M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser l’embarquement d’équipes de protection armées fournies par des entreprises privées à bord des navires exposés au risque de piraterie. Le groupe écologiste, conscient des conséquences humaines et économiques de ce phénomène, considère que la sécurité des navires français se doit d’être assurée, mais que la privatisation de cette mission, aujourd’hui confiée à l’armée, ne peut pas être une solution durable.

Le risque que représente aujourd’hui la piraterie pour les navires battant pavillon français est réel. La piraterie maritime constitue une menace pour le commerce international, notamment dans des zones telles que le golfe d’Aden, le sud de la mer Rouge, le golfe de Guinée, le détroit de Malacca ou encore la partie sud-ouest de la mer de Chine méridionale. Les chiffres sont là ! Ils ont été rappelés maintes fois au cours de ce débat : 234 attaques ont été recensées depuis le début de l’année 2013 par le Bureau maritime international, et les conséquences économiques pour les armateurs sont évaluées entre 7 milliards et 12 milliards de dollars chaque année.

Face à ce constat et au manque de moyens de la marine française, il paraît indispensable de réfléchir à un modèle adapté aux enjeux stratégiques. Dès lors, le Parlement se doit de rester vigilant afin de prévenir tout abus ou toute libéralisation à outrance, qui s’avérerait dangereuse. C’est pourquoi il est impératif que des garanties soient apportées et que le recours au secteur privé soit strictement et rigoureusement encadré. Sur ce point, les écologistes notent avec intérêt que le texte tend vers cet équilibre, en permettant une plus grande transparence. Il le fait en instituant le processus d’agrément administratif et de certification obligatoire, dont le but est d’encadrer l’accès des entreprises, en étant plus strict sur la question de l’armement, en limitant le champ d’activités possibles, en mettant en place un régime de contrôle ou encore en instaurant la possibilité de prononcer des sanctions pénales.

Si la France a été jusqu’à présent soucieuse de conserver dans le giron étatique l’essentiel des fonctions régaliennes, ce n’est pas sans raison. Des dérives existent ; nous en avons été témoins. Ce projet de loi ne doit pas constituer le précédent d’exceptions en cascade, surtout dans un secteur d’activité aussi sensible. L’impératif budgétaire et économique ne doit pas nous obliger à renoncer à notre marine nationale, qui souffre aujourd’hui d’un manque d’hommes et de moyens.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez insisté plusieurs fois sur l’urgence de la situation pour les armateurs français et mis en avant le principe de réalité. Nous l’entendons bien. C’est pourquoi le groupe écologiste considère, quand les circonstances l’imposent, qu’il est de notre responsabilité de soutenir une approche sécuritaire. Toutefois, s’intéresser aux seules conséquences ne permettra pas d’enrayer durablement le phénomène de la piraterie. Au contraire, la permanence de ces attaques et leur concentration dans des zones particulièrement instables nous rappellent qu’il s’agit là d’un phénomène complexe, intrinsèquement lié à la situation économique, sociale, politique et environnementale des pays concernés. Nous devons comprendre l’ensemble des ramifications qui existent derrière le phénomène de piraterie. Toute approche sécuritaire se doit donc de concourir à une vision politique plus large et plus complète en matière de développement. En effet, face à un édifice social fragilisé par la misère, la piraterie et le pillage en bande organisée apparaissent comme des processus adaptatifs, comme les seuls modes de négociation existants.

À ce sujet, le cas de la Somalie est particulièrement édifiant. La gravité des deux famines de 1992 et 2010 ainsi que l’absence d’autorité dans le pays ont contribué à exacerber la vague de piraterie qui frappe le golfe d’Aden et les côtes somaliennes. Pour la population affamée, la piraterie est devenue le seul moyen de se nourrir.

Parallèlement à ces phénomènes internes, le pillage de la biodiversité par les navires étrangers et la surpêche n’ont fait qu’aggraver la situation. Ainsi, en l’absence de toute réglementation, les bateaux-usines étrangers ont pêché sans aucune limite au large des côtes somaliennes, parmi les plus poissonneuses au monde, en se livrant parfois à des attaques violentes contre les pêcheurs locaux. Pour la seule année 2008, la pêche exercée par ces navires étrangers aurait rapporté plus de 300 millions d’euros. Plus grave encore, en 2005, les Nations unies ont reconnu que les eaux au large de la Somalie étaient utilisées, depuis les années 1990, comme une décharge pour des fûts de déchets radioactifs, d’uranium et de plomb.

Nous devons donc nous concentrer sur les causes profondes du phénomène : la paupérisation dans les pays côtiers concernés, la faiblesse étatique, la redistribution inéquitable des ressources, les risques politiques liés à la rente pétrolière, l’absence d’autorité efficace en mer et les convoitises internationales.

Depuis les années 1980, le Nigeria est en proie à des violences permanentes, découlant directement de l’exploitation pétrolière étrangère dans la région et de la pollution du delta. Dans un contexte de fragilité institutionnelle conjuguée à une dégradation socio-environnementale, l’exploitation offshore au large des côtes du Nigeria a engendré une multiplication des attaques contre les navires-citernes dans le golfe de Guinée. Ce sont ces pratiques, c’est ce scandale environnemental perpétré par les grandes puissances étrangères, qui ont obligé les pêcheurs locaux, ruinés et spoliés, à se transformer en pirates.

Le projet de loi nous donne aussi l’occasion de saluer le travail déjà effectué par l’armée française, notamment dans le golfe d’Aden. En effet, l’échelon communautaire a pu démontrer son savoir-faire dans ce domaine, notamment à travers la mission Atalante. Depuis le début de cette opération européenne, il est avéré que les opérations de piraterie dans le golfe d’Aden ont quasiment disparu. Pour preuve, en 2010, le nombre d’attaques de navires était en moyenne de quarante par mois ; aujourd’hui, ce chiffre est inférieur à trois. La France se doit donc de relancer la défense européenne. Les outils sont là ; ils existent.

À l’heure de la multiplicité des niveaux d’interaction, notre stratégie doit s’ouvrir sur les risques et les enjeux réels, en s’affranchissant d’une lecture passéiste et simpliste des conflits. Il ne s’agit pas pour nous de soutenir les activités criminelles. Nous condamnons fermement et sans détour les actes de piraterie, d’autant qu’il est avéré que ces pratiques sont, pour partie, liées à des réseaux mafieux et terroristes. Le principe de réalité nous impose également de nous concentrer aujourd’hui sur les conséquences pour nos navires. Cependant, toute initiative sécuritaire doit s’inscrire dans un cadre coopératif et de développement plus large.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il regrette depuis quelques mois le recours quasiment systématique à la procédure accélérée, le groupe UMP considère, une fois n’est pas coutume, que cela se justifie pour ce texte. Je tiens d’ailleurs à remercier Odette Herviaux et Alain Richard pour le travail qu’ils ont accompli.

Le retour au premier plan de la piraterie maritime requiert une réponse non seulement adaptée, mais aussi rapide. L’urgence est facilement vérifiable. En 2013, 230 attaques ont été recensées, concernant près d’un demi-millier de membres d’équipage. Il est donc important que le législateur puisse intervenir dans des délais réduits. Ces quelques semaines gagnées seront, espérons-le, décisives pour certains équipages.

Depuis 2012, près de 400 navires ont été attaqués. Ils auraient pu bénéficier d’une protection accrue si nous n’avions pas perdu autant de temps. En décembre 2011, en effet, le texte était déjà prêt !

Je veux dire un mot maintenant du principe qui est au cœur du projet de loi, à savoir le fait de confier à des entreprises privées de sécurité le soin de protéger les navires de marchandises. Je ne me tromperai pas en avançant que, dans cette assemblée, nous sommes tous très attachés aux missions régaliennes de l’État. Pour autant, devons-nous étendre cette mission à la protection de navires marchands qui, au moment du transport, sont en pleine activité commerciale ? Comme le Gouvernement et la majorité, je ne le pense pas. Pourtant, c’est bien à l’État qu’il revient de protéger les acteurs économiques lorsque ceux-ci effectuent des échanges sur le territoire national. Si l’on ne protège pas la liberté du commerce, nous entrons dans le règne du chacun pour soi. Par analogie, on serait en droit d’attendre la même chose lorsqu’il s’agit du transport maritime. Malheureusement, cela nous est matériellement impossible.

Même si cela a déjà été fait, je voudrais profiter de cette intervention pour saluer le courage et le dévouement des équipes d’agents du GIGN ou de l’armée, qui, cette année encore, sont appelées à intervenir dans des conditions de confusion et de tension extrêmes.

Comme je viens de le dire, permettre à des entreprises de sécurité d’intervenir sur les navires battant pavillon français est désormais une nécessité. C’est en effet le seul moyen qui permettra d’assurer la protection des équipages. Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, je ne cherche pas à faire mystère du sort que notre groupe réservera à votre projet de loi. Pour autant, à la suite de certains orateurs, je ne vous épargnerai pas quelques observations…

Je désirerais m’attarder un instant sur le travail, y compris sur le plan législatif, qui a déjà été accompli dans ce domaine. On parle beaucoup – c’est d’ailleurs le cas de l’exposé des motifs du projet de loi – des travaux du Bureau maritime international, qui évalue le problème, des mesures de Best management practices recommandées par l’Organisation maritime internationale, de l’opération Atalante conduite par l’Union européenne sous l’égide de l’OTAN, ainsi que de l’ensemble des opérations organisées multilatéralement avec le Japon, la Russie, les États-Unis ou encore les pays d’Asie du Sud-Est.

De son côté, le législateur s’était saisi de la question lors de la précédente législature. La loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer avait déjà fourni une première réponse au problème. Même si cette loi peut paraître aujourd’hui insuffisante, elle a eu le mérite de répondre à deux difficultés.

Premièrement, elle a permis de déterminer les infractions pénales constitutives d’acte de piraterie, ainsi que les modalités de constatation de ces dernières. Concrètement, elle a reconnu aux juridictions françaises une « compétence quasi universelle » pour juger des actes de piraterie commis hors du territoire national, quelle que soit la nationalité des bâtiments et des victimes. Cette loi a donc permis de donner aux autorités françaises les outils juridiques pour traiter, en aval, ces actes de piraterie.

Deuxièmement, cette loi a créé un régime sur mesure pour les personnes interpellées amenées à être retenues à bord.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui poursuit ce travail. Son article 30 précise que « tout individu demeuré ou recueilli à bord après avoir représenté une menace extérieure à l’encontre du navire […] fait l’objet d’une consignation ».

Par ailleurs, pour rendre effectif le nouveau statut, la loi du 5 janvier 2011 accordait aux commandants les pouvoirs d’officier de police judiciaire. Elle essayait donc de traiter le problème en amont et en aval.

Pour autant, je pense que les deux textes sont complémentaires.

À partir du moment où nous constatons que les forces armées et les forces de police n’ont pas les moyens d’agir en toutes circonstances, il convient d’organiser l’activité de protection des navires par des entreprises privées. C’est ce qui est proposé dans le projet de loi.

La première grande partie du texte, le titre II, porte sur les conditions d’exercice de l’activité privée de protection des navires. Le cadre dans lequel les entreprises devront évoluer peut apparaître assez restrictif compte tenu de la superposition des autorisations nécessaires. En effet, l’article 4 impose une autorisation d’exercice, l’article 6 oblige à l’obtention d’une certification et l’article 12 prévoit que les agents des entreprises privées de protection des navires doivent être titulaires d’une carte professionnelle attestant de garanties similaires. Cependant, de telles formalités ne seront pas à mon sens un obstacle à l’activité des entreprises concernées, qui sont habituées aux procédures administratives. Au demeurant, ces entreprises seront le seul rempart contre les pirates. À ce titre, il est indispensable que les armateurs puissent bénéficier du maximum de garanties.

Toujours à propos du titre II – c’est sans doute la seule difficulté sur laquelle je m’arrêterai –, l’article 9 interdisait de faire état dans les documents de l’entreprise de la qualité d’ancien fonctionnaire de police ou d’ancien militaire que pouvait avoir l’un de ses dirigeants ou agents.

Même si cet article a été supprimé, il a mis en lumière une impossibilité déjà présente dans notre droit : les entreprises de sécurité ne peuvent pas communiquer la qualité d’ancien fonctionnaire de police ou d’ancien militaire de l’un de leurs dirigeants ou agents. Une telle disposition induit une distorsion de concurrence entre les entreprises de sécurité françaises et étrangères alors que le secteur est extrêmement concurrentiel. Les entreprises étrangères ont donc un avantage compétitif, puisqu’elles peuvent largement étaler le pedigree de leur personnel. Le problème a d’ailleurs déjà été souligné, monsieur le secrétaire d’État. Il est regrettable que les entreprises françaises du secteur ne puissent pas bénéficier de la réputation des commandos et autres groupements d’intervention que compte notre pays.

J’en viens au titre III, qui concerne les modalités d’exercice de l’activité privée de protection des navires.

Comme cela a été indiqué à l’Assemblée nationale, nos doutes portaient essentiellement sur la définition des zones à l’intérieur desquelles les activités de protection pourraient s’exercer. Fixer par décret les zones de piraterie en raison des menaces encourues nous paraissait une procédure trop lourde. Aux termes de l’article 18, c’est désormais un comité réunissant les professionnels et les pouvoirs publics qui recommandera au Premier ministre de redéfinir ces zones au regard de l’évolution des menaces identifiées. Le Gouvernement a revu sa copie, et c’est tant mieux !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Nous écoutons le Parlement !

M. Charles Revet. C’est très bien ! Continuez ! (Sourires.)

J’évoquerai également l’encadrement de l’activité des entreprises. L’article 19 prévoyait que les équipes des entreprises privées de protection des navires devraient être composées d’un nombre d’agents fixé par décret. Le texte dispose désormais, avec raison, que le nombre minimum d’agents sera de trois et qu’il sera le fruit d’une analyse de risque réalisée conjointement par l’armateur et l’entreprise privée de protection des navires. Selon nous, mieux vaut en rester là.

Dans un souci inverse, je souhaite signaler le caractère quelque peu évasif de l’article 21, qui rappelle laconiquement que les agents peuvent avoir recours à la force dans le strict cadre de la légitime défense. J’aurais souhaité que les dispositions sur les relations entre les agents des entreprises et le commandant de bord soient plus précises. L’article 27 est, lui aussi, assez évasif.

L’une de mes sources d’interrogation réside dans l’exercice des pouvoirs de police. Il me semble que la combinaison de la loi du 5 janvier 2011 et du présent projet de loi ne couvre pas intégralement le spectre. Sur le papier, c’est le commandant qui décide, ce qui est bien naturel. Seul problème : quand les balles se mettent à fuser, ceux qui ont le pouvoir sont ceux qui sont armés et qui connaissent les procédures à suivre en cas d’attaque. Or, là, il s’agira d’agents privés, et non de militaires ou de policiers.

Cela étant, nous sommes très largement favorables au reste du texte. La codification s’imposait-elle ou non ? Le rapporteur à l’Assemblée nationale a répondu par l’affirmative ; je ne le contredirai pas.

Permettez-moi à présent une légère digression, qui pourra, je l’espère, trouver un écho favorable dans cette assemblée.

Depuis quelques années, notamment depuis l’émergence de puissances maritimes fortes aux quatre coins du monde, nous assistons à de constantes violations de notre espace maritime, non seulement dans notre zone économique exclusive, mais aussi – c’est encore plus grave – dans la zone dite « contiguë » et dans notre mer territoriale.

L’exemple le plus frappant, dans nos départements et collectivités d’outre-mer, est évidemment celui de la Guyane, même si c’est également vrai ailleurs. De nombreuses embarcations en provenance du Brésil ou du Surinam ont été arrêtées en pleine pêche illicite dans ce département, et certains cas de piraterie y sont observés. Les dispositions du présent projet de loi ne pourront évidemment pas s’appliquer à ce type de piraterie, puisqu’il s’agit d’embarcations de pêche. Seule une présence permanente forte de notre marine nationale peut dissuader de tels actes de piraterie. Des problèmes analogues ont été observés dans la plupart de nos collectivités d’outre-mer. Cela nécessite une présence plus importante de notre marine nationale.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Eh oui !

M. Charles Revet. Notre marine nationale doit disposer des moyens suffisants, des équipements et des navires adaptés, ainsi que des personnels pour assurer les missions qui lui sont confiées. Aujourd'hui, un effort doit manifestement être fait pour renforcer les moyens mis à sa disposition.

À l’échelon du globe, la France dispose du domaine maritime le plus important, juste derrière les États-Unis. Il est de notre responsabilité d’en assurer la protection et la sécurité.

Le Gouvernement a décidé de réduire les dépenses de l’État de 50 milliards d’euros. C’est bien entendu une nécessité. Cela étant, il serait irresponsable que cela s’effectue, fût-ce partiellement, par une amputation des crédits alloués à notre défense. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Après avoir entendu son intervention, je sais que Jean-Louis Carrère ne me contredira pas.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Absolument !

M. Charles Revet. Après cette petite digression sur un sujet d’une grande importance et dont l’enjeu économique est essentiel, j’indique que le groupe UMP votera le projet de loi, malgré ses quelques approximations. Ainsi, nous permettrons aux navires portant pavillon français de disposer à bord des mêmes services de sécurité que les navires de commerces étrangers. Il était plus qu’urgent de prendre cette décision ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer à mon tour le travail, à maints égards remarquable, de la rapporteur et des rapporteurs pour avis. Même si les objectifs sont simples, le sujet est juridiquement complexe. Or, nous le savons, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions…

À cette heure du débat, beaucoup de choses ont été dites. Je ne reviendrai donc ni sur les considérations générales ni sur les chiffres.

Globalisation et maritimisation sont indissociables et représentent un enjeu extrêmement important, surtout pour la France, deuxième domaine maritime au monde, réparti sur la quasi-totalité du globe. La mer est donc plus que jamais un atout stratégique, économique et politique de première importance pour notre pays ; un récent rapport de notre commission des affaires étrangères et de la défense l’a d’ailleurs démontré.

La mer figure au cœur des enjeux géostratégiques du XXIe siècle. Or, depuis quelques années, on assiste à une recrudescence des actes de piraterie. Ceux-ci menacent ouvertement les flux économiques et commerciaux dans certaines zones, notamment dans certaines régions très denses qui ont été citées, comme le golfe de Guinée, le golfe d’Aden, le détroit de Malacca ou les côtes indonésiennes ; je ne reprendrai pas les chiffres.

Le mode opératoire a été décrit. À l’aide d’embarcations rapides, manœuvrées par des équipages armés de fusils d’assaut et de lance-roquettes, les pirates se livrent notamment au vol de cargaisons, par exemple de pétrole ou de gaz.

Au-delà des pertes humaines et des conséquences psychologiques, la criminalité maritime n’est évidemment pas sans effet économique. Selon les estimations, même s’il y a plusieurs manières de calculer, les surcoûts liés à la piraterie pour les armateurs se situeraient entre 5 milliards et 8,5 milliards d’euros par an. Ils sont dus aux dépenses de carburant, aux frais d’assurance et aux versements de primes de risque aux équipages. Les conséquences économiques sont donc importantes.

Cela a également été souligné, les pirates profitent de la faiblesse de certains pays incapables d’assurer leurs fonctions régaliennes de contrôle des espaces maritimes pour prospérer. L’exemple le plus connu est celui de la piraterie au large de la Somalie, où un État en déliquescence, aux prises avec les Shebab, a vu le nombre d’attaques s’envoler depuis 2005.

Face à une telle menace pour nos approvisionnements énergétiques – je le rappelle, 30 % du pétrole consommé en Europe transite par le golfe d’Aden –, les forces navales internationales ont réagi en déclenchant plusieurs opérations autour de la corne de l’Afrique : opération Ocean Shield de l’OTAN, opération Atalante de l’Union européenne, Task Force 151 sous commandement américain. Même s’il convient de maintenir la pression, ces efforts semblent porter leurs fruits. Après un pic d’activités pirates en 2011 – plusieurs orateurs ont rappelé les chiffres –, les côtes somaliennes ont connu une diminution drastique des attaques ces dernières années.

Depuis 2008, pour dissuader les attaques, les autorités françaises ont aussi mis à disposition des navires battant pavillon français des équipes de protection embarquée, composées de fusiliers marins. Ces équipes, dont le professionnalisme, l’efficacité et le courage sont reconnus par tous, constituent un gage de sécurité pour les armateurs français. Néanmoins, en raison de ressources limitées, la marine n’est en mesure de répondre qu’à 70 % environ des demandes de protection reçues chaque année pour les navires de commerce.

Puisque nous parlons de la marine, et donc de l’armée française, je voudrais m’associer – j’ai déjà eu l’occasion, comme d’autres, de m’exprimer sur cette question – aux propos de Jean-Louis Carrère. Au nom de mon groupe, je confirme que nous sommes pleinement mobilisés au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense, et sûrement au-delà, pour soutenir le ministre Le Drian lors des arbitrages à venir.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. Jean-Marie Bockel. Comment empêcher nos armateurs de « dépavillonner » afin de faire usage de gardes armés, dont la présence à bord des navires de pêche et de commerce est autorisée par une dizaine de pays au sein de l’Union européenne ? On estime d’ailleurs que 40 % environ de nos bateaux ne navigueraient pas sous pavillon français. Ce n’est évidemment pas la seule explication, mais c’en est une. Dans ce contexte, la France ne pouvait à l’évidence pas ignorer la demande forte et légitime des professionnels. Mais dans quel cadre ? Tel a été l’enjeu du projet de loi.

En autorisant les activités privées de protection des navires, le texte définit tout d’abord un cadre juridique cohérent et rigoureux. Il a déjà été détaillé de manière précise ; je n’y reviens pas. Le projet de loi n’admet le recours à la force que dans le cadre de la légitime défense et instaure un suivi des armes embarquées. Il s’agit bien là d’apporter, dans un cadre délimité, une complémentarité aux efforts déployés par les forces navales françaises et internationales dans leur lutte contre la piraterie, et non de s’y substituer.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous souscrivons globalement au cadre juridique proposé, ce débat pourrait être l’occasion d’éclaircir certains points. Je pense en particulier au traitement de pirates éventuellement capturés par un navire battant pavillon français. Certes, le droit international garantit aux pirates un procès équitable en tant que prisonniers de guerre, mais comment sera-t-il mis en œuvre concrètement par les armateurs ? Seront-ils transférés aux juridictions françaises compétentes, ce qui s’avérera compliqué, ou aux États tiers de la région – Kenya, Seychelles, Maurice, Puntland –, avec lesquels la France a conclu des accords ?

Le projet de loi permettra en outre de lutter contre le recul du pavillon français. Même s’il est difficile d’établir un lien direct, 34 navires ont été retirés des registres du pavillon français au cours de l’année 2012. Pourtant, la flotte de commerce française, avec plus de 300 navires, incarne un secteur économique essentiel, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, et dont il convient de garantir la compétitivité. Le secteur maritime français dans son ensemble représente 300 000 emplois directs et 5 500 navires. En alignant la législation française sur celles de nos partenaires européens, qui sont des concurrents, ce texte supprimera donc au moins un intérêt au dépavillonnement.

Enfin, ce texte devrait favoriser le développement d’entreprises nationales de sécurité et de défense, ainsi que les emplois y afférents, et contribuer au développement d’une offre française responsable dans ce secteur, qui présente des intérêts économiques et géopolitiques. Aussi, quid de l’ouverture d’une réflexion plus large sur le rôle et la place de ces entreprises dans notre pays ? Dans la lignée du rapport de nos collègues députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet sur les sociétés militaires privées, il est urgent que la France définisse un cadre juridique spécifique pour développer ce secteur stratégique.

Monsieur le secrétaire d’État, pour le groupe UDI-UC, ce projet de loi vise à autoriser les activités privées de protection des navires battant pavillon français en apportant toutes les garanties nécessaires. Il contribuera au renforcement de la sécurité de notre flotte, tout en restaurant la compétitivité du pavillon français. C’est pourquoi nous y apporterons notre soutien, dans l’espoir de voir ses dispositions entrer en vigueur au plus vite, comme l’a rappelé M. Richard.

Permettez-moi cependant, pour conclure, de rappeler que, si la piraterie prend forme en mer, elle résulte la plupart du temps de problèmes structurels à terre : absence d’autorités étatiques, pauvreté endémique, perturbation des activités maritimes de subsistance. Lutter contre la piraterie nécessite par conséquent une véritable approche globale, alliant efforts de paix et de reconstruction, aide au développement et partage de bonnes pratiques. C’est cette approche que nous devons notamment promouvoir dans le golfe de Guinée, devenu l’une des principales zones de piraterie de la planète, alors même que les États de la région fournissent 40 % du pétrole consommé en Europe.

La responsabilité première incombe aux États de la région. Il faut à cet égard saluer le sommet de Yaoundé de juin 2013, qui a ouvert la voie à une mutualisation des moyens et des efforts des pays du golfe de Guinée pour endiguer la piraterie dans la région. Les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ont adopté un code de conduite pour la prévention et la répression des actes de piraterie et décidé la création d’un centre interrégional de coordination pour la sécurisation du golfe de Guinée. Mais cette menace mouvante et insaisissable requiert une mobilisation plus large. C’est dans cet état d’esprit que l’Union européenne a adopté en mars dernier une stratégie relative au golfe de Guinée, qui doit se traduire par un soutien financier accru et des échanges d’expertises en matière de sécurité maritime.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la circulation maritime, concentrée autour de quelques axes vitaux très fréquentés, est le poumon de l’économie mondiale, force est de constater que la menace pirate est loin d’avoir disparu. L’adoption du projet de loi renforcera sans aucun doute la sécurité des navires battant pavillon français, mais seule une approche globale permettra à la mer de rester un espace de prospérité et de liberté. C’est d’autant plus important que la mer pourrait bien être l’avenir de la Terre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)