M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que le Gouvernement soumet à notre examen procède à la validation des contrats de prêts structurés souscrits par des personnes morales de droit public.

Je tiens à remercier M. le rapporteur, Jean Germain, pour la précision de ses analyses, et M. le secrétaire d’État pour la clarté de son exposé. Parlant après eux, je serai très brève quant au rappel des faits.

À partir de la fin des années 1990, les collectivités territoriales, mais aussi les hôpitaux publics et les sociétés d’HLM, ont souscrit des prêts structurés, proposés par des banques soucieuses de reconstituer leurs marges dans un marché financier où les liquidités étaient alors abondantes. Ces souscripteurs étaient intéressés par les taux réduits affichés, en tout cas pour les premières années, par le report de plusieurs années de la prise de risque – une prise de risque en réalité peu ou mal cernée – et par la longueur des délais de remboursement : vingt, voire trente ans.

Puis survient la crise de 2008 : les décalages de taux de change et de taux d’intérêt, provoquant le déclenchement de seuils, hissent les taux à des niveaux prohibitifs.

Avant que la crise ne commence à produire ses effets, aucun mécanisme d’alerte n’a été opérant : ni les autorités chargées de la comptabilité publique, ni les chambres régionales des comptes, ni le Trésor ni aucun autre organisme de contrôle n’ont décelé le risque qui grandissait. Jean-Pierre Gorges, dans le rapport qu’il a rédigé en 2011 dans le cadre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, présidée par Claude Bartolone, l’a parfaitement démontré.

Aujourd’hui, les contentieux entre les collectivités territoriales et les banques se sont développés, fondés sur trois motifs. Deux motifs, invoqués devant le tribunal de Nanterre respectivement par le département de la Seine-Saint-Denis et par la commune de Saint-Maur-des-Fossés, sont liés au TEG : l’absence de mention de ce taux dans les contrats ou l’erreur dans l’explication de ce taux. Le troisième motif, qui est à l’origine, en particulier, du contentieux impliquant Lille Métropole, consiste dans un manquement de la banque à ses obligations d’information et de conseil ; il est plus clairement applicable aux cas de swaps.

Le Gouvernement propose la création d’un fonds de soutien doté de 1,5 milliard d’euros sur quinze ans ainsi qu’une validation législative en ce qui concerne les risques liés au TEG et la préservation de la SFIL. Selon vous, monsieur le secrétaire d’État, cette solution serait équilibrée.

Le sujet est grave et les ordres de grandeur, considérables. Songez, mes chers collègues, qu’en vertu des règles comptables la SFIL et Dexia devraient constituer 10,6 milliards d’euros de provisions cumulées. Sans compter la mise en extinction de la SFIL, qui pourrait coûter jusqu’à 7 milliards d’euros.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de considérer aussi les pertes liées à la structure des emprunts dits « toxiques ». Car leur coût est là : il serait de l’ordre de 10 milliards d’euros. Or, alors que l’essentiel de ces pertes restera à la charge des collectivités territoriales qui ont souscrit les prêts, le fonds proposé par le Gouvernement, qui disposerait de 100 millions d’euros par an, n’en compenserait, en valeur actualisée, qu’une faible part, de l’ordre de 10 %.

La validation législative prive les collectivités territoriales du bénéfice d’une jurisprudence qui leur était favorable et dont elles pouvaient se prévaloir auprès des banques pour renégocier leurs prêts. Certes, monsieur le rapporteur, les collectivités territoriales ne seraient pas privées de toute possibilité de recours ; mais elles perdraient un argument de poids dans leurs négociations avec les banques !

Or, mes chers collègues, quelle sera la situation des collectivités territoriales dans les années à venir ?

Du fait des emprunts toxiques, 10 milliards d’euros environ pèseront sur elles, notamment sur les plus endettées, qui ont été très attirées par les reports d’annuités.

Dans le même temps, nous connaîtrons une baisse sensible des dotations de l’État : elles diminueront de 3,7 milliards d’euros l’année prochaine, puis de 3,7 milliards d’euros supplémentaires par an en 2016 et en 2017, la réduction devant s’élever à 11 milliards d’euros en application du pacte de stabilité et des mesures déjà annoncées par le Gouvernement. Comme les dotations de l’État aux collectivités territoriales sont déjà réduites de 1,5 milliard d’euros cette année par rapport à 2013, elles auront baissé, au total, de 12,5 milliards d’euros, soit 12 %, d’ici à la fin de la mandature !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est une autre question !

Mme Fabienne Keller. Mes chers collègues, quelles conséquences résulteront de cette réduction ?

Les collectivités territoriales, engagées dans des politiques sociales, éducatives et sportives nécessitant des personnels, pourront de moins en moins s’autofinancer. Elles verront donc leur ratio se dégrader, ce qui compliquera leur refinancement.

Les collectivités territoriales chargées de prêts toxiques subiront ainsi une double peine : aux annuités très coûteuses correspondant à ces prêts s’ajoutera l’augmentation de leur spread, c’est-à-dire du coût des nouveaux prêts qu’il leur faudra souscrire. Peut-être même certaines seront-elles au bord du déficit de leur budget de fonctionnement, un déficit qui est, vous le savez, interdit aux collectivités territoriales.

Pour l’ensemble de celles-ci, qu’elles aient ou non souscrit des prêts toxiques, la dégradation de l’autofinancement consécutive à la réduction des dotations provoquera une baisse importante des investissements. Or les administrations publiques locales réalisaient, en 2010, plus de 70 % des investissements publics dans notre pays !

Je trouve, monsieur le secrétaire d’État, qu’un problème aussi grave mériterait que vous lui consacriez, peut-être conjointement avec le ministre de l’intérieur, une étude prospective portant, par exemple, sur cinq ans.

En vérité, un travail conjoint des acteurs de l’État est nécessaire pour examiner les conséquences de ces prêts toxiques sur la situation financière des collectivités territoriales dans un contexte de forte baisse de la dotation globale de fonctionnement, et alors que les dépenses de personnel, notamment celles des communes, ne peuvent qu’augmenter – je le signale sans intention polémique – sous l’effet de la réforme des rythmes scolaires.

Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce projet de loi. Si nous comprenons le risque immédiat pour Dexia et la SFIL, ses conséquences pour l’État et la volonté du Gouvernement d’en limiter l’incidence à court terme, nous sommes très réservés en ce qui concerne le maintien de ce risque pour les collectivités territoriales, les hôpitaux et les sociétés d’HLM, sans perspective de solution, dans un contexte de baisse drastique et historique des dotations de l’État.

Non, monsieur le secrétaire d’État, ce dispositif n’est pas équilibré ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ceux qui parmi nous sont des élus locaux – ils sont nombreux – se rappellent sans doute la grande période d’euphorie financière que nos collectivités territoriales ont connue avant 2008.

Après un renforcement continu des compétences locales, suivi, en 2003, de la conquête par les collectivités territoriales de leur autonomie financière, le financement des projets des collectivités est rapidement devenu un marché en plein essor pour de nombreuses institutions financières.

Nous avons tous connu les rendez-vous avec les agents de ces institutions au cours desquels ceux-ci nous promettaient des solutions financières parfois très avantageuses de prime abord, mais rapidement opaques si l’on s’attachait à en observer le fonctionnement réel. Le rapport établi par M. Germain, au nom de la commission des finances, donne un bon aperçu de la complexité de ce type de produits.

Les contrats structurés et les swaps de taux d’intérêt indexés sur des parités monétaires n’ont fait que masquer cette vérité : un important levier de financement suppose de prendre des risques importants. En réalité, la structuration et la désintermédiation des produits n’ont fait que donner l’illusion d’un accès facile et sans risque au financement de l’action publique locale par l’endettement.

Cette période d’euphorie, au cours de laquelle de nombreux élus locaux se sont laissés aller du point de vue gestionnaire en s’engageant dans des projets pharaoniques, a pris fin avec la crise financière.

Dès 2008, les difficultés croissantes de Dexia ont permis de mettre au jour les coulisses de cet âge d’or des finances locales. L’émergence du risque sous-jacent à ces produits structurés a pu conduire à des taux d’intérêts presque usuriers : plus de 14 % pour certains produits de Dexia dont les parités étaient indexées sur le franc suisse !

L’encours total des dettes toxiques détenues par les collectivités territoriales représenterait aujourd’hui plus de 10 milliards d’euros. Sur une dette locale évaluée à 130 milliards d’euros, les emprunts toxiques représenteraient donc environ 8 % de l’encours global.

La volatilité des taux variables qui caractérise ces emprunts fait par conséquent courir un risque important, à la fois aux collectivités, aux banques, mais aussi à l’État et, au final, au contribuable.

Je profite de la discussion du présent projet de loi pour rappeler que les dépenses des collectivités locales représentent 20 % de la dépense publique et que leur dette correspond seulement à 6 % de l’endettement, alors que l’État engage 33 % de la dépense publique et que sa dette constitue 90 % de l’endettement. C’est bien l’État, et non les collectivités locales, qui vit aujourd’hui largement au-dessus de ses moyens. C’est sur lui que devrait se concentrer l’essentiel de l’effort de redressement des finances publiques, monsieur le secrétaire d'État. Nous reviendrons sur ce point à l’occasion d’autres débats.

Sur le plan économique, l’explosion de la charge de la dette locale toxique fait peser de grands risques sur une partie du système bancaire et sur le maintien de l’investissement public local. Nous devons tous nous rappeler l’exemple espagnol. En 2012, la situation du groupe Bankia a failli conduire une nouvelle fois l’Espagne au bord du gouffre, ainsi que ses collectivités.

Dans un contexte où l’argent public se fait rare et où les conditions de financement des collectivités se durcissent, il devient de plus en plus difficile de soutenir l’activité économique à l’échelon local. Dès lors, l’explosion des taux évince la destination naturelle des ressources locales, à savoir le financement du service public, au profit de la rémunération de contrats douteux.

Toujours sur un plan économique, la fragilisation des banques prêteuses par une exposition trop importante au risque de défaut de paiement local a conduit l’État à octroyer sa garantie au groupe Dexia en 2011. Depuis lors, il semble particulièrement difficile d’obtenir des informations précises sur ce que cette garantie a finalement coûté au contribuable français afin de ne pas semer la panique sur le marché bancaire, notamment sur le marché du financement de l’action publique locale.

Sur le plan logique – j’ai presque envie de dire éthique –, nous faisons face à un véritable dilemme. Il n’est pas possible de laisser certaines de nos collectivités dans une telle situation, mais il n’est pas non plus souhaitable que nous signions un chèque un blanc pour éponger les conséquences de leurs erreurs de gestion. Pas question de payer pour les « mauvais gestionnaires » ! Et pourtant, le collectif budgétaire du mois de décembre 2012 et la loi de finances pour 2014 ont d’ores et déjà institué un fonds de soutien aux collectivités visées.

Il n’est pas admissible que la collectivité mutualise les conséquences de prises de risques locales parfois abusives. Par exemple, ce n’est pas au contribuable national de payer pour les fautes de gestion commises en Seine-Saint-Denis par M. Claude Bartolone.

M. Claude Dilain. Ce n’était pas lui !

M. Vincent Delahaye. C’est au conseil général d’assumer les responsabilités financières des décisions passées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jacques Chiron. Et Saint-Etienne ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il y en a d’autres !

M. Vincent Delahaye. Certes, mais c’est un exemple parmi beaucoup d’autres !

Nous nous réjouissons aujourd’hui que le fonds de soutien ne soit plus, comme en 2012, à la charge de l’ensemble des collectivités locales, y compris de toutes celles qui n’ont jamais souscrit ce type d’emprunts toxiques,…

M. Bruno Sido. Très juste !

M. Vincent Delahaye. … mais qu’il soit alimenté pour deux tiers par les établissements financiers et pour un tiers par l’État au titre de la solidarité nationale.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Enfin, la jurisprudence résultant notamment des jugements du tribunal de grande instance de Nanterre et a fortiori de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances pour 2014 font courir un risque budgétaire important à l’État.

En effet, l’absence de mention du TEG, l’erreur de TEG ou le défaut de conseil de la banque sont désormais sanctionnés par le juge judiciaire, et ce au bénéfice des collectivités concernées.

Or ce fait conduit à faire jouer la garantie de l’État et, par conséquent, à opérer un transfert budgétaire des collectivités vers l’État. Autrement dit, on demande au contribuable national de payer à la place du contribuable local.

En raison de cette jurisprudence, le nombre de contentieux a considérablement augmenté ces derniers mois. Cette augmentation étant décrite dans l’excellent rapport de notre collègue Jean Germain, je n’y reviendrai pas. Toujours est-il que le risque budgétaire maximal, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, a été chiffré à 17 milliards d’euros pour l’État. Si nous maintenions le statu quo, nous devrions prendre en compte une recapitalisation de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros dès cette année, soit une somme assez importante.

Bien sûr, le pire n’est jamais sûr, mais gouverner c’est prévoir et anticiper. Or, en matière financière, il convient d’être prudent et d’anticiper le pire. Dans cette période de forte contrainte sur la gestion de la dépense publique, il n’est pas question de laisser filer le déficit pour couvrir une responsabilité partagée entre les banques, certaines institutions financières, les collectivités, mais aussi l’État en raison de son rôle dans le domaine du contrôle de légalité et du conseil en la matière.

Vous l’avez bien compris, monsieur le secrétaire d'État, la situation est particulièrement épineuse. L’inaction serait budgétairement et économiquement désastreuse ; l’apurement pur et simple serait quant à lui abusif et injuste. Le législateur doit donc trouver un équilibre, afin de parvenir à une solution efficace et satisfaisante.

Depuis 2008, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs. Une charte de bonne conduite a été établie dès 2009. Éric Gissler, inspecteur des finances, a été mandaté pour mener une mission de médiation entre les banques et les collectivités territoriales. Une commission d’enquête a même été constituée à l’Assemblée nationale en 2012. Enfin, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires a permis de mieux encadrer les conditions d’emprunts des collectivités.

Si le flux d’alimentation de l’encours semble traité, il reste à gérer le problème du stock de la dette toxique déjà constitué. Une première tentative de réponse figurait dans l’article 92 initial du projet de loi de finances pour 2014. Il s’agissait, en plus de la création du fonds de soutien, de procéder à la validation législative des stipulations d’intérêts des prêts contractés, afin de réduire le risque d’exposition de nos finances publiques. Cependant, cela a été souligné, le Conseil constitutionnel a estimé que cette dernière disposition était trop large et pas assez ciblée. C’est sur ce point, notamment, que revient le texte que nous examinons aujourd'hui.

De nombreuses incertitudes règnent encore sur les conditions du financement de l’action publique locale. Les emprunts toxiques ne sont donc que l’aspect le plus manifeste et le plus immédiat d’une problématique plus large.

Ainsi, il y a fort à parier que les conditions de formation des partenariats publics-privés et de nombreuses autres formes de contrats administratifs, dès lors qu’ils conduisent les collectivités à s’acquitter de charges toujours plus importantes, deviendront, dans les années à venir, un nouveau sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics et le législateur.

Pour conclure, les membres du groupe UDI-UC sont divisés sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Certains d’entre nous considèrent que la loi est la loi : dès lors que des contrats ont été conclus et que la justice a rendu un jugement, il faut respecter celui-ci. D’autres, dont je fais partie, pensent qu’il faut rechercher, comme vous l’avez fait, monsieur le secrétaire d'État, et comme l’a voulu le Gouvernement, une position plus équilibrée. La solution qui nous est proposée aujourd'hui est-elle complètement équilibrée ? Fabienne Keller à l’instant a répondu par la négative à cette question. Pour ma part, j’estime que nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état : il serait irresponsable de faire courir un tel risque financier principalement à l’État et au contribuable national.

Cela étant, certains membres du groupe UDI-UC voteront contre le présent texte, d’autres s’abstiendront et d’autres encore voteront en faveur de cette proposition de règlement certes plus ou moins équilibrée, mais qui présente le mérite de ménager les finances de l’État et le déficit public,…

Mme Cécile Cukierman. Et fera payer à nos concitoyens les erreurs des banques !

M. Vincent Delahaye. … et vise à traiter sur la durée le problème des emprunts structurés.

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils. (M. Éric Bocquet applaudit.)

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, parce que le code général des collectivités territoriales prévoit que, au rang des dépenses obligatoires, figurent « les intérêts de la dette et le remboursement de la dette en capital », ces dernières années, certains établissements de crédit se sont permis de proposer aux élus locaux des produits financiers dits « structurés », comportant une part de risque fondé sur les éléments indiciaires servant à calculer leur taux d’intérêt.

Rappelons-nous : c’est en 1987 qu’Édouard Balladur, alors ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, ouvrait aux marchés financiers le financement des prêts aux collectivités, et que la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, la CAECL, était transformée en société anonyme ouvrant la porte à l’alliance-fusion avec le Crédit communal de Belgique aboutissant à la création de Dexia en 1996.

Au fil de ses auditions et des témoignages recueillis, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux a établi que certains établissements, au premier rang desquels la banque Dexia, menaient une politique commerciale particulièrement agressive à l’endroit des élus locaux.

Le « cœur de cible » de Dexia, si je puis dire, ce sont évidemment les communes de petite taille, de 2 000 à 5 000 habitants, dont notre pays est riche. Elles exercent des fonctions administratives, sociales et économiques importantes pour leur environnement immédiat, mais leurs moyens d’expertise financière sont souvent limités...

La situation générale est connue : depuis que Dexia a abandonné la logique du service aux collectivités qui animait la défunte CAECL pour une logique commerciale pure, largement encouragée par la déréglementation bancaire, l’endettement des collectivités locales s’est accru, d’autant que les dotations budgétaires de l’État ont, pour leur part, suivi une pente exactement inverse...

Mme Marie-France Beaufils. Aujourd'hui, face aux emprunts structurés, à la montée des charges financières induites par les relèvements de taux d’intérêt, des élus locaux se retrouvent dans la plus parfaite incapacité de faire autre chose que d’expédier les affaires courantes.

Après les difficultés majeures au moment de la tourmente financière des années 2008 et 2009 qui ont entraîné Dexia sur la pente de la liquidation et ont abouti à la constitution de la SFIL et de la CAFFIL, la Caisse française de financement local, pour gérer l’actif des emprunts dits « toxiques », les élus sont confrontés à quatre choix.

Le premier, c’est de faire le dos rond et de payer sans discuter.

Le deuxième, c’est de chercher à rester en bons termes avec l’organisme ou les établissements prêteurs, et de tenter de renégocier autant que faire se peut les emprunts structurés en les transformant en de nouveaux emprunts moins « risqués », tout en s’accordant sur le règlement anticipé du capital avec les indemnités de renégociation associées.

Les articles 32 à 35 de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires ont mis l’accent sur cette situation en décrivant, outre la création de nouvelles modalités de financement de l’investissement public local, le cheminement et les effets de ces renégociations.

Mais la route n’est pas encore balisée. Monsieur le secrétaire d'État, les décrets en Conseil d’État qui devaient accompagner la mise en œuvre de cette loi sont encore lettre morte, sans doute perdus dans les sables du débat contradictoire entre les parties.

Il est évident que, à une époque où le taux d’intérêt légal est de 0,04 %, où la Banque centrale européenne refinance les banques avec un taux directeur de 0,25 %, où le taux d’intérêt des obligations à dix ans se situe à 2 % et le taux d’usure des prêts immobiliers à taux variable aux particuliers à 4,64 %, tout taux d’intérêt supérieur est considéré comme posant un problème majeur.

Or, dans le même temps, les collectivités locales se trouvent face à un interlocuteur qui refuse, manifestement, de renoncer à une part importante de son produit net bancaire, ce qui pourrait motiver l’inscription de provisions considérables pour abandon de créances. Des créances au demeurant largement virtuelles. La parité du franc suisse et de l’euro en 2025, fixée comme référence pour nombre de prêts structurés, devient très vite une donnée assez secondaire lorsqu’un prêt est remboursé par anticipation dès 2015...

Le troisième choix pour les élus, c’est de solliciter le fonds de soutien, dont la forme a été établie par le fameux article 92 de la loi de finances pour 2014. Mais une telle sollicitation est exclusive de toute procédure contentieuse. Bien que nous n’ayons pas eu l’occasion de débattre de cet article, pour des raisons sur lesquelles il me semble inutile de revenir, je voudrais formuler quelques remarques sur ce fonds.

Je commencerai par la principale d’entre elles. Appliquer l’article 92, c’est renoncer par principe à ester en justice. Mais c’est aussi, moyennant le remboursement anticipé des emprunts incriminés, une manière comme une autre de légitimer l’action menée par les établissements de crédit.

Mme Marie-France Beaufils. Dans la transaction établie entre la collectivité et l’établissement créancier, c’est l’État qui intervient pour solder la pénalité de remboursement anticipé, sans mettre en question le comportement de la banque.

L’article 92, qui a failli devenir le support d’une forme d’amnistie bancaire avec les dispositions que le Conseil constitutionnel a justement censurées – à cet égard, on peut penser qu’il censurera également les deux premiers articles du présent projet de loi –, justifie, en fait, malgré quelques qualités, les comportements agressifs des banques à l’égard des élus locaux que l’on perçoit aujourd’hui. C’est pourquoi nous aurions attendu du Gouvernement qu’il exigeât du secteur financier un certain nombre d’efforts pour corriger les effets de ses errements.

Comme le recommandait la commission Bartolone, il serait sans doute plus opportun de mettre en place, au plus haut niveau, une structure permanente d’évaluation et de médiation entre collectivités et établissements de crédit pour pallier les désordres constatés.

À notre avis, il est nécessaire d’amener les établissements de crédit à se résoudre à provisionner l’abandon de créances rendu nécessaire par toute résolution acceptable des conflits nés des emprunts structurés.

Le quatrième et dernier choix pour les élus, c’est le contentieux et la jurisprudence, dont on sait bien que l’un et l’autre ont en commun de « renvoyer dans les cordes » les établissements de crédit au terme de la confrontation juridique.

De manière tout à fait précise, l’article 1er du présent projet de loi revient sur les termes de la jurisprudence Saint-Denis contre Dexia, qui, dans les faits, a conduit à la déchéance des intérêts exigés par l’établissement, pourtant défendu par l’excellent avocat Nicolas Baverez…

L’article 2 du texte, quant à lui, revient sur la jurisprudence Saint-Maur-des-Fossés en annulant purement et simplement ses effets sur la déchéance des intérêts de la dette de cette commune du Val-de-Marne.

Les auteurs du projet de loi n’ont pas eu la possibilité d’y inscrire un article de validation de la récente jurisprudence Lille Métropole contre Royal Bank of Scotland, dont les motivations soulignent le « défaut de conseil », c’est-à-dire le fait que l’établissement de crédit n’aurait pas respecté ses obligations déontologiques. M. le rapporteur nous expliquait tout à l’heure que les collectivités pouvaient, dans un tel cas de figure, demander l’annulation du contrat.

Ces obligations déontologiques, le code monétaire et financier en porte la trace au sein de ses articles L. 533-11 et suivants. Et n’oublions pas que le code civil comporte aussi des dispositions relatives au droit des contrats, aux termes desquelles la bonne exécution des contrats est liée à la bonne foi des parties.

À la vérité, le projet de loi dont nous débattons n’a pas souffert d’une grande publicité. Déposé peu après le week-end pascal sur le bureau du Sénat et examiné en urgence trois semaines après ce dépôt, il apparaît un peu comme un effort assez désespéré destiné à empêcher l’inéluctable floraison d’une jurisprudence sans cesse plus défavorable aux banques.

Il montre cependant que l’on ne peut plus « vendre » un prêt aux collectivités locales comme n’importe quelle marchandise.

Cela étant, un service après-vente d’une autre teneur doit être assuré. Or, dans une certaine logique de concurrence exacerbée sur le marché du financement local, certains établissements ont sans doute dépassé la mesure et manqué à leurs obligations de prudence et de précaution.

Dans le cas de Dexia, singulièrement concerné par le présent projet de loi, on va même jusqu’à évoquer la somme de 17 milliards d’euros d’encours toxiques, confondant allègrement, nous semble-t-il, capital emprunté et intérêts dus, plus ou moins virtuellement ou réellement, par les collectivités locales.

L’encours de ce qu’il faudra utiliser comme provision pour abandon de créances sera sans doute beaucoup moins important puisque, pour l’essentiel, rien ne semble remis en question quant au règlement du capital dû.

Au demeurant, si tant est qu’une vaste opération de remboursement anticipé des emprunts eût lieu, son incidence sur les comptes des établissements de crédit ne concernera que les pertes de taux d’intérêt.

La dramatisation de la situation pousse en fait le Parlement à voter le présent texte et à faire oublier la censure du Conseil constitutionnel du mois de décembre dernier.

Pour reprendre une expression qui eut son heure de gloire voilà quelque temps, il s’agit de « mettre la poussière sous le tapis » et de ne rien changer de fondamental aux agissements des banques vis-à-vis des collectivités locales, puisque le projet de loi reporte la résolution du problème au dialogue entre État et collectivités locales.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes opposés à l’adoption de ce texte, qui va faire des collectivités locales les victimes d’une amnistie bancaire qui semble montrer, s’il en était besoin, que nous sommes encore assez loin de la solidité absolue du secteur financier promise avec l’union bancaire.