compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

M. Alain Dufaut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures vingt-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales

Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive (texte de la commission n° 691, rapport n° 690).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, la commission mixte paritaire a réussi, et nous nous en réjouissons.

Cet engagement a été tenu. Nous devons en remercier non seulement les présidents des deux commissions des lois – Jean-Pierre Sueur, pour le Sénat, et Jean-Jacques Urvoas, pour l’Assemblée nationale –, mais aussi le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Dominique Raimbourg, avec lequel nous travaillons depuis de longs mois.

Il a été tenu malgré les invectives, que je prends d’ailleurs souvent comme des compliments (Sourires.), proférées par un organe de presse qui n’a eu de cesse de désinformer ses lecteurs sur cette question à travers un éditorial, des articles de fond ou des points de vue de hauts magistrats, lesquels, une fois à la retraite, retrouvent le courage de parler, tels M. Magendie ou M. Bilger…

Oui, mes chers collègues de la majorité, vous avez eu raison, et je vous en remercie, d’avoir suivi presque complètement les propositions de votre commission des lois et de son rapporteur « idéologue », « laxiste », « démagogue », « provocateur » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme la garde des sceaux fait un signe de dénégation.)

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. …– j’en passe et des meilleures. (Sourires.)Je prends tout cela pour des compliments, y compris le fait d’avoir fondé le syndicat de la magistrature !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive que nous avons voté en première lecture s’inscrit dans le prolongement de la loi pénitentiaire de 2009, qui définissait pour la première fois la prison comme l’exception.

À ce titre, l’article 3 du projet de loi oblige le juge à motiver spécialement la peine de prison ferme, non aménagée, y compris pour les récidivistes.

Par ailleurs, certaines des dispositions que vous avez votées donnaient plus de cohérence au texte, notamment celles portant sur la peine de contrainte pénale. En effet, elles tendaient à ce que cette dernière soit une peine autonome pour un certain nombre de délits – les délits routiers, par exemple – et elles la distinguaient beaucoup mieux du sursis avec mise à l’épreuve.

Enfin, d’autres dispositions que vous aviez votées, mes chers collègues, visaient à abroger des mesures contre lesquelles nous nous étions élevés fortement alors que nous étions encore dans l’opposition. Je me souviens des interventions de Robert Badinter, alors sénateur, de Jacques Mézard et d’Alain Anziani, notamment sur la rétention de sûreté et les tribunaux correctionnels pour mineurs.

En cet instant, je ne vais pas revenir sur toutes les dispositions qui restaient en discussion, mais vais simplement faire le point sur un certain nombre de désaccords importants qui étaient sur la table de la commission mixte paritaire et qui ont été résolus.

Le premier concernait le champ de la contrainte pénale. Un membre de la commission mixte paritaire qui n’est ni de mes amis politiques ni de mes amis tout court m’a dit, en forme de compliment, que ma proposition avait une certaine cohérence : il y avait en effet une certaine cohérence, mes chers collègues, à déclarer que la peine de contrainte pénale était une peine totalement détachée de la peine d’emprisonnement.

Suivant ainsi ce qui nous avait été indiqué lors de certaines auditions, notamment par Robert Badinter, trois types de peine auraient existé en matière délictuelle : la peine de prison, d’abord, le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve, ou SME, et la contrainte pénale, ensuite, et les peines pécuniaires ou de confiscation, enfin.

Ce n’est pas ce qui a été retenu. La raison pour laquelle nous nous sommes finalement ralliés à la version issue des travaux de l’Assemblée nationale tient à ce que la peine de contrainte pénale, prononcée pour quelques délits uniquement et détachée de la peine d’emprisonnement, aurait été applicable immédiatement, ce qui aurait, semble-t-il, surchargé de travail les juges d’application des peines et les personnels de probation.

Cet argument était un peu fallacieux, madame la garde des sceaux, puisque le Gouvernement a déposé l’amendement n° 2 – amendement qui pose, d’ailleurs, des problèmes de coordination importants, que nous ne pourrons malheureusement pas régler ce matin –, lequel prévoit l’application immédiate des dispositions relatives à la contrainte pénale. Si l’application est immédiate pour tous les délits prévus par ces dispositions, elle aurait pu l’être également pour les quelques délits que je proposais. La commission mixte paritaire en a décidé autrement.

Le deuxième désaccord avait trait au seuil des aménagements de peine. Vous connaissez, mes chers collègues, les allées et venues auxquelles ce sujet a donné lieu. Pour notre part, nous nous sommes battus pour maintenir le seuil défini par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont le rapporteur pour le Sénat était Jean-René Lecerf. Ce seuil, adopté par le Sénat à une large majorité, avait été conservé grâce au président de la commission des lois de l’époque, Jean-Jacques Hyest. Et c’était cohérent avec l’ensemble du projet de loi. La commission mixte paritaire a donc maintenu la version adoptée par le Sénat, ce dont je me félicite.

Le troisième désaccord opposait non pas le Gouvernement et le Parlement, mais l’Assemblée nationale et le Sénat. Il portait sur certaines dispositions introduites par l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur Dominique Raimbourg, notamment, qui visaient à accroître de façon importante les prérogatives de la police et de la gendarmerie.

J’avais proposé au Sénat de supprimer trois des quatre articles portant sur ce thème, et de largement modifier le dernier.

En commission mixte paritaire, pour arriver à un accord global, nous avons dû négocier sur ces articles.

L’article 15, qui prévoit de permettre la géolocalisation et l’interception des communications pour les personnes soupçonnées d’avoir violé une interdiction ou une obligation leur ayant été faite, avait été supprimé par le Sénat. Nous avons présenté un amendement commun, qui tend à rétablir le système prévu, mais en l’encadrant mieux, grâce à la fixation d’un seuil de gravité et d’une finalité à la mesure, cela afin de respecter notamment les décisions du Conseil constitutionnel.

Le Sénat avait également supprimé les articles 15 bis et 15 ter. Le premier a vu sa suppression maintenue ; le second a fait l’objet d’une nouvelle rédaction afin de soumettre au juge la transaction proposée par les officiers de police judiciaire.

Enfin, l’article 15 quater a été maintenu dans la rédaction du Sénat, qui en a restreint le champ. Cela nous paraît plus conforme à ce qu’il est possible de faire.

L’Assemblée nationale, qui examinait hier soir les conclusions de la commission mixte paritaire, a conservé ces mesures en l’état.

Le quatrième point de désaccord concernait la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, introduite dans le texte par la commission des lois du Sénat. Cette question, en effet, a fait l’objet d’un désaccord profond entre le Gouvernement et le Parlement, même si, sur ce point, les députés ont été plus faibles que vous, chers collègues de la majorité sénatoriale. (Sourires.)

Finalement, je me suis rallié au raisonnement selon lequel il convenait de conserver au présent projet de loi sa cohérence, en n’introduisant pas de réforme dans la réforme. La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, lesquels, sans vouloir revenir sur ce sujet, n’ont pas donné les résultats escomptés, au point que tous les magistrats veulent leur suppression, doit donc figurer dans un autre texte.

Cet autre texte est prêt, d’ailleurs. J’en ai eu connaissance au cours du dernier trimestre de l’année dernière, lorsque j’effectuais, à la demande de Mme la garde des sceaux et du Premier ministre, une mission sur la protection judiciaire de la jeunesse. Ce texte, qui avait fait l’objet d’un arbitrage favorable, au moins par le ministère de la justice, avait par la suite été soumis à embargo.

Or, la veille de la commission mixte paritaire, le ministère de la justice a publié un communiqué – vous en avez tous eu connaissance, mes chers collègues –, selon lequel, « s’agissant du débat sur les tribunaux correctionnels pour mineurs […], le Gouvernement prend l’engagement de proposer la suppression de ces tribunaux correctionnels pour mineurs dans un texte sur la justice des mineurs qui sera présenté au premier semestre 2015 ».

J’espère, chers collègues qui serez encore sénateurs à cette date, que vous vous en souviendrez, afin d’inviter éventuellement le Gouvernement à tenir ses engagements !

Mme Catherine Tasca. Très bonne initiative !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Compte tenu de cet engagement du Gouvernement – et nous n’avons aucune raison de ne pas y croire –, nous avons accepté de ne pas introduire dans le présent projet de loi pénale la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Il est juste de dire, en outre, que le présent texte ne concerne pas les mineurs.

Le dernier désaccord, levé en séance au Sénat, avait trait à la suppression de la rétention de sûreté.

Lors de sa première réunion, la commission des lois avait suivi son rapporteur, et la rétention de sûreté – et non pas la surveillance de sûreté – avait été supprimée. Lors de sa deuxième réunion, quelques hésitations, quelques renoncements à mon avis coupables ont été notés. Et l’amendement tendant à rétablir la rétention de sûreté a été adopté.

J’ai tout de même retenu les déclarations de Mme la garde des sceaux à ce sujet : cette disposition, comme celle relative aux tribunaux correctionnels pour mineurs, concerne les criminels ; dès lors, afin de ne pas brouiller plus encore – certains organes de presse s’en chargent suffisamment – le projet de loi, lequel concerne les délinquants et non pas les criminels, le Gouvernement, pourtant hostile à la rétention de sûreté – Mme la garde des sceaux l’a dit très clairement –, a proposé de l’abroger dans un autre texte, à un autre moment. Compte tenu de ces arguments, avancés en séance plénière, le Sénat a maintenu la rétention de sûreté.

Tel est le résultat des travaux de la commission mixte paritaire. Cet accord, auquel certains sénateurs de l’opposition pourraient se rallier – auquel, du moins, ils pourraient ne pas s’opposer –, est un bon accord. Personne n’a mangé son chapeau, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous parlez toujours du même journal, mon cher collègue ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Personnellement, d’ailleurs, je ne porte jamais de couvre-chef.

C’est une grande loi que nous allons définitivement adopter. C’est un nouveau défi, une nouvelle méthode pour combattre la récidive et donc l’augmentation de la délinquance, mais aussi pour garantir à nos concitoyens la plus grande sécurité, qu’ils réclament à juste titre des pouvoirs publics.

Évidemment, pour que ce texte soit une réussite, le Gouvernement doit y mettre les moyens, financiers comme humains ; il doit mobiliser les magistrats, son administration, notamment pénitentiaire, pour obtenir les résultats attendus. En tout état de cause, mes chers collègues, nous pouvons être fiers du texte que nous allons voter.

Je voudrais, pour conclure, rendre un hommage particulier à Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, pour l’engagement qu’elle a mis et la volonté dont elle a fait preuve, afin que ce texte voie enfin le jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’être avec vous ce matin afin de conclure en ces lieux le parcours de ce projet de loi dont la discussion a été très dense.

Les débats ont été riches tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Je le dis même si je connais le goût particulier pour les querelles entre les deux chambres – en témoigne l’adjectif que M. le rapporteur, malgré tout le bien qu’il pense de la chambre basse, n’a pas résisté à utiliser voilà un instant pour qualifier les députés (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Les débats tenus dans les deux chambres du Parlement sont toujours de tonalités différentes, ces deux assemblées ayant des méthodes de travail, des approches, des sensibilités dissemblables.

Mme Catherine Tasca. Heureusement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela contribue à enrichir considérablement le travail parlementaire, donne vraiment sens à la navette et permet, même lorsque la procédure accélérée a été engagée, d’aborder de façon distincte et donc enrichissante les textes examinés.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, la façon dont s’est déroulée la commission mixte paritaire. En qualité de garde des sceaux, et au nom du Gouvernement, je veux m’autoriser à saluer non seulement la qualité du travail, mais aussi et surtout l’état d’esprit des parlementaires qui ont participé à cette commission mixte paritaire. Sa réunion, il faut le souligner, a été bien préparée par la qualité des débats et par l’état d’esprit, là encore, qui régnait aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, état d’esprit alimenté de façon continue par les deux rapporteurs, Dominique Raimbourg et Jean-Pierre Michel, qui travaillent ensemble sur ce texte depuis plusieurs mois.

Le Sénat s’était emparé du texte très en amont, comme il le fait souvent, en procédant à des auditions extrêmement diversifiées, en organisant des rencontres avec l’Assemblée nationale et en réalisant quelques travaux sur ce thème.

Si le parcours au sein des chambres parlementaires a été relativement réduit, le présent projet de loi a connu un long cheminement.

Nous avons en effet commencé à travailler sur ce texte avec la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, installée en septembre 2012. Cette méthode, complètement inédite, a été particulièrement féconde. Mais je ne veux pas ignorer tous les travaux effectués avant la conférence de consensus, y compris dans cette chambre. Cela fait des années, en effet, que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, travaillent sur ces sujets. Il m’est ainsi arrivé à plusieurs reprises de saluer, du haut de cette tribune, le rapport de commission d’enquête parlementaire dit « rapport Hyest-Cabanel », publié en 2000. J’ai également participé au débat sur l’application de la loi pénitentiaire, qui m’a permis de vérifier, une nouvelle fois, que des travaux sur ce sujet avaient été menés bien avant la conférence de consensus.

Ces travaux ont été réalisés dans les chambres du Parlement, bien sûr, mais aussi au sein des universités, dans des espaces où se sont retrouvés des chercheurs, des universitaires, des parlementaires, des professionnels de la justice, des militants associatifs sensibles à ces questions. Une très grande variété de conceptions et d’expériences, en somme, se sont mêlées, ces dernières années, pour produire des études ou des analyses ; ce sont autant de matériaux mis à la disposition de la conférence de consensus, qui ont permis à cette dernière d’être un vrai succès.

La maturation du texte a donc été longue.

Si le parcours au sein du Parlement a été plus court, le projet de loi n’a cependant pas perdu en densité. Le texte, mesdames, messieurs les sénateurs, est à votre disposition depuis le 9 octobre 2013, et les auditions multiples que vous avez conduites vous ont permis de prendre en compte la diversité, la multiplicité des approches, des sensibilités et des perceptions sur ces sujets.

L’état d’esprit ayant présidé aux travaux de la commission mixte paritaire a permis d’aboutir à un texte que j’estime aujourd'hui de très grande qualité. Il s’agit là d’une appréciation non pas subjective, mais objective, qui se vérifiera dans le temps. Et le crédit des mesures adoptées reviendra aux parlementaires ayant participé à leur élaboration.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le texte conserve ses dispositifs structurants. Tout d’abord, une totale liberté d’appréciation a été restituée aux magistrats grâce à la suppression de certains mécanismes. Ensuite, vous avez créé la contrainte pénale, qui s’est précisée et enrichie au cours du travail parlementaire, ce qui facilitera pour les magistrats l’appropriation de cette peine. Enfin, vous avez précisé, en adoptant le régime de libération sous contrainte, le dispositif de lutte résolue contre les sorties sèches, qui entraînent des récidives.

Par ailleurs, vous avez enrichi le texte en adoptant un certain nombre d’autres dispositions visant à consolider ces trois dispositifs très structurants et à élargir les normes pénales concernant des situations qui vous tenaient à cœur depuis plusieurs années.

Disant cela, je pense notamment à vos initiatives en matière de prise en compte de l’altération du discernement. M. Jean-René Lecerf a été très actif sur ce point : il a abordé cette question avec lucidité, mais aussi un grand sens des responsabilités. Il a souligné l’importance de la prise en charge des personnes dont le discernement est altéré, lesquelles ne doivent pas subir la rigueur d’une peine maximale et doivent pouvoir bénéficier de soins.

Vous avez aussi montré votre attachement à différents sujets, à l’instar de l’Assemblée nationale qui, sur l’initiative de M. Alain Tourret, a prévu, par exemple, une amélioration des conditions d’aménagement des peines pour les femmes enceintes. Toute une série de dispositions a ainsi été introduite : elles enrichissent les normes pénales et permettront à la politique pénale d’être plus efficace.

Je n’oublie pas non plus une disposition concernant l’incitation à la lecture, dont l’initiative revient à un député UMP. Nous avions souhaité retravailler cet amendement plus précisément. Grâce à vous, cela a été possible, et cette disposition figure désormais dans le texte.

Le Parlement a également voulu inscrire dans la partie législative du code de l’organisation judiciaire les bureaux de l’exécution des peines. C’est une bonne chose de consolider ces bureaux, qui permettent une plus grande diligence dans l’exécution des peines.

Les bureaux d’aide aux victimes, que nous avons créés dans tous les tribunaux de grande instance, ont également été introduits dans le code de l’organisation judiciaire grâce à vous.

Nous avons également inscrit dans la loi la justice restaurative, anticipant ainsi la transposition de la directive Victimes, qui doit intervenir d’ici à la fin de l’année 2016. Depuis janvier 2014, une expérimentation par anticipation des dispositions de cette directive est d’ailleurs menée dans huit tribunaux de grande instance, un suivi individualisé des victimes étant assuré, conformément aux nouvelles normes européennes.

Vous avez également prévu une sur-amende visant à contribuer au financement de l’aide aux victimes. Depuis la première année de la mise en place de cette aide, le Gouvernement a augmenté de 25,8 %, puis de 7 %, le budget qui y est consacré. Une hausse est également prévue dans le cadre de la prochaine loi de finances. Nous le savons, il convient de diversifier les ressources de ce budget pour les pérenniser. Tel est donc l’objet de cette sur-amende.

D’autres dispositions permettront de saisir le juge de l’application des peines lorsque la mise à exécution d’une peine survient plus de trois ans après son prononcé. Cette mesure importante permet de reconsidérer la situation de la personne condamnée, pour déterminer s’il y a lieu d’aménager sa peine. En effet, une courte peine exécutée à l’issue d’un délai aussi long peut provoquer une désocialisation, si la situation de la personne a changé entre-temps.

Vous avez donc prévu des dispositions supplétives en ce sens – ne voyez aucune connotation péjorative dans l’utilisation de cet adjectif, bien au contraire ! – qui consolident l’armature même de cette réforme pénale.

Le travail fourni en commission mixte paritaire a été de très grande qualité, et je tiens à le saluer.

Lors des débats qui se sont déroulés au Sénat, vous aviez montré votre attachement à certaines dispositions introduites dans le texte de la commission, sur l’initiative de M. le rapporteur. Le fait d’avoir accepté soit de les aménager, soit de les différer montre les efforts que vous avez consentis pour permettre la réussite de la commission mixte paritaire et aboutir aujourd'hui à cette lecture conclusive.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens donc à vous exprimer ma gratitude, à titre aussi bien personnel, politique et institutionnel – en tant que ministre de la justice – que démocratique et civique. En effet, votre volonté d’aboutir nous permet maintenant de passer à l’application de nouvelles règles pénales et à une politique publique pénale dont nous voulons assurer l’efficacité. Celle-ci devra tout simplement se traduire par la réduction de la récidive, et non pas seulement par la lutte contre celle-ci. C’est la prévention de la récidive qui conduira à la réduction de cette dernière, et donc à la diminution des actes de délinquance et du nombre de victimes potentiellement exposées à ces actes.

Nous sommes quelque peu impatients d’appliquer ces nouvelles normes et de mesurer aussi vite que possible – c’est du moins ce que j’espère – les résultats en matière de prévention de la récidive, de lutte contre la sortie sèche et de réinsertion des personnes condamnées.

Vous avez également témoigné de votre volonté d’aboutir s’agissant de la contrainte pénale, que vous aviez prévue pour un certain nombre de délits, sans possibilité d’incarcération. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, vous obéissez à une logique incontestable, en concevant un système des peines fondé d’abord sur l’amende, ensuite sur la contrainte pénale – peine autonome en milieu ouvert –, enfin sur l’incarcération. Cela contribuera évidemment à la cohérence et à l’efficacité de notre système pénal, et en particulier de l’incarcération, celle-ci étant prononcée pour une durée déterminée et impliquant une nécessaire réinsertion : le retour dans la société doit en effet être préparé à l’intérieur de la prison, afin que le condamné ne soit pas en situation objective de récidive – en tout cas de facilitation de la récidive.

Vous étiez très attachés à cette cohérence. Je le suis également, dans la mesure où, ces dernières années, la centaine de modifications du droit pénal et de la procédure pénale a produit une relative incohérence dans la hiérarchie des peines. Nous devons donc travailler sur cette question !

La hiérarchie des peines doit correspondre à la hiérarchie des valeurs de la République : il ne peut y avoir de déconnexion entre l’échelle des peines et celle de nos valeurs. Pour illustrer très clairement les choses, je dirai qu’on ne peut pas, dans une société aussi sensible que la nôtre à l’individu, à la personne humaine et à sa dignité, accepter que les atteintes aux biens soient punies plus sévèrement que les atteintes aux personnes. Il y a là des discordances qu’il nous faudra corriger dans le code pénal, afin de rétablir une connexion avec nos valeurs républicaines selon lesquelles la personne est plus importante que les biens. Même si le droit de propriété est un droit constitutionnel à la protection duquel nous devons veiller, même si l’atteinte aux biens doit être sanctionnée, la République doit délivrer le message selon lequel elle est encore plus attentive à l’intégrité des personnes : les atteintes portées à ces dernières seront donc punies plus sévèrement.

Ce travail de fond dans le code pénal reste donc à faire. Je l’ai confié à la mission présidée par Bruno Cotte, qui doit rendre son rapport à la fin de l’année 2015. Par ailleurs, des travaux du Parlement et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, sont déjà en cours. Nous ferons en sorte que tous aboutissent, pour que la hiérarchie des peines soit repensée et mise en cohérence avec l’échelle de nos valeurs.

Votre conception était donc tout à fait fondée, mesdames, messieurs les sénateurs. Simplement, il était prématuré, par rapport au travail de fond restant à accomplir, de la mettre en œuvre dans le cadre de ce texte.

Vous avez également accepté de modifier ce que vous aviez prévu en matière de sanctions s’agissant de l’inobservation des obligations et interdictions, et je vous en remercie. Si le juge correctionnel définit la durée maximale d’incarcération, celle-ci peut ensuite être prononcée par le juge délégué, éventuellement saisi par le juge de l’application des peines, qui pourrait décider une mise en œuvre partielle de l’incarcération, les parcours de désistance pouvant être, nous le savons, chaotiques. À certaines périodes, il faut resserrer le contrôle et la sanction ; à d’autres, il convient au contraire d’assouplir de telles mesures, la personne étant en cours de réinsertion.

En créant un délit spécifique, nous aurions pu rencontrer une difficulté, dans la mesure où il serait devenu nécessaire d’introduire de nouvelles poursuites, en risquant de suspendre la contrainte pénale, c'est-à-dire toutes les mesures de suivi. Le dispositif aurait ainsi perdu en efficacité.

Vous avez également accepté en commission mixte paritaire, ce dont je vous remercie également, que les services pénitentiaires d’insertion et de probation soient reconnus dans leurs missions régaliennes et soient pilotes dans la mise en œuvre de la contrainte pénale. Cela n’altère bien entendu en rien leurs relations avec les partenaires associatifs, lesquels interviennent en phase présententielle et produisent un travail de grande qualité qui est reconnu. La contrainte pénale, qui se fait en milieu ouvert, est une peine autonome en soi, non référencée à la prison. Ainsi, l’article 8 de ce texte vise à modifier l’article 131-3 du code pénal, en inscrivant la contrainte pénale après l’emprisonnement et avant l’amende et les autres peines en milieu ouvert. Sa mise en œuvre doit relever des missions régaliennes de l’État, en particulier du ministère de la justice.

Vous avez également tenu à rétablir les dispositions de la loi pénitentiaire – on peut le comprendre – pour des raisons aussi bien de droit que de constance. Nul n’ignore le travail de fond accompli à l’époque sur ce texte par le rapporteur Jean-René Lecerf et le président très actif de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest. Sur ce point, c’est l’Assemblée nationale qui a accepté de rapprocher son point de vue de celui qui était défendu par le Sénat.

Vous avez modifié le régime d’octroi des réductions de peine et de libération conditionnelle.

Par ailleurs – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur –, le désaccord n’a pas disparu s’agissant des dispositions concernant la géolocalisation et les écoutes.

J’ai présenté hier soir à l’Assemblée nationale des amendements qui ont été rejetés, comme je m’en doutais. Je souhaitais néanmoins alerter très clairement les députés sur les risques constitutionnels qui existaient quant à ces dispositions. Il me paraît en effet responsable, de la part du Gouvernement, d’indiquer aux députés et aux sénateurs qu’il y a des risques potentiels.