M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai souhaité que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées soit saisie pour avis du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, non pour en examiner les dispositions dans le détail, mais pour replacer ce projet dans le contexte de la protection et de la lutte contre la piraterie maritime – question abordée à de multiples reprises lors de nos différents travaux – ainsi que pour en apprécier les conséquences pour les interventions de nos armées et, au premier chef, de la marine nationale.

Sachez, monsieur le rapporteur pour avis et ancien ministre de la défense, que nous partageons votre souhait de voir les crédits prévus pour la loi de programmation militaire maintenus en l’état. Nous en avons bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Beaucoup a déjà été dit sur la recrudescence récente de la piraterie maritime, qui justifie la préparation de ce projet de loi. Entre 1980 et 2010, environ 4 000 actes de piraterie maritime ont été recensés, dont les deux tiers sont survenus entre 2000 et 2010. On estime l’impact économique entre 7 milliards et 12 milliards de dollars par an. La faiblesse étatique et la pauvreté qui dominent certaines régions en sont les causes principales. Les zones à risques sont principalement le détroit de Malacca, le nord-ouest de l’océan Indien et le golfe de Guinée. Elles ont évidemment tendance à se déplacer.

Cette recrudescence a conduit les États à intervenir pour tenter de l’éradiquer en modernisant l’arsenal juridique international et national.

Au-delà du droit international, établi sur le fondement de la convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay en 1982, qui précise le régime juridique de la piraterie et de sa répression, la France dispose d’un arsenal juridique complet qu’elle a modernisé récemment par la loi du 5 janvier 2011. Toutefois, un droit performant ne suffit pas à protéger les navires exposés à cette menace. D’une part, la loi doit s’appuyer sur une force de maintien de l’ordre susceptible de la faire appliquer. D’autre part, les navires doivent adopter des mesures de précaution et de protection.

La réponse des États a donc consisté à déployer des forces navales dans les zones les plus dangereuses pour dissuader, protéger, combattre les pirates et détruire leurs installations à terre. Ainsi, au large de la Somalie, l’opération Atalante, placée sous l’égide de l’Union européenne, dont la France vient d’assurer le commandement, l’opération Ocean Shield des forces navales de l’OTAN et des interventions permanentes ou ponctuelles de nombreux pays ont été mises en œuvre. Ces opérations sont souvent combinées avec des missions de coopération pour aider les États de la région à développer leurs capacités de surveillance et de contrôle maritimes, ainsi que leurs systèmes judiciaires.

S’agissant de la protection passive, la Fédération internationale des armateurs a élaboré des bonnes pratiques qui sont efficaces dans nombre de cas et ne cessent de s’améliorer. Toutefois, l’un des moyens les plus efficaces consiste en la présence d’équipes de protection.

Dans un nombre croissant d’États, le recours à des personnels de sûreté armés sous contrat privé à bord des navires sous pavillon national a été autorisé. Ce déploiement est compatible avec l’article 94 de la convention de Montego Bay. Plusieurs enceintes internationales, à l’instar de l’Organisation maritime internationale, ont formulé, sur ce sujet, des recommandations aux États, aux armateurs et aux sociétés de protection. Des sociétés de protection se sont constituées et proposent une offre aux armateurs.

La France était jusqu’à maintenant, avec les Pays-Bas, dont la législation est également en cours d’évolution, et la Finlande, l’un des derniers pays de l’Union européenne à ne pas autoriser cette solution.

Lorsque la législation ne le permet pas, certains États ont accepté, comme la France dans le cadre de l’arrêté du 22 mars 2007 établissant la responsabilité du ministère de la défense dans la protection du trafic maritime, d’assurer la protection de bâtiments battant leur pavillon national ou agissant selon leurs intérêts par des équipes de protection embarquées, dite EPE, de leur marine nationale.

En France, la demande est effectuée par l’armateur auprès du Premier ministre, qui en décide après une étude technique menée par l’état-major de la marine pour apprécier la menace en fonction de la dangerosité de la zone et de la vulnérabilité intrinsèque du navire, ainsi que de la capacité de la marine nationale à agir en temps utile compte tenu des contraintes diplomatiques et logistiques, des escales prévues et du préavis disponible. La mise à disposition donne lieu à une convention, en principe ponctuelle, annuelle dans le cas particulier des thoniers senneurs opérant depuis les Seychelles.

Actuellement, les demandes, vingt-cinq à trente-cinq par an, sont satisfaites à 70 %. Je tiens à saluer ici, au nom de la commission et, si vous le voulez bien, mes chers collègues, en votre nom à tous, la qualité de la prestation rendue avec sang-froid et discernement par les fusiliers marins affectés à ces missions, dont le professionnalisme est reconnu par tous.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. La combinaison de ces différentes approches a donné des résultats significatifs. Dans l’océan Indien, huit attaques ont été enregistrées en 2013, contre 116 en 2011. Cependant, il ne faut pas se le dissimuler, ces opérations restent très coûteuses. On estime à 2 milliards de dollars par an, tous États confondus, le coût de déploiement des escadres dans l’océan Indien. Certains États éprouvent donc des difficultés à mettre en œuvre, à pérenniser ces dispositifs et à répondre à toutes les demandes.

S’agissant des EPE de la marine nationale, on estime que si leur cadre d’emploi était élargi et les délais techniques ou diplomatiques réduits, il faudrait en doubler le nombre pour satisfaire la totalité des demandes. Cela excéderait nos capacités actuelles, je ne vous le cache pas. En outre, certaines équipes de fusiliers pourraient, à tout moment, être affectées à d’autres missions considérées comme prioritaires par le Gouvernement.

Jusqu’à une date récente, les assureurs et les opérateurs français ont été réticents à solliciter une évolution de la législation. Ce n’est plus le cas. Certains armateurs français qui opèrent sous pavillon étranger y recourent depuis quelques années.

M. Charles Revet. Eh oui ! Cela a été fait ailleurs !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. À défaut d’intervention rapide du législateur – M. le secrétaire d’État l’a souligné –, le risque de dépavillonnement de navires français est réel.

L’État, qui était resté sur une position de principe, a engagé une réflexion, à laquelle ont contribué de nombreux rapports parlementaires, réflexion qui a été mentionnée en 2013 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et dont le présent projet de loi constitue l’aboutissement. Je ne vais pas m’appesantir sur son contenu, qui a été brillamment exposé par la rapporteur de la commission du développement durable et qui le sera, à n’en point douter, par le rapporteur pour avis de la commission des lois. Je mettrai uniquement l’accent sur quelques points importants vus sous l’angle de la défense.

Premier point : les activités privées de protection des navires au moyen de gardes armés sont clairement dissociées des activités militaires, qui ne peuvent être exercées que par l’État. Dès l’article 1er, l’activité exercée « par des agents de l’État ou des agents agissant pour le compte de l’État » est exclue de son champ d’application. La loi n’est donc pas applicable aux EPE. L’article 8, quant à lui, précise que l’autorisation d’exercer cette activité « ne confère aucune prérogative de puissance publique ».

L’ensemble des dispositions sont codifiées, non pas dans le code de la défense, mais dans le code des transports et dans le code de la sécurité intérieure, dont elles sont très largement inspirées. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, de l’externalisation d’une mission relevant des armées, même si la marine nationale a pu, à défaut de solutions juridiques satisfaisantes et grâce à des EPE, être chargée de remplir des missions de protection et pourra continuer à les remplir pour le compte ou à la demande de l’État. Ce dont il s’agit, c’est d’une extension des modalités de protection à disposition des armateurs. L’armateur et la société sont les seuls contractants.

Deuxième point : le projet de loi conditionne strictement l’exercice de l’activité et s’attache à éliminer tout risque de confusion avec les activités de l’État, notamment celles de la police ou des forces armées. Cependant, reconnaissons-le, cette restriction est parfois un peu excessive, notamment lorsque le projet de loi interdit de faire état dans tout document de nature contractuelle ou publicitaire, y compris toute annonce ou correspondance, de la qualité d’ancien fonctionnaire de police ou d’ancien militaire que pourrait avoir l’un des dirigeants ou agents de l’entreprise. De mon point de vue et de celui de la commission que j’ai le plaisir de présider, une telle mesure limite la capacité d’appréciation et de contrôle des armateurs de la qualité professionnelle des sociétés auxquelles ils auront recours.

M. Charles Revet. Nous partageons cet avis !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Cela va même à l’encontre de l’intérêt bien compris de l’État en faveur d’une professionnalisation de ces entreprises par le recrutement de compétences solides, notamment d’anciens fusiliers de la marine pour lesquels cela constituerait un éventuel emploi de reconversion en fin de carrière.

J’ajoute que cela mettra les entreprises de ce secteur naissant en France dans une situation de handicap par rapport à leurs concurrentes étrangères qui ne sont pas soumises aux mêmes limitations.

M. Charles Revet. Vous entendez, monsieur le secrétaire d'État !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Nous comptons sur une appréciation compréhensive du Gouvernement lors de l’examen des amendements qui lui seront soumis. Nous nous serions volontiers limités à une interdiction de ces mentions dans les seuls documents publicitaires. Nous les aurions, en revanche, autorisées dans la transmission de curriculum vitae complets aux armateurs et aurions accepté leur insertion en annexe des contrats.

Troisième point : le projet de loi encadre précisément les modalités d’action. Les activités ne peuvent être exercées qu’à bord des navires éligibles ; les termes ont leur importance.

« À bord » signifie que la mise en place de navires d’escorte est prohibée ; « éligibles » signifie que le Gouvernement se donne la possibilité de fixer, par voie réglementaire, les types de navires non éligibles ou les circonstances dérogatoires dans lesquelles certains navires ne le seront pas.

Il importe – je le comprends tout à fait, et je partage cette volonté – de s’opposer à l’irresponsabilité de certains armateurs ou plaisanciers qui envisagent de placer des gardes armés sur des navires indéfendables comme des voiliers ou de mettre en danger la vie des passagers de navires de croisière. Le défaut de protection rendra ces navires inassurables et les dissuadera de fréquenter les zones dangereuses. Cela est, de notre point de vue, très important et justifie pleinement l’amendement déposé par le Gouvernement à l’article 18.

Ces zones dangereuses seront fixées par arrêté du Premier ministre et redéfinies régulièrement au regard de l’évolution des menaces. À cet égard, le dispositif de dialogue entre les professionnels et l’État est tout à fait intéressant.

Pour autant, le projet de loi n’impose pas d’obligation aux armateurs. Ceux-ci conservent le choix de se protéger ou non. On peut compter sur les assureurs pour les y inciter fortement. Mais, pour ce faire, le recours aux sociétés de protection privées n’est qu’une faculté. Les armateurs continueront à pouvoir solliciter du Premier ministre la mise à disposition d’une EPE de la marine nationale.

La question de l’articulation entre les deux dispositifs est donc posée. On peut supposer que, à l’avenir, le Premier ministre sera plus exigeant dans l’examen des demandes, les armateurs disposant d’une solution alternative aux EPE grâce à la nouvelle loi, et que, par voie de conséquence, le dispositif des EPE, lequel est monté en puissance au cours des dernières années, reviendra à un socle moyen.

On ne saurait toutefois admettre, madame la rapporteur, et notre commission y veillera, un démantèlement de ces activités sous ce prétexte. L’arithmétique sommaire ne doit pas trouver là un terrain d’exercice, et ce pour deux raisons : d’une part, parce que l’embarquement des EPE constitue un mode d’excellence de formation et de maintien en condition opérationnelle des fusiliers de la marine nationale ; d’autre part, parce qu’on ne peut préjuger ni d’une stabilité de la menace ni de la capacité des sociétés privées à répondre aux demandes qui résulteraient, ou pourraient résulter, de l’accroissement de cette menace.

Enfin, la promulgation de cette loi ne doit pas conduire à relâcher l’effort de contrôle maritime et de lutte contre la piraterie par le déploiement dans certaines zones dangereuses de bâtiments de la marine nationale, tant que les États côtiers sont dans l’incapacité d’éradiquer ce phénomène. Voilà pourquoi il faut maintenir les crédits prévus pour la loi de programmation militaire !

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Pour les raisons que j’ai développées, et sous réserve de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie pour avis, vous propose unanimement d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, rapporteur pour avis.

M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit pour justifier l’opportunité et les principales options du projet de loi. Je me bornerai donc à faire quelques observations complémentaires.

Ce texte répond à un besoin réel : créer un espace intermédiaire de services de sécurité, au-delà de ce que fournit la marine nationale sur instruction du Gouvernement. Nous abordons là une problématique bien connue du Parlement, à savoir celle des différents domaines de sécurité assurée, sous contrôle, par des sociétés privées.

Depuis la loi du 12 juillet 1983, adoptée après accord en commission mixte paritaire, ce qui n’était pas toujours le cas à l’époque, la France s’est dotée d’un dispositif éprouvé pour régir ces professions. Notre législation a ensuite été améliorée et perfectionnée. Les dernières réformes ont d’ailleurs été assez audacieuses : un contrôle de nature régalienne est désormais exercé, non par une autorité hiérarchiquement et directement soumise au Gouvernement, mais par une instance collégiale au sein de laquelle sont représentés les professionnels du secteur. Je crois que nous avons désormais un dispositif juridique satisfaisant d’encadrement des professions de sécurité privée.

Le projet de loi est fondé sur deux éléments : d’une part, la création d’une nouvelle profession de sécurité privée encadrée ; d’autre part, des règles de maintien de la sécurité, et si nécessaire, d’emploi de la force, adaptées au milieu de la marine marchande.

Sur le premier point, les principes qui s’appliquent déjà aux autres professions de sécurité réglementées trouveront à s’appliquer à ce secteur, avec bien entendu des spécificités. Je pense à l’exigence d’une entreprise dédiée, ce qui est le cas général en matière de sécurité privée, à l’exception des polices spécialisées des entreprises ferroviaires, qui sont des établissements publics. Je pense également à l’agrément, lequel est classique, précédé d’une instruction et assorti de contrôles. Après débat, le Gouvernement a conclu – on ne peut que le suivre – que le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, était compétent pour délivrer cet agrément et pour effectuer les contrôles.

Les éléments d’instruction, le contrôle et les sanctions étant classiquement ceux qui sont applicables aux entreprises de ce secteur, la commission des lois a choisi, sur ma suggestion, afin d’éviter la création d’une législation parallèle portant sur le même objet – laquelle finirait forcément par diverger dans le temps –, de retenir la formule consistant à renvoyer, chaque fois que c’est possible, aux dispositions de droit commun du code de la sécurité intérieure, qui nous semblent globalement bien rédigées.

Parmi les dispositions spécifiques qui s’appliqueront, citons les exigences de formation au milieu maritime, à partir d’un référentiel. Autre formule particulière retenue, qui se justifie par la distension géographique du milieu professionnel, est celle d’une carte professionnelle valable durant un an seulement. Citons aussi bien sûr, du fait que l’on se situe dans un espace géographique très étendu, la dispense de l’obligation de nationalité.

On retrouvera, en revanche, bien d’autres règles qui s’appliquent à l’ensemble des professions de sécurité, notamment deux règles qui donneront sans doute lieu à quelques discussions, car elles ne sont pas d’application facile en l’espèce. Il s’agit de la règle relative à la tenue des agents et à l’affichage de la société, qui doit être de nature à éviter toute confusion avec une autorité publique, et de l’interdiction d’exploiter les titres et les antécédents professionnels d’ancien fonctionnaire de police et d’ancien militaire.

Concernant l’adaptation au milieu maritime, qui figure notamment sous le titre III, intitulé « Modalités d’exercice de l’activité privée de protection des navires », plusieurs principes très clairs, et à notre avis parfaitement opportuns, sont énoncés.

Il s’agit tout d’abord de la présence des équipes de sécurité uniquement sur le navire, excluant donc toute intervention de sécurité à partir d’une escorte.

Vient ensuite l’obligation d’un nombre minimal d’agents. Nous aurons sur ce point, comme sur d’autres, une discussion pour définir ce qui est de nature réglementaire et ce qui relève de la loi. Il a semblé à la commission des lois qu’il était quelque peu trompeur de faire figurer dans le texte législatif un nombre minimal précis d’agents affectés à une équipe de sécurité, alors que les situations seront très diverses. Il nous a paru plus judicieux que ce nombre soit fixé par voie réglementaire et qu’il puisse donc être modulable selon les différents types de missions.

Bien sûr, puisqu’il est question du milieu maritime, il était nécessaire de clarifier le rôle et l’étendue de l’autorité du capitaine du navire vis-à-vis des équipes de sécurité. Le texte énonce de façon claire, me semble-t-il, que le capitaine a un rôle d’encadrement et de contrôle de l’équipe de sécurité, mais qu’il n’exercera pas de commandement opérationnel de cette équipe. En effet, si l’on crée une profession réglementée, c’est bien parce qu’il existe une qualification et un savoir-faire tout à fait précis, qui ne peuvent être partagés.

De ce point de vue, monsieur le secrétaire d’État – je m’adresse également au docteur en droit que vous êtes –, je ne crois pas, à la réflexion, que ce soit une bonne solution que de « recopier » ou de citer le code pénal dans un autre texte. L’excuse de légitime défense s’applique à cette activité comme à toute autre. Nous introduirions plutôt une confusion en prévoyant, pour cette seule profession de sécurité – cela ne figure pour aucune autre –, que le code pénal et donc les dispositions relatives à la légitime défense sont applicables. Il n’est pas certain que cette référence apportera, dans le cadre de la réflexion que nous aurons et qui se poursuivra à l’Assemblée nationale, quelque clarification que ce soit. En effet, l’article 122-4 du code pénal fait mention de « l’acte commandé par [une] autorité légitime ». Or il ne saurait y avoir, à bord, d’ordre donné par une autorité légitime puisque, comme je viens de le dire, le capitaine n’a pas à donner d’ordres. Il serait préférable de se borner à une simple mention du chapitre du code pénal relatif à la légitime défense.

L’Assemblée nationale, la commission du développement durable du Sénat ainsi que le Gouvernement tiennent à ce que l’État définisse les zones dangereuses. En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, j’ai un doute sur l’opportunité de ce zonage : il est toujours à redouter que l’État engage sa responsabilité et sa crédibilité en indiquant les coordonnées maritimes des zones dangereuses alors qu’il se produira inévitablement un accident grave en dehors de ces zones. Cette solution a la préférence du Gouvernement. Je m’en distancie un peu, mais il ne m’appartient pas d’y faire obstacle.

Deux des règles spécifiques relatives à la présence sur le navire sont importantes : l’encadrement, sous l’autorité du capitaine, des conditions de stockage des armes et la consignation à bord, qui est une forme de détention en milieu privé, consubstantielle aux responsabilités d’ordre public qui reviennent au capitaine. Celle-ci est assez clairement encadrée juridiquement par un texte récent, qui paraît convenir tout à fait à cette situation.

Enfin, le Gouvernement a estimé nécessaire de faire figurer dans le projet de loi un ajout relatif à un nouvel encadrement des conditions du contrôle douanier à bord des navires. C’était en effet judicieux, puisque la précédente disposition avait été déclarée non conforme par le Conseil constitutionnel.

La commission des lois a choisi de s’engager sur l’appréciation suivante : le nouvel encadrement fixé par l’article 34 bis du projet de loi répond au principe de proportionnalité du contrôle à bord tel que défini par le Conseil constitutionnel ; à défaut, ce principe aurait pu l’être, aussi, par la Cour de justice de l’Union européenne. Il convient donc de donner notre accord à cette adjonction.

Pour conclure, je dirai que c’est un bon texte, et chacun souhaite qu’il s’applique dans les plus brefs délais.

Monsieur le secrétaire d’État, je prendrai la liberté de vous interroger sur cet ultime point. En effet, le Gouvernement aura fait sa part de travail en déposant le projet de loi et le Parlement la sienne en l’adoptant dans un délai assez bref. Le Gouvernement est par ailleurs prêt pour la partie réglementaire. Reste qu’il faut s’assurer que la pratique suive, que le référentiel soit défini, que les formations aient lieu et que les procédures d’agrément soient conduites sur la base d’une documentation adéquate. Nous devons pouvoir informer clairement les différents milieux concernés de la date effective d’entrée en application de ces dispositions relatives aux équipes de sécurité. En tout cas, nous aurons fait ce qu’il faut, les uns et les autres, pour que ce texte soit bien conçu et que le résultat soit atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dire le contraire de ce qui vient d’être dit risquant de vous chagriner plus que de le répéter, vous me pardonnerez certainement le manque d’originalité de cette intervention. (Sourires.)

Les actes de piraterie faisant un retour inquiétant – on en vient à regretter le « stupide » XIXe siècle ! –, notamment dans certaines zones particulièrement dangereuses – golfe de Guinée, mer Rouge, côtes somaliennes et yéménites, détroit de Malacca – du fait du délabrement des États locaux, ce texte apporte une réponse aux demandes renouvelées des armateurs battant pavillon français : pouvoir faire appel, comme leurs concurrents étrangers, à des sociétés de sécurité privées pour protéger leurs navires marchands. Cette nouvelle possibilité s’ajouterait donc – c’est du moins ainsi que je le comprends – aux dispositifs de protection de la responsabilité de la puissance publique : opération multinationale Atalante en mer Rouge, zone où la piraterie avec mort d’homme et prise d’otages est devenue une petite industrie locale ; équipes de protection embarquées mises à disposition par la marine nationale.

Je ne vous cacherai pas que j’aurais préféré que l’exercice légitime de la violence reste du ressort de la puissance publique, n’ayant que trop conscience du fait que le développement actuel des armées privées bouleverse les règles jusqu’alors admises du droit international. Il est clair cependant que les opérations du type Atalante ne peuvent se multiplier et que cette marine, vu le nombre de ses missions et l’immensité du territoire concerné, ne peut faire face à elle seule à ce phénomène.

Le présent projet de loi, en encadrant strictement les modalités d’emploi des sociétés de protection privées, répond de manière convaincante, me semble-t-il, aux objections qui viennent naturellement à l’esprit. Ainsi, le projet de loi prévoit que ces sociétés privées doivent être inscrites au registre du commerce, obtenir une autorisation administrative d’exercer délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité et que leurs dirigeants et agents doivent satisfaire à certaines conditions, par exemple celle de ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation. De surcroît, elles ne peuvent sous-traiter leur mission. En tout état de cause, cette autorisation administrative ne leur confère aucune prérogative de puissance publique.

De plus, on peut faire appel à ces sociétés seulement si les navires doivent traverser les zones dangereuses définies par décret. Sur ce point, je ne partage pas exactement la position exprimée par M. le rapporteur pour avis de la commission des lois.

Par ailleurs, la tenue des agents embarqués doit se distinguer clairement de celle des forces de police et des forces armées, et l’usage de la force n’est autorisé qu’en cas de légitime défense, autre point sur lequel j’ai une position différente de celle de M. Richard. Les armes acquises, détenues et transportées doivent provenir d’un État membre de l’Union européenne et ne peuvent être revendues dans un État qui n’en est pas membre. Enfin, un décret limite le nombre d’armes autorisé à bord.

J’indique également que, pour responsabiliser le donneur d’ordre, l’armateur recourant à ce type de société doit en informer les autorités de l’État et vérifier lui-même la validité des cartes professionnelles des agents embarqués.

J’en viens, pour finir, au contrôle administratif exercé sur le territoire national. Les autorités de police et de gendarmerie ainsi que le Conseil national des activités privées de sécurité sont chargés du contrôle de ces entreprises. La surveillance maritime et la douane sont, quant à elles, chargées d’exercer le contrôle à bord, le procureur de la République autorisant les perquisitions éventuelles et la saisie des armes.

Ces garde-fous posés, rien ne s’oppose à nos yeux à l’adoption de ce texte. Dès lors, le RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)