M. Gérard Longuet. Il est très cher !

Mme Nicole Bricq. En Allemagne, le coût de l’électricité pour les entreprises – cela fait l’objet d’un consensus national – est beaucoup moins élevé qu’en France, car ce sont les ménages qui paient le plus cher.

M. Gérard Longuet. C’est un transfert !

Mme Nicole Bricq. Un arbitrage a été fait. Le prix de l’électricité compte dans la compétitivité, notamment pour ceux que nous appelons en France les électro-intensifs.

Si j’évoque les propos tenus par Louis Gallois lors de son audition, c’est parce qu’ils montrent bien que la compétitivité des entreprises s’apprécie au regard de plusieurs critères.

Le problème étant complexe, un ensemble de mesures en faveur de la croissance sont nécessaires. La priorité des priorités, et c’est le but des pactes que nous avons proposés aux Français, notamment aux chefs d’entreprise, est de retrouver la confiance des acteurs économiques, des chefs d’entreprise mais aussi des salariés.

Si je ne devais retenir qu’une chose du modèle allemand, ce serait la capacité à négocier et à respecter les engagements pris. Tel est, selon moi, son intérêt majeur. Nous devons considérer les salariés et les ménages comme des acteurs économiques importants. N’oublions jamais en effet qu’ils consomment et qu’ils sont des moteurs de notre économie.

Il faut aussi prendre en compte un facteur qui va au-delà de l’économie, à savoir la cohésion sociale. Il nous garantit, à nous, Français, notre manière de vivre ensemble.

Monsieur Dassault, votre proposition de résolution ne traduit pas ce genre de préoccupations. Au moins a-t-elle le mérite de la continuité : ce n’est pas la première fois que vous pointez du doigt le coût du travail.

Je suis consciente du fait que les marges des entreprises sont très faibles, notamment celles des PME, et que cette situation les handicape gravement.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative et du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, c’est-à-dire très bientôt, à approuver les pactes que le Gouvernement met en œuvre ! (MM. Claude Dilain et André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’intérêt que les membres du groupe écologiste ont étudié la proposition de résolution du groupe UMP relative au financement de la protection sociale et à l’allégement des charges des entreprises.

Nous avons examiné ce texte avec beaucoup d’attention car, dans l’absolu, la question de fond à laquelle il renvoie, à savoir celle de la répartition des charges et des coûts, mérite bel et bien d’être posée.

La distinction entre, d’une part, les dépenses sociales de nature assurantielle, dites « contributives », directement liées à la vie économique des individus et des entreprises, et, d’autre part, les dépenses sociales dites « universelles », liées à la vie familiale et personnelle de ces mêmes individus, est en effet légitime.

On peut parfaitement concevoir que, dans la mesure où elles relèvent de logiques différentes et visent des objectifs différents, elles soient financées différemment.

Toutefois, un pareil sujet, quitte à être remis sur le métier, mériterait d’être abordé bien plus globalement que ne le fait, en l’état, cette proposition de résolution.

En effet, le présent texte ignore totalement un grand nombre d’autres dépenses dont le rôle est pourtant déterminant dans le fonctionnement de l’économie et de l’activité des entreprises. Or ces dépenses sont non pas prises en charge par les entreprises – ou pratiquement pas –, mais par le reste de la collectivité via différentes formes de prélèvements et d’impôts.

Je pense au financement de la formation préalable des futurs salariés, qui, en règle générale, n’est pas pris en charge par les entreprises dans notre pays. A contrario, l’enseignement supérieur fait l’objet d’investissements très significatifs de la part des entreprises dans nombre de pays étrangers, notamment aux États-Unis.

Précisément, l’enseignement supérieur en France a profondément évolué au cours des vingt dernières années. Il offre de plus en plus de formations professionnalisantes, conformément au souhait des entreprises, mais aussi des étudiants, qui cherchent des débouchés. De fait, les universités, qui constituent un service public de l’enseignement, fournissent une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée, et immédiatement opérationnelle, aux entreprises. Ces dernières sont aujourd’hui les principales bénéficiaires de ce système alors qu’elles ne contribuent pas à son financement à hauteur des coûts qu’il représente pour la collectivité.

Je songe également à certaines externalités négatives résultant de diverses activités, notamment industrielles. En tant qu’écologiste, je ne puis manquer d’évoquer certains coûts, en termes de pollution et de consommation d’énergie, dont il n’est absolument pas question dans cette proposition de résolution. Or nous pourrions parfaitement envisager de les prendre en compte si la répartition des charges sociales devait être redéfinie comme le proposent nos collègues.

J’irai plus loin encore. À lire le texte qui nous est proposé, on pourrait penser que, au cours des dernières années, absolument aucune réduction de charges n’a été accordée aux entreprises, en particulier aux plus grandes d’entre elles.

Or Nicole Bricq vient de le rappeler avec brio : la réalité, chacun le sait, est bien différente.

Les grandes entreprises sont, en proportion, celles qui paient le moins d’impôts en comparaison avec les PME et les PMI et les très petites entreprises, les TPE, lesquelles sont pourtant essentielles à la vitalité de toute économie qui se respecte.

Ce constat me conduit à pointer deux autres limites du présent texte.

En premier lieu, cette proposition de résolution perpétue les mythes bien français de la très grande entreprise et des champions nationaux. Or l’importance des PME, que je viens d’évoquer, n’est plus à démontrer. Elle a été longtemps, et demeure encore aujourd’hui, largement négligée dans notre pays.

On érige souvent l’Allemagne en modèle. Les auteurs de ce texte le font eux-mêmes. Il serait peut-être bon de se rappeler que nos voisins disposent d’un tissu de PME et de PMI beaucoup plus dense, beaucoup mieux articulé et innovant, capable d’exporter jusqu’à quatre fois plus que nos propres PME. Las, le présent texte ne s’intéresse pas, ou peu, au développement de ce type d’entreprises ou au secteur des services, dont on ne peut nier non plus l’importance.

En second lieu, cette proposition de résolution reprend une autre idée devenue aujourd’hui commune : elle réduit l’enjeu de la compétitivité de nos entreprises à la seule question du coût du travail.

Ce raccourci est bien commode, évidemment, lorsqu’il s’agit de demander une baisse de la fiscalité et des charges des entreprises. Mais il conduit à passer sous silence un ensemble de facteurs pourtant déterminants pour la compétitivité globale de nos entreprises à l’échelle internationale !

Il en est un qui ne dépend pas nécessairement de la politique nationale et qui est capital : le dumping fiscal. De nombreux États, hors d’Europe, et parfois même au sein de l’Union européenne, y ont recours pour doper leur économie et leurs entreprises.

Notre politique à l’échelle européenne est, en la matière, profondément défaillante. En effet, au nom d’une vision très dogmatique de la concurrence, elle proscrit largement le recours aux crédits d’impôt sectoriels dont usent et abusent pourtant nos partenaires nord-américains et certains pays d’Asie pour encourager l’activité au sein de leurs territoires.

Chers collègues de l’UMP, nous aurions jugé plus utile un projet de résolution européenne, que nous aurions alors volontiers soutenu, visant à développer une véritable politique industrielle à l’échelle européenne.

À l’heure où sont débattus les orientations politiques et les choix de la future Commission de Bruxelles, nous aurions pu, tous ensemble, enjoindre le gouvernement français d’appuyer la création d’une commission à part entière chargée des stratégies industrielles.

En outre, nous aurions pu insister, comme l’a fait Michel Barnier lors de son audition au Sénat la semaine dernière, sur le poids exorbitant et aujourd’hui contre-productif pris par l’actuelle commission de la concurrence à l’échelon de l’Union européenne.

Pour en revenir au contenu de la proposition de résolution, je note à mon tour que la compétitivité repose sur plusieurs critères. Nicole Bricq en a rappelé certains. Elle a ainsi évoqué les entreprises électro-intensives. Lorsqu’on compare le prix de l’électricité des grandes entreprises, qu’elles soient électro-intensives ou non, de part et d’autre du Rhin, on constate qu’il est bien plus élevé en Allemagne qu’en France. Le différentiel est de 15 % à 20 % en faveur de notre pays ! Nous avons donc des atouts, qu’il ne faut pas oublier, et qui participent de notre compétitivité, notamment le prix de l’électricité.

M. Gérard Longuet. À condition de conserver le nucléaire !

M. André Gattolin. Nous en reparlerons, monsieur Longuet ! Mais j’entends bien votre remarque. D’ailleurs, en avançant cet argument, je vous ai pour ainsi dire tendu une perche. (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Et je l’ai saisie ! (Nouveaux sourires.)

M. André Gattolin. Mes chers collègues, la dernière réflexion que je formulerai à propos de ce texte a trait à sa très grande imprécision s’agissant des moyens à mettre en œuvre.

Ces questions ont déjà été posées : vise-t-on une réduction drastique des dépenses sociales ? Prévoit-on une hausse de la CSG, et, si oui, de quelle ampleur ? Un point de CSG supplémentaire ne rapporte guère que 4 à 5 milliards d’euros. Mise-t-on sur un retour de la TVA sociale, et, dans l’affirmative, selon quelles modalités ? Ou encore, envisage-t-on une combinaison de ces trois dispositifs à la fois ? Nous n’en savons rien. Soit la réflexion de nos collègues n’est pas assez aboutie, soit ils préfèrent maintenir le flou à l’égard de l’opinion.

C’est d’autant plus étonnant que l’on a connu l’UMP plus précise sur ces questions, comme en attestent ses documents de 2012, sur lesquels je me suis penché. Comme si le fait d’appartenir à l’opposition l’autorisait à ne plus assumer ses propres positions, malgré le statut de parti de gouvernement que nous lui reconnaissons tous.

En conclusion, vous l’aurez sans doute compris, les membres du groupe écologiste voteront contre cette proposition de résolution. (Mme Nicole Bricq et M. Claude Dilain applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette fin d’après-midi, je tiens à remercier sincèrement M. Dassault de son obstination et de sa persévérance. En effet, il a tenu à engager, dans cet hémicycle, un débat de fond sur l’un des problèmes majeurs de notre pays, à savoir la compétitivité de ses entreprises.

En cet instant, je m’exprime au nom du groupe UMP, que je représente d’ailleurs tout entier. (M. Claude Dilain rit.)

M. Gérard Longuet. Précisément, le groupe auquel j’appartiens a soutenu, tout entier, l’idée d’une proposition de résolution sur ce sujet.

Initialement, M. Dassault avait conçu une proposition de loi, qui avait l’immense mérite d’ouvrir un débat de fond. Toutefois, il a bien voulu reconnaître que ce texte n’était peut-être pas encore, pour l’heure, entièrement approfondi, défini et fixé.

Les membres du groupe UMP soutiennent Serge Dassault, qui, en recourant à la procédure de l’article 34-1 de la Constitution, nous permet d’approfondir la question majeure de la relation entre les entreprises et la protection sociale dans son ensemble. Il nous permet de distinguer ce qui relève directement de la responsabilité des entreprises, et d’imaginer un système sur lequel je reviendrai. Je précise d’ores et déjà qu’il s’agit de ne pas pénaliser les entreprises s’efforçant de recourir à de la main-d’œuvre et lui faisant confiance, ce qui n’est tout simplement pas le cas aujourd’hui !

Les membres du groupe UMP ont décidé de soutenir ce texte, car – ils en sont convaincus – il a l’immense mérite, je le répète, d’ouvrir le débat. Il ne faut surtout pas refermer la porte sur ce sujet, sur lequel nous nous exprimons tous sans aller jusqu’au fond, sans aller jusqu’à trouver une solution.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans le contexte d’une actualité brûlante.

Chère Nicole Bricq, vous avez raison de rappeler que nous aurons bientôt à débattre du CICE. Je suis persuadé que les réflexions que nous aurons sur le présent texte nourriront cette discussion, en tout cas du côté du groupe UMP.

J’ajoute qu’une mission commune d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises est actuellement en cours au sein de la Haute Assemblée.

Ainsi, on le constate clairement, le Parlement s’efforce de bien évaluer, de bien comprendre, de bien saisir le problème majeur du financement de la protection sociale et de son coût pour les entreprises.

Le problème, en tant que tel, est-il nouveau ? Non. Ce qui l’est relativement, c’est que la France, depuis 1993, ne peut plus recourir, pour ajuster les coûts de production, à la facilité dont elle a usé sans discontinuer depuis 1945 : je veux parler de la dévaluation. (M. André Gattolin acquiesce.)

Découvrir que la France n’est pas toujours bien gérée, c’est oublier qu’elle n’a jamais été, depuis 1945, parfaitement responsable. Sinon, comment expliquer que la parité entre le franc et le mark, de la création de ce dernier en 1948 à la disparition de ces deux monnaies, lors du passage à l’euro, se soit creusée de un à quatre ? Voici ce qui s’est passé : pendant quarante ans, nous avons dévalué de manière systématique pour ajuster nos coûts de production.

Ce faisant, nous avons indéfiniment repoussé la réponse à cette lancinante question : comment financer nos dépenses en général et nos dépenses sociales en particulier ? Ces dépenses sont parfaitement légitimes. Elles résultent d’une volonté politique. Mais, dans un univers économique ouvert et désormais totalement concurrentiel, elles exigent certains ajustements.

Je note à ce propos qu’il faut éviter tout malentendu : ce système résulte de la volonté des consommateurs. Il n’existe aucun complot capitaliste. Les capitalistes sont des opportunistes, ce qui signifie qu’ils s’adaptent aux opportunités. Quant aux consommateurs, ils veulent pouvoir accéder aux biens produits dans le monde entier, et ce au meilleur prix. Ce sont eux qui, par leurs actes d’achat, portent et supportent la mondialisation. On peut évidemment interdire la circulation des biens et des services, mais c’est tout simplement impensable dans un monde qui est, aujourd’hui, totalement ouvert.

À la vérité, les accords politiques qui instaurent le libre-échange, qu’il s’agisse des accords de l’Union européenne ou, aujourd’hui, des accords envisagés entre l’Union et, par exemple, l’Amérique du nord, visent plus à entériner des situations de fait qu’à les créer.

Ce sont, d’une part, les technologies – en cette fin d’après-midi, on peut s’autoriser un hommage au rôle de la technique dans l’histoire et à la pensée marxiste (Sourires.) – et, d’autre part, les opportunités saisies par les consommateurs qui permettent ces échanges. Ceux-ci nous obligent à être comparables. Le coût de production revient en force. La proposition de résolution nous invite donc à faire le ménage.

Sur le premier point de la proposition de résolution, le groupe UMP est unanime, même si, monsieur Dassault, nous avons quelques interrogations. Il est unanime pour considérer que certaines dépenses sociales sont directement liées au travail, à l’emploi, à la vie professionnelle, quand d’autres sont l’expression d’une solidarité. La politique familiale et la politique de la santé, en particulier, sont indépendantes de la vie des entreprises.

Je le concède à Mmes Bricq et Assassi, nous souhaitons tous, y compris les employeurs, que les salariés soient en bonne santé. Cependant, si l’on soigne aujourd’hui, c’est non pas pour réparer des capacités productives, mais plutôt parce que nous voulons que tout un chacun puisse accéder aux meilleurs soins et parce que telle est la conception que nous avons collectivement de la solidarité.

De la même façon, si les prolétaires, qui sont prolifiques et ont des enfants – c’est leur richesse –, doivent être soutenus, la politique des allocations familiales, mise en place dans notre pays dès les années vingt dans certains secteurs professionnels, généralisée dès les années trente et rendue universelle en 1945 pour la population française, a été conçue dans le cadre d’une certaine conception de la société et de la famille, et non dans l’intérêt des entreprises. Même si celles-ci en bénéficient sans doute, elles ne sont pas directement concernées par cette politique familiale.

Le groupe UMP est donc très solidaire – et c’est mon cas tout particulièrement – de l’auteur de la proposition de résolution et adhère à cette classification : les accidents et les maladies du travail relèvent de l’entreprise, et l’assiette, c’est le salaire.

Vient ensuite le chômage. Le jeu de l’offre et de la demande en matière d’emploi passe, hélas ! en dehors des crises économiques, par des périodes d’adaptation. Il est donc normal que l’entreprise contribue à financer l'indemnisation du chômage, contrepartie d’un marché du travail vivant. Sur ces points, nous ne nourrissons aucun doute.

Quant aux retraites, sur lesquelles on peut entamer une discussion, elles sont considérées en France, depuis les retraites ouvrières de 1910, comme un salaire différé. D’une certaine façon, l’employeur, qui a en théorie le mérite de la pérennité, surtout dans un système mutualisé, en prend la responsabilité afin de permettre aux vieux travailleurs de bénéficier d’un soutien.

La proposition de résolution écarte la formation et l’apprentissage de la responsabilité de l’entreprise. On peut en discuter. Certaines formations générales, madame Bricq, ne relèvent assurément pas de l’entreprise, ou alors – je me tourne vers M. Eckert, qui a été enseignant – cela reviendrait à placer les enseignants sous l’autorité de l’entreprise, ce qu’ils ne souhaitent pas. Certaines autres, c’est vrai, sont intégrées au marché du travail, ou en sont très proches, comme l’apprentissage. Il y a là une zone grise, et cette question mériterait d’être approfondie.

En revanche, la santé et la politique familiale sont assurément des charges collectives, qui doivent donc peser sur l’ensemble de la collectivité.

Ces sujets constituent le premier point de la résolution et font l’unanimité dans notre groupe, même s’ils mériteraient d’être examinés d’une façon plus précise encore.

Le deuxième dispositif de la proposition de résolution, dont nous reconnaissons que les modalités sont complexes, est l’expression d’un acte de foi de la part de Serge Dassault, qui considère, comme la majorité de notre groupe, que les charges sociales ne doivent pas décourager l’employeur.

En ce qui concerne la dépense sociale universelle, c'est-à-dire l’expression d’une solidarité, Serge Dassault et moi-même nous sommes efforcés de définir un système différent, qui ne pénalise pas les entreprises cherchant l’emploi plus que la simple valeur ajoutée fondée sur le négoce. Il est d’ailleurs difficile de fixer une frontière. C’est la raison pour laquelle le groupe s’est rallié à la proposition de résolution plutôt qu’à la proposition de loi.

Dans le contexte de mondialisation que nous connaissons, nous ressentons tous la nécessité de rappeler aux pays à bas salaires, ou sans protection sociale, que, même s’ils ont droit au développement, ils ne peuvent pas impunément et indéfiniment conquérir des parts de marché du seul fait qu’ils ne respectent pas chez eux les travailleurs. Certes, dans une perspective de développement, vient toujours le moment pour un pays de démarrer, mais tout le monde doit faire des efforts, y compris en termes de protection sociale.

La démarche de Serge Dassault est fondée sur l’idée que l’importateur s’appuyant sur un négoce sans valeur ajoutée sur notre territoire, par le seul jeu de l’importation de biens et de services qui n’ont pas supporté de charges sociales dans leur pays, parce qu’il n’y existe pas de protection sociale, doit contribuer d’une certaine façon au financement de la politique sociale générale dans notre pays.

Notre collègue a modifié sa proposition pour y intégrer un facteur important, à savoir le capital, c'est-à-dire la productivité, la compétitivité reposant sur l’investissement technique. Il répondait en cela à une demande de nombreux collègues du groupe UMP, et je me réjouis que le texte tel qu’il nous est présenté aujourd’hui contienne cette ouverture. Cela lui évitera sans doute d’encourir le reproche de pénaliser la modernisation de nos entreprises.

Permettez-moi maintenant de faire un retour en arrière dans l’histoire de notre pays. Lorsque Pierre Laroque a conçu notre système universel de sécurité sociale en 1945, sous l’autorité politique du général de Gaulle, il l’a fait dans la perspective de pénaliser l’emploi. Cela paraît paradoxal aujourd’hui, mais, à cette époque, la France connaissait une pénurie de travailleurs et devait absolument moderniser son industrie. Elle accueillait, certes, une main-d’œuvre issue du monde rural, qui quittait l’agriculture, mais la volonté des planificateurs, exprimée dans les plans successifs, était de moderniser à grande vitesse l’industrie du pays. Il fallait donc pénaliser l’emploi et ainsi favoriser la mécanisation.

Ce système a fonctionné jusqu’au premier choc pétrolier, puis a connu une déstabilisation entre ce choc et 1982, date à laquelle un certain nombre de mesures prises par le gouvernement de Pierre Mauroy ont commencé à singulièrement renchérir le coût du travail : les trente-neuf heures, d’abord, sans même parler des trente-cinq heures, plus de quinze ans plus tard.

Les pouvoirs publics se sont alors engagés dans une politique d’allégement des charges sociales, car il n’était plus possible de dévaluer. En tout cas, c’était très difficile et ce n’était pas souhaitable. Les charges pénalisaient la compétitivité relative de la France vis-à-vis de son principal partenaire industriel, l’Allemagne.

Pour avoir été président de la région Lorraine durant douze années critiques, entre 1992 et 2004, je puis vous dire que, en 1992, les coûts salariaux globaux en Allemagne dans les secteurs industriels étaient de 15 % à 20 % supérieurs aux mêmes coûts, charges incluses, en France. Dix ans plus tard, nous étions au même niveau. Aujourd’hui, nous sommes, paraît-il, parfois plus chers.

En contrepartie, les pouvoirs publics ont été amenés à réagir et, d’abord, à neutraliser le paritarisme. Pierre Laroque avait en effet imaginé un système de protection sociale dans lequel les représentants des patrons et des salariés devaient s’accorder. Avec les chocs pétroliers, la crise économique, la montée du chômage, celui-ci a volé en éclats, et l’État a été contraint de prendre la relève.

Cela s’est traduit simplement : au début des années quatre-vingt, la protection sociale était prise en charge à 90 % par des cotisations pesant sur les salaires. Aujourd’hui, ce taux est sans doute un peu inférieur à 60 % et la fiscalité représente plus de 40 % de la dépense sociale. Il s’agit essentiellement de la CSG et, naturellement, de la prise en charge par l’État d’un certain nombre de dépenses de cotisations sociales, dispersées dans le budget, liées principalement aux trente-cinq heures et à l’unification des SMIC.

Cela signifie, comme le souhaite Serge Dassault, qu’un financement extérieur au coût direct du travail est déjà engagé, sans, toutefois, être formalisé. Par cette résolution, il est proposé d’engager une réflexion autour de l’idée que ce qui relève du travail doit être supporté par les salaires, parce que c’est la vie des entreprises, quand ce qui relève de la solidarité nationale doit être financé par un autre système.

Pour un chef d’entreprise, la proposition de Serge Dassault est assez courageuse : il ne cherche pas à renvoyer tout cela à l’impôt, à la CSG, à la TVA ou à diverses mesures sociales relevant du budget social, comme des taxes sur le tabac ou sur les alcools. Il propose d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires qui sera allégée des charges que l’entreprise paie déjà sur les salaires.

Cette vision est très novatrice. Pour l’énarque qui se soigne au suffrage universel à dose régulière, elle paraît encore, sinon un peu surprenante, du moins innovante. Il est vrai que depuis le monument que représente M. Lauré, inventeur de la TVA, une taxe sur le chiffre d’affaires fait toujours craindre un effet cascade.

Mme Bricq l’a évoqué et j’y reviens rapidement : l’effet cascade naît lorsque le rapport entre l’entreprise qui vend et le client qui achète est très favorable à la première, qui répercute alors la taxe. Hélas pour les chefs d’entreprise, nous ne sommes pas dans cette situation aujourd’hui. Les entreprises ont désormais du mal à vendre sur le marché national parce que la croissance est faible. Dès lors, peuvent-elles, sous prétexte que la taxe a un effet cascade, la répercuter sur le client ?

Pour répondre aux observations qui ont été faites, je rappelle qu’il s’agit non pas d’un transfert sur le consommateur, mais bien d’une charge pour l’entreprise.

Ensuite, vient le marché, avec l’offre et la demande. Lorsque nous sommes en situation de demande très forte et d’offre réduite, comme cela a été le cas de la France de la IVRépublique et des Trente Glorieuses, c’est alors le client qui paie. On répercute la taxe sur lui, car il est demandeur, comme en témoignent les listes d’attente pour les clients de l’automobile.

Or nous sommes aujourd’hui exactement dans la situation inverse. Nos entreprises ayant du mal à vendre, il est assez probable, pour répondre à Mme Assassi au sujet des bénéfices, qu’elles seront obligées d’intégrer la taxe sur le chiffre d’affaires qu’elles devront payer à leurs marges. C’est particulièrement vrai pour celles qui paieront la taxe la plus élevée, c'est-à-dire, en général, celles qui font des transactions, de l’importation, et non de la production.

La démarche de Serge Dassault présente un risque d’effet cascade, c’est vrai, mais il ne pèsera pas sur le consommateur dans les secteurs d’importation. Il pèsera sur les produits importés. Dans les autres secteurs, les entreprises devront intégrer la taxe dans leurs marges.

C'est la raison pour laquelle je suis un peu préoccupé ; le sujet mériterait d’être approfondi. Il ne faudrait pas que la mesure nuise trop à l’excédent brut d’exploitation des entreprises. Monsieur Gattolin, vous avez raison de rappeler qu’il y a d’autres compétitivités que la compétitivité par les coûts – je suis entièrement d'accord avec vous –, mais ce que vous oubliez de dire, c’est que, pour conquérir de nouveaux marchés ou créer de nouveaux produits, il faut des investissements. Or il n’y pas d’investissements sans bénéfices.

Madame Assassi, je suis désolé de vous dire que l’excédent brut d’exploitation moyen des entreprises françaises – petites et grandes – est de dix points inférieur à la moyenne européenne. Par conséquent, elles ne sont pas en mesure d’investir aussi facilement que vous le pensez pour améliorer leur productivité ou conquérir de nouveaux marchés.

Je réalise que j’ai dépassé mon temps de parole, monsieur le président, tant le sujet me passionne. Il faut dire que je ne dérange pas grand monde aujourd’hui ! (Sourires.) J’en arrive malgré tout à ma conclusion.

Cette proposition de résolution est courageuse et innovante. Elle repose sur l’expérience industrielle de son auteur. Ce dernier fait en outre preuve de désintéressement, puisque la mesure qu’il propose est défavorable aux industries aéronautiques et, au contraire, favorable aux grandes industries de manœuvre, lesquelles sont tellement éprouvées dans notre pays à cet instant. (MM. Serge Dassault et Yves Pozzo di Borgo applaudissent.)