M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 217 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mmes Boog et Bruguière, MM. Cambon, Cardoux, Cointat, Doligé, Houel, Huré, Laménie, Lefèvre et Longuet et Mme Masson-Maret, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La mise sur le marché, la détention et l’utilisation des produits contenant des matières actives, adjuvants classés cancérigènes, mutagènes, toxiques de la reproduction ou perturbateurs endocriniens, avérés, probables ou possibles sont interdites. » ;

La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.

Mme Hélène Masson-Maret. Les données scientifiques qui établissent des liens entre exposition aux pesticides et cancers ou maladies neurodégénératives ne manquent pas.

L’effet d’une exposition des parents sur l’enfant à naître est connu, l’importance de l’exposition aux faibles doses aussi. L’effet cocktail des nombreuses molécules présentes dans le corps humain n’est pas évalué aujourd’hui. Il est temps de prendre une décision courageuse et responsable et d’affirmer que la mise sur le marché, la détention et l’utilisation des produits contenant des matières actives, adjuvants classés cancérigènes, mutagènes, toxiques de la reproduction ou perturbateurs endocriniens, avérés, probables ou possibles, sont interdites.

M. le président. L'amendement n° 180, présenté par Mme Blandin, MM. Labbé, Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Supprimer les mots :

ou de prescription particulière

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Nous sommes très gênés par l’expression « ou de prescription particulière ». La formulation peut sembler anodine, mais elle a permis par le passé des arbitrages sanitaires catastrophiques, dont nous payons encore les conséquences aujourd’hui. Si vous maintenez la possibilité de délivrer des prescriptions particulières, vous autorisez le ministère à replonger dans des scénarios que nous avons déjà connus.

Je prendrai un exemple type, largement étudié par l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, et l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Pendant plus de vingt ans, les bananeraies des Antilles françaises ont été cultivées sous chlordécone, un insecticide particulièrement toxique.

Dans les années soixante-dix, la commission d’étude de la toxicité, placée sous la tutelle du ministère de l’agriculture, refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : le chlordécone est cancérogène, neurotoxique, perturbateur endocrinien. La molécule toxique est stable, persistante, accumulative dans la chaîne alimentaire ; elle se fixe dans les graisses. Cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture de l’époque de délivrer une prescription particulière et de donner son aval en 1972.

En 1990, le chlordécone perd enfin son autorisation : la commission d’étude de la toxicité réitère l’avis négatif déjà prononcé vingt ans plus tôt. Or, pour les Antilles, on refait des prescriptions particulières : d’abord, un différé d’un an, puis, sous la pression, le ministère de l’agriculture cède encore, accordant trois ans de bonus, jusqu’en 1993, à ceux qui réclament de pouvoir écouler les stocks de chlordécone. Résultat : des îles au sol et aux milieux humides contaminés, un désastre sanitaire, des malades, des paysans ruinés, une impossible remédiation.

Tel est le scénario que nous voulons éviter par cet amendement.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 167 rectifié est présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 625 rectifié est présenté par M. Le Cam, Mmes Schurch, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« La mise sur le marché, la détention et l’utilisation des produits contenant des matières actives, adjuvants classés cancérigènes, mutagènes, toxiques de la reproduction ou perturbateurs endocriniens, avérés, probables ou possibles sont interdites. »

La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 167 rectifié.

M. Joël Labbé. Il s’agit d’un sujet particulièrement important.

Les effets sur la santé des pesticides ont été largement documentés, ne serait-ce que lors de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement menée au Sénat en 2012 et dédiée à cette question, que Sophie Primas présidait et dont Nicole Bonnefoy était rapporteur. Nous avons tous été particulièrement marqués par la démonstration de deux endocrinologues, un professeur de Lille, dont j’ai oublié le nom, et le professeur Sultan de Montpellier, qui nous ont l’un et l’autre démontré les effets de ces molécules sur le nourrisson.

Notre collègue Bruno Sido affirmait précédemment qu’il fallait interdire ces produits s’ils étaient aussi dangereux. Vous allez pouvoir vous exprimer dans un instant, mon cher collègue, en votant cet amendement, qui vise à interdire les pesticides classés cancérigènes, mutagènes, toxiques de la reproduction ou perturbateurs endocriniens, avérés, probables ou possibles.

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour présenter l’amendement n° 625 rectifié.

M. Gérard Le Cam. Ayant participé à la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, je souhaite, avec cet amendement, répondre au moins en partie aux enjeux en termes de santé publique et de protection de l’environnement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Didier Guillaume, rapporteur. Je ne sais pas si je serai long, très long ou trop long, mais ce sujet est suffisamment important pour mériter que je vous apporte, mes chers collègues, quelques éléments d’information.

L’amendement n° 217 rectifié bis prévoit qu’aucun produit phytopharmaceutique ne puisse être utilisé en France si la substance qu’il contient est classée cancérigène, mutagène, ou reprotoxique, une substance dite CMR.

Les substances sont évaluées à l’échelon européen. Ensuite, les États membres effectuent l’évaluation des produits qui contiennent ces substances et qui leur sont soumis par les industriels.

J’avancerai trois arguments pour justifier l’avis défavorable que la commission émet sur cet amendement.

D’abord, le règlement européen met en place une démarche de progrès, dans le but de retirer certaines substances du marché : beaucoup de substances CMR sont déjà retirées de la liste. C’est donc à l’échelle européenne que l’on peut gérer la réduction des risques.

Ensuite, l’amendement est imprécis. Parler de produits CMR ne nous semble pas clair : il existe plusieurs classes de risques. Il faudrait définir ces classes de risques plutôt que de parler de ces produits.

Enfin, il faut laisser à l’ANSES, qui procède à l’évaluation, la liberté d’évaluer les produits, sur la base de l’expertise scientifique : des produits non CMR sont peut-être plus dangereux que des produits CMR.

Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 217 rectifié bis.

Concernant l’amendement n° 180, la commission considère qu’il est nécessaire de conserver la possibilité pour le ministre d’avoir une gamme de réponses face à un éventuel risque sanitaire et environnemental. La prescription particulière constitue un type de réponse qui peut être approprié : il s’agit d’imposer, par exemple, des conditions spécifiques d’utilisation ou de détention.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

S’agissant des amendements identiques nos 167 rectifié et 625 rectifié, la commission émet également un avis défavorable.

D’une part, ces amendements ne sont pas conformes au droit européen. (M. Le Cam s’exclame.) J’avancerai un autre argument, qui est aussi très important, mon cher collègue !

D’autre part, tels qu’ils sont rédigés, ces amendements « écrasent » la nouvelle rédaction du premier alinéa de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, qui permet au ministre de l’agriculture, dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, de prendre des mesures d’interdiction de certains produits.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je partage l’avis de la commission.

Nous venons d’avoir un débat sur l’ANSES au cours duquel la responsabilité du ministre a été mise en cause. Quand des règles et des mesures législatives permettent au ministre de décider, certains d’entre vous veulent les supprimer ! Essayons donc de garder dans ce débat toute la cohérence nécessaire !

Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il se peut que le ministre ait des décisions politiques à prendre. Encore faut-il qu’il ait les moyens de le faire.

Vous le constatez, entre le débat sur l’ANSES et l’examen de ces amendements, vous êtes revenus sur ce que vous avanciez pourtant comme une justification pour ne pas transférer le pouvoir de décision à l’ANSES : maintenant, il ne faudrait pas que le ministre puisse décider ! Restons sur la même ligne. Il est des circonstances où le ministre doit pouvoir décider, et il assume. C’est ainsi.

M. Charles Revet. Je ne suis pas d’accord !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 217 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 180.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 167 rectifié et 625 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Mes chers collègues, il reste 194 amendements à examiner.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 23 (début)
Dossier législatif : projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
Discussion générale

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 15 avril 2014 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe)

À quatorze heures, le soir et la nuit :

2. Éloge funèbre de René Teulade.

3. Projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela (n° 166, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Michelle Demessine, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 432, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 433, 2013-2014).

4. Projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres et la République de Moldavie (n° 167, 2013-2014)

Rapport de Mme Josette Durrieu, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 434, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 435, 2013-2014).

5. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord entre la République française et la République fédérative du Brésil en matière de sécurité sociale (n° 408, 2013-2014) ;

Rapport de M. Jean-Pierre Cantegrit, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 438, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 439, 2013-2014).

6. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord-cadre entre la République française et le Royaume d’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (n° 698, 2012-2013) ;

Rapport de M. Raymond Couderc, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 304, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 305, 2013-2014).

7. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 279, 2013-2014) ;

Rapport de MM. Didier Guillaume et Philippe Leroy, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 386, tomes I et II, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 387 rectifié, 2013-2014) ;

Avis de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 344, 2013-2014) ;

Avis de M. Pierre Camani, fait au nom de la commission du développement durable (n° 373, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 15 avril 2014, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART