M. Alain Néri. Très bien !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le devoir – j’y insiste – d’être exemplaires dans le désamiantage, dans la prévention, et vous pouvez compter sur le total engagement du Gouvernement dans les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Gérard Dériot applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger au sein du Conseil supérieur des programmes.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a été saisie de cette désignation.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement du Sénat.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le second alinéa de l’article L. 621-12 du code de commerce (Cessation de paiement d’une société) (2014-438 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Discussion générale (suite)

Application de l'article 68 de la Constitution

Adoption définitive d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, portant application de l’article 68 de la Constitution (projet n° 288 [2011-2012], texte de la commission n° 30, rapport n° 29).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée a souhaité inscrire à l’ordre du jour le projet de loi organique mettant en œuvre les dispositions de l’article 68 de notre Constitution, tel qu’il résulte de la loi constitutionnelle du 23 février 2007. Ce texte, déposé en 2010, a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2012.

La loi constitutionnelle du 23 février 2007 faisait suite à de longs débats sur le statut pénal du chef de l’État. Le constituant avait alors voulu rappeler que le Président de la République bénéficiait d’une irresponsabilité générale pour les actes accomplis en tant que président et d’une inviolabilité temporaire quant à sa personne, mais que ce principe pouvait connaître une exception en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette formule, volontairement laconique, devait permettre de faire face à toutes les situations, même les plus imprévues.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article 68 de notre Constitution a été conçu pour répondre à une situation grave et exceptionnelle : celle dans laquelle un Président de la République commettrait des « manquements à ses devoirs » si graves qu’ils dépasseraient la légitimité qu’offre l’élection au suffrage universel direct.

L’article 68 est extrêmement clair. Il prévoit que le Parlement réuni en Haute Cour peut destituer le Président de la République ; il prévoit aussi que tous les votes exprimés pour cette destitution ne sont considérés comme positifs que s’ils atteignent une majorité des deux tiers.

Au-delà de ces principes généraux, il va très loin dans les précisions. Il prévoit ainsi que c’est le président de l’Assemblée nationale qui préside la Haute cour. Il fixe également les délais et les modalités du vote.

Les marges de manœuvre du législateur organique sont donc limitées. Malgré tout, elles ne sont pas inexistantes, comme en témoigne la proposition de loi organique adoptée par le Sénat en novembre 2011. Comme vous le savez, elle différait sur plusieurs points du texte qui vous est soumis ce soir. Des amendements ont été déposés visant à aligner les dispositions du projet de loi organique sur celles de la proposition de loi organique que la Haute Assemblée avait adoptée il y a trois ans. En conséquence, je ne me livrerai pas, à ce stade de nos débats, à de longs développements sur les différences entre les deux textes : j’aurai l’occasion d’y revenir au cours de la soirée. Néanmoins, je tiens dès maintenant à rendre un hommage appuyé aux deux sénateurs qui avaient, dès 2009, rédigé cette proposition de loi organique, portée par l’ensemble du groupe socialiste : François Patriat et Robert Badinter. Ce sont eux qui, les premiers, avaient pris les devants pour accélérer la mise en application de l’article 68 de la Constitution. Je salue la grande qualité de leurs travaux et leur implication personnelle pour faire aboutir la révision de 2007. Nous pouvons tous tomber d’accord sur ce point, et je ne doute pas que chacun, sur l’ensemble des travées du Sénat, s’associera à cet hommage.

Avant d’en venir au contenu du projet de loi organique, permettez-moi de revenir un instant sur les origines de la révision de 2007. Dans son rapport, Hugues Portelli rappelle brillamment les événements et les réflexions qui ont mené à la réécriture de l’article 68. Je me permettrai donc d’être bref.

L’ancienne rédaction de l’article 68 prévoyait que le Président de la République n’était responsable des actes « accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Comme l’a souligné la commission présidée par Pierre Avril chargée, en 2002, de proposer une nouvelle rédaction de l’article 68, la haute trahison posait un double problème : il s’agissait en effet d’un concept flou, qui, de plus, n’épuisait pas l’ensemble des possibilités en matière d’incapacités à exercer le mandat présidentiel.

Par ailleurs, l’article 68 avant 2007 prévoyait que, « en cas de haute trahison », le Président de la République était « mis en accusation » et « jugé » par la Haute Cour de justice. La loi organique prévoyait qu’une commission d’instruction composée de magistrats était chargée d’éclairer cette Haute Cour. Sur cette base, il appartenait à la Haute Cour de justice, composée de parlementaires, de « juger » le Président de la République, et elle pouvait prononcer des sanctions pénales.

Cette procédure, mi-parlementaire, mi-juridictionnelle, était une source de confusion et d’instabilité. En instituant une procédure entièrement parlementaire, dénuée de tout caractère juridictionnel, le constituant a souhaité autoriser la destitution du Président de la République dans un cadre particulier. Comme l’a expliqué M. Jean-Jacques Hyest dans son rapport sur la révision constitutionnelle de 2007, « le Parlement ne se prononce pas sur la nature ou la qualification pénale des manquements commis par le chef de l’État, mais sur la compatibilité de ces manquements avec la fonction. Le Président destitué redevient un citoyen ordinaire et peut alors, si ce manquement constituait par ailleurs une infraction, être poursuivi devant les juridictions de droit commun ».

Il appartient donc au Parlement, constitué en Haute Cour, non plus de juger le Président de la République, mais d’estimer si des « manquements » qu’il aurait commis sont manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat présidentiel. Aucune précision n’est donnée sur ces manquements, qui peuvent être liés à la fonction présidentielle ou de nature privée.

Il s’agit là d’une procédure d’exception, purement politique, qui repose uniquement sur l’appréciation de faits ou d’actes par les parlementaires eux-mêmes. Le projet de loi organique pose, à cet égard, quelques garde-fous. J’y reviendrai.

Dans l’esprit du constituant, le caractère exceptionnel d’une telle procédure ne fait guère de doute. Le rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, Philippe Houillon, parlait à l’époque d’une crise grave qui menacerait « la continuité de l’État et la stabilité des institutions ». Je ne peux que souscrire à une telle opinion.

J’en viens à présent aux dispositions du projet de organique que vous allez examiner ce soir.

Ce texte prévoit une procédure rapide, motivée et publique.

La réunion de la Haute Cour est la conséquence du vote, par les deux assemblées, d’une proposition de résolution motivée. Cette dernière doit être signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée ayant pris l’initiative de cette saisine. Elle n’est pas amendable, et elle est transmise au Président de la République et au Premier ministre. Le projet de loi prévoit également que chaque parlementaire ne peut signer qu’une proposition de résolution, et une seule, durant un mandat présidentiel. Il s’agit là d’une précision utile, introduite par l’Assemblée nationale en 2012.

Le bureau de l’assemblée saisie en premier lieu se prononce sur la recevabilité de la proposition de résolution, notamment au regard de sa motivation, afin d’écarter tout motif manifestement abusif. Si la proposition de résolution est recevable, elle est transmise à la commission des lois, dont le projet de loi organique consacre la compétence exclusive en la matière.

L’assemblée saisie se prononce dans les quinze jours suivants les conclusions de la commission.

Pour être adoptée, la proposition de résolution doit ensuite réunir les votes de deux tiers des membres de l’assemblée. Si elle atteint cette majorité renforcée, elle est transmise sans délai à l’autre chambre qui se prononce, là encore, dans un délai de quinze jours, comme le prévoit la Constitution.

À l’issue du vote de la résolution par les deux assemblées, il appartient à la Haute Cour de se prononcer sur la destitution. Pour ce faire, elle est éclairée par les travaux d’enquête d’une commission ad hoc composée de parlementaires et respectant les équilibres politiques. Cette commission est tenue d’entendre le Président de la République s’il en fait la demande. Elle établit ensuite un rapport, sur la base duquel la Haute Cour doit statuer. Les débats de la Haute Cour sont publics. Seuls deux représentants du pouvoir exécutif peuvent y participer : le Président de la République et le Premier ministre.

Nous sommes donc face à une procédure équilibrée, qui concilie l’indispensable protection du mandat présidentiel et la nécessité d’une procédure d’exception en cas de circonstances graves. En respectant la composition politique des assemblées à toutes les étapes de la procédure, en instaurant des garde-fous, en introduisant du contradictoire, la procédure telle qu’elle est prévue par ce texte permet le respect non seulement de la lettre, mais aussi de l’esprit de l’article 68.

Malgré tout, le Gouvernement appelle l’attention du Sénat sur un point particulier. L’Assemblée nationale avait soulevé le cas de la clôture de la session parlementaire, qui pourrait faire obstacle à l’examen et au vote de la résolution par la seconde assemblée saisie. Le texte prévoit désormais que, dans ce cas de figure, « l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante ». Or l’article 68 de la Constitution prévoit que « la proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours. » Cette disposition pourrait donc être jugée contraire à la Constitution, et il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point.

Au-delà d’une possible réserve des juges de la rue de Montpensier, il sera sûrement nécessaire, dès ce soir ou à l’occasion d’une modification ultérieure de la loi organique, de préciser cette disposition pour le cas où la clôture de la session viendrait interrompre la navette de la résolution entre les deux assemblées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, votre commission des lois a adopté le projet de loi organique sans modification. Si aucun amendement n’était retenu en séance publique, ce texte serait immédiatement soumis au Conseil constitutionnel, avant d’être promulgué quelques semaines plus tard. Dans un tel cas, je me féliciterais de voir, plus de sept ans après son adoption par le Parlement réuni en congrès, l’article 68 de notre Constitution recevoir enfin un texte d’application. En dépit de cette satisfaction, je ne pourrais que regretter que d’autres options, inspirées de la proposition de loi organique de François Patriat et de Robert Badinter, n’aient pas été retenues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir, s’il est adopté, mettra fin à un vide juridique qui remonte à 2001. À cette date, la Cour de cassation a retenu une interprétation de l’article 68, tel qu’il était alors rédigé, différente de celle formulée par le Conseil constitutionnel deux ans plus tôt. En 1999, ce dernier avait répondu – sans qu’on lui pose la question –, dans une décision relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, que, en vertu d’un privilège de juridiction, le Président de la République ne pouvait être jugé, même pour des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, que par la Haute Cour de justice, composée à l’époque de douze sénateurs et de douze députés.

Deux ans plus tard, dans l’arrêt Breisacher, relatif à l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour de Cassation adoptait un point de vue diamétralement opposé : elle considérait qu’on ne pouvait pas attribuer à la Haute Cour de justice une compétence autre que celle pour laquelle elle avait été créée, à savoir la haute trahison du chef de l’État. Pour le reste, on devait s’en remettre aux tribunaux ordinaires, sauf que la Cour de cassation a aussi estimé que, du fait de son rang et de sa fonction, le Président de la République devait bénéficier, durant son mandat, d’une immunité, d’une inviolabilité temporaire qui l’empêchait d’être poursuivi ou entendu comme témoin. Il fallait donc attendre la fin de son mandat pour que son éventuelle responsabilité soit examinée par les tribunaux ordinaires compétents.

Deux des trois principales hautes juridictions françaises défendaient ainsi des points de vue opposés sur cette question clé de l’application de l’article 68.

Pour sortir de cette impasse, le Président de la République de l’époque a confié à des experts – c’était la fameuse commission présidée par Pierre Avril – le soin de lui soumettre une nouvelle mouture des articles 67 et 68 de la Constitution. À la suite de leurs conclusions en décembre 2002, un projet de loi constitutionnelle a été adopté en conseil des ministres. Reprenant les recommandations de la commission Avril, qui avait elle-même suivi les analyses de la Cour de cassation, ce texte octroyait au Président de la République une inviolabilité temporaire le temps de son mandat, tout en prévoyant qu’il ne pourrait être jugé que par une juridiction différente de la Haute Cour de justice telle qu’elle existait jusqu’alors. La Haute Cour de justice était en effet une juridiction d’exception, mi-politique, mi-juridictionnelle, composée d’hommes politiques et de magistrats. Or une juridiction de ce type – si elle avait un jour fonctionné – qui aurait été conduite à juger le chef de l’État et à prononcer d’éventuelles peines sur la base, non seulement du code pénal, mais également d’autres dispositions qu’elle aurait pu inventer, n’aurait pas été compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui affirme le droit à un procès équitable. Il fallait donc agir.

Comme vous le savez, la loi constitutionnelle a été votée quelques années plus tard… Il aura fallu attendre quatre ans avant que le projet de loi constitutionnelle ne soit adopté par le Parlement réuni en congrès et plus longtemps encore avant que le projet de loi organique permettant d’appliquer l’article 68 ne soit rédigé. Rappelons en effet que l’article 67, qui accorde au Président de la République une inviolabilité totale pendant la durée de son mandat, était d’application immédiate, alors que la mise en œuvre de l’article 68, qui traite de la responsabilité du chef de l’État, nécessite une loi organique.

Compte tenu de ce déséquilibre fâcheux, une proposition de loi organique visant à combler le vide juridique avait été déposée au Sénat en 2009, puis adoptée en 2011, soit quelques jours avant que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’examine le projet de loi organique finalement déposé par le Gouvernement.

Le fait que le Sénat débatte en premier du sujet a eu des conséquences sur les travaux des députés : beaucoup d’amendements adoptés par la commission des lois ont été inspirés par nos travaux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’actuel président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a été l’auteur de nombreux amendements.

En janvier 2012, les députés ont adopté le texte. Depuis lors, nous en sommes là.

Ce projet de loi organique constitue l’aboutissement d’un cheminement. Il opère une synthèse entre toutes les dispositions qui ont pu être rédigées en vue de mettre en œuvre l’article 68 tel qu’il a été voté en 2007. Son objet est cependant très restreint, tout simplement parce que l’article 68 prévoit clairement les conditions dans lesquelles la destitution pourrait être votée par chacune des assemblées, puis prononcée par la Haute Cour. Ainsi, il précise que les décisions doivent être prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour ou bien que toute délégation de vote est interdite. La Haute Cour doit donc fonctionner, non pas comme une assemblée qui examine un texte de loi – aucun amendement n’étant possible, il n’est pas prévu de faire de navette –, mais comme une assemblée politique prenant une décision politique, à savoir celle de destituer le chef de l’État si elle estime qu’il n’est plus en état de pouvoir exercer ses fonctions.

Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie en 2011 d’une affaire concernant une procédure d’impeachment engagée à l’encontre du Président de la République de Lituanie, procédure guère éloignée de celle dont nous discutons ce soir. Or la CEDH s’est estimée incompétente, car il ne s’agissait pas d’une procédure judiciaire, mais d’une procédure politique. Tel est le sens du présent projet de loi organique : aller plus avant dans la définition et la mise en œuvre de cette procédure politique par laquelle le Parlement, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, se prononce sur la destitution du chef de l’État.

Le texte du projet de loi organique est très bref : il a surtout pour but d’organiser la procédure, les conditions dans lesquelles la proposition de résolution est déposée puis examinée par la commission des lois.

L’Assemblée nationale, en commission, puis en séance publique, avait rejeté un amendement du Gouvernement de l’époque visant à accorder à la commission des lois un droit de veto sur le texte. Puisque le texte est motivé, il est normal que la commission des lois soit saisie, mais elle ne peut que donner un avis sur celui-ci, en aucun cas bloquer son examen par l’assemblée qui devra se prononcer.

La deuxième série de dispositions contenues dans le projet de loi organique vise à aménager les conditions dans lesquelles on passe d’une assemblée à l’autre, à indiquer les délais, à réaffirmer les règles du contradictoire pour l’audition du Président de la République et à prévoir que la Haute Cour fonctionne véritablement comme une Haute Cour, et non comme une Haute Cour de justice, comme c’était le cas avant la révision de 2007. Le projet de loi organique se contente donc très simplement de préciser un certain nombre d’éléments contenus dans l’article 68. C’est la raison pour laquelle la commission des lois l’a adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai envie de commencer mes propos par un adverbe : « Enfin ! ». Enfin, nous sommes saisis d’un projet de loi organique mettant en œuvre l’article 68 de la Constitution !

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – je salue une nouvelle fois la qualité de votre travail, mais nous y sommes habitués –, les questions autour de la procédure de destitution se posent depuis 2001. Or, depuis cette date, c’est le silence.

Rappelons, comme vous l’avez d’ailleurs fait devant la commission des lois, l’origine de ce questionnement. Comme souvent dans notre pays, malheureusement, c’est un scandale, celui des emplois fictifs de la ville de Paris, qui a conduit le Président de la République à créer une commission. Il est en effet habituel que notre pays ne fonctionne que par les scandales et l’émotion qu’ils suscitent, notamment en matière institutionnelle. À l’époque, nous pouvions toutefois craindre que cette commission, selon la formule de Clemenceau, ne soit qu’une façon d’enterrer l’affaire. Cela aurait pu être le cas, et nous sommes en effet passés tout près de l’enterrement. En tout cas, nous avons dû patienter sept ans – un septennat ! – depuis la révision constitutionnelle de 2007 pour voir apparaître les prémices d’une mise en œuvre de la procédure de destitution. Au cours de cette longue période, le chef de l’État a pu bénéficier de la protection de l’article 67, sans être soumis à sa contrepartie, inscrite à l’article 68. Dès lors, le Président de la République pouvait à peu près faire tout ce qu’il souhaitait.

Je me rappelle fort bien les propos tenus ici par Robert Badinter, qui nous disait que nous vivions dans une drôle de République car la seule femme française qui ne pouvait pas divorcer sans le consentement de son mari était l’épouse du Président de la République – certains, sur ces travées, se rappellent sans doute de cette formule. De surcroît, si le chef de l’État avait été responsable d’un accident de la circulation, les victimes n’auraient pas pu être dédommagées. On voit bien que la situation était intenable ; elle reposait sans doute sur une vision très monarchique de la présidence de la République et sur l’adage bien connu que le roi ne peut mal faire. Or si le roi ne peut mal faire, il n’est peut-être pas nécessaire d’encadrer son action et de préciser sa responsabilité…

Il faut saluer, comme M. le secrétaire d’État l’a fait, le coup d’accélérateur dans cette course de lenteur donné par la proposition de loi organique déposée par François Patriat et Robert Badinter, dont le sort a varié au gré des majorités sénatoriales : une majorité ancienne l’avait renvoyée devant la commission des lois, considérant sans doute qu’il fallait donner du temps au temps,…

M. Jean-Jacques Hyest. Il y avait le projet de loi !

M. Alain Anziani. … avant finalement qu’une majorité plus récente ne l’adopte. On en a bien vu l’effet : après l’adoption de la proposition de loi organique, le gouvernement Fillon a enfin déposé un projet de loi organique, qui, si j’ai bonne mémoire, avait été préparé par Michel Mercier.

Quelles sont les différences et ressemblances entre la proposition de loi organique et le projet de loi organique ? Les deux textes s’accordent sur un point, auquel nous souscrivons totalement : la destitution d’un Président de la République est un acte grave. La procédure doit donc être strictement encadrée, et la destitution doit nécessiter une majorité allant au-delà des clivages politiques, c'est-à-dire une majorité qualifiée.

En vertu de cette logique, des filtres puissants ont été instaurés. Cela a été rappelé, l’article 68 de la Constitution dispose que les décisions sont prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Le projet de loi organique prévoit des conditions encore plus rigoureuses : la proposition de résolution devra être motivée, ce qui est évidemment une nécessité ; elle devra être signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée ; un député ou un sénateur ne pourra – je me félicite de cet amendement de l’Assemblée nationale – être signataire de plus d’une proposition de résolution au cours du même mandat présidentiel.

Tout cela est du bel et bon ouvrage. Cependant, le projet de loi organique va encore plus loin. De ce fait, on a l’impression d’un long chemin enfermé dans des délais stricts : la proposition de résolution est d'abord transmise au bureau de l’assemblée devant laquelle elle a été déposée, qui vérifie sa recevabilité – ce point ne prête pas à discussion –, la commission des lois émet un avis, puis l’assemblée adopte ou rejette la proposition de résolution ; la commission des lois de l’autre assemblée est ensuite saisie du texte, puis cette autre assemblée l’adopte ou le rejette. Si la proposition de résolution a été adoptée par les deux assemblées, elle est examinée par une commission ad hoc, avant qu’enfin la Haute Cour ne se prononce.

Avouons que c’est tout de même un chemin difficile. Il est normal de se soucier du statut du Président de la République, mais on peut se demander si ce n’est pas trop. Songeons à la procédure d’impeachment qui existe aux États-Unis. Certes, la procédure française est purement politique et non juridictionnelle, mais, justement, elle pourrait être plus simple qu’une procédure juridictionnelle. Dans le système américain, c’est la Chambre des représentants qui engage la procédure en mettant en accusation le Président. Le Sénat, présidé par le président de la Cour suprême, décide à la majorité simple s’il faut y donner suite. Le cas échéant, il se prononce sur la destitution à la majorité des deux tiers. Il n’y a donc pas d’intervention de commissions permanentes ou ad hoc qui ajoutent des séquences aux séquences.

La procédure d’impeachment est simple. Elle est en même temps éminemment protectrice, puisqu’elle n’a jamais abouti à une destitution. Elle a été engagée deux fois – il y aurait pu en avoir une troisième –, la première à l’encontre d’Andrew Johnson, au XIXe siècle, et la seconde à l’encontre de Bill Clinton. Elle aurait pu aboutir à la destitution de Richard Nixon, mais celui-ci a démissionné avant la saisine de la Chambre des représentants.

Je pense que nous aurions pu concevoir une procédure plus simple et plus rapide sans pour autant mettre en péril le statut du chef de l’État. À travers l’un de mes amendements, je poserai la question suivante : est-il vraiment utile que le bureau de chaque assemblée renvoie la proposition de résolution devant sa commission des lois ?