compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du mercredi 7 mai 2014 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Cessation du mandat de deux sénateurs

M. le président. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, le Président du Sénat a pris acte de la cessation, le vendredi 9 mai 2014, à minuit, des mandats sénatoriaux de :

- Mme Laurence Rossignol, nommée secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, par décret du 9 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement ;

- et M. André Vallini, nommé secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, par décret du 9 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement.

3

Remplacement de deux sénateurs nommés membres du Gouvernement

M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu’à compter du samedi 10 mai 2014, à zéro heure :

- M. Jean-Pierre Bosino est appelé à remplacer, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, en qualité de sénateur de l’Oise, Mme Laurence Rossignol, nommée secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, par décret en date du 9 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement.

- Mme Éliane Giraud est appelée à remplacer, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, en qualité de sénateur de l’Isère, M. André Vallini, nommée secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, par décret en date du 9 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement.

Au nom du Sénat tout entier, nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue.

4

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence.

La commission des finances m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée. La nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

5

Saisines du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi :

- le 7 mai 2014, en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, des dispositions suivantes du code général des collectivités territoriales :

- le I de l’article L. 5843-2, en tant qu’il rend applicable en Polynésie française les articles L. 5721-3 et L. 5721 5,

- le III de l’article L. 5843-2,

- l’article L. 5843-3 ;

- le 12 mai 2014, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié.

Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de ces communications.

6

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 27 mars 2014.

7

Communications du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat :

- le 12 mai 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 41-4 du code de procédure pénale (Attributions du procureur de la République) (2014-406 QPC) ;

- le 13 mai 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les sixième et huitième alinéas de l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 (Aide publique aux partis et groupements politiques) (2014-407 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de ces communications.

8

Renvoi pour avis unique

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux activités privées de protection des navires (n° 489, 2013-2014), dont la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

9

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que :

-le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. André Vallini, dont le mandat de sénateur a cessé ;

-le groupe Union des Démocrates et Indépendants–UC a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Louis-Constant Fleming, démissionnaire de son mandat de sénateur ;

-le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, en remplacement de Mme Laurence Rossignol, dont le mandat de sénateur a cessé.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

10

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public
Discussion générale (suite)

Sécurisation des contrats de prêts structurés

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public
Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public (projet n° 481, texte de la commission n° 516, rapport n° 515).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet des « emprunts toxiques » est un sujet complexe, qui empoisonne – c’est bien le moins pour des toxiques ! – les finances des collectivités territoriales et de l’État depuis plusieurs années.

Les points de vue sur la question semblent irréconciliables. Certains arguent que les banques ont floué des collectivités territoriales désemparées face à des contrats de prêt qu’elles ne pouvaient techniquement maîtriser. D’autres estiment que les collectivités ont été irresponsables en contractant sciemment des emprunts, certes dangereux, mais très profitables à court terme. Ces différentes analyses se retrouvent souvent au sein des groupes parlementaires.

Face à ces appréciations divergentes, nous vous proposons une solution équilibrée.

Équilibrée, d’abord, entre les banques et l’État : les banques participent à 61 % – 50% par le biais de la taxe systémique et 11 % à travers des contributions volontaires de la Société de financement local, la SFIL, et de Dexia – au financement du fonds de soutien de 1,5 milliard d’euros, l’État étant appelé à financer le reste. Je rappelle que ce fonds a pour vocation d’aider les collectivités et d’autres établissements à régler ce douloureux et délicat problème des emprunts toxiques.

Équilibrée, ensuite, entre les collectivités territoriales et les banques : les aides accordées au titre du fonds ne pourront dépasser 45 % du montant des indemnités de remboursement anticipé, ou IRA.

L’objet du présent projet de loi est de rééquilibrer le dispositif voté en loi de finances initiale de 2014. Celle-ci prévoyait un système pérenne et équilibré, permettant de sortir du problème des emprunts structurés contractés, notamment, par les collectivités.

Le fonds de 1,5 milliard d’euros vise à financer une partie du coût de sortie, pour les collectivités, de leurs emprunts toxiques.

La loi de finances de 2014 prévoyait également une validation législative visant à éviter les risques que ferait peser sur les finances publiques la généralisation du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013.

Le décret d’application relatif à la création du fonds de soutien est paru au Journal officiel du 2 mai dernier. Reste désormais à constituer le comité d’orientation et de suivi, qui devra définir une doctrine. Les premières aides pourront être accordées avant la fin de l’année 2014.

Le Conseil constitutionnel a, en revanche, censuré la validation législative. Pourquoi ? Parce que le champ de cette validation était trop large par rapport au motif d’intérêt général invoqué, c'est-à-dire la protection des finances publiques des conséquences financières dévastatrices d’une éventuelle généralisation du contentieux jugé par le tribunal de grande instance de Nanterre.

Le Gouvernement a tout fait pour s’assurer de la constitutionnalité du nouveau dispositif qu’il propose aujourd’hui. Afin de mieux cibler la validation législative sur le risque pesant sur les finances publiques, conformément à la volonté du Conseil constitutionnel, son champ a été resserré. Celle-ci concerne désormais exclusivement les personnes morales de droit public. Les personnes morales de droit privé en sont exclues. Il s’agit d’une différence majeure avec la disposition qui a été censurée.

De surcroît, la validation législative vise exclusivement les emprunts dits « structurés », et non l’ensemble des emprunts. Cette autre différence permet également de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.

En outre, la validation est limitée aux motifs de l’absence ou de l’erreur de mention du taux effectif global – TEG –, du taux de période ou de la durée de période, à condition que les informations utiles à l’emprunteur pour déterminer les échéances de son prêt aient par ailleurs été fournies. Elle ne prive en aucun cas les collectivités des armes dont elles disposent sur le terrain du défaut de mise en garde.

Ainsi, la validation est très largement ciblée sur les contrats de Dexia et de la SFIL, ceux-là mêmes qui font peser un risque sur nos finances publiques, et par conséquent centrée, conformément à l’exigence du Conseil constitutionnel, sur le motif impérieux d’intérêt général que j’ai rappelé.

Le Conseil d’État a validé la constitutionnalité de ce dispositif.

Il existe, pour nos finances publiques, un risque majeur qui justifie ce projet de loi : celui de la généralisation de la décision du tribunal de grande instance de Nanterre. Il est évalué à 17 milliards d’euros – je n’ignore pas que cette évaluation donne lieu à des commentaires –, dont 9 milliards d'euros à court terme. C’est ce motif d’intérêt général qui justifie l’intervention d’une loi.

Nous devons éviter d’accroître notre déficit public d’un montant correspondant à environ 1 % de notre PIB, afin de garantir notre indépendance vis-à-vis de marchés financiers, qui nous pénaliseraient à travers un renchérissement du coût de la dette, mais aussi pour nous épargner de devoir adopter des hausses d’impôts ou des coupes dans les dépenses qui deviendraient inacceptables pour les Français.

Comment se décomposent ces 17 milliards d’euros de coût potentiel pour l’État ?

On estime à 10 milliards d’euros le coût direct lié à la nécessité de provisionner le risque contentieux dans les comptes de Dexia et de la SFIL. Ces provisions pour risque exigeraient des recapitalisations pesant sur l’État, actionnaire à hauteur de 44 % de Dexia et de 75 % de la SFIL. Concernant la SFIL, la participation de 20 % de la Caisse des dépôts et consignations et celle de 5 % de la Banque postale ont été, en outre, accordées sous réserve de la garantie de l’État.

Une partie de ce coût correspondrait à la différence entre le taux applicable et le taux légal. Une autre partie serait liée à la nécessité pour Dexia et SFIL de « déboucler » les instruments de couverture, les swaps, souscrits auprès d’autres banques pour se protéger.

Outre ces 10 milliards d’euros de coût direct, un coût supplémentaire indirect de 7 milliards d’euros aurait un effet immédiat. Cette somme correspondrait à la mise en extinction, en run-off, comme l’on dit dans une autre langue, de la SFIL, qui deviendrait inéluctable. En effet, un tel niveau de pertes, dû au provisionnement des contentieux, remettrait en cause la viabilité financière même de la SFIL, qui devrait alors être mise en extinction, sans production nouvelle pour amortir ses coûts – et notamment ceux qu’engendre le stock de prêts toxiques qu’elle porte – et avec des coûts de refinancement accrus.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Pour faire face à cette situation, une recapitalisation immédiate, de l’ordre de 7 milliards d’euros, serait nécessaire.

Ces 7 milliards d’euros correspondraient non pas à un gain pour les collectivités, mais à la matérialisation d’une perte nette pour la SFIL, qui ne pourrait plus être couverte par son activité bancaire actuelle. Cela représenterait donc une perte pour le secteur public dans son ensemble.

Ce projet de loi n’est pas un projet de loi d’amnistie pour les banques.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ah non !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il ne tend qu’à protéger l’État, et donc les contribuables.

Le champ de la validation a été restreint, je le rappelle, aux seules personnes publiques et aux emprunts structurés, de telle sorte qu’il concerne désormais essentiellement des prêts contractés par Dexia et la SFIL, dont l’État est actionnaire et à qui il a accordé sa garantie dans la loi de finances rectificative du 2 novembre 2011.

Ce projet de loi ne protège donc pas l’intérêt de Dexia ou de la SFIL, encore moins l’intérêt du secteur bancaire dans son ensemble, qui ne porte qu’une partie limitée des emprunts toxiques. Il protège l’intérêt général.

Les banques ont été fortement mises à contribution pour sortir de ce problème lancinant. La loi de finances initiale de 2013 avait créé un fonds sans prévoir leur participation, mais impliquant pour moitié l’État et pour moitié les collectivités.

Le nouveau fonds créé par la loi de finances initiale de 2014 est, au contraire, alimenté à plus de 50 % par les banques, sans aucune participation des collectivités. Je rappelle les chiffres : 50 % grâce au relèvement de la taxe systémique et 11 % supplémentaires du fait des contributions volontaires de la SFIL et de Dexia.

Les banques participeront également au fonds qui sera mis en place pour soutenir les établissements hospitaliers face aux emprunts toxiques : 25 millions d’euros supplémentaires seront versés à un fonds doté de 100 millions d’euros.

Il s’agit donc de dispositions équilibrées face à un problème dont le rapport de la commission d’enquête constituée par l'Assemblée nationale, et dont la présidence avait été confiée à Claude Bartolone, indiquait que la responsabilité était « partagée ».

Les collectivités seront ainsi mieux armées face aux emprunts toxiques. Il était en effet difficile de dire que les collectivités étaient protégées avant les dispositions de la loi de finances initiale de 2014 puisque ce problème empoisonnait les finances locales depuis des années.

Ce projet de loi ne désarme pas les collectivités, pas plus qu’il n’exonère les banques. En particulier, les collectivités les plus fragiles conservent toutes les armes contentieuses dont elles disposent aujourd’hui concernant le défaut de conseil.

Mais le fonds de 1,5 milliard d’euros mis en place par la loi de finances initiale de 2014 est la meilleure arme dont vont disposer les collectivités : pour la première fois, ces dernières se voient apporter un soutien financier.

Il est également prévu que le fonds effectuera des versements spécifiques et anticipés pour les collectivités de moins de 10 000 habitants qui auraient besoin d’être accompagnées dans la gestion financière de leur dette structurée. Ce soutien est une innovation quant à l’accompagnement technique des collectivités.

Enfin, la création d’un fonds spécifique dédié aux hôpitaux armera davantage encore les acteurs locaux contre le risque des emprunts toxiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement a cherché à concilier l’inconciliable, à trouver le bon équilibre dans la participation des diverses parties prenantes, tout en ayant le souci de l’intérêt général face à un risque financier majeur pour le budget de l’État. Il s’est également attaché à soutenir les collectivités territoriales dans leur démarche, sans les priver des moyens qu’elles peuvent invoquer, tel le défaut de conseil. Je le répète, ce projet de loi n’amnistie pas les banques, qui contribueront de manière notable au fonds de soutien.

C’est donc avec une certaine satisfaction, voire avec un enthousiasme difficile à dissimuler que je vous invite à adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Germain, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une validation législative est un acte grave !

L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Le Conseil constitutionnel exige un motif impérieux d’intérêt général pour justifier une telle mesure. Le législateur doit donc agir de manière parfaitement réfléchie. C’est à la lumière de ces exigences que la commission des finances a examiné le texte qui nous est soumis

Ce projet de loi constitue, oserai-je dire, un nouvel épisode dans le règlement du délicat problème des emprunts structurés dits « toxiques ». Il vise en effet à sécuriser les contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public.

Concrètement, le texte, qui nous est présenté en procédure accélérée, valide les contrats de prêts structurés sur lesquels le taux effectif global était soit manquant, soit erroné.

En effet, par deux décisions du 8 février 2013 et du 7 mars 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a relevé le défaut ou l’erreur de TEG et a jugé que ces manquements devaient être sanctionnés par l’application du taux d’intérêt légal en lieu et place du taux d’intérêt prévu par le contrat, taux qui, dans le cadre de prêts structurés, peut se révéler très élevé.

La multiplication de ces décisions conduirait à une réaction en chaîne particulièrement désastreuse pour nos finances publiques et, paradoxalement, pour le financement des collectivités territoriales elles-mêmes : M. le secrétaire d'État a cité le chiffre colossal de 17 milliards d’euros.

Comment peut-on en arriver à une menace de cette ampleur pour les finances publiques ?

Tout d’abord, de manière générale, l’évolution de la jurisprudence va dans le sens de la reconnaissance d’une valeur de plus en plus contraignante aux actes précontractuels. À cet égard, le tribunal de grande instance de Nanterre a qualifié comme contrat de prêt une télécopie que Dexia avait toujours considérée comme un acte précontractuel.

Ensuite, le tribunal a constaté l’absence de TEG, qui est une mention obligatoire, et a procédé à la sanction prévue dans un tel cas. Or Dexia a quasi systématiquement omis de mentionner le TEG sur les télécopies de confirmation. Autant dire que la quasi-totalité du portefeuille de ses prêts structurés pourrait se voir appliquer la jurisprudence de Nanterre, avec un retour au taux d’intérêt légal. Plus de 1 100 prêts, représentant un encours de 7,4 milliards d’euros, seraient concernés. Je précise que le taux d’intérêt légal s’élève actuellement à 0,04 %.

Aujourd’hui, près de 90 % de ce portefeuille a été transféré à la Société de financement local, créée à la suite de la mise en œuvre du plan de résolution du groupe Dexia, afin de reprendre sa mission de financement des collectivités territoriales.

En tout état de cause, l’intégralité du portefeuille de prêts structurés est aujourd’hui détenue par l’État, soit au travers de Dexia, soit au travers de la SFIL, dont il est actionnaire respectivement à hauteur de 44 % et de 75 %.

L’application d’un principe élémentaire de prudence comptable oblige à constituer une provision pour litiges à la suite des décisions du tribunal de grande instance de Nanterre. Dexia et la SFIL ont calculé que les provisions cumulées pourraient atteindre 10,6 milliards d’euros. Ce montant correspond, d’une part, à la perte d’intérêts du fait du retour au taux d’intérêt légal et, d’autre part, au débouclage de certains instruments de couverture que les deux établissements avaient contractés.

Compte tenu des fonds propres de Dexia et de la SFIL, l’État serait alors contraint d’intervenir pour recapitaliser ces deux entités à hauteur de 10 milliards d’euros, à raison de 3 milliards d’euros pour Dexia et de 7 milliards d’euros pour la SFIL. Et encore cette recapitalisation ne mettrait-elle pas la SFIL à l’abri d’un risque de mise en extinction. En effet, lorsque le sauvetage de Dexia a été décidé, la Commission européenne a autorisé la création de la SFIL à la condition que son modèle économique soit viable, …

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Oui !

M. Jean Germain, rapporteur. … en d’autres termes qu’elle ne soit pas renflouée par l’État à intervalles réguliers. C’est dire qu’une recapitalisation à hauteur de 7 milliards d’euros ne passerait donc probablement pas sous les fourches caudines de la Commission lors de l’examen des aides d’État.

Si la mise en extinction de la SFIL était décidée, cela coûterait 7 milliards d’euros supplémentaires, selon les estimations du Gouvernement.

Pour ma part, j’appelle tout particulièrement votre attention, mes chers collègues, sur le déficit de financement pour les collectivités qui en résulterait. La SFIL représente déjà environ 20 % du marché du crédit aux collectivités, soit 3 milliards d’euros distribués en 2013. C’est un risque qui ne doit pas être négligé.

Nous sommes donc face à un problème difficile, mais où les responsabilités sont partagées. Selon la commission d’enquête de l'Assemblée nationale, dont rapport a été publié il y a quelque temps, la responsabilité est « partagée » entre les collectivités qui ont contracté ces emprunts, mais qui ne s’en sont pas préoccupées jusqu’en 2007 ou 2008 parce que les taux appliqués étaient jusqu’alors avantageux, l’État, qui a failli à son devoir de contrôle de la légalité des actes des collectivités locales et n’a jamais attiré l’attention sur ce point,…

M. Jean-Claude Lenoir. C’est bien le problème !

Mme Cécile Cukierman. Dexia avait toute la confiance des élus locaux !

M. Jean Germain, rapporteur. … et, enfin, les banques, qui avaient une attitude commerciale agressive.

Mme Cécile Cukierman. Très agressive !

M. Jean Germain, rapporteur. Voilà pourquoi la responsabilité est partagée.

M. Pierre-Yves Collombat. La Cour des comptes ne dit pas cela !

M. Jean Germain, rapporteur. La responsabilité est partagée politiquement parce que toutes les majorités ont été concernées ; je le dis comme je le ressens.

Certes, on peut prendre des positions extrêmes, mais ce n’est pas l’option que j’entends retenir.

Ainsi, on peut regarder prospérer la jurisprudence de Nanterre sans rien faire. Sans doute le problème d’une partie des collectivités se trouverait-il réglé, mais cela signifierait que nous laissons l’État supporter une charge disproportionnée, et la SFIL disparaîtrait.

On peut aussi, à l’inverse, décider de régler le problème de l’État par la validation législative seule, mais les collectivités conserveraient alors un encours de prêts toxiques très important, ce qui n’est guère plus satisfaisant.

J’estime que le contribuable local et le contribuable national, …

M. Bruno Sido. Ce ne sont pas les mêmes ?...

M. Jean Germain, rapporteur. … de droite et de gauche, sont sur le même bateau, …

M. Henri de Raincourt. Et les deux tombent à l’eau !

M. Jean Germain, rapporteur. … et nous aurions tort de les opposer.

En préférant faire payer le seul contribuable national, nous accroîtrions très sensiblement la facture puisque nous en viendrions à payer 7 milliards d’euros de plus du fait de l’extinction de la SFIL.

C’est pourquoi le pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités a promu une solution équilibrée, qui permet de partager équitablement le fardeau, et que je soutiens.

D’une part, pour préserver les finances locales, le pacte a prévu la mise en place d’un fonds destiné à aider les collectivités dans la désensibilisation de leurs emprunts. Ce fonds, créé dans le cadre de la loi de finances de 2014, s’est vu doté de 1,5 milliard d’euros, ce qui n’est pas négligeable… Il permettra de financer jusqu’à 45 % des indemnités dues par les collectivités au titre du remboursement anticipé et impliquera que ces dernières renoncent au contentieux. Le décret d’application est paru.

D’autre part, pour préserver les finances de l’État, le pacte a prévu la validation législative des contrats de prêts structurés qui seraient contestés au regard de l’absence ou de l’erreur de TEG.

Le fonds de soutien aux collectivités constitue également le vecteur par lequel les banques participent à la résolution d’un problème qu’elles ont en partie créé, puisqu’elles assureront près des deux tiers de son financement.

Cette solution est équilibrée dans la répartition des charges programmées. Elle présente le grand avantage de préserver du temps pour régler ce problème en douceur, aux meilleures conditions à la fois pour l’État et pour les collectivités territoriales.

Au fil des mois, la SFIL renforce son profil financier et peut dégager des marges de manœuvre pour renégocier les prêts structurés qu’elle détient. Bien sûr, ces opérations ne sont pas aussi rapides qu’on peut l’espérer ici ou là. C’est pourquoi le fonds de soutien viendra apporter son aide.

En tout état de cause, lisser une charge de 10 milliards d’euros sur plusieurs années entre l’État, les collectivités territoriales et les banques, à commencer par la SFIL, paraît de bien meilleure politique que de faire supporter uniquement à l’État une charge plus importante – 17 milliards d’euros –, et ce pour une très large part dès cette année.

Il y a bien urgence !

À ce jour, la SFIL n’a pas constitué de provisions comptables parce que ses commissaires aux comptes avaient pris acte de l’engagement du Gouvernement de déposer un projet de loi de validation permettant de faire disparaître le risque juridique et financier et comptaient sur l’adoption et la promulgation de ce dernier.

Si ce projet de loi n’est pas adopté, la sanction interviendra dès l’arrêté des comptes du premier semestre 2014, et la réaction en chaîne que j’ai décrite au début de mon intervention s’enclenchera.

On a prétendu que le dispositif soumis à notre examen priverait les collectivités territoriales de tout moyen de recours contre les banques prêteuses. Cela est faux : les collectivités territoriales pourront toujours contester les contrats, à l’exception, bien sûr, de celles qui choisiront de renoncer au contentieux pour bénéficier du fonds de soutien. Mes chers collègues, j’insiste : l’idée de priver les collectivités territoriales de tout moyen de recours contre les banques n’a jamais été envisagée ; du reste, elle serait inconstitutionnelle.

Je veux aussi rappeler que le TEG a été conçu, à l’origine, comme un instrument de protection des particuliers dans le cadre du crédit à la consommation ou du crédit immobilier. Dans le cas d’un prêt structuré, en revanche, il n’apporte aucune information à l’emprunteur. Le tribunal de grande instance de Nanterre a donc sanctionné le non-respect d’une formalité obligatoire, alors même que l’absence ou l’erreur de TEG n’avait causé aucun préjudice à l’emprunteur.

L’adoption du projet de loi n’empêchera pas que les contentieux en cours se poursuivent. Les moyens tirés du défaut ou de l’erreur de TEG ne seront évidemment plus opérants, mais le juge sera amené à apprécier, sur le fond et au cas par cas, la responsabilité de la banque, pour déterminer s’il y a eu, ou non, un vice de consentement de la part de l’emprunteur.

Je vous rappelle en effet que, lorsqu’une banque n’a pas respecté ses obligations légales d’information, de mise en garde ou de conseil vis-à-vis de son client, celui-ci peut demander au juge d’annuler le contrat. D’ailleurs, une première décision de justice, rendue par le tribunal de grande instance de Paris au début de cette année, a reconnu qu’une banque n’avait pas rempli ses devoirs d’information et de conseil.

Le projet de loi ne prévoit nullement de revenir sur ces principes ; il laisse le juge, si celui-ci est saisi, apprécier chaque cas d’espèce.

J’ai parlé de l’opportunité du projet de loi et de son urgence ; je voudrais, pour finir, aborder la question de sa constitutionnalité.

Vous vous souvenez, mes chers collègues, que la première mouture de cette validation législative, inscrite dans la loi de finances de 2014, a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’un dispositif de validation visant l’ensemble des prêts conclus par l’ensemble des personnes morales était trop large par rapport à l’objectif recherché.

C’est pourquoi le projet de loi se borne à valider les seuls emprunts structurés conclus par les seules personnes morales de droit public, tout en préservant la possibilité d’action en justice de chacune de ces personnes pour chaque cas d’espèce. Cette restriction permet d’atteindre l’objectif visé : éviter une perte de 17 milliards d’euros et prévenir le risque d’une mise en extinction de la SFIL et d’une perturbation du financement local.

Quant à savoir si un risque équivalent à 0,8 point de PIB peut être qualifié de « motif impérieux d’intérêt général », le Gouvernement en est convaincu, et moi aussi ; il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher la question, ce qu’il n’a pas fait dans sa décision portant sur la loi de finances de 2014.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de l’ensemble des observations que je viens de formuler, la commission des finances vous propose d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances, applaudit également.)