M. Michel Raison. Je vous assure que la barrière administrative qui existe entre les Vosges et la Haute-Saône empêche, aujourd’hui déjà, un certain développement. Avec cette réforme, la situation sera non seulement aggravée, mais ridicule !

Autre remarque : la fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté sera-t-elle source d’économies ? J’adore notre présidente de région, j’ai beaucoup d’estime pour elle : elle est venue à Vesoul expliquer la fusion. Aucun de ses arguments n’a pu me convaincre du bien-fondé de cette fusion ! Nous ne savons pas quel type d’économies pourrait en résulter ni quel type de développement futur serait envisageable. Nous savons simplement que nous aurons des charges supplémentaires – les promoteurs de la réforme le reconnaissent eux-mêmes –, mais nous ne savons pas du tout à quelle fin.

Lorsque je ne suis pas en mesure d’expliquer à mes concitoyens pourquoi on engage une réforme, je ne peux pas la voter. Vous comprendrez donc que je vote contre l’article 1er. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l’article.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une première lecture en juillet dernier par notre assemblée, il est manifeste que beaucoup de questions et d’inquiétudes soulevées par ce projet de loi consacré à la carte régionale et au calendrier électoral de 2015 demeurent.

Amendée par la commission spéciale de notre assemblée – il faut en féliciter ses membres qui se sont particulièrement investis ces dernières semaines –, la quatrième mouture de la carte est un peu plus satisfaisante, avec ces quinze nouvelles régions redessinées.

Notre mission consiste à représenter les collectivités territoriales, et donc celles du territoire dont nous sommes issus, mais aussi à adopter une vision nationale cohérente au service de l’intérêt général. Aussi, en dépit d’un certain nombre de réserves, notamment sur la méthode employée, je voterai cet article 1er, parce qu’il présente, selon moi, un dispositif plus équilibré, mais surtout parce qu’il entérine la réunification de la Normandie.

Au demeurant, on en conviendra, la méthode employée par le Gouvernement, qui continue à saucissonner en textes successifs le projet d’une réforme territoriale qu’il faudrait pourtant appréhender globalement, ne facilite pas notre appréciation de la situation. Après de nombreux atermoiements et retours en arrière, rarement une réforme aura été tant attendue et finalement construite dans une véritable précipitation.

Nous revenons de loin : la carte régionale du Gouvernement aura ainsi été dessinée dans le huis clos de l’Élysée, le 2 juin dernier, beaucoup l’ont rappelé ces derniers jours. Pas de concertation, aucune discussion sérieuse, aucun fondement rationnel pour cette carte, modifiée jusqu’à la dernière seconde précédant le bouclage des quotidiens régionaux ! Monsieur le ministre, on ne peut commencer à construire une maison en commençant par le toit.

La réorganisation des collectivités territoriales doit avoir un préalable, je le dis à mon tour après de nombreux collègues : la réflexion sur le rôle de l’État et la redéfinition de ses missions ainsi que celles qui relèvent des collectivités territoriales. Ensuite devrait venir une réflexion sur les compétences et leur logique de répartition, et non pas seulement sur la délimitation du périmètre des collectivités territoriales, notamment celle qui s’annonce, hélas, pour les intercommunalités auxquelles vous voulez appliquer dogmatiquement un seuil minimal de 20 000 habitants.

Cette réorganisation doit également prendre en compte les populations, les logiques de bassin de vie, le fonctionnement des entreprises et des acteurs économiques pour atteindre un maximum de complémentarité, de cohérence et d’efficacité. Bref, la méthode doit être tout le contraire de celle qui a présidé au redécoupage souvent aberrant des cantons pour les futures élections départementales.

Enfin, point fondamental, les élus locaux doivent être acteurs de la stratégie de développement de leur territoire, qu’ils connaissent particulièrement bien. C’est pourquoi ils doivent enfin être entendus.

Cela dit, en tant que sénatrice de la Seine-Maritime et ancienne conseillère régionale de Haute-Normandie jusqu’en mars dernier, également militante, depuis plus de dix ans, au sein de l’Association pour la réunification de la Normandie présidée par Hervé Morin, je me réjouis aujourd’hui de la création, ou plutôt de la recréation, de cette collectivité normande unique. Rappelons-le : pour le coup, il ne s’agit pas d’une nouvelle région, mais d’un juste retour à une entité culturelle et historique artificiellement scindée au début des années 1950.

Cette réunification de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie est pertinente, elle peut s’appuyer sur des coopérations préexistantes multiples, entre acteurs économiques, associatifs et institutionnels. Elle peut aussi s’appuyer sur des axes forts, tels que les ressources et les compétences en matière d’énergie, l’excellence logistique et portuaire, la valorisation de l’eau et du littoral ou encore le potentiel touristique et culturel.

J’ai fait deux campagnes pour les élections régionales sur ce thème de la réunification de la Normandie ; je l’ai toujours défendu avec Hervé Morin, puis avec Bruno Le Maire. Jusqu’à une date récente, ce sujet a, hélas, toujours suscité l’indifférence, voire le mépris, de la majorité socialiste de Haute-Normandie, qui est allée jusqu’à refuser d’en débattre !

Cette situation n’est pas étonnante puisque, antérieurement, lors du débat parlementaire de 2010 relatif à la réforme territoriale, les amendements que j’avais défendus avec mon collègue Hervé Maurey, tendant à faciliter l’organisation de débats dans les conseils régionaux au sujet des fusions de région, n’avaient pas recueilli le soutien de nos collègues socialistes hauts normands. Ils auront donc beau jeu de se targuer du très probable aboutissement de l’idée de la réunification de la Normandie, alors qu’elle leur est imposée par le Gouvernement, là où elle aurait pu être envisagée et donc préparée depuis bien longtemps localement, s’ils n’en avaient pas fait une prosaïque question de lutte partisane.

Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée, monsieur le ministre, pour appeler solennellement mes collègues à mettre leurs actes en cohérence avec leurs propos, afin que le chantier de la réunification s’ouvre enfin, dans l’intérêt des Normandes et des Normands. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur de nombreuses travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est proposé au Sénat d’adopter cet article qui modifie sensiblement celui qui a été voté par les élus du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

M. François Marc. Pas seulement !

Mme Fabienne Keller. Vous ne serez pas surpris si je vous parle de l’Alsace.

En effet, l’article proposé permet de ne pas mettre à mal le projet de création d’une collectivité unique sur lequel les Alsaciens travaillent sans relâche depuis maintenant plusieurs années. Ce projet a mûri dans les esprits et dans son contenu.

Cette approche vise à fusionner les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec le conseil régional d’Alsace. Elle a recueilli le soutien de plus de 90 % des élus des trois collectivités et plus de 58 % des voix des Alsaciens lors d’un référendum organisé en mai 2013, même si, malheureusement, le seuil de participation n’a pas été atteint.

Le 11 octobre dernier, plus de 12 000 personnes, alsaciennes depuis longtemps ou depuis plus récemment, se sont réunies pour appuyer l’idée d’une collectivité unique d’Alsace.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous dans cette assemblée comme il est paradoxalement bien complexe de simplifier notre organisation territoriale, comme il est difficile de prendre des initiatives et de faire avancer des idées nouvelles.

Notre région a avancé dans sa démarche, malgré les obstacles, sur la voie de ce projet de fusion des collectivités locales. Nous souhaitons que le travail engagé depuis plusieurs années ne soit pas rayé d’un trait de plume.

Élus du Sénat, nous ne craignons pas les territoires, nous les accompagnons. Si l’Assemblée nationale nous a transmis un travail prenant en compte des considérations plus « politiques », je souhaite aujourd’hui que le Sénat fasse preuve de cette hauteur de vue et de cette indépendance qui lui permet aujourd’hui de défendre une carte des régions plus pragmatique, une carte de France qui saura reconnaître l’intérêt supérieur de notre pays, sans pour autant que nous restions sourds à la voix des territoires.

C’est ainsi que je vous propose, mes chers collègues, de voter en faveur de la carte des régions telle qu’elle a été envisagée lors de la réunion de la commission spéciale du mardi 21 octobre, comme je vous propose d’adopter ce texte dans la philosophie qui ressort des travaux de cette commission.

Enfin, une dernière raison me semble importante. Beaucoup d’entre nous ont récemment fait campagne et ont parfois entendu les électeurs douter du rôle et du sens du Sénat. Eh bien, mes chers collègues, cette carte des régions, très médiatisée depuis une semaine, est désormais considérée par les Français comme « la carte du Sénat ».

Cette carte, comme le texte dans son ensemble, prouvera notre indépendance, notre plus-value. Elle démontrera que nous pouvons avoir un autre regard sur les territoires que celui que voudrait nous imposer le Gouvernement – le Premier ministre l’a dit avec brutalité hier – ou le groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Oui, cette carte donne du sens à notre action et à notre engagement, mes chers collègues, et c’est pourquoi je vous propose de l’adopter ! (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l’article.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà beaucoup argumenté sur notre rejet de cet article 1er au cours de la discussion générale et lors de l’examen de la motion de procédure que nous avons déposée. Nous le ferons de nouveau avec notre amendement de suppression.

Un aspect cependant n’a pas encore été abordé, alors qu’il a pourtant une certaine importance. En effet, les seuls arguments avancés par ceux qui soutiennent la nécessité de regroupement des régions sont en fait des subterfuges qui masquent mal l’objectif, à terme, d’un changement de régime.

Le premier argument avancé a été, et est toujours, celui de la réduction des dépenses, réalisée si possible sans douleur et mécaniquement, du fait même de ces regroupements.

Tout d’abord, si tel était réellement l’objectif visé, pourquoi alors laisser certaines régions telles qu’elles sont actuellement, sans les regrouper ?

Soyons sérieux : tous les instituts ou organismes d’analyse, y compris les agences de notation, ont dit, au contraire, que ces regroupements conduiront d’abord, dans un premier temps, à une hausse certaine des dépenses et que les économies futures n’étaient pas assurées. Dans le contexte de crise très grave que le pays vit et dont la population souffre, le risque est très lourd.

Certes, monsieur le ministre, vous affirmez qu’il est toujours possible d’économiser 10 % de la dépense, en oubliant de dire que, pour ce faire, les politiques publiques doivent être rognées, c’est-à-dire les services à la population ou bien les investissements, à coup sûr. C’est un leurre de laisser croire que l’on peut faire plus avec moins. Chaque citoyen, gestionnaire de son budget familial, le sait bien : quand les rentrées diminuent, il faut réduire les dépenses. Or c’est ce qui va se passer avec la baisse amorcée des dotations, baisse continue et renforcée année après année. Les collectivités locales vont vivre une période dramatique, hélas !

Ainsi, ce double phénomène de regroupements entraînant des dépenses supplémentaires et de baisse des dotations va obligatoirement contraindre les régions à réduire leurs actions dans les domaines de compétences qui sont aujourd’hui les leurs mais aussi de celles dont elles vont hériter avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit projet de loi NOTRe, que nous examinerons plus tard.

L’autre argument, très fragile et incertain, laisse entendre qu’il suffirait de faire grandir les régions actuelles pour les rendre plus fortes et plus attractives. En quoi un territoire élargi renforce-t-il sa valeur ? En quoi deux territoires désertifiés ou en souffrance vont-ils se densifier du fait de leur agrandissement ou de leur fusion ? En quoi ce qui nous est présenté comme regroupement régional va-t-il transformer l’attractivité de leur territoire ? Tout est ici proclamé mais rien n’est démontré, rien n’est évalué, d’autant que le périmètre des compétences n’est pas défini.

Enfin, qu’il me soit permis une remarque. Bon nombre d’organismes publics et parapublics sont organisés par région. Que deviendront-ils dans les régions redécoupées ? Devront-ils eux aussi revoir leur organisation territoriale ? Rien n’est précisé à ce propos dans ce texte et, pourtant, cette question va obligatoirement se poser. (M. Joël Labbé applaudit.)

Mme Cécile Cukierman. C’est la solidarité bretonne ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai envie de vous faire entendre une autre voix de l’Alsace, celle de l’Alsace qui croit dans sa région dans la République.

L’Alsace doit être considérée au même titre que les autres régions de France, que les autres territoires de France au sens de l’article 1er A que nous avons tout à l’heure voté à une très large majorité. Cet article définit le rôle de nos communes, le rôle de nos départements, le rôle de nos régions. Il revient à celles-ci d’assurer, dans l’Europe construite avec de grandes unités régionales, l’aménagement du territoire et le développement économique qui ne vont pas l’un sans l’autre.

Et la question est effectivement posée de tout temps de savoir quel est le niveau de ces régions. Les régions doivent-elles atteindre une certaine taille ou peut-on conserver de petites régions ? Pour l’entendre souvent dire, je sais qu’en Allemagne il y a des petites régions. L’histoire de l’Allemagne est ainsi faite que certaines villes, comme Brême ou Hambourg, sont des Länder. (Mme Éliane Giraud opine.) L’histoire de l’Allemagne, qui nous est si proche et qui vous inspire souvent, mes chers collègues alsaciens, nous apprend que le Bade et le Wurtemberg n’étaient pas des amis et des alliés. Cela ne les a pas empêchés de fusionner et d’avoir un développement économique exceptionnel, que nous envions tous les jours, nous, de l’autre côté de la frontière.

Dans le projet du Gouvernement, l’Alsace avait pour objectif de s’allier avec la Lorraine. Cette alliance était prévue par nos deux présidents de région, Jean-Pierre Masseret et Philippe Richert, qui avaient cette vision. Philippe Richert, qui avait, dix-huit mois auparavant, porté l’idée du conseil unique, avait bien conscience que, dans la perspective de ces régions nouvelles, il y avait du sens à faire une région qui soit l’Alsace-Lorraine.

Ah, comme j’ai aimé, monsieur le ministre, le premier projet du Gouvernement ! Et comme j’ai regretté, mes chers collègues, que vous ayez à l’époque, pour ceux qui siégeaient déjà, balayé l’article 1er sans avoir fait ce travail sénatorial qui eût été si utile et qui aurait peut-être évité que l’Assemblée nationale ne permette pas de voir se créer cette région Alsace-Lorraine.

Ce jour-là, je pense qu’un rendez-vous a été manqué pour cette région, comme pour d’autres régions, d’ailleurs. Des négociations préalables avaient eu lieu. Ensuite, une négociation a été menée avec des groupes divers, parce que certains de vos collègues, sur vos travées, sont aujourd’hui eux aussi convaincus que la très grande région est préférable. Et nous avons entendu Gérard Longuet s’exprimer aujourd’hui. Et nous avons entendu François Baroin aller dans ce sens de la grande région qui aurait une dimension européenne.

Mes chers collègues, je pense que l’eurorégion, c’est effectivement l’Alsace-Lorraine. Arrêtez avec le conseil unique ! Il n’a pas été souhaité par les Alsaciens !

M. André Reichardt. Cinquante-huit pour cent !

M. Jacques Bigot. Le conseil unique, c’est d’abord le rassemblement de deux départements ! Vous parlez régulièrement à cette tribune de 58 % des Alsaciens. C’est oublier, madame Troendlé, que, pour faire l’alliance de deux départements, il faut l’accord des habitants de ces deux départements ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Et dans votre département du Haut-Rhin, il y a eu un vote négatif ! Je me souviens encore, le soir du référendum du 13 avril 2013, du sourire hilare du président du conseil général du Haut-Rhin, qui était finalement ravi de cette situation !

Rien ne nous empêchera, mes chers collègues, si nous le souhaitons, de faire effectivement l’alliance des deux départements…

M. André Reichardt. Ce n’est pas la loi !

M. Jacques Bigot. … et de travailler avec la métropole strasbourgeoise, avec le pôle métropolitain Strasbourg-Mulhouse, que j’ai créé avec Jean-Marie Bockel. C’est cela le sens de l’histoire ! Et c’est le sens de l’histoire, demain ! Car la stratégie que vous avez choisie, c’est de jouer le remake du conseil unique, qui ne pourra pas se faire en l’état de notre loi. Vous le savez, je vous l’avais dit, juridiquement, pour des raisons d’entonnoir. (M. André Reichardt s’exclame.) Si nous ne votons pas ici l’Alsace-Lorraine, l’Assemblée nationale nous offrira la grande région.

Ce n’est pas nécessairement désespérant mais vous savez que tel n’est pas mon souhait. J’aurais préféré que vous ayez la clarté que Philippe Richert a eue avec Jean-Pierre Masseret et que nous soyons derrière nos présidents de région. Je regrette que nous ne le soyons pas, mais il y a encore un espoir : tout à l’heure, lors de la discussion des amendements.

Pour ma part, je ne voterai pas l’amendement du Gouvernement, mais je vous invite à voter l’amendement sur l’Alsace-Lorraine parce que c’est notre seul espoir d’avoir la possibilité de voir se construire une Alsace avec une vraie région. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.

M. André Reichardt. Avec cet article 1er, après la discussion générale et l’examen des deux motions de procédure, nous voici entrés dans le dur ! Après la suppression de ce même article en première lecture, la commission spéciale nous propose désormais une nouvelle carte des grandes régions et entre dans le débat auquel nous convie le Gouvernement.

Que faut-il en penser ? D’abord, – puisqu’il n’y a pas lieu de se faire d’illusion sur la position qui sera prise à cet égard par l’Assemblée nationale – il faut en penser que c’est certainement le dernier moment, et j’insiste sur ce point, pour dire ici, au Sénat, ce que l’on pense de ce grand fantasme technocratique du gouvernement actuel.

Certes, l’histoire de la régionalisation française compte des dizaines de propositions de redécoupage depuis la seconde moitié du XIXe siècle. La DATAR, en particulier, vous vous en souvenez, a toujours excellé dans ce que l’on peut appeler ce « grand rêve de l’optimum dimensionnel ». Cependant, passer de vingt-deux régions métropolitaines à treize, voire, peut-être, quatorze, comme c’est proposé, est-ce que cela a bien un sens institutionnel ?

Y a-t-il un réel intérêt à revenir sur une organisation géographique et institutionnelle régionale riche de quarante ans d’expériences et de pratiques politiques et culturelles en se contentant de penser que le renforcement indispensable du pouvoir régional passe obligatoirement par la diminution du nombre des entités régionales et par l’augmentation corrélative de leur dimension géographique ? Pour moi, la réponse est non.

On nous dit qu’il s’agit de faire de ces nouvelles régions des collectivités qui vont compter à l’échelle européenne et que celles-ci sont devenues indispensables à l’échelle de la mondialisation économique.

Or les régions européennes qui comptent ne sont pas toujours les plus grandes ni les plus peuplées, mais bien celles qui disposent d’une capacité politique et financière suffisante pour faire face aux enjeux économiques et sociaux sur leur territoire. Vous le savez bien, la superficie moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder allemands. En revanche, ces derniers, s’ils sont plus peuplés, disposent surtout d’un portefeuille de compétences bien plus large et de ressources financières correspondantes.

Dès lors, la France, avec ses 66 millions d’habitants, doit-elle absolument s’engager à diviser par deux le nombre de ses régions ? Cela constituerait une nouvelle exception européenne dont le gouvernement actuel s’enorgueillit régulièrement !

D’ailleurs, quel État européen, fédéral par création ou par transformation, régionalisé par restructuration, a-t-il procédé de même ? Aucun ! Quel autre État européen a-t-il décidé de procéder de manière autoritaire à des fusions obligatoires de ses territoires régionaux ? Aucun !

En procédant de la sorte à des mariages forcés, ne risque-t-on pas simplement de dégoûter les mariés du mariage, en l’occurrence de la régionalisation ? Encore que, au temps du mariage pour tous, on n’en est pas à cela près ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)

Il est illusoire de penser que c’est la collectivité territoriale et économique qui crée, comme par enchantement, un esprit régional. Pour moi, la régionalisation n’a de sens que si elle développe et suscite la participation de la population à la vie et à l’activité régionales. On ne participe que dans des institutions à sa mesure.

Cela étant dit, et puisque nous sommes en deuxième lecture, il est heureux que, devant l’aveuglement et l’intransigeance du Gouvernement, la commission spéciale nous ait proposé le texte tel qu’il est, que je considère comme un équilibre s’agissant des dispositions relatives à la délimitation des régions.

Après l’article 1er A, que nous venons d’adopter et qui réaffirme la vocation de chaque territoire, je soutiendrai son article 1er en ce qu’il crée une carte des régions plus cohérente avec la réalité territoriale et la volonté manifestée par les élus locaux et, surtout, pour le Grand Est, dissocie l’Alsace des régions Lorraine et Champagne-Ardenne.

Voilà plusieurs années que nous travaillons, Mme Fabienne Keller l’a dit, en faveur de la création d’une collectivité territoriale unique en Alsace, fusionnant les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec le conseil régional d’Alsace. En supprimant un niveau de collectivité, cette réforme viendrait ainsi simplifier l’organisation administrative et politique tout en permettant de faire des économies dans une région dont la taille mais aussi l’identité le justifient.

Il ne s’agit pas pour nous de se détourner de la République, pas plus que cette position n’est dirigée contre la Lorraine ou contre la Champagne-Ardenne, leurs collectivités, leurs élus ou leurs habitants. Toutefois, les Alsaciens, de façon plus générale, ont fait connaître leur scepticisme relatif à la création d’une grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne qui ferait deux fois la taille de la Belgique, aux orientations économiques très différentes, qu’on le veuille ou non, sans que les moyens et les compétences soient à la hauteur des défis posés.

Cette position s’inscrit parfaitement dans les objectifs du projet de loi, qui est fondé sur la nécessité d’améliorer la gouvernance territoriale, ainsi que l’efficacité et l’efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à soutenir le texte de notre commission spéciale et à voter pour le maintien de son article 1er. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, si je m’adresse une nouvelle fois à vous, c’est pour tenter d’avoir un certain nombre de réponses que je n’ai toujours pas obtenues.

En effet, depuis le début de la discussion de ce texte – que ce soit en juillet ou aujourd’hui – nous n’avons pas obtenu d’explication précise – en tout cas, nous ne connaissons pas la motivation – par rapport à ce qui a présidé à l’élaboration de la carte voulue par le Gouvernement.

M. André Reichardt. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Nous n’avons, je le répète, obtenu aucune explication sérieuse.

Nous avions dit, au mois de juillet, que l’étude d’impact était indigente, que ce découpage était le fait du prince, qu’il s’agissait en fait de découper des régions – d’autres l’ont dit avant moi – en fonction du poids plus ou moins important de tel ou tel élu.

J’en ai d’ailleurs encore apporté la preuve hier en parlant de l’évolution de la carte relative au Limousin.

M. Jacques Mézard. En effet, à l’origine, le texte initial du Gouvernement plaçait le Limousin plutôt au Centre. Puis, sur la base des réactions d’un certain nombre d’élus du Limousin – peu nombreux, d’ailleurs –, du maire de Tulle, en particulier, il y a eu un changement total pour raccrocher le Limousin à l’Aquitaine.

Qu’on ne me dise pas aujourd’hui que ce changement est la conséquence de modifications dans les équilibres économiques, dans les flux économiques et démographiques ! C’est la stricte application de la volonté de quelques élus !

Voilà la réalité de ce découpage ! Dire autre chose ne correspond pas à la réalité. Ce que nous souhaitions et ce qui était initié à l’origine par le rapport Raffarin-Krattinger, qui proposait huit à dix grandes régions, c’était un découpage sur la base de grands équilibres, de grands bassins de vie, de flux économiques, de flux démographiques. Cela avait un sens.

M. Jacques Mézard. Les modifications de carte que l’on nous propose aujourd’hui ne sont pas le fruit d’une véritable étude, mais de l’exercice, plus ou moins fort, de pouvoirs par les uns ou par les autres.

Lorsque notre commission spéciale a auditionné, en juin dernier, les représentants des présidents de région – ils étaient quatre ou cinq autour du président Alain Rousset –, le mot qui revenait le plus souvent dans leur bouche, cela avait frappé nombre d’entre nous présents ce jour-là, était le mot « pouvoir ».

M. Bruno Sido. Exactement !

M. Jacques Mézard. Il fallait qu’ils exercent du « pouvoir » !

J’ai sous les yeux une interview publiée ce matin du président Martin Malvy, lequel considère, d’ailleurs, à tort, que je suis favorable à la fusion des régions Rhône-Alpes et Auvergne, et qui critique la proposition de notre commission spéciale. Lui aussi parle de « pouvoir » : il faudrait de grandes régions pour avoir plus de pouvoir... Ce ne sont pas des méthodes de découpage qui permettront de faire la France pour des décennies !

Vous nous dites que l’on va conforter la capacité d’action économique des régions. Mais comment ? Car il y a tout de même une difficulté...

Vous nous dites, comme le Premier ministre hier, qu’un certain nombre de dispositions de la loi NOTRe seront modifiées. Relisez cette loi, mes chers collègues ! Si elle était profondément changée, le projet initial n’aurait plus aucune cohérence et serait complètement déséquilibré,...