M. Richard Yung. Je ne partage pas votre point de vue sur ce sujet, mon cher collègue. Nous avions mis en place un tel dispositif à l’échelon national, nous le mettons maintenant en œuvre au niveau européen.

Cependant, l’union bancaire prendra du temps. Certains d’entre nous auraient souhaité qu’elle soit opérationnelle rapidement, mais il faudra environ dix ans pour que toute cette mécanique se mette en place. En attendant, il importe donc de mettre en œuvre un filet de sécurité. À cette fin, nous sommes un certain nombre à proposer que le fonds unique de résolution, chargé de faire face aux défaillances bancaires, soit adossé, au moins pendant cette période de montée en puissance, au mécanisme européen de stabilité, le MES. Pour ce faire, il faut convaincre la chancelière allemande, qui refuse toute modification du traité instituant le MES. C’est un message que nous devons adresser au Gouvernement et au Président de la République.

La Banque centrale européenne a joué un rôle décisif. Bien qu’elle ne soit pas à proprement parler une institution de la zone euro, mais une institution de l’Union européenne dans son ensemble, la Banque centrale européenne a orienté l’essentiel de ses activités vers la zone euro. Loin d’adopter, comme cela avait été le cas précédemment, une lecture étroite du mandat qui lui a été donné, défendue par la Bundesbank et le Gouvernement allemand, elle a au contraire pris des initiatives fortes qui ont permis de faire face à la crise. Je pense aux interventions sur le marché secondaire et au refinancement, dans une mesure extrêmement large – plus de 500 milliards d’euros – des banques commerciales. Elle a ainsi réduit les tensions sur les dettes souveraines.

Cela étant, il reste encore beaucoup à faire. Il faut, en particulier, remédier aux défauts de construction de la zone euro qui ont été évoqués par les orateurs précédents. Selon moi, il convient d’abord de défendre une idée qui fait déjà son chemin, celle de transformer la zone euro en une véritable union politique.

Je plaide ainsi pour la création d’un poste de président permanent de l’Eurogroupe. Ce « ministre des finances de la zone euro » devrait être doté de pouvoirs décisionnels autonomes. Il pourrait, notamment, promouvoir des initiatives en matière d’harmonisation fiscale et sociale.

Il convient également, me semble-t-il, de veiller au renforcement du contrôle démocratique de la zone euro. C’est un problème délicat. Dans l’édition de ce soir du journal Le Monde, l’économiste Thomas Piketty affirme nettement qu’il faut donner un parlement à la zone euro. Il développe cette idée en proposant la création d’une seconde chambre, d’une sorte de Bundesrat européen, qui rassemblerait des membres des parlements nationaux et représenterait les États.

C’est une possibilité, qui rejoint l’idée d’instaurer un contrôle des parlements nationaux sur les mesures prises au niveau de la zone euro en matière de politiques budgétaires et économiques, par exemple par le biais de réunions spécifiques à l’union monétaire organisées dans le cadre de la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 du TSCG. Cependant, il me semble que cette voie ne mènera à rien, en raison de l’opposition tant des députés européens, qui estiment que ces questions relèvent de leur compétence et ne voient pas d’un bon œil une immixtion des élus nationaux, que du Gouvernement allemand et de la plupart des partis allemands, en particulier la CDU-CSU et le SPD. Cela fait beaucoup… Il convient donc de définir une autre tactique pour pouvoir avancer en la matière, ce qui est absolument nécessaire. Aujourd'hui, les parlements nationaux sont démunis pour intervenir dans ces débats.

Il importe de progresser sur la voie de l’union budgétaire. L’idée de mutualiser partiellement les dépenses d’indemnisation du chômage, défendue par notre collègue Dominique Bailly, me semble intéressante. Quant à la création d’une taxe sur les transactions financières, je me bornerai à dire que ce projet fait son chemin clopin-clopant… Enfin, comme l’a excellemment souligné M. Bernard-Reymond, la zone euro devrait avoir la possibilité de se financer en émettant des euro-obligations.

Ces quelques pistes de réflexion ayant été esquissées, je conclurai en rendant hommage au travail de M. le rapporteur, qui nous permet d’avoir cet intéressant débat sur les perspectives de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout a commencé le 9 mai 1950 par une déclaration de Robert Schuman. Les pères fondateurs de la construction européenne ont permis de réconcilier les Européens et d’instaurer la paix et la prospérité dans des pays qui se déchiraient depuis plus d’un siècle.

Ce fut d’abord la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, en 1952, puis celles de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, en 1957.

Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signèrent le traité de l’Élysée. Ce traité posera la première pierre d’une coopération entre les deux pays, et lancera ainsi le couple franco-allemand, qui demeure le moteur de la construction européenne.

Dans les années soixante-dix, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt firent avancer la coopération sur de nombreuses questions politiques clés. Les deux hommes d’État, aujourd’hui encore, continuent à poser un regard lucide sur la construction européenne et n’ont pas perdu leurs convictions profondes.

Nous devons garder en mémoire ces actes fondateurs, et affirmer que l’Europe est une chance pour nous et pour nos enfants.

Aujourd'hui, l’Union européenne apporte aux peuples qui la composent beaucoup d’avantages et peu d’inconvénients, même s’il ne faut pas non plus faire preuve d’euro-béatitude, car il existe de nombreuses faiblesses.

Cependant, comment peut-on imaginer revenir en arrière, alors que de grands blocs s’affirment dans le monde ? La Chine, l’Inde et le Brésil se hissent au rang des grandes puissances, les États-Unis d’Amérique ne sont plus tout à fait les maîtres du monde. Aujourd’hui, l’Union européenne représente 500 millions de citoyens. La zone euro, constituée par dix-huit pays, est sans doute la première puissance du monde en termes de PIB cumulé.

Notre monnaie est recherchée face au dollar. Cela lui est même reproché, alors que l’euro est un acquis fondamental de l’Europe : c’est un facteur de stabilité. Certains de ses détracteurs affirment que l’euro fort est un frein aux exportations. Les résultats de la balance commerciale de l’Allemagne apportent un contre-exemple. Avec la monnaie unique, des comparaisons peuvent être aisément établies.

Cependant, il est vrai que tous les pays européens ne peuvent pas ou ne veulent pas faire partie de la zone euro. C’est une réalité qu’il faut admettre, et l’Europe doit pouvoir fonctionner selon une géométrie variable : un noyau dur, avec une évolution vers des politiques plus intégrées, et un espace européen de libre-échange, avec des politiques renforcées dans certains domaines.

Ainsi, il est difficile d’envisager l’Union européenne sans le Royaume-Uni. C’est un grand pays européen, et ses gouvernants savent bien, d’ailleurs, que l’appartenance à l’Union européenne est déterminante pour l’avenir. Pourtant, ils ne veulent pas se soumettre aux règles de la zone euro. Il faut donc trouver un autre cadre, qui pourrait être celui d’un espace de libre-échange assorti de certaines coopérations.

Pour faire évoluer l’Union européenne, la France a un rôle déterminant à jouer.

Mario Monti, qui a été reçu récemment à l’Académie des sciences morales et politiques, a donné une leçon d’Europe et lancé un appel à la France : « Il serait bon […] que la France redevienne la force de proposition et d’impulsion qu’elle a su être par le passé. […] Il faut réfuter catégoriquement toute idée d’une alliance des pays du Sud contre l’Allemagne […]. L’enjeu est plutôt que la France redevienne la France, c’est-à-dire qu’elle joue pleinement son rôle de pont avec l’Allemagne, ce qui suppose toutefois qu’elle améliore ses performances », a déclaré l’ancien premier ministre de l’Italie, ancien commissaire européen et économiste reconnu.

L’Europe ne se développera et ne se consolidera qu’à cette condition. C’est l’histoire de nos deux nations, la France et l’Allemagne, qui a été à l’origine de l’Union européenne, et ces deux pays représentent la moitié de l’économie européenne.

Les principaux griefs qui sont faits à l’Europe sont la conséquence d’une méconnaissance des atouts de l’Europe, due à un profond déficit de communication.

Nous devons aussi sortir des égoïsmes nationaux et en finir avec les arguments qui font de l’Europe un bouc émissaire. Ces raisonnements conduisent les peuples au populisme. Dans une période de fragilité économique et monétaire, il est logique de rechercher la protection de l’État souverain. Mais n’est-ce pas un repli, et aussi un danger ? N’oublions pas que, dans l’histoire, les populismes ont conduit à la guerre. De plus, les eurosceptiques ne proposent rien.

Nous entendons souvent aussi s’exprimer un regret concernant l’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est. Pourtant, cet élargissement est indispensable à l’évolution de la démocratie dans la partie orientale de notre continent.

La situation que nous déplorons en Ukraine ne se serait-elle pas produite dans les pays baltes ou d’Europe centrale si ces pays n’avaient pas rejoint l’Union européenne ? Dix ans après leur adhésion, les huit pays d’Europe centrale et orientale se félicitent de leur entrée dans l’Union européenne. L’ouverture au grand marché a dopé l’activité, favorisé les exportations et l’investissement étranger. De l’Estonie à la Slovénie, l’effet a été positif, comme il le fut dans les années quatre-vingt en Irlande, en Espagne ou au Portugal, avec des taux de croissance allant de 6 % à 10 %.

La Pologne a su tirer profit des aides de Bruxelles. Si nous comparons les deux pays voisins que sont la Pologne et l’Ukraine, le résultat est impressionnant. L’un et l’autre sont sortis de la période soviétique avec un revenu moyen à peu près égal. La Pologne s’est débarrassée de son carcan, en privatisant et en déréglementant.

Mme Nicole Bricq. Et en travaillant !

Mme Colette Mélot. C’est maintenant une démocratie reconnue. Le chômage y est encore plus fort qu’ailleurs en Europe et le revenu encore inférieur, mais les Polonais ont un niveau de vie quatre fois supérieur à celui des Ukrainiens.

Sur les dix pays entrants de 2004, six ont déjà basculé dans l’euro. Sur le plan électoral, même si des partis populistes ont vu le jour, la contestation de l’Europe, à l’encontre de bien des idées reçues, ne fait plus recette de ce côté-là du Vieux Continent, et ce même si certains pays ont connu une récession et des difficultés ces dernières années.

Dans son rapport d’information intitulé « L’Union européenne : du crépuscule au nouvel élan », notre excellent collègue Pierre Bernard-Reymond a décrit les différentes étapes de la construction européenne, fait une analyse de grande qualité de la situation de l’Union européenne aujourd’hui et formulé vingt-quatre propositions pour contribuer à un nouvel élan. C’est une bonne source de réflexion, et ce rapport doit faire date dans nos travaux.

Il est indispensable de mieux communiquer sur l’Europe et de sensibiliser les citoyens à l’idée de civilisation européenne. C’est un point essentiel soulevé par M. le rapporteur.

À mon sens, il faut aussi relancer des coopérations d’avenir dans le domaine de la recherche et de l’éducation. Le programme Erasmus a permis à plusieurs millions d’étudiants de découvrir l’Europe : c’est une très grande réussite. Le programme Erasmus + devrait en concerner davantage encore à l’avenir : c’est un projet emblématique.

Cependant, des harmonisations sont nécessaires sur les plans fiscal et social, et surtout des réformes économiques, financières, sociales doivent s’opérer au niveau de la zone euro, c’est-à-dire du noyau dur. Dans cette perspective, le moteur franco-allemand doit jouer un rôle essentiel.

Dans l’espace européen, comprenant aussi le deuxième cercle, nous pourrions envisager la mise en place d’une politique de la défense, qui a cruellement manqué dans les récents conflits et s’avère indispensable pour l’avenir.

Soixante-quatre ans après la déclaration de Robert Schuman, cinquante-sept ans après le traité de Rome, sept ans après le traité de Lisbonne, il faut continuer à transformer l’Europe.

L’histoire des peuples est en marche. Les Européens, depuis la Rome antique, ont construit une identité et une histoire communes. Avec ses vingt-huit États membres, l’Europe est indéniablement unie, mais toute construction a besoin de transformations et d’adaptations. En politique, il s’agit de réformer, mais aussi de faire preuve de réalisme et de courage.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe n’est pas une construction de l’esprit ; c’est un grand dessein qui demande de la patience, de l’énergie, mais surtout de l’audace : celle d’aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dimanche, 400 millions de citoyens européens seront appelés aux urnes pour renouveler le Parlement européen. Il ne s’agit pas d’une simple élection. Le choix que les citoyens européens feront déterminera l’avenir de la construction européenne.

Quelle Europe voulons-nous ? Quelles perspectives pour l’Union européenne ? Il est primordial, à mon sens, de réaffirmer dimanche notre ambition, notre volonté politique pour la construction européenne. Ne laissons pas les eurosceptiques démanteler le projet européen que nous construisons pas à pas depuis plus de cinquante ans.

L’élection du 25 mai est une nouvelle étape de la construction européenne puisque, pour la première fois, les 741 députés du Parlement désigneront le président de la Commission européenne.

Oui, en venant voter le 25 mai, les citoyens européens donneront du poids au Parlement européen pour peser sur les décisions futures. Mais ils auront aussi, pour la première fois, leur mot à dire sur le choix du président de la Commission, qui devra être issu des rangs de la majorité qui se sera dégagée dimanche prochain.

Le 15 mai, d’ailleurs, a eu lieu, même si ce fut dans une certaine indifférence, le premier débat présidentiel pour l’Europe. Certains journalistes ont même évoqué la « naissance de la démocratie européenne ». L’Europe pourra donc très bientôt s’appuyer sur une légitimité démocratique qui lui fait défaut aujourd’hui.

Mais l’Europe a besoin d’un nouvel élan !

Les politiques d’austérité voulues et mises en œuvre par la droite européenne sont responsables de la défiance des citoyens à l’égard de l’Union européenne. Il nous faut donc sortir de l’austérité et montrer aux citoyens européens qu’une autre Europe est possible, une Europe qui protège, une Europe du progrès.

D’ailleurs, le Président de la République, François Hollande, œuvre depuis deux ans dans ce sens, comme l’attestent les batailles gagnées sur la garantie jeunesse, par exemple, ou encore sur le détachement des travailleurs. Oui, je veux saluer ici l’adoption par le Parlement européen de la directive d’application sur le détachement des travailleurs. C’est une avancée peut-être modeste, mais c’est une avancée, et l’action du Gouvernement français a été décisive pour trouver un accord entre les États membres et le Parlement européen.

Cette directive permettra une lutte plus efficace contre les fraudes et le dumping social. Elle prévoit notamment le renforcement des contrôles, grâce à une liste ouverte de documents permettant à chaque État membre d’exiger des entreprises les éléments qu’il estime utiles et nécessaires pour vérifier que les règles sont bien respectées dans le cadre d’un détachement de travailleurs. La directive prévoit aussi la responsabilisation des entreprises donneuses d’ordres à l’égard de leurs sous-traitants, grâce à la mise en place d’un mécanisme de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire dans tous les États membres. Il sera donc désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités au niveau européen pour lutter plus efficacement contre les montages frauduleux.

Cette directive permet également l’établissement d’une liste de critères donnant à l’État membre d’accueil la possibilité d’identifier une vraie situation de détachement, ainsi que le renforcement de la coopération et l’échange d’informations sur le détachement de travailleurs entre les États membres.

Cet accord est un progrès, peut-être léger aux yeux de certains, mais c’est un progrès, et il nous montre que l’Europe peut apporter des réponses concrètes pour protéger les droits des travailleurs contre le dumping social, en particulier. C’est cela que nous demandent nos concitoyens.

Le modèle social européen ne doit pas être une utopie, mes chers collègues ! Les traités actuels contiennent d’ailleurs des dispositions qui, si elles doivent être améliorées, assurent des droits sociaux aux citoyens européens. Mais les dirigeants libéraux et conservateurs de l’Europe ont toujours privilégié les politiques d’austérité. Voilà le problème !

Pour donner du corps à l’Europe sociale, le premier enjeu est donc la mise en œuvre effective des textes existants et le développement des droits sociaux au niveau européen par voie législative, dans les domaines où cela est déjà possible.

En décembre 2013, j’ai eu l’occasion d’intervenir lors du débat préalable au Conseil européen sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire. J’avais alors souligné la nécessité de développer la dimension sociale de l’UEM, comme le prône le Gouvernement français, via la mise en œuvre d’un budget spécifique pour la zone euro et d’un dispositif d’assurance chômage européenne. Ce qui n’était à l’époque qu’une proposition presque marginale est aujourd’hui de plus en plus pris au sérieux, et relayé par de nombreux politiques et économistes.

La lutte contre les inégalités et la poursuite de la construction du modèle social européen sont l’avenir de l’Europe.

Des études montrent en effet les bénéfices économiques et sociaux de la lutte contre les inégalités. Une telle politique contribuerait non seulement à rétablir le contact entre l’Europe et ses citoyens, mais aussi à réduire considérablement le risque d’une nouvelle crise économique.

Oui, la mise en place d’une assurance chômage européenne permettrait d’atteindre l’objectif de stabilisation macroéconomique dévolu à la capacité budgétaire de la zone euro, les dépenses liées à l’indemnisation du chômage étant particulièrement cycliques, et contribuerait également à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d’ajustement des efforts macroéconomiques en cas de choc asymétrique. Enfin, la création d’une assurance chômage européenne offrirait une visibilité forte aux citoyens européens, qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro.

La construction européenne, pour regagner en légitimité, a besoin de projets qui apportent des réponses aux difficultés des citoyens dans des domaines qui les concernent au plus près.

L’Europe a devant elle de nombreux combats à mener.

Il faut instaurer un salaire minimum européen défini en fonction du niveau de vie dans chaque État membre et égal à au moins 60 % du salaire médian du pays. C’est une mesure concrète, c’est une priorité pour lutter contre la précarité, limiter le dumping social et accroître la justice sociale.

Il faut garantir l’égalité entre les femmes et les hommes sur les plans salarial, économique, social et politique.

Il faut lutter, encore et toujours, contre le dumping social. Lors de cette nouvelle législature, droits sociaux et libertés économiques devront être placés sur un pied d’égalité.

Il faut combattre le chômage des jeunes, pour que la jeunesse européenne actuelle ne soit pas une génération perdue. Les propositions ne manquent pas dans ce domaine : renforcement de la garantie jeunesse, adoption d’un cadre de qualité pour les stages ou encore aide à la mobilité étudiante.

Il faut garantir à l’ensemble des Européens un accès à l’alimentation, à la santé et à l’énergie.

Enfin, il faut protéger les services publics.

Mes chers collègues, ce ne sont là que quelques exemples de ce que pourrait être, de ce que doit être l’Europe.

Alors oui, monsieur Chevènement, ne laissons pas l’Europe s’essouffler. Redonnons du cœur à la construction européenne, redonnons-lui du sens pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, du 22 au 25 mai, 507 millions de citoyens sont invités à se rendre aux urnes pour élire leurs députés européens.

Depuis 1979, le Parlement européen est élu au suffrage universel, et chaque citoyen a donc, en principe, la possibilité d’exprimer sa vision de l’Europe. Hélas, vraisemblablement, tous ne le feront pas, tant s’en faut ! Beaucoup en effet s’abstiendront ; pour eux, l’Europe est aujourd’hui d’abord source d’indifférence. D’autres, nombreux aussi, useront de ce scrutin pour exprimer leur inquiétude et aussi, pourquoi ne pas le dire, leur défiance. D’autres encore s’exprimeront en faveur de l’une ou de l’autre des forces politiques qui, ensemble, au cours de l’histoire, ont bâti l’Union. Pour ceux-là seulement, l’Europe est encore, dans une certaine mesure, synonyme d’espoir et d’espérance.

L’espoir, c’était déjà le sentiment qui animait les pères fondateurs de l’Union. Ces derniers, en travaillant dès l’après-guerre à « l’établissement d’une communauté économique qui introduit le ferment d’une communauté plus large », pour reprendre les termes de Robert Schuman, espéraient mettre à jamais un terme aux conflits qui ont émaillé l’histoire de l’Europe et construire un continent équilibré et prospère.

L’espérance, c’était celle de bâtir un projet politique qui, dépassant les difficultés, les vicissitudes de l’histoire, permettrait un jour à un Allemand et à un Français de se considérer non comme des ennemis irréductibles, mais bien comme des partenaires, d’imaginer construire ensemble des passerelles qui relient – je pense, bien sûr, à la passerelle des Deux-Rives reliant Strasbourg à Kehl – plutôt que des murs qui séparent, d’unir leurs armées, d’entonner un même hymne et de partager une même monnaie.

Mes chers collègues, dans ma ville de Strasbourg, siège du Conseil de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme et du Parlement européen, chacun mesure bien, peut-être plus qu’ailleurs en France, l’extraordinaire chemin que l’Europe a parcouru en plus de soixante ans.

Toutefois, chacun sent bien aussi que l’Union européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins et que, à ce titre, l’élection à venir des membres d’un Parlement européen qui, jamais, dans son histoire, ne s’était vu conférer autant de compétences par nos traités, présente un enjeu décisif : l’avenir de notre continent, un avenir questionné au travers de l’orientation des politiques communautaires qui donnent sens à l’Union.

En effet, qui peut raisonnablement nier que, depuis 2008 et la crise financière, l’idéal européen s’est abîmé dans sa réalisation politique ? Qui peut contester que la recherche du progrès ne se soit trop souvent évanouie dans la poursuite aveugle de grands équilibres macroéconomiques, que l’Europe ne se soit faite en réalité sans les peuples ? Qui peut ignorer, enfin, les cris de colère des « indignés », non pas dirigés contre l’Europe elle-même, mais en appelant le plus souvent à une autre Europe ou s’adressant aux nations qui, aujourd’hui, constituent l’Union ?

Dans cette défiance, dans ces doutes qui s’expriment et qui constituent un terreau propice à la montée des extrêmes, c’est l’Europe que l’on interroge, mais c’est aussi l’Europe qui s’interroge.

Pour répondre à ces interrogations, un premier impératif s’impose : remettre le citoyen au cœur du projet européen. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : convaincre que le seul projet européen qui vaille est celui qui se construit avec les citoyens, et surtout pour eux !

Cette ambition est grande. Elle nous oblige, en premier lieu, à rompre avec une « vision minimale » de l’Europe, comme l’a exprimé le Président de la République dans sa tribune publiée dans Le Monde le 9 mai dernier, avec la vision d’une Europe « commerciale, "apolitique" […] qui ne voit en elle qu’un marché, qu’un espace monétaire sans gouvernance, qu’une somme de règles et fait de l’Union une entité sans âme et sans autre projet que celui d’accueillir les candidats qui frappent à sa porte ». À cette vision minimale, trop strictement économique, il nous faut, en tant que socialistes et sociaux-démocrates, opposer l’Europe des peuples, plus nécessaire que jamais aujourd’hui.

Pour construire cette Europe des peuples, j’ai la conviction qu’une évolution majeure s’impose : l’approfondissement du débat démocratique au sein de nos institutions.

Or, on le sait, la crise économique a profondément bouleversé les équilibres institutionnels européens, déplacé en quelque sorte le centre de gravité de l’édifice européen en précipitant sur le devant de la scène politique des institutions centrales, telles la Commission européenne ou la Banque centrale européenne, dont les orientations politiques échappent au débat démocratique.

Or comment vouloir raisonnablement faire accepter aux citoyens européens des décisions politiques, parfois douloureuses, prises par des institutions situées en dehors de l’espace délibératif ? Pourquoi ne pas ouvrir le débat démocratique, comme le fait le Gouvernement français, sur les choix opérés par la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire quand ceux-ci déterminent si directement le destin économique des États et des populations ?

En effet, mes chers collègues, il ne faut pas s’y tromper : sous couvert de l’indépendance conférée aux institutions par nos traités, derrière le voile de la décision « technique » prise au nom de « l’intérêt supérieur du projet européen », ce sont bien des décisions politiques, au sens plein du terme, que prennent les institutions de « l’Europe de Bruxelles », comme j’aime à l’appeler. À mon sens, il importe qu’une plus grande transparence démocratique puisse aussi s’appliquer à ces dernières.

Depuis 1979, disais-je, tous les citoyens européens peuvent voter et ainsi exprimer leur vision de l’Europe, mais tous ne le feront pas demain, car beaucoup, en réalité, s’interrogent sur la pertinence d’un tel scrutin. Le problème central est en effet non pas seulement que les citoyens se détournent des élections parlementaires européennes, mais bien que la politique elle-même se détourne, d’une certaine manière, du Parlement européen !

Devant ce constat, nous allons franchir, ce dont je me félicite, une première étape dans le renforcement de la légitimité politique de la Commission. En effet, à l’occasion de cette campagne, les principaux partis politiques présentent pour la première fois leur candidat à la présidence de la Commission européenne, l’objectif avoué étant de personnaliser les débats pour politiser ce choix. De même, le Parlement européen a proposé, en avril dernier, que le plus grand nombre possible de commissaires européens soient choisis parmi les députés nouvellement élus. Il faut saluer là une première avancée démocratique notable, certes nécessaire, mais non encore suffisante, car les chantiers démocratiques demeurent nombreux.

Sans vouloir me livrer à la critique populiste du gouvernement des juges, je dirai que la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne remettant en cause l’existence même des établissements publics industriels et commerciaux, au prétexte qu’ils bénéficieraient d’une « garantie financière implicite et illimitée », m’a particulièrement interpellé.

Si les commentaires sur la portée réelle de cette décision sont partagés, il n’en demeure pas moins que, en rendant des décisions de ce type, la Cour de justice de l’Union européenne produit des effets politiques qui, parfois – je pense par exemple aux droits du travail –, participent d’une remise en cause de nos modèles sociaux. Tout cela, malheureusement, ne peut qu’éloigner les citoyens de l’Europe.

On le voit bien à travers cet exemple concret, la frontière est poreuse entre, d’une part, l’approche technocratique et juridique, et, d’autre part, l’approche politique des grands dossiers européens. Il ne faudrait pas que la construction européenne dont nous rêvons s’enlise chaque jour un peu plus dans le juridisme, au détriment de la dimension politique et citoyenne sans laquelle l’Europe risque de n’être qu’un « machin » sans avenir.

C’est aussi là un des enjeux des élections de dimanche prochain : à l’Europe technocratique, dont le siège est largement à Bruxelles, je vous invite, mes chers collègues, à opposer l’Europe citoyenne, dont le siège est à Strasbourg. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.