M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.

M. Michel Le Scouarnec. Pour simplifier la vie des entreprises, la majorité des membres de la commission des lois est revenue sur l’une des dispositions emblématiques de la loi relative à l’économie sociale et solidaire : celle qui tend à accorder aux salariés une sorte de « priorité » en termes de reprise des activités de l’entreprise dont le dirigeant fait valoir ses droits à une retraite naturellement amplement méritée.

La loi relative à l’économie sociale et solidaire, dont il est proposé ici de supprimer une disposition clé, comporte pourtant un intéressant dispositif préventif en matière de transmission d’entreprise, qui évite précisément les traumatismes liés à une évolution plus « brutale », et notamment le rachat des parts sociales d’une société donnée par de nouveaux investisseurs. S’appuyer éventuellement sur les salariés ou les cadres d’une entreprise de moins de 250 salariés pour assurer la pérennité de la société est même, sous bien des angles de vue, une solution moderne, souple et souvent parfaitement adaptée à la situation.

Vouloir revenir sur le dispositif de la loi relative à l’économie sociale et solidaire revient au contraire, sous couvert de renforcement de la sécurité juridique des transmissions, à prendre le risque de l’insécurité du devenir économique d’une entreprise.

Dans une entreprise reprise par ses salariés, tout le monde se connaît et il n’y a pas, derrière l’entrée au capital des uns ou des autres, de visée destructrice de l’emploi, comme on l’observe par exemple dans certaines opérations ou dans certains rachats où le concurrent direct prend pied chez « l’adversaire » pour mieux l’éliminer par la suite.

Ce qui importe dans une transmission réussie, c’est le maintien de l’activité et de l’emploi. (M. Claude Dilain opine.) Ce n’est pas la protection d’un « secret des affaires » qui a rempli, depuis quelques décennies, les files d’attente de Pôle emploi de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Mes chers collègues, ne préférez pas le secret et ses conséquences à la transparence, à l’intelligence et au maintien des activités !

Nous ne pouvons que voter ces amendements tendant à la suppression de l’article 12 A.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je dois remercier Jean-Jacques Hyest, qui nous a avoué la motivation profonde de la suppression opérée par la majorité sénatoriale : il fallait que nous comprenions que la majorité sénatoriale avait changé... Merci de cet aveu !

M. Bruno Retailleau. C’est la démocratie !

M. Rémy Pointereau. C’est la vérité !

Mme Nicole Bricq. Vous avez choisi, au travers de la suppression de ce droit d’information, comme la nuit dernière à propos du compte pénibilité, de poser un marqueur bien identifié à droite (Non ! sur plusieurs travées de l’UMP.) et de nous faire comprendre que nous étions désormais minoritaires.

Je regrette, à l’instar du secrétaire d’État, que, pour ce faire, vous preniez en otage un texte qui aurait pu être voté par tous.

Mme Nicole Bricq. En effet, nous sommes tous favorables à la simplification : un mouvement est lancé – nous y reviendrons au moment des explications de vote – et les parlementaires se doivent de l’accompagner. Je fais partie, pour ma part, de ceux qui aimeraient aller plus loin et plus vite, mais j’en reparlerai à la faveur d’un amendement à l’article 29.

Le rapporteur de la commission des lois a argumenté sur le fond, nous racontant une sorte de conte de fées…

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vous qui faite un conte de fées !

Mme Nicole Bricq. … dans lequel la transmission se passe bien, et où il y a un repreneur. Or combien de fois cela ne se passe pas bien ! On le sait, nombre d’entreprises meurent ou clapotent parce qu’elles ne sont pas capables d’assurer une transmission.

Vous invoquez la confidentialité des affaires ; je reçois tout à fait cet argument. Mais, sur le fond, je n’arrive pas à comprendre que vous persistiez, en 2014, et bientôt 2015, à développer une représentation purement patrimoniale de l’entreprise. (M. Claude Dilain opine.) Sur ce problème de fond, nous divergeons. (M. Claude Dilain opine de nouveau.)

Nous considérons, pour notre part, qu’une entreprise c’est une communauté d’intérêts, avec des chefs d’entreprise qui ont des responsabilités, mais aussi des salariés qui sont capables de prendre les leurs. (M. Claude Dilain opine encore.)

Je connais beaucoup de salariés qui ont appris dans le journal que leur « boîte » était reprise. Cela se termine le plus souvent par l’intervention du préfet et l’appel à la rescousse de l’État, lequel est réduit au rôle de pompier volant, qui a du mal à atterrir lorsqu’il est trop tard.

M. Alain Joyandet. Ce n’est pas ça !

Mme Nicole Bricq. Est-ce cela que vous voulez ?

Nous avons donc une divergence de fond. Bien sûr, je reconnais le droit de propriété et le capital. Mais il faut aussi tenir compte de ceux qui travaillent dans l’entreprise, qui y prennent des responsabilités, ainsi que des organisations représentatives. Il est normal de les informer, surtout lorsque les choses risquent de mal se passer !

Il y a de belles reprises d’entreprises par les salariés, et ce n’est pas, alors, forcément le chef d’entreprise qui choisit ceux de ses salariés auxquels il transmettra l’entreprise.

Vous avez raison, une transmission, cela se prépare. Mais vous parlez des cas où tout se passe bien ! Or, souvent, les choses se passent très mal, et ce sont ces situations que vise le législateur.

Vous allez certainement demander un scrutin public, comme hier soir, pour marquer que vous êtes majoritaires. Soit ! Mais vous ne rendez service ni à la simplification de la vie des entreprises ni à notre rôle de législateur ! (M. Alain Duran applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Mme Catherine Tasca. À ce stade de la discussion, je voudrais dire, à l’instar de ma collègue Nicole Bricq, que ce retour en arrière, cette abolition d’une disposition novatrice, est une occasion manquée.

Si nous ne sommes pas collectivement capables, au XXIe siècle, de porter un autre regard sur la réalité de l’entreprise, nous verrons s’aggraver le divorce entre les détenteurs de capitaux, les propriétaires des entreprises et ceux qui – ne l’oublions pas ! – les font vivre au jour le jour.

Le texte créant ce droit à l’information représentait un tournant important dans la manière dont nous regardons la vie de l’entreprise. Celle-ci a certes des propriétaires, des investisseurs, mais elle a aussi sa force de frappe que sont ses salariés.

Nous avons, avec ce droit à l’information, l’occasion de transformer la relation entre les salariés, le chef d’entreprise et les propriétaires de l’entreprise.

Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de sitôt. Pour ma part, je regrette que la Haute Assemblée soit la première à faire une entaille dans ce que nous considérons être un véritable projet. Si l’on estime que les salariés sont, en toutes circonstances, les ennemis de l’intérêt de l’entreprise, on fait gravement fausse route.

Mme Élisabeth Lamure. Mais qui dit cela ?

Mme Catherine Tasca. La dégradation actuelle de la situation des entreprises tient beaucoup plus au contexte international et à l’attitude de certains actionnaires qu’au comportement des salariés.

Je le répète : si vous allez jusqu’au bout et si vous supprimez le droit à l’information des salariés, cela constituera un véritable retour en arrière et une occasion manquée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Joël Labbé et Yvon Collin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Permettez-moi, après notre rapporteur, d’éclairer le choix qui a été fait par la commission des lois. D’abord, c’est vrai, madame Bricq, le Sénat a changé, mais il n’est pas le seul.

M. Philippe Dominati. Le ministre a changé !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Le Gouvernement a lui aussi changé, pas seulement dans sa composition, mais aussi – du moins est-ce ce qu’il dit – dans son orientation. Nous avons en effet maintenant un Premier ministre qui proclame aimer les entreprises.

Mme Catherine Tasca. Toutes les entreprises !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous sommes naturellement prêts à le suivre s’il nous donne les preuves de cet amour, car nous attendons naturellement des preuves plus que des discours.

Je reviens au fond, car c’est lui qui est important. Il s’agit pour nous de supprimer du projet de loi une mesure que nous jugeons toxique. Elle est toxique non pas pour les patrons, mais pour les entreprises prises comme un tout, c'est-à-dire pour l’ensemble de la communauté de travail.

Madame Tasca, nous partageons bien sûr le point de vue que vous avez exposé : l’entreprise, c’est la propriété de ses actionnaires ou de son détenteur, mais c’est aussi une communauté de travail dont il faut assurer la pérennité et l’avenir. Or la question de la transmission des entreprises, en particulier de nos petites et moyennes entreprises, est cruciale pour leur avenir. Au cours des cinq années à venir, plus de 50 % de nos entreprises vont changer de mains. Il faut que le législateur ait conscience de cette réalité et que les dispositions qu’il va prendre facilitent la transmission des entreprises en vue d’assurer leur pérennité, c'est-à-dire celle l’emploi.

En 2013, sur 5 200 transmissions d’entreprises, les trois quarts, c'est-à-dire 3 900, ont été des cessions à un nouvel entrepreneur, un nouveau propriétaire ; un quart, c'est-à-dire 1 300, ont été des reprises internes. En tant que législateur, nous n’avons aucune raison de privilégier une formule plutôt qu’une autre. Nous n’allons pas adopter le postulat qu’il est meilleur qu’une entreprise soit transmise en interne plutôt que cédée à un acquéreur extérieur.

Mme Catherine Tasca. Ce n’est pas ce que nous disons !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous ne le dites pas, et je ne le dis pas non plus. Ce que je dis, c’est que la disposition que j’ai qualifiée à l’instant de toxique, qui a été introduite dans la loi Hamon à une époque où l’équilibre de la majorité gouvernementale me paraît avoir été différent de celui que le présent Gouvernement est en train de rechercher, a pour effet de mettre en péril un certain nombre de cessions.

Il faut vraiment ne pas avoir conscience des réalités de la vie des entreprises et de l’économie (M. Bruno Retailleau applaudit. – Mme Nicole Bricq s’exclame.) pour ne pas mesurer à quel point on peut compromettre une transmission en jetant prématurément sur la place publique des informations susceptibles de précariser une entreprise (M. François Commeinhes opine.) et de dissuader un acquéreur de finaliser son projet d’acquisition.

Telles sont les raisons pour lesquelles il nous semble qu’il est grand temps de mettre un terme à l’illusion que constitue cette disposition en la supprimant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Je serai bref, car Philippe Bas s’est très bien exprimé sur le sujet. Je souhaite simplement rebondir sur les propos que j’ai entendus tout à l’heure.

Chers collègues de l’opposition sénatoriale, vous devriez nous dire merci : nous vous rendons service. Vous êtes en train de modifier totalement votre discours sur les entreprises, mais vous n’êtes pas capables de le traduire en actes à la faveur de projets de loi. Je le répète : vous devriez nous remercier de vous aider à accompagner ce changement de discours !

Madame Bricq,…

Mme Nicole Bricq. On a octroyé 40 milliards d’euros aux entreprises. Ce n’est pas de l’amour, c’est de l’efficacité !

M. Dominique de Legge. Je vous ne vous parle pas d’amour, madame Bricq, je vous parle d’entreprises ! (Rires et exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Je suis un peu étonné de l’argument que vous avez employé tout à l’heure en nous disant : C’est scandaleux, vous prétextez qu’il y a eu un du changement de majorité au Sénat pour revenir sur une disposition que nous avions votée.

Souvenez-vous…

M. Dominique de Legge. … de ce qui s’est passé concernant la défiscalisation des heures supplémentaires. Cette mesure était un véritable acquis social. Vous l’avez supprimée au motif qu’il fallait envoyer des signes parce qu’un changement de majorité avait eu lieu.

M. Dominique de Legge. Soyez donc un tout petit peu cohérents, chers collègues, et considérez que l’alternance, ça existe, et que ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire.

J’ai vraiment le sentiment qu’en supprimant l’information obligatoire des salariés nous rendons service au Gouvernement et, surtout, à la France et aux entreprises. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En effet, la majorité a changé. Le ministre a très bien expliqué que, au-delà du débat de fond, qui est légitime en démocratie, il n’est pas forcément très opportun de prendre comme sujet la simplification administrative…

M. Jean-Jacques Hyest. C’est une simplification !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … pour mettre en cause les conceptions différentes de la transmission de l’entreprise.

Pour ma part, c’est sur le fond que je vais vous répondre. Vous prétendez défendre ainsi l’entreprise. Vous prétendez même, monsieur Bas, qu’il s’agit d’une mesure « toxique », au point que vous défendriez les salariés en la supprimant. Mais vous oubliez de dire que toutes les organisations syndicales représentant des salariés sont favorables à cette mesure. Ils seraient tous inconscients quant à l’avenir de leurs entreprises, quant aux conditions de la transmission de leurs entreprises ?

La CGC, qui représente les cadres, est même la plus motivée s’agissant de cette mesure. Les cadres voient en effet souvent des entreprises viables fermer alors qu’ils ont les compétences pour les reprendre, avec l’ensemble des salariés. Simplement, on ne les a pas mis en situation de faire survivre l’outil de travail et des productions de richesse dans le pays. Combien de perte de valeur s’opère-t-elle ainsi !

Vous passez votre temps à nous expliquer que l’Allemagne est un lieu de négociation, un modèle qu’il faudrait suivre. Eh bien, en Allemagne, à partir de cinq salariés, il y a une obligation systématique d’information, qui va bien au-delà de ce que nous avons mis dans le texte puisque l’obligation d’information s’applique non seulement en cas de reprise, mais aussi en cas de modification du capital !

Dans notre pays, les transmissions familiales sont exclues du dispositif.

Vous nous expliquez, chers collègues, que les bonnes transactions sont celles qui se font en secret, deux mois avant la cession ? Franchement ! Dans le monde contemporain, pensez-vous que cela soit sérieux ? (M. Rémy Pointereau s’exclame.) Nous ne demandons pas que les salariés soient au courant de toutes les clauses négociées, nous souhaitons juste qu’ils soient informés du principe de la transmission et de la reprise.

Alors oui, Mme Tasca et Mme Bricq ont raison. Il y a un débat au XXIe siècle sur ce qu’est l’entreprise.

Est-ce un lieu de production de richesse, siège de conflits d’intérêt parfois, de négociations et de compromis souvent, où le capital et le travail s’unissent pour faire avancer les capacités de production, répondre aux besoins de nos concitoyens, innover, prévoir l’avenir ? Ou est-ce simplement une valeur patrimoniale, le travail n’étant qu’une tâche rémunérée à la tâche, dans lequel les salariés n’ont aucun pouvoir et ne sont pas, comme disent les Anglo-Saxons, parties prenantes ?

Pour notre part, nous pensons que les salariés sont des parties prenantes de l’entreprise. Et pour être franche, comme je l’ai d’ailleurs souvent dit, je fais partie de celles et ceux qui ont toujours défendu la cogestion, parce que justement je considère qu’elle exprime cela. Ce n’est pas la tradition française. Mais avancer vers le droit des salariés afin de leur permettre de sauver leur entreprise, d’éviter des délocalisations et des choix parfois hiératiques, de mettre en œuvre une solution bonne pour le pays, pour l’entreprise et pour les salariés, je crois à ces dialogues-là. Il est nécessaire que les salariés soient informés.

Quant à la lettre de mission, elle n’est pas simplement une mesure de surveillance. J’ai cru comprendre que son champ était beaucoup plus large, à savoir que les conditions de transmission et de reprise s’opèrent bien.

Nous, la gauche, nous avons créé des dispositifs que vous n’avez jamais mis en œuvre, car vous n’avez jamais eu une politique de transmission et de reprise des entreprises.

Un sénateur du groupe UMP. Oh !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous avons ainsi créé les SCOP d’amorçage pour favoriser des stratégies de reprise, discuté des conditions fiscales des reprises. Ce sont des moyens et des outils diversifiés.

Alors ne nous faites pas de leçons, au motif que vous défendriez l’entreprise, car vous défendez uniquement le patrimoine, le capital, le MEDEF et les chefs d’entreprise ! J’attends d’ailleurs avec impatience le jour où vous déposerez un amendement visant à abroger l’obligation prévue par l’Organisation internationale du travail de motiver les licenciements, comme le suggère fort opportunément M. Gattaz. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Michel Le Scouarnec, Joël Labbé et Jean Desessard applaudissent également.)

Mme Nicole Bricq. Ça va venir !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Reichardt, rapporteur. Je ne suis pas persuadé qu’il soit nécessaire de tenir des discours aussi clivants sur ce thème au sein du Sénat. (M. Claude Dilain sourit.)

Mme Nicole Bricq. Vous l’avez cherché !

M. André Reichardt, rapporteur. Je me dois donc d’intervenir et d’appeler à un peu de mesure. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

Mme Catherine Tasca. Employer le mot « toxique », ce n’est pas mesuré !

M. André Reichardt, rapporteur. Je pense que personne dans cette enceinte ne peut avoir qu’une approche patrimoniale de l’entreprise. Par définition, une entreprise est une communauté d’intérêts, tout particulièrement lorsque l’on parle de petites et moyennes entreprises. L’approche capitalistique, mes chers collègues, est tout de même un peu réductrice. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

L’abrogation de l’obligation d’informer ne concerne, je le rappelle, que les entreprises de moins de 250 salariés. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame de nouveau.)

On nous explique – et j’ai déjà eu l’occasion de dire à M. Hamon ce que j’en pensais lors du vote de sa loi – que les salariés de ces entreprises doivent obligatoirement être informés deux mois avant la cession afin d’éviter qu’il n’y ait trop de radiations d’entreprises, d’entreprises qui ne sont pas reprises, car c’est préjudiciable à l’emploi.

Permettez-moi de vous poser une question de bon sens. Quel serait, mes chers collègues, l’intérêt pour un chef d’entreprise pouvant céder son entreprise de ne pas le faire ? Pourquoi refuserait-il qu’elle soit reprise ? (M. Bruno Retailleau s’exclame.)

Pour avoir été directeur général de la chambre de métiers d’Alsace, qui compte des entreprises artisanales de toutes tailles, certaines comptant entre cinquante et cent salariés (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), et qui a placé la reprise et la transmission d’entreprise au cœur de sa stratégie, je peux vous assurer que c’est un problème qui n’est pas simple.

M. Bruno Retailleau. Bien sûr !

M. André Reichardt, rapporteur. Par définition, une entreprise qui ne se cède pas est une entreprise incessible, et ce pour 36 000 raisons. Parfois, c’est simplement parce que son produit est devenu obsolète ou que l’outil de travail est trop vétuste. Parfois, c’est parce que sa situation financière est trop dégradée ou que l’entreprise est arrivée en fin de cycle. Il en va de l’entreprise comme de l’être humain : elle naît, elle grandit, elle devient adulte, puis à un moment elle perd de sa puissance et meurt.

Une sénatrice du groupe socialiste. Et alors ?

M. André Reichardt, rapporteur. Ainsi va la vie d’une entreprise. C’est aussi simple que cela. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) De nombreux aléas peuvent intervenir jour après jour et accélérer ce cycle.

Encore une fois, il n’est pas évident de céder ou de transmettre une entreprise (M. Jean Desessard s’exclame.), mais, chaque fois qu’une entreprise est cessible dans notre pays, je peux vous assurer qu’elle est cédée, et c’est faire injure aux compagnies consulaires de penser qu’elles n’accompagnent pas le processus.

À en croire Mme Lienemann, vous seriez le premier gouvernement à avoir mis en place une stratégie à cet égard.

M. André Reichardt, rapporteur. Excusez de peu, tous les gouvernements précédents, quelle que soit leur couleur politique, se sont attelés à cette question.

Madame Bricq, vous m’avez tout à l’heure accusé d’angélisme, voire d’être un « bisounours », permettez-moi de vous retourner le compliment ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Qui a dit « toxique », tout à l’heure ?

M. André Reichardt, rapporteur. Je le répète, pourquoi y aurait-il les gentils d’un côté et les méchants de l’autre ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Franchement, s’affronter sur un pareil sujet est stérile.

Nous pensons que cette obligation d’information des salariés est véritablement préjudiciable et porteuse de risques (Mme Annie Guillemot s’exclame.), et c’est pourquoi, tout simplement, nous souhaitons qu’elle soit abrogée. On peut examiner la question de manière tout à fait « impartiale », sans s’invectiver.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vous qui avez commencé en parlant d’une mesure « toxique » !

Mme Catherine Tasca et M. Claude Dilain. C’est vous !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Je me réjouis de cette discussion, même si, encore une fois, je pense qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec le texte.

En effet, plus elle se prolonge, plus elle fait apparaître le clivage qui existe entre les partisans de ce droit à l’information préalable, au nombre desquels figure le Gouvernement, et ceux qui s’y opposent.

Quand on écoute ces derniers, on perçoit très clairement, à travers leurs propos, qu’il ne s’agit pas de faire œuvre de simplification. Vous n’avez pas supprimé, hier, le compte pénibilité parce qu’il vous semblait que les conditions de mise en œuvre de ce droit étaient trop complexes…

Mme Catherine Deroche et M. Bruno Retailleau. Mais si !

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. … et vous ne supprimez pas, aujourd’hui, le droit d’information au motif, également, que ses conditions de mise en œuvre seraient trop complexes…

Mme Élisabeth Lamure. Trop risquées !

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. … ou trop risquées, vous supprimez ces droits purement et simplement – et je vous mets face à la réalité de vos décisions, sans aucune intention polémique –, sans jamais proposer, alors que vous aviez tout le loisir de le faire, de dispositifs alternatifs,…

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. … plus simples, plus appropriés, qui permettraient de maintenir ces droits. (M. Claude Dilain opine.)

Voilà pourquoi, à mes yeux, vous travaillez à supprimer et non pas à simplifier, et non seulement votre proposition n’a rien à voir avec un projet de simplification, mais elle touche aussi à un désaccord de fond qu’il faut voir dans sa réalité, malgré tous les propos enrobés dont vous vous servez.

Nous avons le droit d’être en désaccord. Vous pouvez légitimement considérer que le droit d’information préalable des salariés en cas de cession ou de transformation d’une entreprise n’a pas lieu d’être, vous pouvez légitimement considérer que les droits individuels à la pénibilité n’ont pas lieu d’être, mais, dans ce cas, vous devez assumer la réalité, la nudité, de la proposition que vous faites aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Nous soutiendrons le Gouvernement sur ce point.

Je rappelle que le Sénat a voté très majoritairement ce droit d’information préalable dans les entreprises de moins de 250 salariés. C’est une mesure qui a fait l’objet d’une discussion, certes assez âpre et longue, mais, au-delà de toute idéologie – et, du reste, les idéologies sont respectables –,…

Mme Nicole Bricq. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. … il y a des réalités de terrain, que nous vivons les uns et les autres.

M. le rapporteur a fait l’apologie des chambres de métiers et des chambres de commerce ; pour ma part, je connais des cas, dans mon département, où les chambres de métiers et de commerce s’opposent à toute évolution : les situations diffèrent donc selon les départements et selon les hommes qui gèrent les structures en question.

Cela étant rappelé, pourquoi avons-nous voulu ce droit d’information ? C’est qu’il y a des cas, certes minoritaires, mais qui existent et qu’on ne peut pas ignorer, où, malheureusement, des chefs d’entreprise se moquent totalement du sort de leurs salariés.

J’ai pu le constater encore récemment : une entreprise en plein développement, florissante, est créée dans un territoire que je connais bien, puis vendue ; six mois plus tard, elle est revendue trois fois plus cher à un entrepreneur qui demande aux salariés de le suivre ailleurs en leur proposant de meilleurs salaires. Au final, l’entreprise a été démolie localement, sans que les salariés aient jamais été tenus au courant. S’ils avaient été informés préalablement au moment de la première cession, des solutions locales auraient pu être trouvées. (M. Claude Dilain opine.)

Rien n’est tout blanc, ni tout noir, et il faut reconnaître que le comportement de certains chefs d’entreprise entraîne malheureusement des situations qui imposent de légiférer. Si des modifications ou des assouplissements peuvent être apportés à la procédure,…

Mme Catherine Tasca. Elle est déjà très encadrée !

M. Jacques Mézard. … il faut les proposer (M. Claude Dilain opine.), mais je crois que personne n’a intérêt à transformer ce débat en une opposition du type « tout est beau » d’un côté, « tout est beau » de l’autre. Encore une fois, très simplement, il y a des réalités de terrain qui s’imposent à nous.

C’est pourquoi les membres de notre groupe maintiendront le vote qu’ils avaient déjà exprimé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)