Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Leroy, sur l'article.

M. Philippe Leroy. C’est rassuré par le vote de l’article 1er A, tout à l’heure, à la quasi-unanimité, que j’interviens en prélude à la discussion des amendements sur l’article 1er. Rassuré par le fait que, conformément au principe de précaution, qui est constitutionnel, nous avons pris dans l’article 1er A des précautions afin de préserver la proximité.

Et c’est dans ce souci de préservation de la proximité que j’attire votre attention sur le souhait de nombreux élus de l’Est de voir émerger une grande région à l’est dont l’Alsace serait la figure de proue, de sorte que celle-ci n’apparaisse pas comme une simple zone tampon entre l’Europe allemande, l’Europe de l’Est, et Paris, mais comme le véritable pont entre l’est de l’Europe et la France.

Cette grande région Nord-Est figure déjà dans la carte adoptée par l’Assemblée nationale, et je souhaite que nous l’adoptions. Elle s’étendrait de Reims à Strasbourg, qui est une métropole et même une capitale européenne, mais aussi un phare dans l’est de la France, capable de faire de cette région Nord-Est une grande région européenne.

Nous sommes exemplaires, dans la mesure où nous sommes frontaliers de la Belgique, du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Suisse. De grâce, ne privons pas la France de cette possibilité de développer cette grande région de l’est en permettant à l’Alsace de tenter une expérimentation qui n’est peut-être pas aujourd’hui souhaitable dans le cadre de nos projets nationaux.

C’est pourquoi je vous prie, mes chers collègues, de bien réfléchir à la nécessité de faire apparaître de grandes régions ouvertes sur l’Europe, et comprises en Europe. Cela permettra d’ailleurs de protéger Strasbourg…

M. Philippe Leroy. … dans son rôle de capitale européenne. Cela confortera aussi Strasbourg dans son rôle de grande métropole régionale…

M. Philippe Leroy. … et cela confortera tous les habitants de l’est dans leurs projets, des habitants qui sont déjà rassemblés autour des infrastructures autoroutières et des chemins de fer. Ces grandes régions de l’est méritent de continuer ensemble une aventure européenne au nom de la France. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Manable, sur l’article.

M. Christian Manable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle architecture des institutions de notre République décentralisée est souhaitable, guidée qu’elle est par le souci de simplifier l’organisation de notre pays afin que celle-ci devienne plus lisible, plus compréhensible et encore plus efficace.

Cette réforme des collectivités doit résolument s’inscrire dans la modernité et porter les principes de solidarité et de proximité, encore plus indispensables sur nos territoires ruraux. Nous voulons une réforme territoriale cohérente et au service de tous, pour libérer l’intelligence et les énergies locales, permettant ainsi l’émergence de projets de développement locaux dans tous les domaines que sont l’économie et l’emploi, la vie associative ou encore les services publics de proximité.

Il nous faut donc répondre à cette question essentielle : Qui, demain, exercera ces missions de service public dans la proximité ?

Cela signifie qu’il faut rendre plus fortes nos collectivités territoriales, en clarifiant leurs compétences et les moyens de leur autonomie financière, en approfondissant la démocratie locale.

Nos intercommunalités doivent être renforcées. Je suis élu dans un département où il existe des intercommunalités de 5 000 habitants en milieu rural. Quand vous fédérez de la misère, vous générez de la misère, et vous ne remplissez pas la mission essentielle qui est le développement économique en milieu rural. (M. Jean-François Husson s’exclame.)

Nous devrons cependant être vigilants sur cette « montée en puissance » : en effet, tant sur le plan de la population concernée que du point de vue des compétences, il nous faut préserver la proximité et la cohérence de leur action.

Comme M. le Premier ministre l’a souligné hier, il faudra tenir compte de la densité de population, de la topographie et de l’accès au service public ? Tous ces éléments devront être pris en compte pour les intercommunalités.

Quant à l’échelon départemental, c’est un échelon essentiel pour les solidarités sociales et territoriales de proximité, surtout en milieu rural, et pour tenir compte de la taille des futures grandes régions. Les départements restent pertinents, en particulier entre des régions agrandies et des intercommunalités renforcées.

Je voudrais maintenant en venir à un problème de découpage local.

Une première proposition faite pour le périmètre de notre région Picardie a été abandonnée au profit d’une proposition qui me paraît plus cohérente sur les plans historique, culturel, linguistique, économique et écologique.

La fusion du Nord–Pas-de-Calais et de la Picardie s’inscrit dans ces logiques. Il y a dans ce rapprochement une véritable cohérence. La langue picarde illustre parfaitement cette identité commune : elle est parlée par plus de 500 000 personnes sur un vaste territoire qui comprend nos cinq départements et la province de Hainaut en Wallonie. D’ailleurs, le « chtimi » n’est que la déclinaison du picard dans le Nord–Pas-de-Calais.

Notre patrimoine commun dépasse largement ces considérations linguistiques. J’illustre d’ailleurs ce destin commun en présidant le parc naturel des estuaires picards et de la mer d’Opale. C’est une raison supplémentaire d’unir nos régions, car la question de la protection du littoral, notamment des zones côtières basses, dans la perspective du réchauffement climatique et du rehaussement du niveau marin, doit se traiter chez nous à un échelon conjoint suprarégional.

Le sujet des infrastructures et de l’aménagement du territoire plaide également pour ce rapprochement, qu’il s’agisse des questions ferroviaires – liaisons classiques ou à grande vitesse –, de l’autoroute A1, comme, demain, du canal à grand gabarit Seine-Nord Europe, qui réunira nos territoires de la Picardie et du Nord–Pas-de-Calais.

Cette région Picardie–Nord-Pas-de-Calais atteint la taille européenne adéquate en termes d’aménagement du territoire et de développement économique. En effet, avec la fusion, c’est une région de 6 millions d’habitants, avec un produit intérieur brut de 149 milliards d’euros, que nous allons créer, soit la quatrième des nouvelles régions, avec cinq départements, 137 EPCI, 3 836 communes et le troisième budget derrière l’Île-de-France et Rhône-Alpes–Auvergne. Si notre passé industriel nous réunit déjà, avec une histoire commune forte sur le textile, l’automobile ou l’agroalimentaire, notre avenir commun est déjà une réalité : le pôle de compétitivité mondial autour d’I-Trans ou la troisième révolution industrielle avec les éco-activités et la transition énergétique témoignent de ce destin commun.

Pour stabiliser cet ensemble, il nous faut effectivement un peu de temps et de travail, notamment autour de notre organisation administrative et dans l’équilibre de nos territoires. La place et le rôle de l’agglomération d’Amiens, actuelle capitale de la Picardie, doit être renforcée, en écho avec la métropole lilloise.

En outre, cette réforme territoriale doit s’accompagner d’une indispensable réforme de la place de l’État dans nos régions et nos départements. Il s’agit de mettre fin aux doublons entre services de l’État et services des collectivités territoriales, et ainsi peut-être dégager des moyens nouveaux. En tout cas, si l’objet de la réforme est de faire des économies, il y a là, à travers les doublons des services de l’État et des différentes collectivités territoriales, une véritable piste à suivre.

Enfin, mes chers collègues, pour illustrer cette nécessaire optimisation de nos énergies et de nos moyens, notamment à l’échelle des picards et des ch’tis, je reprendrai ce proverbe populaire picard : « Si tous chés gins i pourrottent s’arranger insann, i fodrot pon tant d’masons »… Je le traduis en français : « si tous les gens pouvaient s’arranger ensemble, il ne faudrait pas tant de maisons ! » (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le ministre, ce projet de loi qui vise à modifier les limites des régions touche au fonctionnement de la Nation. Vous estimez qu’il est au cœur de la réforme territoriale ; j’estime pour ma part que cette réforme touche au fonctionnement de la Nation. Or une réforme qui touche au fonctionnement de la Nation, c’est une réforme qui concerne à la fois l’État et les collectivités locales.

Pour ma part, je considère que ces grandes régions, qui devront gérer l’industrialisation et auront comme compétences l’université, la recherche et les grandes infrastructures, ne peuvent pas rester en l’état. On ne peut pas additionner simplement le fonctionnement actuel de deux régions pour faire une grande région.

Monsieur le ministre, pour que ces grandes régions aient un sens, pour qu’elles aient les moyens de leurs ambitions et de la mission que le Parlement va leur confier, il faudra naturellement qu’elles aient des ressources.

Il me semble, dès lors, que nous avons le devoir absolu de toucher aux institutions et d’imaginer pour ces futures régions un fonctionnement différent de celui qu’elles ont aujourd’hui.

J’imagine ainsi une grande et belle réforme, qui pourrait peut-être se traduire par une déconcentration des moyens de l’État au travers de l’impôt, et peut-être même par une déconcentration de la dette de l’État, qui pourrait être répartie dans les régions. J’imagine un certain nombre de mesures, qui feront que ces régions auront les moyens de leur politique.

Dans tous les cas, monsieur le ministre, je suis favorable aux grandes régions. Je souhaite naturellement que les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées forment une seule et unique région. Toutefois, on ne peut pas imaginer que ces grands véhicules aient de petits moteurs.

M. Gérard Longuet. C’est le fond du problème !

M. Jean-Pierre Grand. L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de définir le contour de ces régions de 4, 5 ou 6 millions d’habitants, mais de savoir ce que nous allons en faire,…

M. Gérard Longuet. Ça, c’est plus tard !

M. Jean-Pierre Grand. … quels seront les pouvoirs de ces régions d’une tout autre nature et de leurs présidents. Ces derniers auront-ils un statut protocolaire différent ? Peut-on imaginer, constitutionnellement, qu’il y ait demain un conseil des présidents de région pour harmoniser les politiques régionales, car il faut naturellement penser à l’unité de la Nation ? Voilà un vrai chantier institutionnel.

Et comme vous avez décidé d’ouvrir le chantier de la réforme, monsieur le ministre, je pensais que l’on ferait une grande réforme globale. Comme je l’ai dit, la réforme de la Nation, ce n’est pas seulement la réforme des collectivités locales, c’est aussi la réforme de l’État. Aujourd’hui, trente ans après les lois Defferre, la réflexion s’impose.

On observe des réformes qui s’enchaînent. Tout cela est brouillon et finit par paralyser le fonctionnement de nos collectivités, qui sont inquiètes, et qui ont raison de l’être.

J’observe ainsi, en Languedoc-Roussillon et dans l’Hérault en particulier, que beaucoup de projets sont retardés, alors même que nous n’avons pas aujourd’hui les moyens économiques pour ce faire. Il faudrait donc que l’État nous rassure, au moyen d’une grande et belle réforme.

Je crois, monsieur le ministre, que l’on peut toucher aux vaches sacrées. Je suis gaulliste, et je tiens aux institutions de la Ve République comme à la prunelle de mes yeux. Mais, aujourd’hui, je crois qu’une grande et belle réforme de la Nation, en lieu et place de ces réformes brouillonnes qui se superposent, serait de nature à rassurer à la fois le peuple français et les élus. Au point où nous en sommes dans le fonctionnement de la décentralisation, c’est une décision absolument incontournable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de l’examen de l’article 1er, la parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l’article.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er, qui est le cœur de ce texte, a pour objet de proposer une nouvelle carte des régions.

Il s’agit d’un projet d’envergure pour des régions plus grandes, donc moins nombreuses et théoriquement plus puissantes et, au bout du compte, génératrices d’économies à tous niveaux, quoique à ce jour nous n’ayons eu aucune étude d’impact qui tienne la route.

Cette réforme de grande ampleur devra être adaptée aux nouveaux défis auxquels nous devons faire face : mondialisation de l’économie, éducation, transport, numérique, etc.

Nous savons tous ici, en particulier depuis le rapport Raffarin-Krattinger, déjà souvent cité, qu’une telle réforme est indispensable.

La carte dont nous débattons tend à fusionner Nord–Pas-de-Calais et Picardie, mais, en réalité, je crains plutôt que nous n’assistions à l’absorption de la Picardie par Nord–Pas-de-Calais...

Il s’agit d’un mariage forcé, puisqu’il a même été dit, monsieur le ministre, par certains de vos collègues socialistes de ces deux départements : « Nous ne souhaitons pas que la région Nord–Pas-de-Calais fusionne avec la Picardie, deux régions qui connaissent de très grandes difficultés. Fusionner, en l’état, serait une aberration économique et sociale que nous condamnons. » Vous imaginez comment les Picards se sentent bien accueillis, notamment par celle que le président Gaudin appelle « la Dame du Nord » !

Quel manque total d’esprit républicain et de solidarité entre les territoires !

Pour ma part, je plaiderai pour une autre formule, mais évidemment pas pour les mauvaises raisons évoquées à l’instant. Je parle de la Picardie parce qu’il s’agit de mon territoire, mais aussi en tant que parlementaire du département de l’Aisne. Or ce département, dans sa plus grande partie, regarde plus naturellement vers la Champagne-Ardenne, grande région agricole, que vers le Nord–Pas-de-Calais, de tradition industrielle.

M. René-Paul Savary. Très bien !

M. Antoine Lefèvre. Pour une majorité des habitants de l’Aisne, les études universitaires se font à Reims et les patients se tournent vers le CHU de Reims. Même les passionnés de football vont au stade de Reims.

M. René Vandierendonck. C’est vrai !

M. Antoine Lefèvre. Et je ne parle pas de l’aspect viticole, avec l’appellation Champagne, qui ancre la plupart des territoires de l’Aisne dans cette dynamique.

M. René Vandierendonck. Effectivement !

M. Antoine Lefèvre. Deux tiers des territoires de ce département se sont d’ailleurs engagés, depuis plusieurs années, dans une politique de métropolisation autour de la ville de Reims, en créant le G10, qui rassemble les agglomérations de Laon, Soissons, Château-Thierry pour l’Aisne, Rethel, Sedan, Charleville-Mézières pour les Ardennes, et Vitry-le-François, Châlons-en-Champagne, Épernay et, bien sûr, Reims pour la Marne.

Par ailleurs, je ne crois pas trahir mes collègues des deux autres départements picards en disant que la Somme se tourne vers le Nord–Pas-de-Calais, ainsi que notre collègue Christian Manable l’a rappelé tout à l’heure – même si je tiens à lui préciser que les Axonais, dans leur grande majorité, ne sont pas des Chtimis –, cependant que l’Oise regarde plus vers l’Île-de-France.

C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de notre collègue de la Marne, René-Paul Savary, qui tend à fusionner Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine en un arc Nord-Est entre les métropoles de Paris, Lille et Strasbourg, cette dernière étant consolidée en sa position européenne par la proposition de notre commission de conserver une région spécifique Alsace.

Dès l’origine, vous n’avez pas accepté la possibilité de détacher des départements de leur région, alors qu’une telle possibilité aurait permis d’apporter des réponses concrètes, non seulement pour la Picardie, mais aussi pour d’autres départements.

Comme je crains fort que la version finale du découpage régional retenue ne soit, au bout du compte, celle que vous persistez à proposer aujourd’hui, le droit d’option, consolidé à l’article 3, revêt alors tout son sens.

Nous sommes tous d’accord, ici, pour réformer, pour gagner en modernité et en efficacité, mais nous souhaitons le faire en respectant la cohérence de chacun des territoires, cohérence qui est le gage d’une bonne acceptation de la réforme par nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. René-Paul Savary. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er dessine la nouvelle carte des régions.

Le Sénat, ou du moins sa majorité, est confronté à un dilemme : ou bien refuser ces grandes régions, parce que, contrairement aux propos du Premier ministre hier, la seule réforme qui engendrait des économies et qui préservait la proximité était bien celle du conseiller territorial, ce qu’il a occulté ; ou bien accepter le principe des grandes régions, à contrecœur et, provisoirement peut-être, pour corriger les dispositions les plus absurdes imposées par le Gouvernement ou par l’Assemblée nationale.

C’est plutôt dans cette disposition d’esprit que nous sommes, et notre vote sur l’ensemble du texte dépendra des amendements qui auront été acceptés ou non.

Les cartes électorales et/ou administratives sont toujours contestables et contestées, mais admettez que, jamais, l’exercice n’aura été mené de façon aussi « gribouille » que par cette majorité présidentielle. Elle a quand même réussi le tour de force de nous imposer une carte cantonale en totale contradiction avec les cartes des SCOT et de la coopération intercommunale qui venaient pourtant d’être définies.

Mme Sophie Primas. Tout à fait !

M. François Grosdidier. Bien sûr, nous connaissons les conditions d’établissement de cette carte des grandes régions, dans la plus grande subjectivité, sur un coin de table, en un après-midi ou une matinée, sous les hauts cris ou les coups de gueule des plus en cour, comme Mme Royal ou M. Le Drian, ou contre ceux qui étaient tombés en disgrâce, comme M. Ayrault.

La position n’était pas tenable, tant et si bien qu’elle a cédé devant des rapports de forces, mais elle n’a jamais été revue dans une cohérence globale. Je le répète, il aurait été infiniment souhaitable de laisser la parole aux territoires, aux départements et aux régions. Je pense particulièrement à certains départements qui peuvent aujourd’hui se retrouver totalement excentrés dans une grande région par rapport à leur situation actuelle. Le Gouvernement aurait été bien inspiré de s’inspirer des méthodes adoptées pour la coopération intercommunale pour redéfinir cette carte régionale.

Monsieur le président Hyest, monsieur le rapporteur, quelle que soit la qualité du travail réalisé par la commission spéciale, je ne peux me satisfaire de la correction autorisant, par exemple, l’Alsace à continuer à vivre sa vie seule en mettant en œuvre un processus, certes souhaitable, mais pour toutes les régions, inverse de celui qui a été retenu pour ses voisines et presque toutes les autres régions de France.

J’ai écouté attentivement les arguments, et, à mon sens, ce qui vaut pour l’Alsace vaut pour la Lorraine et pour bien d’autres régions : c’est le choix de l’approfondissement plutôt que de l’élargissement. À cet égard, nous pourrions faire un parallèle entre cette réforme territoriale et la construction européenne au cours de ces dernières décennies, les deux péchant par les mêmes défauts, c’est-à-dire qu’elles tendent à privilégier le choix de l’élargissement plutôt que celui de l’approfondissement et qu’elles s’inscrivent à l’inverse même du principe de subsidiarité.

Il a souvent été donné dans le débat l’exemple des régions européennes ou des Länder allemands, que je connais bien pour en être le voisin. En l’occurrence, le problème n’est pas tant la taille du territoire ni même l’importance de la population que l’étendue des compétences et des budgets. Je ne prendrai pas l’exemple du Luxembourg, limitrophe de la Moselle, s’agissant d’un État souverain présentant des caractéristiques économiques exceptionnelles, mais celui de la Sarre : ce Land, qui compte moins de 1 million d’habitants, est donc moins peuplé que la Moselle, mais, en bénéficiant des compétences et budgets réunis du département, de la région et d’une partie de l’État central, il dispose de leviers d’action publique infiniment supérieurs à ceux de mon département. C’est de cet exemple-là que nous aurions dû nous inspirer.

Les grandes régions que vous appelez de vos vœux n’ont de sens que pour gérer l’université à la place de l’État ou pour avoir la pleine et entière responsabilité du domaine économique et social, mais certainement pas pour s’occuper des collèges à la place des départements. Or nous savons que c’est ce que vous préparez, monsieur le ministre.

Mais si nous voulons que les compétences et les moyens correspondent bien à l’échelle des régions, il faut qu’elles soient toutes à la même échelle, soit l’actuelle, soit une supérieure : Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, Picardie avec Nord–Pas-de-Calais, Bretagne avec Pays de la Loire, et, bien sûr, Alsace avec Lorraine et Champagne-Ardenne.

Tous les arguments que j’ai entendus afin de justifier le choix des Alsaciens pour l’approfondissement plutôt que pour l’élargissement, au nom de principes généraux mais aussi de spécificités, notamment son identité et son caractère frontalier, valent tout autant pour la Lorraine.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. J’ai presque fini, monsieur le président. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Si l’Alsace a deux frontières, la Lorraine en à trois, et c’est l’économie transfrontalière qui la fait survivre après l’effondrement de la sidérurgie et du charbon. Je ne dis pas qu’il faut la même solution partout, mais je pense qu’il faut les mêmes possibilités pour toutes les régions et pour tous les départements. (M. Michel Delebarre frappe sur son pupitre en signe d’impatience.)

M. le président. Concluez, monsieur Grosdidier.

M. François Grosdidier. Je conclus, monsieur le président. C’est à la condition minimale d’un traitement égal des régions que nous pourrions voter ce texte. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.)

À cette condition et à elle seule, nous pourrions plus tard permettre, par d’autres textes sur les compétences, sur les moyens et même sur les départements, poser les actes d’une réforme qui pourrait enfin avoir un sens et un intérêt.

Mais si nous imposons des fusions à des régions plus grandes que celles qui pourraient rester seules (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.),…

M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. … cette réforme restera incohérente et irrationnelle, quelles que soient les futures lois.

M. le président. Je demande à chacun de respecter le temps de parole imparti, faute de quoi tout le monde ne pourra pas s’exprimer.

La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au plat de résistance de ce fameux texte de réforme des collectivités territoriales. Mais il s’agit d’un plat indigeste, car, même si l’on peut discuter de telle ou telle stratégie, les règles de base n’ont pas été respectées pour mettre en place une telle réforme.

Prenons l’exemple de deux entreprises qui souhaitent se rapprocher : elles vont commencer à réfléchir pour savoir si ce rapprochement peut leur apporter une clientèle supplémentaire, réduire leurs charges de structures, leurs charges opérationnelles. Elles vont prendre des mois et des mois pour étudier cette possibilité.

Or, en l’occurrence, cette première règle de base n’a pas été respectée, et nous assistons, depuis un certain nombre de mois, à une réforme au coup par coup : un jour, on supprime les conseillers territoriaux ; quelques mois après, on met en place des nouveaux cantons découpés soi-disant pour renforcer les départements et instaurer la parité – entre parenthèses, ces nouvelles circonscriptions cantonales ont été découpées avec un logiciel non pas économique et logique, mais électoral ; encore quelques mois après, les départements sont supprimés ; quelques mois plus tard, une nouvelle carte régionale est rapidement dessinée – M. le ministre s’est félicité au moins à quatre reprises de cette rapidité. Pour ma part, je ne suis pas content, car c’est justement allé trop vite. (M. René-Paul Savary sourit.)

Une réforme d’une telle ampleur, qui engage l’avenir de notre pays, doit respecter les règles non seulement de la logique, mais également de la lenteur.

M. Daniel Dubois. Vous avez raison !

M. Michel Raison. Plus de deux siècles après la mise en place des cantons, nous aurions au moins pu prendre quelques semaines pour débattre d’un dossier aussi important !

Venons-en au dossier qui m’intéresse, celui de la Franche-Comté… (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.) On nous propose une fusion avec la Bourgogne. Dieu sait si j’adore la Bourgogne : elle produit un des vins les meilleurs au monde, comme quelques autres régions…

M. René-Paul Savary. La Champagne !

M. Michel Raison. J’adore les Bourguignons et j’adore ma Franche-Comté, mais figurez-vous que mes voisins du Territoire de Belfort, comme les habitants du nord de la Haute-Saône, sont reliés avec la Lorraine et l’Alsace par des routes à 2x2 voies et par une ligne de chemin de fer qui part de Belfort, passe par Épinal et va jusqu’à Nancy, en desservant ma belle ville de Luxeuil-les-Bains. Nous sommes donc reliés par la route et le chemin de fer à la Lorraine et à l’Alsace, mais je n’entrerai pas dans le débat qui occupe les Lorrains et les Alsaciens, ils savent le mener mieux que moi.

Vous comprendrez donc qu’un territoire déjà en difficulté, comme celui du nord de la Franche-Comté, lorsqu’il se voit rattaché à d’autres avec lesquels il n’entretient aucun lien économique – il existe bien sûr des liens sentimentaux, comme nous en entretenons avec des amis d’autres régions –, ne peut pas accepter une fusion aussi absurde qui, non seulement, ne lui apportera rien, mais le fera mourir !

On aurait pu l’éviter, si on en avait pris le temps et si on avait choisi de faire une réforme sans doute un peu plus complexe – parce que la Franche-Comté n’est pas la seule concernée par un rapprochement avec des parties d’autres régions. Personne ne connaît la Haute-Saône…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Mais si !

M. Michel Raison. Quelques-uns seulement…

On aurait pu découper un morceau de Haute-Saône pour le relier à un autre département, les Vosges, par exemple. (M. Jackie Pierre applaudit.) Oui, nous aurions pu faire affaire ensemble, cher collègue, puisque nous sommes voisins dans l’hémicycle.