M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Durant douze ans, j’ai présidé la région Lorraine et, s’il y avait pour moi une raison d’accepter la fusion de l’Alsace et de la Lorraine telle que le Gouvernement la préconise dans le projet de loi présenté hier en conseil des ministres, ce serait justement l’extension du droit local d’Alsace-Moselle aux quatre départements lorrains. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

M. André Reichardt. Excellent !

M. Gérard Longuet. En effet, pour avoir observé la pratique du droit local en Moselle, je puis vous dire que, dans l’immense majorité des cas, du droit de chasse à l’échevinage, en passant par le régime concordataire, il est mieux accueilli et mieux ressenti par les populations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Concernant l’échevinage, je suis d’accord !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte commission, modifié.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier celles et ceux qui ont participé à ce travail, qui, me semble-t-il, a été positif : il a en effet permis d’adopter deux articles que certains semblent considérer comme négligeables, mais qui constituent des avancées tout à fait appréciables sur des sujets tels que le cadastre, les impôts fonciers, la péréquation et les associations coopératives.

Certes, la proposition de loi abordait d’autres sujets, mais nous avons compris qu’ils exigeaient qu’on y travaille plus avant.

Cela dit, je ne voudrais pas laisser sans réponse les propos de M. Longuet. Autant je pense qu’il convient d’être attentif à un droit local qui existe, autant je ne suis pas sûr que l’avenir de la République française réside dans l’extension indéfinie du droit local. Mais c’est un débat que nous aurons bientôt l’occasion d’engager.

Je veux enfin rendre un hommage particulier à M. le rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a été et est encore très sollicité. Il a montré tout son talent sur ce sujet difficile du droit d’Alsace-Moselle, mais il lui a fallu aussi beaucoup d’énergie pour défendre les valeurs qui sont les nôtres à propos du projet de réforme pénale, dont il est également le rapporteur.

Charles Péguy disait qu’une révolution n’est pas une destruction, mais un approfondissement. Précisément, les mesures que nous proposons sur l’initiative de M. Michel constituent un approfondissement de l’esprit de la réforme pénale.

Certains sont chagrins parce que, chaque fois que l’on propose d’autres peines que l’emprisonnement, ils assènent qu’on est anti-prison et que les peines en question ne valent rien. Mais Jean-Pierre Michel nous a mis sur le chemin d’une réforme novatrice et d’un approfondissement d’idées fortes auxquelles nous sommes attachés.

Je pense donc qu’il a bien mérité de retourner bénéficier du soleil du beau département de la Haute-Saône. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
 

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Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des textes inscrits à l’ordre du jour de la séance du lundi 23 juin 2014, après-midi.

En conséquence, l’ordre du jour du lundi 23 juin s’établit comme suit.

À 16 heures :

– deuxième lecture de la proposition de loi visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies ;

– conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

À 21 heures 30 :

– débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative au financement de la protection sociale et à l'allègement des charges des entreprises
Discussion générale (fin)

Financement de la protection sociale et allégement des charges des entreprises

Rejet d'une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe UMP, de la proposition de résolution relative au financement de la protection sociale et à l’allégement des charges des entreprises, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par MM. Serge Dassault et Gérard Longuet et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 566).

La parole est à M. Serge Dassault, auteur de la proposition de résolution.

M. Serge Dassault, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du budget, mes chers collègues, cette proposition a été conçue pour favoriser les entreprises de production qui participent à la croissance et à la réduction du chômage, ce qui correspond au souhait exprimé par M. le Président de la République.

Aujourd’hui, les charges sur salaires, salariales et patronales, imposées aux entreprises françaises par la législation sont presque égales au salaire net, c'est-à-dire que le coût total des salaires et des charges représente presque le double du salaire net. Or ce n’est le cas dans aucun autre pays et cette situation compromet gravement notre compétitivité.

Elle a été créée au moment de la mise en œuvre de l’assurance maladie et des allocations familiales, quand il a été décidé de faire peser ces charges sur les salaires, alors que, dans d’autres pays, elles sont acquittées au moyen de l’impôt ou d’assurances privées. D’où les tentatives de réduire ces charges sur les salaires par des subventions de l’État, mais à des niveaux trop faibles pour être efficaces, car 10 milliards à 30 milliards d’euros de réduction, pour un montant total de charges de 327 milliards d’euros, soit moins de 10 %, sont notoirement insuffisants pour être efficaces.

En effet, en 2012, le montant total des charges sur salaires des entreprises du secteur marchand s’est élevé à 327 milliards d’euros, dont 183 milliards d’euros pour le chômage, la retraite, les accidents du travail et la formation, qui concernent directement le personnel des entreprises, et 144 milliards d’euros pour l’assurance maladie, les allocations familiales, la CSG – contribution sociale généralisée –, l’apprentissage, le logement et le transport, qui servent à financer le volet de la politique sociale de l’État qui ne concerne en rien les entreprises. Avec un montant de salaires nets s’élevant à 401 milliards d’euros, le coût total pour les employeurs atteint 728 milliards d’euros – près du double ! –, sachant que les entreprises acquittent un total de 327 milliards d’euros de charges sur les salaires.

D’où notre proposition de répartir les charges sur salaires en deux parties : une partie A de 183 milliards d’euros correspondant à la branche chômage et retraite, qui concerne les entreprises, et une partie B de 144 milliards d’euros pour la branche famille et maladie, qui relève de la politique sociale du Gouvernement.

En supprimant des charges sur salaires, les charges B, on allège d’un coup ces charges de 144 milliards d’euros, soit près de la moitié des actuelles charges sur salaires, ce qui réduit d’autant le coût de production de nos entreprises marchandes et améliore leur compétitivité. On augmente ainsi les possibilités d’embaucher du personnel, puisque son coût est moindre, mais à condition, bien sûr, d’avoir une charge de travail suffisante.

Mais où puiser les 144 milliards d’euros correspondant aux charges B, qui ne concernent pas les entreprises, ailleurs que chez les contribuables, qui sont déjà surchargés d’impôts, et dans le budget de l’État, dont le déficit interdit toute dépense nouvelle ?

C’est l’objet de cette proposition. Elle consiste à continuer à faire supporter ces charges par les entreprises, donc ni par l’État, ni par le contribuable, mais en les intégrant dans les frais généraux.

Chaque entreprise paiera les charges B, celles qui concernent l’État, en fonction d’un coefficient d’activité qui les réduira d’autant plus que leur personnel sera plus nombreux. Ce dispositif favorisera les entreprises de main-d’œuvre et donc l’emploi.

Ce coefficient permettra de calculer la part dont devra s’acquitter chaque entreprise pour que le total soit égal au montant souhaité pour financer les dépenses famille et maladie, en incluant, si on le souhaite le déficit des branches correspondantes, soit environ 10 milliards d’euros, que l’État pourra ainsi financer, le cas échéant.

Ce système défavorisera aussi les entreprises qui intègrent du matériel importé ou des éléments délocalisés à l’étranger, puisqu’elles ne font pas travailler des salariés sur le sol français. En revanche, il favorisera tout ce qui sera produit en France par chaque entreprise.

Il n’y aura pas plus de taxation en cascade qu’avec le système actuel, qui taxe les salaires de la totalité des charges.

Il ressort aussi de simulations que cette proposition réduira les charges sur salaires des entreprises dont le rapport entre les salaires nets et le chiffre d’affaires est supérieur à 10 %, c'est-à-dire celles qui emploient plutôt plus de personnel, et défavorisera les entreprises pour lesquelles ce rapport est inférieur à 10 %.

Ce coefficient d’activité sera défini chaque année en utilisant le montant du chiffre d’affaires de toutes les entreprises marchandes de l’année, dont on déduira l’ensemble de la masse salariale, avec des charges réduites. On égalisera alors le coefficient aux charges B, augmentées, si on le souhaite, du déficit correspondant.

On a ainsi la formule suivante :

Coefficient d’activité x [chiffre d’affaires – (salaires nets + charges réduites)] = dépenses charges B + déficit.

En équilibrant l’ensemble des dépenses par les chiffres de l’INSEE de 2012, on obtient un coefficient d’activité de 4,7 % avec le déficit de 10 milliards d’euros, et de 4,3 % sans le déficit.

On constate ainsi que 0,4 % de ce déficit rapporte 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires à l’État grâce à une très large assiette et à un taux faible, ce qui n’est pas négligeable.

Ainsi, chaque entreprise calculera sa part de charges « maladie » et « famille » en appliquant la formule suivante :

4,7 x [chiffre d’affaires – (salaires nets + charges réduites)] = coût à payer pour chaque entreprise.

Cette proposition permettra aux entreprises, à l’État et aux salariés de retirer les avantages suivants.

Pour un même chiffre d’affaires, plus une entreprise aura de personnel, moins elle paiera de charges, ce qui est dans l’intérêt des salariés aujourd’hui.

Toutes les entreprises de main-d’œuvre réduiront de moitié environ leurs charges sur les salaires, ce qui permettra de diminuer le chômage en favorisant les embauches et d’améliorer la compétitivité, conformément au vœu du Gouvernement et du Président de la République.

Les importateurs et les « délocalisateurs » qui réaliseront leur chiffre d’affaires à l’étranger, c’est-à-dire sans employer de main-d’œuvre en France, seront défavorisés. Une telle mesure s’inscrit donc dans le droit fil de la politique du Gouvernement.

Les dépenses « famille » et « maladie » seront équilibrées. Cela permettra à l’État de réaliser une économie d’environ 10 milliards d’euros, ce qui sera positif pour le budget.

Pour ne pas défavoriser les entreprises de production fortement robotisées et employant peu de main-d’œuvre, des montants d’amortissement seront ajoutés à leur masse salariale réduite pour compenser la réduction du personnel.

Il n’y aura plus de taxation en cascades, du moins pas plus qu’aujourd’hui.

Les notions de salaire brut et de salaire net disparaîtront. On ne parlera plus que de salaire net, lequel est le seul à intéresser les salariés.

Et cette proposition ne coûtera rien à l’État !

Voilà ce que nous proposons, monsieur le secrétaire d’État, dans l’intérêt des entreprises, de l’emploi, de l’État, et des salariés.

De nombreuses simulations restant à faire pour bien cerner les avantages et les inconvénients de cette proposition, nous suggérons que les services de l’État et des entreprises l’analysent plus profondément. Tel est l’objectif de la proposition de résolution que nous vous soumettons aujourd’hui.

Nous sommes cependant certains que cette proposition permettra de réduire fortement les coûts directs de production, qu’elle favorisera les entreprises produisant en France, qu’elle réduira le chômage et qu’elle équilibrera les charges « famille » et « maladie ».

On ne peut jamais satisfaire tout le monde. Cette proposition favorisera les uns, mais elle défavorisera les autres. Toutefois, l’intérêt général du pays aujourd’hui commande que les entreprises augmentent leur production, ce qui entraînera une hausse de la croissance et permettra aux salariés de trouver plus facilement du travail.

Permettez-moi, pour finir, de vous lire le texte de cette proposition de résolution :

« Le Sénat,

« […]

« Considérant que le financement du système de protection sociale français repose excessivement sur le travail, pénalisant l’emploi et la compétitivité de nos entreprises » – c’est vrai !

« Considérant que les entreprises ont vocation à financer les dépenses d’assurance vieillesse, d’assurance chômage ainsi que les dépenses de la branche accidents du travail – maladies professionnelles de la sécurité sociale qui ont un lien direct avec son activité et dont le caractère est essentiellement contributif,

« Considérant qu’elles n’ont contrario pas vocation à financer les dépenses de la branche maladie et de la branche famille de la sécurité sociale dont le caractère largement universel relève de la solidarité nationale » – si l’État, mes chers collègues, décidait d’augmenter les cotisations de la famille, ce qui ne serait pas forcément inutile, cela pèserait sur les salaires et défavoriserait l’emploi !

« Plaide pour qu’au sein des dépenses de protection sociale, la différence entre dépenses assurantielles, qui doivent être financées par les entreprises, et dépenses universelles, qui relèvent de la politique sociale du gouvernement et qui doivent être financées par l’État ou par la solidarité nationale, soit mieux prise en compte,

« Considère que le coût du travail trop élevé en France s’explique en grande partie par le poids des charges sociales payées par les entreprises » – il est vrai qu’il est trop élevé et qu’il double le prix du salaire net !

« Estime que la diversification des ressources de la protection sociale, entamée au début des années 1990 avec la création de la contribution sociale généralisée, est encore très largement insuffisante,

« Souhaite que les pouvoirs publics étudient les différentes assiettes qui pourraient être envisagées pour financer les dépenses de la branche maladie et de la branche famille de la sécurité sociale, notamment le chiffre d’affaires diminué de la masse salariale, la consommation ou bien encore les revenus des ménages » – seules les charges relatives au chômage, à la retraite, à la formation et aux accidents du travail doivent peser sur les salaires.

J’espère, mes chers collègues, que vous voterez cette proposition de résolution, qui n’engage personne et qui ne coûte rien. N’ayant pu, pour notre part, effectuer aucune étude complète, nous pourrons ainsi disposer d’une analyse plus précise des services de l’État et de Bercy et savoir si notre proposition a des avantages ou des inconvénients, ce que nous ignorons aujourd’hui. Par la suite, cette proposition permettra de rendre les entreprises plus compétitives et de favoriser la croissance et l’emploi, ces objectifs étant importants pour le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si je n’ai rien de très plaisant à dire sur cette proposition de résolution, je dois reconnaître à ses auteurs un certain talent. Ils nous permettent, malgré un hémicycle relativement vide, d’avoir un échange sur des sujets qui sont d’importance aujourd’hui.

Le parcours de cette proposition de résolution n’a pas été un long fleuve tranquille. Je rappelle en effet que, initialement, le groupe UMP avait inscrit à l’ordre du jour une proposition de loi prévoyant la réduction de 44 % de la part patronale des cotisations sociales.

Le dispositif envisagé, qui était assez complexe, beaucoup en ont convenu, était loin de faire l’unanimité au sein même du groupe UMP, au point que vous avez préféré, mes chers collègues, lui substituer une proposition de résolution, dont l’objet est plus limité : vous y invitez le Gouvernement à effectuer des modifications substantielles dans le financement de notre système de protection sociale.

D’une certaine façon, et d’une manière sans doute plus radicale que ne le prévoit le Gouvernement, vous anticipez avec cette proposition le débat que nous aurons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, le PLFSSR, et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, dans lesquels devrait être entériné le fameux pacte de responsabilité.

Le nombre de signataires de ce pacte tend à se réduire comme peau de chagrin au fur et à mesure que la CFDT rejette dans chacune des caisses, que ce soit la Caisse nationale des allocations familiales ou la Caisse nationale d’assurance maladie, les projets de PLFSSR qui lui sont soumis pour avis. De ce fait, il ne réunira bientôt plus que le MEDEF et le Gouvernement.

Or ce pacte, comme cette proposition de résolution, repose sur le postulat selon lequel le coût du travail en France et, par conséquent, le coût du financement de la protection sociale seraient trop élevés et constitueraient un frein à la création d’emplois.

Alors que le pacte de responsabilité ne prévoit qu’une réduction de la part patronale des cotisations sociales, comme d’ailleurs la présente proposition de résolution, cette dernière va plus loin en invitant le Gouvernement à étudier deux pistes nouvelles.

La proposition de résolution prévoit d’abord une diversification des ressources de la sécurité sociale, puis l’exclusion du champ de la sécurité sociale de la branche maladie et de la branche famille, lesquelles, selon les auteurs de la proposition, n’auraient aucun lien avec l’entreprise.

Nous contestons bien évidemment le postulat selon lequel le coût du travail serait trop important en France, mais aussi les préconisations formulées dans cette proposition de résolution.

En effet, la réduction du financement de notre système de protection sociale par les employeurs n’est pas nouvelle. Et d’une certaine manière, le pacte de responsabilité existe depuis plus de vingt ans sous la forme d’exonérations de cotisations sociales. Cette réduction aurait de multiples vertus puisqu’elle permettrait de restaurer la compétitivité et de créer des emplois.

Or vingt ans après l’instauration des exonérations et des exemptions de cotisations sociales, et malgré des baisses continues, la compétitivité des entreprises a nettement fléchi, sans doute parce que, dans le même temps, la part des richesses ponctionnées par ou pour le capital – coûts des emprunts financiers ou versement des dividendes – n’a cessé de croître.

Ainsi, selon un article d’Alternatives économiques intitulé Les distributions de dividendes plombent l’investissement des entreprises, en 2012, le coût du capital imposé aux entreprises et à leurs salariés représentait 299 milliards d’euros, soit plus de deux fois ce qu’elles ont acquitté au titre des cotisations patronales. En 2013, les distributions de dividendes des entreprises du CAC 40 ont crû de 6 % pour s’établir à 39 milliards d’euros, alors que les profits ont diminué de 8 %.

En outre, cette politique continue de réduction des cotisations sociales, qui profite d’abord et avant tout aux grands patrons, fragilise les salariés et notre système de protection sociale. Elle constitue un appauvrissement organisé, les gouvernements successifs n’ayant eu de cesse de réduire les prestations et les protections sociales, imposant des déremboursements, des franchises médicales, des allongements injustes et inégalitaires des périodes de cotisations pour financer les retraites ou encore, plus récemment, un délai de carence de six mois aux cadres avant que ces derniers ne puissent prétendre à l’indemnisation chômage.

Les salariés souffrent une seconde fois des méfaits de cette politique qui crée, comme l’a rappelé la Cour des comptes, de véritables trappes à précarité. Les emplois concernés sont en effet généralement les moins bien payés, les plus proches du SMIC, car plus les salaires sont éloignés du SMIC, moins les exonérations sont importantes.

Et pour quels résultats, mes chers collègues ? Aucun, ou si peu.

Selon certaines observations, les exonérations, notamment les allégements dits « Fillon », auraient permis de créer ou de sauvegarder entre 250 0000 et 500 000 emplois en cinq ans. Sur le fondement de ces déclarations, invérifiables dans les faits, la sécurité sociale et l’État auraient ainsi subventionné des emplois pour le coût astronomique de 75 000 euros chacun !

De son côté, l’Observatoire français des conjonctures économiques a évalué l’effet sur cinq ans du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, à 150 000 emplois créés pour un coût annuel de 20 milliards d’euros à compter de 2014, soit 130 000 euros par an et par emploi. On est loin, très loin, de l’efficacité économique !

Dans le même temps, la sécurité sociale et l’État sont contraints d’emprunter chaque année des milliards d’euros pour compenser ces allégements de cotisations sociales.

Compte tenu de ces éléments, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous rejetterons cette proposition de résolution, comme nous avons d’ailleurs rejeté le pacte de responsabilité.

Les salaires, les salariés et notre système de protection sociale ne constituent pas un problème. Ils ne sont pas responsables du manque de compétitivité de nos entreprises, à la différence de la finance et de son appétit.

Depuis que cette politique de réduction de la part patronale des cotisations sociales est mise en œuvre, depuis qu’ont été instaurées les « exonérations Fillon », les économies réalisées par les entreprises servent en réalité non pas à l’emploi ou à l’investissement, mais à rétablir les marges de profit, notamment à l’export. La Commission européenne vient elle aussi de le reconnaître en ces termes : « Le corollaire d’une répercussion incomplète des coûts salariaux dans les prix est une augmentation des marges de profit ».

Or nous n’entendons jamais parler du poids de la finance et des dividendes sur notre économie, comme s’il était plus facile de s’attaquer aux femmes et aux hommes qui contribuent par leur travail à produire des richesses plutôt qu’à la finance.

Il existe pourtant des voies alternatives. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent ainsi d’instaurer une modulation de la part patronale de cotisations sociales en fonction de la politique d’emploi et de salaires des entreprises, ou encore de soumettre à cotisations sociales les revenus financiers des entreprises.

Les auteurs de cette proposition de résolution, comme d’ailleurs le Gouvernement, n’envisagent pas de mettre en œuvre ces solutions alternatives, préférant remplacer le financement patronal par des ressources fiscales, c’est-à-dire de l’impôt, majoritairement supporté par nos concitoyens.

Cette proposition de résolution prévoit ni plus ni moins – comment ne pas le souligner ? – de remplacer la part patronale de cotisations sociales par un prélèvement sur la consommation, ce qui signifie en fait le retour de la TVA sociale.

Vous le savez, nous sommes opposés à une fiscalisation de la protection sociale, notamment parce qu’elle pèserait essentiellement sur les ménages, comme nous le voyons déjà aujourd’hui avec la CSG et la CRDS. Cette fiscalisation mettrait un terme au financement de la protection sociale à partir des cotisations sociales, en même temps qu’au débat sur le partage des richesses créées dans les entreprises.

Enfin, comment ne pas nous opposer au projet des auteurs de cette proposition de résolution de sortir du champ de la sécurité sociale la branche famille – revendication ancienne de la droite, du MEDEF et, plus récemment, malheureusement, d’une partie de la gauche – et la branche maladie ?

Sortir le risque maladie de la sécurité sociale serait une aberration, y compris pour les employeurs, tant il est évident que la bonne santé des salariés bénéficie aux entreprises, en permettant une bonne productivité. L’état de santé du salarié constituant un élément de sa force de travail, il est illusoire de croire qu’il n’est pas sans conséquence sur la qualité de sa production.

Indépendamment du caractère historique de notre système de protection sociale, lequel a été mis en œuvre pour assurer la protection de chacun, de la naissance à la mort, nous sommes convaincus de sa pertinence économique et sociale. Pour notre part, nous entendons étendre ce système, quand d’autres, comme le prouve cette proposition de résolution, souhaitent le vendre à la découpe !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur Dassault, la proposition que vous nous faites en vue de réformer le financement de notre protection sociale est forte : il s’agit d’exclure les branches famille et maladie de la sécurité sociale.

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas exact !

Mme Nicole Bricq. Or, vous le savez, nos concitoyens persistent à tomber malade…

M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !

Mme Nicole Bricq. … et nos jeunes générations à avoir des enfants. Il faudrait donc dans ce cas faire appel à d’autres contributeurs, qui seraient pour l’essentiel, si j’ai bien compris, les ménages, par le biais de la fiscalité.

Votre raisonnement est assez paradoxal : vous envisagez un transfert massif tout en réclamant par ailleurs des baisses d’impôts. (MM. Serge Dassault et Gérard Longuet protestent). Vous ne pouvez pas le nier !

Il faudrait donc nous en dire plus sur l’assiette de ces cotisations, qui basculeraient sur la fiscalité. S’agirait-il de l’impôt de l’impôt de solidarité sur la fortune, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt de consommation, la TVA ? Il faudrait que vous précisiez l’origine des financements préconisés. Or, évidemment, vous ne le faites pas.

L’objet principal de votre proposition de résolution figure en évidence dans son exposé des motifs : la restauration des marges des entreprises, le gain de parts de marché, l’investissement, l’embauche et l’amélioration de la compétitivité. Cela me rappelle quelque chose !

Depuis novembre 2012, ces objectifs – j’y reviendrai – sont ceux du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi et, depuis peu, ceux du pacte de responsabilité et de solidarité.

Vous présentez la baisse du coût du travail comme la solution majeure – voire l’unique solution – aux difficultés des entreprises. Permettez-moi de vous poser quelques questions à cet égard.

Dispose-t-on d’une étude d’impact nous permettant de mesurer les conséquences d’une telle mesure et le retour sur investissement ?

Il ne vous aura pas échappé qu’il faut aussi tenir compte des stratégies des entreprises. Or, depuis plusieurs dizaines d’années, marquées par des exonérations de charges, avons-nous investi en faveur de la montée en gamme de nos produits ? Contrairement à vous, cette question m’intéresse. À ce sujet, le rapport Gallois a bien montré que nos entreprises étaient insuffisamment montées en gamme, qu’elles avaient n’avaient pas assez investi dans l’innovation et qu’elles étaient tournées vers des marchés qui n’étaient pas forcément en croissance.

Par ailleurs, comment sont réparties les dépenses de recherche, de développement et d’innovation dans notre pays ? Quelle part joue la faible efficacité de notre dispositif de formation professionnelle initiale et continue dans les difficultés des entreprises à recruter des personnels formés ? Je rappelle que la loi du 5 mars 2014 a apporté des améliorations notables, notamment la mise en œuvre du compte personnel de formation et de mesures en faveur de la formation en alternance.

En résumé, vous ne vous posez pas ces questions, alors que vous savez que les pactes que nous mettons en œuvre visent précisément à faire appel à la responsabilité des chefs d’entreprise et à donner de l’oxygène aux entreprises afin qu’elles améliorent leur compétitivité. Toutefois, nous savons bien que rien n’est mécanique et qu’il n’existe pas de garantie absolue que les gains engendrés seront mis au service de l’investissement et des emplois. Ce serait trop beau !

En vous posant ces questions que vous ne vous posez pas, je veux insister sur le fait que les difficultés et le manque de compétitivité de nos entreprises sont multifactoriels. Je vous remercie d’ailleurs de nous offrir l’occasion, grâce à cette proposition de résolution, monsieur Dassault, de réfléchir à ce sujet.

Nous avons l’impression – je parle au nom du groupe socialiste – que vous en êtes arrivé à une conclusion avant même de vous être interrogé sur ce qui vous y a conduit et que votre proposition de résolution est fondée sur un présupposé, pour ne pas dire sur un préjugé, selon lequel la quasi-totalité des difficultés des entreprises serait liée au seul coût du travail.

Or, depuis les années quatre-vingt-dix, nous avons une longue expérience en matière d’exonérations de cotisations sociales. Leur effet sur l’emploi, pour ne prendre que ce critère, est crédité de manière très variable. Selon les intervenants, ce sont entre 400 000 et 1 million d’emplois qui auraient été créés sur l’ensemble de la période. Autant dire que les estimations, établies pourtant a posteriori, ne sont pas fiables !

Certains experts estiment aujourd’hui qu’un transfert de cotisations familiales sur la fiscalité permettrait de créer 62 000 emplois. On peut rendre hommage à une telle précision, mais il ne faut pas oublier que le chiffre annoncé repose sur une hypothèse de croissance. Le facteur macroéconomique est très important pour que la microéconomie embraye !

Nous ne sommes pas opposés par principe aux exonérations de cotisations sociales, qui ont un effet positif pour autant qu’elles soient ciblées. À cet égard, je rappelle que, en France, le taux d’emploi des personnes non qualifiées est de 66,6 %, contre 60,7 % au Royaume-Uni et 62,7 % en Allemagne.

Ces allégements sont un soutien à l’économie française, qui se répercute sur les prix des services qu’utilisent les entreprises exportatrices et sur les prix aux consommateurs. Pour peu qu’elles soient franches et massives, les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires entraînent un cycle de croissance et d’emploi.

Efficace pour soutenir l’emploi dans des métiers difficiles, cette politique profite avant tout aux milliers de PME qui peuplent notre territoire. Encore faut-il veiller à ce que les salaires progressent à mesure que les salariés gagnent en qualification. En effet, dans trop de branches, le salaire d’entrée est inférieur au SMIC. Le pacte de responsabilité et de solidarité mis en œuvre par le Gouvernement doit donner une nouvelle impulsion à la négociation de branche.

Ce pacte traduit la volonté de desserrer le plus possible l’étau du chômage, qui touche avant tout les moins qualifiés. Il prévoit, je veux le rappeler, 10 milliards d’euros d’allégements de cotisations, dont 4,5 milliards d’euros sur les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC. Le reste est constitué par une baisse des cotisations familiales de 1,8 point sur les salaires, jusqu’à trois SMIC et demi, baisse qui concernera 93 % des salariés. Au total, ce sont plus de 10 millions de salariés et 1,6 million d’entreprises qui sont concernés. Enfin, 90 % des allégements porteront sur les salaires inférieurs à 1,35 SMIC.

Pour encourager les entreprises à embaucher, le Gouvernement a opté pour une présentation simple et un slogan clair : « zéro charge au niveau du SMIC ». L’effet « emploi » du pacte, hors CICE, est évalué – je le dis avec les précautions d’usage – à 190 000 emplois.

L’allégement des cotisations se traduit par une perte de recettes pour l’État. Il suppose donc des économies correspondantes. Nous en reparlerons très bientôt.

Par ailleurs, le CICE représentera 20 milliards d’euros en année pleine. Il s’agit d’un crédit d’impôt, jusqu’à 2,5 SMIC. Selon les projections de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le Gouvernement en attend 300 000 créations ou sauvegardes d’emplois d’ici à 2017.

Il faut reconnaître que la quantification des effets du CICE sur l’emploi et sur l’investissement est difficile : le premier est très dépendant du taux de croissance que l’on retient ; le second pourrait être mesuré si l’on connaissait la base, autrement dit si l’on pouvait dire ce qui se serait passé sans cette mesure.

Le CICE doit avoir un effet positif sur l’investissement, mais on ne connaîtra pas la part qui lui sera attribuée finalement : favorisera-t-il des investissements d’entretien et de remplacement ou des investissements d’innovation ? À en croire le dernier baromètre de KPMG qui vient d’être publié, les deux tiers de ce crédit d’impôt seraient consacrés à des investissements de remplacement et d’entretien, ce qui n’est pas très bon pour la compétitivité, car c’est d’innovation que nous manquons. Nous avons du mal à passer à l’étape de la recherche et du développement.

Pour conclure, permettez-moi de vous rapporter les propos qu’a tenus Louis Gallois le 21 mai dernier lors de son audition au Sénat devant la mission commune d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Citant l’exemple de Michelin, il a indiqué que ses pneus, qui sont plus chers que ceux de ses concurrents, se vendent mieux, car on leur attribue à juste titre une qualité supérieure.

D’ailleurs, quand on procède à une comparaison avec l’Allemagne, qui est l’une de vos références, monsieur Dassault, on voit bien que d’autres facteurs entrent en jeu dans la compétitivité d’une économie. Louis Gallois y a fait référence. Ainsi le coût du logement représente-t-il 16 % du revenu des Allemands, contre 26 % de celui des Français.