Mme Marie-France Beaufils. Où est la solidarité de place entre établissements de crédit quand les deniers publics sont sollicités et que toute jurisprudence défavorable aux banques doit être effacée par le biais de la validation législative ?

Le phénomène des prêts structurés aux collectivités locales n’est pas une spécialité française ; d’autres pays ont connu des situations proches de celle de la sinistre banque Dexia comme des décisions de justice sanctionnant les agissements des établissements de crédit.

L’affaire Bankia, en Espagne, née de l’éclatement de la bulle immobilière qu’a connue ce pays et due en grande partie aux prêts accordés aux collectivités locales espagnoles, tout comme le jugement allemand Deutsche Bank contre Ille ou encore le jugement italien au terme duquel a été prononcée la condamnation de quatre établissements de crédit considérés comme coupables d’avoir « placé » des produits structurés auprès de la ville de Milan en sont des exemples.

Selon nous, l’une des voies devant être explorées est celle de la résolution du problème par la Banque centrale européenne. Celle-ci, avant sans doute que nous ne soyons mis en demeure de laisser Dexia dépérir par réduction progressive de son bilan, serait probablement bien inspirée de proposer une plate-forme de refinancement aux collectivités territoriales de l’Union avec une structure ad hoc.

Une bonne partie des solutions aux problèmes posés réside sans doute également dans un renforcement de la palette de sanctions en matière financière dont disposent les autorités de régulation, aussi bien l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution que l’Autorité des marchés financiers.

Il nous semble même que la peur du gendarme doit désormais accompagner l’activité bancaire menée en direction des collectivités locales et que des règles propres au financement local doivent être mises en œuvre.

J’ai indiqué au début de mon propos que la clientèle des collectivités était légalement solvable parce que le paiement de la dette et des intérêts est une dépense obligatoire. Il ne serait donc aucunement injuste que les pratiques d’emprunt les concernant soient assorties de conditions particulières quant aux différés éventuels d’amortissement, aux taux pratiqués et à leur plafonnement, entre autres. Or nous n’en prenons aucunement le chemin avec le présent texte.

Pour le reste, le fonds de soutien existe et constitue, on le comprendra, un bon compromis pour les plus petites collectivités territoriales confrontées aux emprunts toxiques, certains centres hospitaliers ou, plus marginalement, certains organismes d’HLM, qui n’ont ni les moyens ni le désir de porter l’affaire devant les tribunaux, eu égard aux aléas propres à toute procédure juridique contentieuse.

Il faut renforcer ce fonds, notamment en sollicitant plus nettement la solidarité de place. Le fait que Dexia ait été spécialisé en financement local ne signifie aucunement que les autres établissements n’aient pas proposé également des emprunts structurés à cette clientèle choisie. Un tel renforcement permettrait de préfigurer la mise en place d’une structure permanente associant État, banquiers et élus locaux.

Pour ce qui est des contentieux juridiques, il convient de les laisser aller à leur terme.

Le principe de la séparation des pouvoirs qui guide notre État de droit doit être, en cette matière, parfaitement respecté. Que les décisions prises soulignent un peu plus la responsabilité écrasante des banques dans la situation créée ne peut aucunement justifier la validation législative.

L’intérêt général, dans cette affaire, c’est le respect du droit, c’est la possibilité pour les élus locaux de se libérer du poids de ces emprunts structurés, qui ont fait de maintes collectivités les cobayes plus ou moins consentants de l’ingénierie financière dans notre pays.

Dans l’étude d’impact associée au projet de loi, les effets de la persistance de l’hypothèque des emprunts structurés pour les collectivités locales ne sont pas évoqués. Au moment où l’on annonce aux élus locaux qu’ils vont être privés de 22 milliards à 28 milliards d’euros cumulés de dotations en trois ans, la facture devient particulièrement « salée » pour les collectivités et, au-delà, pour le contribuable local.

Pour nous, l’intérêt général réside justement dans la protection des collectivités locales et dans l’assainissement de leur situation financière. C’est une condition de la croissance et, au-delà, du redressement économique et financier de la nation. Le moment est venu pour les banques, nous semble-t-il, de faire un petit effort pour que les comptes publics des collectivités ne soient pas grevés de charges financières indues.

C’est en rejetant ce texte que nous pourrons mener, avec une efficacité renouvelée, la lutte contre les déficits de nos finances publiques. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je ne voudrais pas commencer cette intervention sans saluer la prouesse que constitue pour les membres de la commission des finances l’examen de ce projet de loi, déposé voilà à peine trois semaines sur le bureau du Sénat, dans le cadre d’une procédure accélérée.

Chacun en a conscience, le Sénat n’est que modérément friand des procédures accélérées, mais il sait distinguer avec sagesse les urgences réelles de celles qui ne sont que de mauvaise opportunité.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous accorde qu’il s’agit en l’espèce d’une véritable urgence pour sortir le Gouvernement du mauvais pas dans lequel il s’est placé.

Il n’est pas si éloigné de nous deux ce débat à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2014 à l’Assemblée nationale, où nous nous efforcions ensemble de soutenir un dispositif – devenu l’article 92 de la loi de finances pour 2014 – qui apporte une solution pérenne et globale au problème des emprunts toxiques contractés notamment par de nombreuses collectivités locales, ainsi que par leurs groupements, les établissements publics locaux et les services départementaux d’incendie et de secours.

N’étions-nous pas alors conscients de la fragilité des dispositions d’une validation législative rendant impossible la remise en cause des stipulations d’intérêts figurant dans les contrats de prêt au motif que le taux effectif global n’aurait pas été indiqué ? Mais n’étions-nous pas placés, l’un et l’autre, devant un devoir impérieux, inflexible, celui de devoir protéger l’État contre un risque financier direct et indirect « terrible », selon le mot employé par notre rapporteur, pour nos finances publiques ?

Si l’intention était bonne, la forme ne l’était pas et a été justement, comme l’avaient prédit de mauvais augures, sanctionnée par le Conseil constitutionnel, qui, dans sa décision du 29 décembre 2013, a censuré le paragraphe II de l’article 92 pour inadéquation avec l’objectif visé et le paragraphe III en tant que cavalier budgétaire. Seule est donc entrée en vigueur la création d’un fonds de soutien visant à aider les collectivités ayant souscrit des emprunts toxiques à rembourser par anticipation les emprunts les plus sensibles.

Je ne peux que me féliciter de la mise en place de ce fonds, même s’il mériterait – j’y reviendrai tout à l’heure – une volonté affirmée de mise en œuvre.

Cela étant, cette validation législative se doit de répondre à un impérieux motif d’intérêt général, lequel est né de la nécessité de sécuriser juridiquement plusieurs contrats de prêt passés entre des personnes morales de droit public et deux établissements financiers dont l’État est actionnaire – Dexia à hauteur de 44 % et la SFIL à hauteur de 75 % –, et ce à la suite d’une première décision de justice rendue par le tribunal de grande instance de Nanterre le 8 février 2013, suivie d’un second jugement du même tribunal le 7 mars 2014.

Le présent projet de loi soumis à notre examen a pour objet d’écarter tous les risques résultant de ces décisions.

Dans son article 1er, il valide les stipulations d’intérêts des écrits constatant un contrat de prêt ne mentionnant pas le TEG, le taux de la période concernée ou la durée de cette période, mais comportant toutes les autres informations permettant aux emprunteurs de connaître précisément les conditions de leur engagement

Les trois conditions strictement nécessaires sont donc le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts, la périodicité des échéances, tout comme le nombre de ces échéances ou la durée du prêt.

L’article 2 permet d’offrir une validation aux contrats comportant des erreurs de calcul du TEG, du taux de période et/ou de la durée de période sous les mêmes conditions que celles qui sont fixées à l’article 1er.

Par ailleurs, le régime de sanction est modifié en cas d’erreur du taux effectif global si ce taux erroné est inférieur au TEG légal. L’emprunteur a alors droit à un reversement, par le prêteur, de la différence entre les deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance.

Le nouveau dispositif présente assurément des avantages dès lors qu’il restreint le champ d’application de la validation – c’est pourtant le reproche qui avait été préalablement formulé – aux seuls emprunts structurés, aux seules personnes morales de droit public, écartant ainsi les personnes de droit privé qui auraient élargi considérablement la cible. En outre, a été introduite cette triple condition, afin de laisser ouvertes les autres voies de recours contentieux. Il convient de souligner ce point important.

Au demeurant, un tel dispositif est-il la bonne solution, monsieur le secrétaire d’État ?

Sur le plan juridique – tous les intervenants l’ont rappelé, à l’instar de M. le rapporteur –, des doutes ne manquent pas de subsister, et nous sommes en droit – peut-être en avons-nous même le devoir – de nous interroger sur la constitutionnalité de ce texte, notamment au regard de l’égalité de traitement dont bénéficieront les emprunteurs, dès lors que les règles du jeu auront changé avec son adoption.

M. Philippe Bas. Exactement !

Mme Cécile Cukierman. C’est un cas d’école !

Mme Anne-Marie Escoffier. Toutefois, au-delà de ce problème de constitutionnalité auquel personne ne peut souhaiter que le Gouvernement soit confronté une nouvelle fois, deux questions majeures demeurent.

La première est celle de la sanction infligée aux responsables de cette situation catastrophique. La seconde est celle du sort des collectivités locales, établissements publics, SDIS, qui se sont laissé emporter, sciemment ou non, dans des opérations inconsidérées.

Sur le premier point, il n’est nul besoin de souligner davantage l’incompétence, allant parfois jusqu’à l’arrogance, de certains hauts responsables d’organismes financiers qui ont pu soutenir des interventions inconsidérées. Que sont-ils devenus ? Où se trouvent-ils aujourd’hui, tandis qu’ils ont semé le désordre dans les systèmes de financement du secteur public, un désordre qui perdure et n’est pas prêt de se résorber, si j’en juge par l’incapacité du Gouvernement à chiffrer réellement les risques encourus par Dexia et la SFIL ? Il s’agit de 17 milliards d’euros, que vous avez essayé d’expliquer avec beaucoup de maestria, monsieur le secrétaire d’État. Est-ce pour autant un montant crédible ? Combien d’emprunts structurés sont aujourd’hui négociés directement par les emprunteurs auprès des banques et pour quels montants ? Combien de contentieux ont-ils été ouverts et quelle est leur chance d’aboutir ?

Sur l’ensemble de ces questions, sur les swaps, sur les opérations de défaisance, règne la confusion. Je veux pourtant saluer les efforts tant de M. le rapporteur que de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, pour éclairer le plus justement possible la Haute Assemblée.

Dans ces conditions, ne serait-il pas judicieux, voire utile, de demander, comme cela a été fait à l’Assemblée nationale avec la commission d’enquête présidée par Claude Bartolone en 2011, la création d’une nouvelle commission d’enquête, afin que, sur la base des derniers éclairages dont nous disposons, nous soyons en mesure de mieux comprendre les responsabilités engagées et de trouver le véritable moyen d’endiguer des risques qui ne sont pas prêts de s’éteindre si l’on mesure aujourd’hui l’effondrement des pyramides de crédit ?

Sur le second point, qui est relatif aux collectivités locales, à leurs établissements publics, aux SDIS, nombre d’entre nous le savent, nous ne nous serions pas aventurés dans des dispositifs hasardeux. Pourtant, certains élus ont en confiance, par méconnaissance des systèmes bancaires, des systèmes de prêts, conclu des contrats léonins.

M. Bruno Sido. C’est de l’incompétence !

Mme Anne-Marie Escoffier. Il en est d’autres qui ont joué, consciemment, parfaitement avertis, avec le feu.

Faut-il alors appliquer le même remède ou la même sanction aux uns et aux autres ?

C’est tout l’intérêt du fonds de soutien, doté de 100 millions d’euros pendant quinze ans, alimenté pour moitié, cela a été dit, par un relèvement de la taxe de risque systémique acquittée par les banques, et pour moitié par l’État, de telle sorte que les collectivités locales ne soient pas impliquées.

Ce fonds de soutien ne doit pas privilégier les emprunts les plus importants au détriment de ceux qui sont plus modestes, mais il doit s’attacher, au cas par cas, à analyser la capacité des emprunteurs à rembourser capital et intérêts dans des conditions qui ne les mettent pas en danger.

Pourraient donc bénéficier de ce fonds dans les meilleurs délais possible les petites collectivités qui auraient l’opportunité de recevoir en un seul versement l’aide sollicitée.

Il est grand temps, me semble-t-il, monsieur le secrétaire d’État, que ce dispositif, le seul qui soit véritablement opérationnel, soit connu – il ne l’était pas – et utilisé – il ne l’a pas été – à bon escient. Je ne doute pas que la publication, le 2 mai dernier, du décret d’application relatif à ce fonds de soutien éclairera les collectivités les plus fragiles.

Le Gouvernement a d’ailleurs bien mesuré l’intérêt de ce mécanisme ; il l’a élargi aux hôpitaux, jusqu’à présent écartés de la possibilité de bénéficier d’un fonds équivalent, comme aux offices publics d’HLM.

Monsieur le secrétaire d’État, au terme de cette intervention, je veux vous remercier, ainsi que vos collaborateurs, de votre détermination à vouloir régler le problème auquel sont exposés tant les collectivités locales que l’État.

Néanmoins, je ne saurais reconnaître, avec l’ensemble des membres du groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir, que la solution proposée répond à un impérieux motif d’intérêt général ni qu’elle apporte une pleine sécurité juridique.

Nous ne saurions pas davantage admettre qu’elle mettra à terme Dexia et la SFIL à l’abri de la déflagration financière de plus en plus menaçante à laquelle ces organismes sont confrontés.

Pour toutes ces raisons, et comme mes collègues et moi-même n’entendons pas pénaliser les collectivités locales dont on sait les difficultés financières auxquelles elles vont être confrontées à très court terme, nous avons choisi de nous abstenir sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. René Vandierendonck applaudit également. – Murmures sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi était très attendu, car la situation est grave. De nombreuses collectivités ayant souscrit des contrats de prêts structurés se retrouvent dans une situation financière très délicate. Après avoir profité des taux alléchants pratiqués à court terme, elles sont désormais entrées dans la seconde période de ces prêts structurés. Les taux d’intérêt évolutifs de ces derniers reposant sur des produits dérivés ne leur permettent pas de mesurer l’ampleur globale des sommes devant être remboursées. Il faut également composer avec les niveaux d’endettement déjà très problématiques pour certaines collectivités.

Nous en sommes tous d’accord, il faut agir pour mettre fin à cette situation dangereuse dans laquelle l’endettement guette les collectivités, tout en gardant en tête qu’elles ont bien sûr leur part de responsabilité ; j’y reviendrai.

Par ailleurs, au travers de ses deux jugements, le tribunal de grande instance de Nanterre a ouvert une brèche. D’une part, il reconnaît que les établissements de crédit n’ont pas suffisamment alerté les collectivités sur la toxicité des emprunts proposés. D’autre part, en permettant une avalanche de recours juridiques au détriment de ces établissements, il fait courir un grand risque aux finances publiques.

En effet, si les recours juridiques allant dans ce sens se multipliaient, l’État, actionnaire de Dexia et de la SFIL, serait dans l’obligation de participer à la recapitalisation des établissements de crédit, et d’assumer le coût de la mise en extinction hautement probable de la SFIL. Dans l’étude d’impact accompagnant le présent projet de loi, le coût pour les finances publiques est estimé à pas moins de 17 milliards d’euros ! Ce n’est tout de même pas rien !

C’est sans compter le risque de contagion immédiate au reste de l’économie, ou encore les difficultés de financement auxquelles devrait faire face le secteur public local.

Le constat n’est donc pas réjouissant, vous en conviendrez. Oui, je le répète, il faut agir, et nous en sommes d’accord.

Cela étant, s’il y a bien un point qui me semble évident, c’est que les collectivités et les établissements de crédit ont tous leur part de responsabilité dans cette situation. Les collectivités qui ont souscrit de tels emprunts structurés auraient pu et auraient dû se montrer plus précautionneuses. Quant aux banques, à l’évidence, elles n’ont pas suffisamment alerté les collectivités des risques encourus à long terme.

En partant de ce constat d’une responsabilité partagée, le Gouvernement nous propose un compromis entre tous les acteurs impliqués et responsables, à savoir l’État, les collectivités et les établissements de crédit.

Ce compromis, je me permets de vous le rappeler, est le suivant : en échange de la création d’un fonds de soutien destiné aux collectivités ayant souscrit des emprunts structurés à risque, celles-ci renoncent à la possibilité d’un recours juridique contre les établissements de crédit, à l’image de celui qui a été jugé par le tribunal de grande instance de Nanterre que je viens d’évoquer.

Ce fonds sera doté de 100 millions d’euros par an pour une durée maximale de quinze ans. A priori, il sera alimenté au tiers par l’État et aux deux tiers par les banques. Ce cofinancement est, d’une certaine façon, la traduction de l’acceptation d’une responsabilité partagée et proportionnée.

Ce compromis offre en outre une porte de sortie aux collectivités ayant souscrit les prêts les plus sensibles : il leur permet de renégocier les coûts de sortie et un retour à des prêts à taux fixes.

Cette solution nous satisfait sur la forme, puisqu’elle repose sur un compromis entre tous les acteurs impliqués, ainsi que sur le fond via le partage de la responsabilité et le financement du fonds prioritairement par les établissements de crédit.

En acceptant un tel compromis, les collectivités témoignent de leur confiance en l’État et en sa promesse de les soutenir pour sortir de cette impasse. Il ne faut pas oublier qu’en renonçant à leur capacité d’engager un recours juridique contre les établissements de crédit, elles renoncent à toute marge de manœuvre dans la négociation. Il est donc de notre devoir, en tant que parlementaires, de veiller à ce qu’elles bénéficient réellement du fonds de soutien, que nous espérons le plus large possible.

C’est pourquoi il nous paraît essentiel de garder à l’esprit le fait que la dimension et les modalités de financement sont désormais fixées. Si le présent texte est adopté, nous ne pourrons pas y revenir. D’ailleurs, ce ne serait pas souhaitable. Nous devrons donc porter notre vigilance sur la répartition du fonds, les conditions d’éligibilité des collectivités au fonds et prendre garde à ce que les établissements de crédit n’en profitent pas pour gonfler volontairement les coûts de sortie des prêts afin de récupérer la plus grande partie possible du fonds. C’est l’un des effets pervers de la procédure.

Nous le savons bien, le Gouvernement a les intérêts des collectivités à cœur et souhaite également que les banques prennent leurs responsabilités. Toutefois, nous comprenons aussi que, en tant qu’actionnaire des établissements de crédit, il cherche avant tout à ne pas contraindre des finances publiques déjà tendues. C’est d’ailleurs le constat de cette menace sur les finances publiques qui a été l’élément déclencheur de la décision du Gouvernement. Il faudra donc veiller à ce que cette préoccupation ne l’emporte pas sur l’intérêt des collectivités.

Je le répète, nous déplorons évidemment la situation dans laquelle les collectivités sont aujourd’hui placées, et dans laquelle elles se sont en partie mises elles-mêmes. La voie choisie par le Gouvernement est bien sûr critiquable et contestable – j’ai entendu les propos de l’oratrice qui m’a précédé. Toutefois, ce projet de loi, en préservant les finances publiques et en faisant peser la responsabilité sur les acteurs impliqués, correspond à nos yeux à une solution de sortie.

Si ce texte est adopté, nous en appelons à la vigilance de chacun lors de sa mise en œuvre, afin que l’on ne perde pas de vue la finalité première du fonds de soutien : venir en aide aux collectivités locales. Ces dernières doivent faire confiance à l’État en renonçant à leur droit de recours.

Mme Cécile Cukierman. À quel prix !

M. Jean-Vincent Placé. Soyons dignes de ce renoncement. Empruntons, les uns et les autres, cette porte de sortie ! Gardons toutes ces données en tête. Malgré les nuances que l’on peut donner au soutien apporté au Gouvernement, il me semble que la responsabilité de la Haute Assemblée, aujourd’hui, c’est de soutenir ce projet de loi. Voilà pourquoi les membres du groupe écologiste voteront en sa faveur.

Pour conclure, je salue de nouveau le travail de notre rapporteur, Jean Germain, et celui du Gouvernement, représenté dans cet hémicycle par Christian Eckert !

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons nous oblige à un exercice d’une grande complexité.

Tout d’abord, ce texte nous contraint à un saut en arrière dans le temps, étant donné qu’il nous faut considérer plus de quinze ans de relations entre les banques et les collectivités territoriales. La diffusion des emprunts toxiques dans le secteur public local date en effet de la fin des années quatre-vingt-dix.

Ensuite, ce texte nous confronte à l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la décentralisation. Tout a été dit sur les origines et les causes de la diffusion des emprunts toxiques, et le meilleur panorama de cette question a sans conteste été dressé en 2011, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Le rapport Bartolone-Gorges, remis au terme de ces travaux, portait précisément sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux.

Les conclusions et analyses de cette commission d’enquête ont fait l’unanimité. Elles ont été rendues publiques au terme de plusieurs mois d’un travail approfondi, voire exhaustif, au titre duquel tous les acteurs et parties prenantes ont pu être entendus. Elles aboutissent à une « responsabilité partagée ».

Premièrement, il s’agit d’une responsabilité des banques. Les uns et les autres ont souligné la « politique commerciale agressive » menée par ces dernières auprès des collectivités locales et de nombreux établissements publics, dans un contexte de concurrence accrue pour le secteur du crédit et de sophistication croissante des produits financiers élaborés par les établissements de crédit.

Deuxièmement, il s’agit d’une responsabilité des collectivités territoriales. Celles-ci ont parfois pu manquer de vigilance, notamment lorsqu’elles avaient les moyens d’expertiser de tels produits.

Troisièmement et enfin, il s’agit d’une responsabilité de l’État. Entre la fin des années quatre-vingt-dix et les alertes issues des audits municipaux réalisés en 2008, les services en charge du contrôle de légalité ont été bien longs à lancer l’alerte.

Il serait vain de chercher les responsabilités ailleurs. Convenons néanmoins qu’elles concernent bien des acteurs !

L’ampleur du problème, c’est encore la commission d’enquête Bartolone-Gorges de 2011 qui en a donné le meilleur aperçu, en estimant à plus de 32 milliards d’euros l’encours total des emprunts structurés. Elle seule a pu, à ce jour, évaluer réellement cet encours, le secret bancaire ne lui étant pas opposable.

Aujourd’hui, le total des emprunts jugés toxiques, toujours difficile à évaluer, serait d’environ 10 milliards d’euros. Plus de 7 milliards d’euros relèvent de la SFIL, structure créée en 2013 et dont l’État – telle est bien là la difficulté – est l’actionnaire majoritaire. L’enchevêtrement des responsabilités et l’origine ancienne du problème rendent la résolution de ce dernier particulièrement délicate.

Chacun s’en souvient, la garantie financière de l’État a été accordée au mois d’octobre 2011 au groupe Dexia, alors confronté aux difficultés que l’on sait. Le problème de l’« héritage » de Dexia, l’un des principaux établissements bancaires à l’origine de la commercialisation des produits structurés auprès des collectivités territoriales, est donc, qu’on le veuille ou non, d’ordre collectif.

Le Gouvernement a estimé le risque financier global pour les finances publiques, en cas d’absence ou de rejet du présent projet de loi de validation, à près de 17 milliards d’euros. Une dizaine de milliards d’euros se matérialiserait pour la quasi-totalité dès 2014, du fait des pertes qui seraient alors subies par Dexia et la SFIL, et qui nécessiteraient une recapitalisation par l’État ; près de 7 milliards d’euros s’y ajouteraient, en raison de la mise en extinction de la SFIL que provoquerait inévitablement une telle situation.

Au reste, si la SFIL n’a pas encore dû être recapitalisée, c’est uniquement parce que les comptes présentés partent du principe que le futur dispositif de validation entrera en vigueur, ce qui entraîne quelques complexités…

Voilà quelques jours, nous avons consacré un débat en séance publique au programme de stabilité de la France pour les années 2015 à 2017. Nous avons tous en tête la difficulté de tracer une trajectoire des finances publiques responsable, qui permette à la croissance de poursuivre sa reprise et à l’emploi de revenir, tout en amorçant un désendettement progressif du pays. Les 50 milliards d’euros d’économies constituent en tant que tels un défi considérable. Si l’on devait y ajouter 17 milliards d’euros de pertes dues à la non-résolution du dossier « SFIL », il est évident que notre trajectoire des finances publiques pour 2017 serait mort-née...

Au-delà du choc pour les finances publiques, une conséquence indirecte pour notre économie serait le retour de tensions en matière de financement des collectivités locales.

Depuis deux ans, l’accès au crédit s’est assoupli, grâce à la conjugaison de plusieurs mesures comme l’enveloppe de 20 milliards d’euros de la Caisse des dépôts et consignations, les initiatives de la Banque postale et la création de la SFIL. Celle-ci regroupe aujourd’hui 20 % des crédits accordés aux collectivités et sa mise en extinction susciterait mécaniquement de violentes tensions pour le secteur public local, qui va déjà devoir subir la baisse durable des dotations versées par l’État.

Au stade où nous en sommes désormais, le dispositif proposé par le Gouvernement via ce projet de loi paraît la moins mauvaise des solutions... Certes, il est imparfait. Nous pouvons comprendre que certains le discutent. Mais, à nos yeux, il est trop tard pour prendre un autre chemin, sauf à accepter le risque d’une perte de 17 milliards d’euros pour les finances publiques. (Mme Cécile Cukierman manifeste son exaspération.)

Même si nous ne sommes pas là pour refaire l’histoire, peut-être M. le secrétaire d’État pourra-t-il nous indiquer les raisons qui ont motivé le rejet d’une solution avancée par certains experts et par plusieurs parlementaires, à savoir la création d’un fonds de défaisance géré par des professionnels ?