simplicité.

Il reste que le dispositif retenu par le projet de loi s’inscrit dans un équilibre entre la responsabilité territoriale et la responsabilité des partenaires sociaux. À cet égard, le programme régional de formation me paraît bien pris en compte pour la formation des demandeurs d’emploi puisqu’il constituera le fondement de la liste élaborée par les partenaires sociaux au niveau régional. Le texte va d’ailleurs très loin : si ces derniers décident de retrancher de ce programme une formation que vous aurez habilitée en Bourgogne, mon cher collègue, ils ne pourront le faire que sur décision motivée, expliquant en quoi la situation de l’emploi – et elle seule – dans la région le justifie.

Je ne crois pas qu’il soit opportun de remettre en cause cet équilibre, qui me paraît indispensable au vu de l’entrecroisement de la responsabilité territoriale et de celle des branches et des partenaires sociaux dans la formation des demandeurs d’emploi.

La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. J’espère que l’argumentation parfaite du rapporteur aura su convaincre M. Patriat de retirer son amendement n° 279.

S’agissant des amendements présentés par Mme Cukierman et M. Desessard, je voudrais que les choses soient claires : il existe deux socles, le socle de connaissances et de compétences – dont nous parlons ici – et le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation.

M. Jean Desessard. C’est le socle de simplification ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Si vous voulez ! (Nouveaux sourires.)

En tout cas, l’adoption de l’amendement n° 194 reviendrait à priver un salarié de son droit d’utiliser, sur son initiative, le compte personnel de formation pour acquérir le socle entendu comme savoir écrire, lire et compter.

Je suis allé en Bretagne pour rencontrer les salariés de l’entreprise Gad. Croyez-moi, ce n’était pas si simple de discuter avec les gars de chez Gad ! Quoi qu'il en soit, j’ai appris que 40 % d’entre eux, après plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années, sont soit restés en situation d’illettrisme, soit entrés en situation d’illettrisme. Ce n’est pas normal ! Et vous voudriez les priver de la possibilité d’utiliser leur compte ? Ce n’est évidemment pas l’objectif de votre amendement, madame Cukierman, mais c’en serait la conséquence.

Il est très important, monsieur Cardoux, que le socle soit élaboré en étroite concertation avec les partenaires sociaux. Toutefois, si nous voulons qu’une définition soit arrêtée au bout du compte et que ce dispositif entre rapidement en application, il me semble nécessaire d’agir par décret.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces quatre amendements.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l'amendement n° 194.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, nous ne commettons aucune confusion entre les socles et n’avons nullement la volonté d’empêcher les salariés d’accéder aux formations que vous évoquez. Nous pensons simplement que ces formations devraient être prises en charge par l’employeur.

Je ne remets pas non plus en cause les chiffres que vous avez donnés. L’illettrisme touche toutes les régions, pas seulement la Bretagne, et chacun peut constater de telles situations dans son département, qu’il s’agisse de personnes ayant suivi une formation initiale en France ou d’étrangers ne maîtrisant pas notre langue.

À travers cet amendement, nous entendons soulever une question : dès lors qu’il s’agit de savoirs indispensables, essentiels – y compris en termes de sécurité, comme je l’ai montré –, ont-ils vocation à entrer dans le champ du compte personnel de formation, censé permettre d’élever la qualification du salarié ? Leur acquisition ne devrait-elle pas plutôt être prise en charge dans un autre cadre ?

Ce serait faire un faux procès à notre groupe – vous ne l’avez du reste pas fait, monsieur le ministre – que de prétendre que nous refuserions aux salariés la possibilité d’accéder à toujours plus de savoir. Un salarié qui sait lire, écrire et compter est un salarié qui sait se défendre et qui saura se construire. Le seul point qui nous oppose, c’est le cadre dans lequel cette formation doit être prise en compte.

Ne vous méprenez pas, monsieur le rapporteur : je pense qu’il est très important de savoir travailler en équipe, mais cet apprentissage me paraît faire partie des missions essentielles de l’éducation nationale : c’est ce qui est indiqué dans tous les documents d’accompagnement des programmes.

Cet exemple, comme celui de l’illettrisme, nous conduit à nous interroger sur la capacité de notre système de formation initiale à doter nos jeunes de ces savoirs de base qui sont indispensables au vivre-ensemble et à la vie professionnelle. Une grande partie d’entre eux quitte en effet le système scolaire sans les maîtriser. Mais il s’agit sans doute d’un autre débat.

Pour notre part, nous estimons que faire peser cet apprentissage sur le compte personnel de formation du salarié ne revient pas à poser le problème dans les bons termes. C’est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote.

Mme Maryvonne Blondin. Je voudrais aussi apporter mon témoignage, comme vous l’avez fait, monsieur le ministre, sur les salariés de Gad. Nous avons été fort surpris de constater que beaucoup d’entre eux ne savaient plus lire et encore moins écrire. Cette formation doit pouvoir être assurée et, dès lors, la suppression de l’alinéa 30 n’est pas pertinente.

Vous évoquiez tout à l'heure, madame Cukierman, les consignes de sécurité pour les salariés. Sachez que, chez Gad, ces consignes prenaient la forme de pictogrammes, afin de contourner la difficulté posée par l’illettrisme. Ainsi, sans que cette solution soit pleinement satisfaisante, les consignes de sécurité étaient tout de même respectées.

Nous devons néanmoins nous efforcer de faire en sorte que ces sites industriels ne recourent plus à de tels biais. Pour se former à un nouvel emploi, il faut d’abord apprendre à lire et à écrire !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Il me semble que nos collègues communistes ne contestent nullement la réalité de la situation que vous décrivez, mais ils vont plus loin en refusant que le compte personnel de formation serve à combattre l’illettrisme. Car enfin, s’il s’agit de combattre l’illettrisme, c’est un grand plan national qu’il faut mettre en place !

Nous ne savons pas encore ce que sera ce socle de connaissances et de compétences : nous devons attendre le décret. Toutefois, je partage l’idée selon laquelle il ne revient pas au CPF de permettre aux salariés d’acquérir les connaissances essentielles – lire, écrire, compter –, car l’illettrisme est un problème social, collectif, et non individuel. Il serait même malheureux qu’une personne en vienne à utiliser son compte personnel de formation pour apprendre à lire et à écrire !

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Je voudrais remercier M. le rapporteur et M. le ministre de l’immense compréhension dont ils font preuve à l’égard de mon amendement. Il s’agit, ont-ils expliqué, d’un bon amendement, justifié, dont la portée est importante,… mais qui ne mérite pas d’être retenu car il irait trop loin ! (Sourires.)

En d’autres termes, je suis beaucoup compris, mais peu écouté !

Monsieur le ministre, je regrette que le non-cumul strict des fonctions et des mandats ne vous permette plus d’être le président de la région Centre ; sans doute ce dernier aurait-il accueilli différemment mon amendement. (Nouveaux sourires.)

Devant autant de compréhension… et d’ingratitude, je vais retirer mon amendement, en espérant bénéficier d’un peu plus de mansuétude pour les suivants.

M. le président. L’amendement n° 279 est retiré.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l'amendement n° 194.

Mme Laurence Cohen. La lutte contre l’illettrisme est un sujet important, qui nous rassemble. C’est plutôt sur la manière d’y remédier que nos opinions diffèrent.

Ma collègue Cécile Cukierman a fort bien présenté notre position, mais je tiens à la réaffirmer pour éclairer le sens de notre amendement.

Il existe effectivement un problème d’illettrisme, qui touche des populations diverses sur l’ensemble du territoire.

Dès lors, nous nous interrogeons : en prévoyant que les travailleurs ayant du mal à maîtriser les savoirs élémentaires – lire, écrire et compter – devront puiser dans leur compte personnel de formation pour les acquérir, ne leur inflige-t-on pas une forme de double peine ? Ne leur signifie-t-on pas que cette situation, loin d’être un problème de société résultant de facteurs nombreux, ne tient qu’à eux ?

Ne risque-t-on pas, en outre, de creuser encore les inégalités sociales ? En effet, si j’ai bien compris, un travailleur disposant d’un socle de compétences normal pourra se former davantage et accéder à des formations qualifiantes, alors que celui qui est en bas de l’échelle devra puiser dans son compte personnel pour acquérir des savoirs élémentaires, sans bénéficier d’aucune solidarité de la part de son employeur ni de la société.

En définitive, je trouve qu’on soulève une bonne question – certains salariés ne maîtrisent pas les connaissances élémentaires –, mais qu’on n’y apporte pas une bonne réponse.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. À propos d’un amendement aussi important, il faut être très précis. L’illettrisme n’est pas l’analphabétisme : l’analphabète ne sait pas déchiffrer, tandis que l’illettré sait lire, ou l’a su, mais ne comprend pas ce qu’il lit.

De fait, il est parfois difficile de reconvertir et de réinsérer dans la société certains travailleurs qui, ayant acquis la maîtrise de la lecture et de l’écriture durant leur scolarité primaire, l’ont perdue faute de pratique régulière pendant dix, quinze ou vingt ans ; ceux-là se retrouvent en grande difficulté lorsqu’ils doivent suivre une formation professionnelle pour retrouver leur place dans la société, par exemple après un licenciement.

À mes yeux, il est important que le principe de la formation tout au long de la vie soit compris des travailleurs, surtout de ceux qui n’ont pas reçu une formation initiale très solide ; nous devons faire preuve de pédagogie à leur égard pour qu’ils comprennent la nécessité de continuer, grâce à leur compte personnel de formation, à pratiquer la lecture et l’écriture, dont la maîtrise est la condition de toute reconversion professionnelle.

Monsieur le ministre, je pense même que, ultérieurement, nous pourrons envisager de donner à ceux qui n’ont pas eu une formation initiale très longue un compte de formation tout au long de la vie plus important qu’aux autres.

M. Jean Desessard. Bonne idée !

Mme Chantal Jouanno. Nous avons justement déposé un amendement qui le prévoit !

M. Alain Néri. Aujourd’hui, ce sont les moins formés qui bénéficient le moins de la formation continue. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous devons étudier la possibilité de donner aux plus défavorisés un temps de formation plus long. Donner plus à ceux qui ont eu moins, ce serait une mesure d’égalité !

Mme Chantal Jouanno. Absolument ! C’est de la discrimination positive !

M. François Patriat. C’est l’Évangile selon saint Néri ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. J’ai écouté avec intérêt les avis de M. le rapporteur et M. le ministre sur l’amendement n° 279, mais je n’ai pas été convaincu par les arguments qu’ils ont opposés au président du conseil régional de Bourgogne. Puisque, malheureusement, celui-ci a retiré son amendement, qu’il soit permis au premier vice-président du conseil régional d’Alsace de le reprendre !

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 279 rectifié, présenté par M. Reichardt, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 279.

Je mets aux voix l'amendement n° 194.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l’amendement n° 225.