Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’expertise qu’Alain Bertrand nous présente au travers de son rapport est d’un intérêt majeur à mes yeux : elle contredit une idée reçue en affirmant que l’hyper-ruralité s’avère indispensable au développement métropolitain.

Ruralité et hyper-ruralité ne doivent pas être vues comme une fatalité. Les trois quarts de la population française vivent sur 20 % de notre territoire, quand 26 % de ce dernier accueille seulement 5,4 % de nos concitoyens. Les espaces composant cette fraction du territoire national se distinguent par des difficultés réelles : vieillissement de la population, enclavement, faibles ressources financières, manque d’équipements et de services.

La France doit se redéfinir, en s’appuyant sur sa diversité, sa force, la beauté de ses espaces, les aspirations de nos concitoyens à une vie meilleure, et combler un fossé qui n’a cessé de se creuser ces dernières années, au détriment de zones en marge de la vie urbaine et devant faire face à des inégalités territoriales majeures.

Notre pays est confronté à de grands défis : résorber le chômage, redonner une dynamique économique à nos territoires, repenser l’école et l’apprentissage, aller vers un nouveau modèle d’agriculture, répondre aux angoisses de nos concitoyens en matière d’accès au logement, de santé et d’alimentation.

Ce tableau général étant brossé, je souhaite affirmer que notre monde rural est une force pour demain. Il s’agit aujourd’hui d’amorcer des solutions à même de résorber la dualité de notre territoire.

J’axerai mon propos sur le besoin d’égalité de nos territoires ; à cet égard, l’expertise de notre collègue Alain Bertrand est essentielle : la ruralité ou l’hyper-ruralité s’avèrent indispensables au développement métropolitain, mais elles ont besoin d’engagements forts.

Je développerai ici trois axes essentiels en matière de soutien à nos territoires : l’égalité « 2.0 », l’égalité d’accès aux soins, la capacité financière et technique à agir pour répondre aux besoins de la population.

Si nous ne parvenons pas à connecter au très haut débit l’ensemble de notre territoire, c’est-à-dire chaque bourg, chaque hameau, chaque maison, chaque quartier, nous ne ferons que maintenir des territoires en respiration artificielle. En matière d’accès à la santé, à l’information, à la culture, à la connaissance, aux services publics et à l’emploi, rien ne pourra se faire sans l’internet à très haut débit pour tous !

Vous le savez, madame la ministre, la qualité des services de télécommunications constitue le troisième critère pour l’implantation des entreprises sur le territoire.

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les opérateurs privés concentrent leurs investissements sur les zones rentables, car peuplées, et ne projettent ainsi d’assurer la couverture par la fibre que pour 25 % des lignes du territoire. Sans intervention publique, un risque réel de fracture numérique existe pour les zones rurales et de montagne.

Pour les citoyens, la lutte contre la fracture numérique consiste aussi à aider les usagers les plus âgés, ou les plus en difficulté, en facilitant l’accès aux services publics et aux soins, notamment lorsqu’ils sont éloignés des grands centres urbains.

À Digne-les-Bains, le centre hospitalier utilise de plus en plus le numérique à usage médical afin d’affiner les diagnostics, notamment les diagnostics d’urgence – accidents de la route ou accidents vasculaires cérébraux –, pour une prise en charge qui se doit d’être de plus en plus précise et réalisée dans des temps extrêmement courts, afin de conserver aux patients toutes leurs chances.

En médecine d’urgence, il n’est pas rare qu’un complément de diagnostic soit demandé par les équipes d’urgentistes de Digne-les-Bains ou de Manosque aux équipes du centre hospitalier universitaire de Marseille : les images scanographiques sont alors envoyées sous forme de fichiers électroniques au CHU afin d’avoir l’avis du neurochirurgien de garde. Il arrive que ces fichiers lourds ne puissent pas être transférés rapidement. Or, dans ces situations, la rapidité est primordiale ! Il est urgent de prendre en compte les besoins de nos territoires en matière de liaisons numériques ultra-rapides.

Autre sujet, autre défi qui s’impose au monde rural, mais aussi à certains territoires périurbains : celui de l’accès aux soins, qui fait partie du socle des services indispensables conditionnant l’attractivité d’un territoire. Les maires en sont pleinement conscients. L’absence de médecin pose un problème majeur d’égalité des territoires et d’égalité et de justice entre les citoyens.

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il faut de six à douze mois pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste ! La ville de Digne-les-Bains, qui compte près de 17 000 habitants, n’a plus de médecin ophtalmologiste.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a pris douze engagements au travers d’un pacte territoire-santé. Si ce plan est essentiel, il est nécessaire d’aller plus loin au regard d’une situation de plus en plus compliquée pour les communes.

Autre exemple, nous nous battons aujourd’hui, dans mon département, afin de maintenir le service d’aide médicale urgente des Alpes-de-Haute-Provence à Digne-les-Bains.

L’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte-d’Azur, dans le cadre du schéma régional d’organisation de soins 2012–2016 de la région, envisage une mutualisation des services d’aide médicale urgente des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Or, dans les départements alpins, les temps de transport sont une donnée majeure : la prise en charge de patients en urgence nécessite un maillage des territoires en matière de soins. Mutualiser les centres de SAMU des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes irait à l’encontre de la sécurité sanitaire de nos concitoyens.

Par ailleurs, le coût, en termes d’attractivité du territoire, serait alors majeur ! Nous savons que l’installation en zone rurale est tributaire de critères objectifs : accès aux soins, écoles, connexion des territoires… Autant de prérequis indispensables à l’installation des familles.

Les solutions prennent forcément du temps, mais nous estimons que prendre des mesures plus volontaristes est vital pour soutenir nos territoires et éviter leur mort lente.

Les communes rurales ou hyper-rurales doivent conserver une capacité d’action : elles en ont la légitimité démocratique et cela répond à une attente forte des populations concernées. Or cette capacité à agir est conditionnée par l’existence de moyens financiers et techniques.

S’agissant des moyens financiers, il convient de rappeler que la péréquation est, depuis 2003, un objectif de valeur constitutionnelle. Toutefois, cette péréquation est encore à inventer : il faut la rendre juste et efficace, et faire en sorte qu’elle prenne réellement en compte les contraintes géographiques, sociales – je pense au critère du revenu par habitant – et économiques.

Nous avons pu étudier finement les situations financières de certaines communes rurales de mon département. Je vous épargnerai les données chiffrées, mais je souhaite cependant vous alerter, madame la ministre, sur le fait que la dotation de fonctionnement perçue par les communes rurales est deux fois moins élevée que celle des grandes villes, en dépit de l’écart de richesse fiscale.

Mais la péréquation n’est pas la seule réponse financière, et je voudrais rappeler le rôle majeur des conseils généraux en matière d’aide aux communes.

Alors que nous débattons de la réforme territoriale, je note avec satisfaction que le Premier ministre a finalement pris la mesure de l’importance de l’échelon départemental, en particulier dans le monde rural. Cette importance tient notamment à la nécessité, pour les territoires ruraux, de disposer de la capacité technique d’agir.

Je note aussi que le Premier ministre a fait référence à un renforcement des compétences des départements en matière de soutien technique aux territoires ruraux et d’ingénierie. Je m’en félicite, et je ne doute pas que cette annonce trouvera une expression législative concrète dans le cadre du débat sur la réforme territoriale.

En conclusion, je souhaite insister sur la nécessité de l’élaboration d’un pacte territorial garant des identités territoriales, de « l’identité de la France », pour reprendre les mots de Fernand Braudel, d’un pacte qui donne toute sa place non seulement au fait métropolitain, mais aussi au fait rural, aux deux faces indissociables de notre pays.

Telle est la condition à remplir pour qu’une France fracturée ne se substitue pas à la France solidaire à laquelle nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà à nouveau réunis pour évoquer le thème de la ruralité – de l’hyper-ruralité, pour reprendre le terme de notre collègue Alain Bertrand – et, surtout, pour parler de l’égalité républicaine et de l’égalité des territoires.

Élu d’un département rural – le Cher –, maire d’une commune rurale et rapporteur de la politique des territoires, je suis profondément attaché, comme un grand nombre d’entre vous, à la ruralité et à ses racines profondes, qui ont fondé et construit la France au fil des siècles. En 1830, voilà à peine deux siècles, la population était rurale à 80 % et urbaine à 20 %. Aujourd’hui, ce rapport s’est inversé : dorénavant, 20 % de la population française vit dans le milieu rural et 80 % dans les zones urbaines. Ainsi, malheureusement, de moins en moins d’urbains peuvent se prévaloir d’un ancêtre paysan ou d’origine rurale.

Je voudrais bien sûr remercier le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat sur la ruralité et l’hyper-ruralité – on parle même de « nouvelles ruralités » pour certains départements –, mais faut-il découper la ruralité en tranches ? Je pense que, en France, il y a presque autant de ruralités que de fromages… D'ailleurs, les ruraux ne veulent plus d’assises, d’états généraux ou de conférences territoriales. Ils ne veulent plus de bla-bla, ils veulent du concret, ils veulent des actes ! Il est vrai que, malgré la mise en place d’un ministère de l’égalité des territoires, la ruralité ne s'est jamais portée aussi mal…

Bien sûr, il y a la crise économique, mais nous vivons dans la ruralité une crise sociale, nous ressentons un véritable sentiment d’abandon qui ne cesse de croître et s'est traduit, lors des élections européennes, par un vote de contestation en faveur des extrêmes, plus important en milieu rural qu’en milieu urbain. Ce vote tenait non pas à des questions touchant à l’immigration ou à l’insécurité, mais au fait que les ruraux, qu’ils soient agriculteurs, artisans, commerçants ou chefs d’entreprise, se sentent abandonnés, déclassés, exclus.

Ce phénomène s’est accentué avec les derniers textes de loi et actions publiques. Comment aider la ruralité, comment aider notre population rurale ? Avec des projets de loi qui creusent les inégalités entre les ruraux et les urbains ? Avec la constitution des métropoles, qui ne fera qu’approfondir le fossé entre le rural et l’urbain ? Avec la mise en place de la réforme des rythmes scolaires, qui crée finalement une école à deux vitesses ? Avec une réforme territoriale qui affaiblira la proximité, le lien social ? Avec la réorganisation des services de l’État, qui préfère supprimer des postes au sein des services de proximité plutôt que dans les sphères de l’administration centrale, parisienne et régionale ? Quelle sera la place de la ruralité dans une organisation territoriale marquée par la constitution de grandes régions, de grandes communautés de communes de plus de 20 000 habitants, par la suppression des départements ? Comment, enfin, le Gouvernement peut-il aider la ruralité et l’hyper-ruralité en diminuant de façon drastique les dotations aux collectivités locales et en instaurant une inégalité flagrante des dotations entre EPCI ? Avec une moyenne de 20 euros de dotation par habitant pour les communautés de communes, rurales pour la plupart, de 40 euros par habitant pour les agglomérations et de 60 euros par habitant pour les futures métropoles, où est l’égalité des territoires ? (M. Alain Bertrand acquiesce.)

Mme Sylvie Goy-Chavent. Bonne question !

Mme Évelyne Didier. Mais qui a donc instauré cela ?

M. Rémy Pointereau. Je partage bien évidemment le constat d’un certain nombre d’inégalités territoriales, dénoncées par Alain Bertrand dans son rapport. D'ailleurs, ces inégalités sont le fait de la ruralité tout entière, et pas seulement de l’hyper-ruralité. Je pense à la désertification médicale, à l’accès à la téléphonie mobile, au haut débit, à internet et aux services et infrastructures de transports. En effet, les opérateurs de téléphonie et du numérique, et même la SNCF, privilégient pour leurs investissements les zones densément peuplées, et donc rentables.

Il faut maintenant arrêter de faire des constats, et agir.

Tout d’abord, l’égalité des territoires doit être une compétence de l’État, exercée à travers un véritable « plan Marshall ». Dans les années soixante, la DATAR était en mesure d’élaborer des plans d’action sur dix ans, qui ont porté leurs fruits. On ne peut que regretter que les gouvernements successifs, toutes sensibilités confondues,…

M. Rémy Pointereau. … aient peu à peu vidé de sa substance un organisme qui avait une vision de l’aménagement du territoire à long terme.

M. Rémy Pointereau. Par ailleurs, à travers la politique des territoires, nous avons mené un certain nombre d’actions, de 2002 à 2012. Elles n’étaient certes pas parfaites, mais elles ont permis de dynamiser les territoires, d’accélérer les projets.

Je veux parler des pôles d’excellence rurale, les PER : 380 ont été labellisés, ce qui a favorisé l’établissement de partenariats public-privé. Madame la ministre, pourquoi les PER, qui ont été un succès, sont-ils abandonnés ?

Je pense aussi aux zones de revitalisation rurale, les ZRR : il faut peut-être revoir les zonages, mais je pense qu’elles doivent être pérennisées, car elles constituent un bon outil pour maintenir l’activité économique.

Je mentionnerai encore les maisons de santé pluri-professionnelles ou le FISAC, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, dont le rôle est essentiel pour soutenir les commerces de proximité.

Ce sont là autant d’actions, en somme, qu’il faut conserver et renforcer.

La « boîte à outils » chère au Président Hollande, nous l’avons ! On constate que, finalement, beaucoup d’outils d’intervention existent déjà, et, s’ils méritent d’être améliorés pour accroître leur efficacité, leur pertinence n’est pas remise en cause.

Je souhaite que le Gouvernement fasse preuve d’objectivité. Même s’il n’est pas à l’origine de ces actions, de grâce, qu’il conserve ce qui marche bien ! D’ailleurs, personnellement, madame la ministre, j’approuve votre programme de revitalisation des centres-bourgs ruraux, à condition que les élus soient davantage impliqués – comme pour les PER – et que ce dispositif n’en reste pas à un stade expérimental, ne se résume pas à un effet d’annonce et de communication.

Enfin, concernant l’égalité financière des territoires, instaurer une égalité des montants de dotation par habitant s'impose, avec une péréquation verticale juste et équitable et une péréquation horizontale, plus difficile, bien sûr, à mettre en œuvre.

Madame la ministre, ruralité ne doit pas être synonyme de déclin et de désertification. La ruralité est en mutation, elle doit constituer une chance pour la cohésion et l’avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, selon le rapport d’Alain Bertrand, dont je salue le travail, il s’agit aujourd’hui de distinguer l’hyper-ruralité de la ruralité, en veillant à ne pas opposer les territoires les uns aux autres et, surtout, en réaffirmant l’égalité républicaine.

C’est donc la question de l’hyper-ruralité qui est plus spécifiquement traitée ici. Toutefois, bien que les territoires ruraux recouvrent des réalités différentes, ils sont, pour l’essentiel, confrontés à des problématiques similaires, de façon plus ou moins aiguë.

De surcroît, il arrive souvent que plusieurs types de ruralité coexistent dans un même département. Ainsi, le Nord, qui se caractérise par une très forte densité de population avec ses 2,6 millions d’habitants, comporte des espaces très ruraux, non identifiés dans le rapport, correspondant principalement à une partie de l’Avesnois, du Cambrésis et de la Flandre intérieure. Or ces espaces, qui regroupent seulement 400 000 habitants de ce grand département, occupent la moitié de sa surface géographique.

Si les spécificités de ces territoires ne sont donc pas uniformes, le diagnostic dressé par notre collègue peut s’appliquer à leurs espaces ruraux. En effet, ceux-ci font face aux mêmes difficultés, liées au vieillissement de la population, à l’enclavement, à la faiblesse des ressources financières, à une pénurie d’équipements et de services, au manque de perspectives, à la difficulté de faire aboutir telle ou telle initiative publique ou privée, à l’éloignement géographique et à l’isolement.

L’état des lieux est accablant et nourrit un sentiment d’abandon largement répandu parmi les populations et les élus de ces territoires.

Cette France des plans sociaux, de l’abstention et du comportement antirépublicain est aussi celle de nouvelles initiatives politiques plus constructives, autour de la relocalisation des activités, par exemple. Le retour au village donne le sentiment d’être à l’abri, une contre-société émerge dans la France périphérique et, plus généralement, dans les milieux populaires.

Ce ré-enracinement social et culturel et l’attachement aux valeurs traditionnelles de ces populations sont sans doute liés à leur angoisse face à la mondialisation économique, à leurs réserves sur le projet de société qu’on leur propose et à leur demande croissante d’autorité.

Ce sont ces mêmes milieux ruraux qui ont été le plus touchés par le désengagement de l’État et la révision générale des politiques publiques opérés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et l’action publique y a encore accentué les inégalités.

Aujourd’hui encore, les ruraux subissent une organisation des territoires de plus en plus structurée autour de métropoles en forte croissance, avec une hypercentralisation des services essentiels. La création de richesses se concentre de plus en plus au sein d’un réseau métropolitain dynamique, et cette spécialisation du territoire a chassé les classes populaires –ouvriers et employés –, encore majoritaires dans la population active, hors des métropoles.

Cette situation renforce bien entendu le sentiment des ruraux de vivre dans une France périphérique, reléguée. Pourtant, la complémentarité entre villes et campagnes est indéniable. Nos territoires ruraux sont également porteurs d’avenir et constituent un véritable atout pour notre pays, surtout lorsqu’ils ont une forte capacité à se structurer autour de projets innovants et de leurs ressources stratégiques.

Contrairement à l’Allemagne, qui n’a pas de territoire stable depuis plusieurs siècles, la France reste profondément marquée par ses terroirs, et la transition vers une civilisation urbaine doit se faire avec beaucoup de précautions.

Aujourd’hui, l’État doit relever d’urgence les défis spécifiques de la ruralité et renforcer sa présence dans des territoires ruraux aux attentes fortes. Il faut donc une politique volontariste et des réponses réalistes, comme celles que préconise Alain Bertrand au travers de sa proposition d’un pacte pour les territoires hyper-ruraux.

Je partage cette vision et tiens à souligner des avancées récentes dans le territoire rural où je vis, qui se traduisent par l’aboutissement de deux projets structurants : la reconversion de l’ancienne base aérienne 103, fermée par un gouvernement de droite, et, surtout, l’incontournable canal Seine-Nord-Europe, dont la réalisation aura une incidence positive sur l’emploi et l’économie dans les bassins de vie concernés, aussi ruraux soient-ils.

Sur le plan national, madame la ministre, je salue votre engagement, qui a permis l’organisation des assises des ruralités, dont l’une des étapes s’est déroulée dans la région Nord-Pas-de-Calais, et la démarche conjointe de l’État et des conseils généraux en vue de l’élaboration de schémas départementaux d’accessibilité des services au public.

L’intervention de l’État régulateur reste fondamentale pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et les inégalités entre territoires riches et territoires pauvres. Parce que les territoires défavorisés ne méritent pas l’abandon auquel ils semblent promis au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques, ils ont, plus que jamais, besoin d’accompagnement et de soutien de la part de l’État face aux difficultés liées aux mutations économiques et sociales.

Ces risques étant en partie prévenus grâce aux politiques volontaristes développées par les départements, notamment en matière de solidarité, je veux souligner les annonces du Gouvernement en faveur du maintien des conseils généraux, qui assurent au quotidien des missions de proximité et tiennent un rôle essentiel en matière d’aménagement du territoire. Le projet initial – je tiens à le rappeler – avait en effet été ressenti comme un nouvel affaiblissement du monde rural…

Parallèlement à ces avancées, il faut continuer à entendre les élus et les populations qui vivent dans ces territoires fragiles, notamment pour ce qui concerne l’accès aux soins, la priorité à l’éducation, la couverture numérique ou les transports, dimensions devenues essentielles pour la vitalité de ces espaces.

La République doit être présente partout, et pour tous. La France qui se transforme sous nos yeux reste une France des territoires, une France telle que Fernand Braudel l’avait décrite dans son ouvrage L’identité de la France.

Les réponses du Gouvernement doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités, de redonner du souffle à nos territoires et de l’espoir à leurs habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je serai le quatorzième orateur à vous faire part de mon credo en matière d’hyper-ruralité. Vous le comprendrez, je serai donc amené à répéter certains propos des intervenants précédents.

Je veux tout d’abord moi aussi remercier celles et ceux qui sont à l’initiative de ce débat, principalement le groupe RDSE, tant ce sujet est d’actualité et important, cela a été dit, pour notre pays.

Les territoires ruraux représentent 80 % de la surface du pays et sans doute plus de 60 % si nous évoquons la ruralité profonde, qui concerne 3,5 millions d’habitants, lesquels ne bénéficient pas des effets de proximité des grandes villes en termes d’emplois, de résidences et de services. Mais ces territoires ne sont-ils pas des lieux de vacances, de repos, de découvertes de paysages, de sport, de gastronomie, pour les habitants des villes et des métropoles ?

Ils sont aussi des secteurs économiques non négligeables, avec une agriculture et des produits alimentaires bénéficiant d’AOC ou de labels, avec des PME, avec un artisanat d’objets de valeur dans le cadre de quelques niches très appréciées, mais aussi avec une industrie du bois, proche des ressources, qui crée des emplois et de la valeur ajoutée.

Souvent, ils sont aussi producteurs d’énergie hydraulique, éolienne et solaire. Les habitants de ces territoires sont des « clients », qui améliorent les chiffres d’affaires des GMS, les grandes et moyennes surfaces, des professions libérales et de santé, ainsi que des entreprises du bâtiment et des travaux publics, plus particulièrement présentes dans les villes.

Alors a-t-on assez de considération pour ces territoires ? A-t-on assez de reconnaissance pour ces acteurs, qui aménagent et entretiennent tous ces espaces, conservant un riche patrimoine, protégeant très souvent la réserve en eau des cités, et servant aussi de déversoir aux stations d’épuration et de dépôt des déchets ultimes ?

Ils ont un intérêt important pour la nation. Il est bien que le Sénat réserve aujourd’hui une heure et demie d’échanges sur ce sujet. Y a-t-il égalité entre ces territoires et les autres secteurs de la nation ? J’avais écrit : « Il est sûr que nous n’aurons pas tous le même avis, mais nos échanges ne pourront être que positifs. » Or je m’aperçois que, depuis que nous avons commencé – je suis donc le quatorzième orateur –, nous avons à peu près tous dit la même chose. Et j’espère que Mme la ministre, que nous écouterons avec intérêt, tiendra le même langage.

J’ai eu le plaisir, dans le cadre de la délégation sénatoriale à la prospective, avec Renée Nicoux, ancienne sénatrice de la Creuse, de rédiger un rapport sur l’avenir des campagnes. Au cours des nombreuses auditions que nous avons menées avec les élus et les acteurs de ces territoires, nous les avons souvent entendus dire que, s’il n’y avait pas rapidement une prise de conscience, on pourrait parler de campagnes oubliées. Certains ont même employé le mot « sacrifiées ».

Aujourd’hui, les habitants de ces territoires demandent les mêmes services que dans les villes. Ils veulent des crèches, des médiathèques, des piscines, un accès à la culture, le ramassage et le traitement des déchets. Ces services représentent un coût élevé par habitant. Dès lors, pourquoi – cela a été dit plusieurs fois à cette tribune – la DGF de ces collectivités est-elle fixée à la moitié – voire moins – de celle des villes ?

De nos jours, les décisions de décentralisation obligent ces collectivités à payer une part importante des infrastructures, notamment de nombreux kilomètres, par habitant, de voirie, de réseaux d’eau et d’assainissement, principalement en montagne. Je n’oublie pas non plus les services de déneigement !

Ces espaces disposent de bien peu de transports collectifs, ce qui oblige de nombreux ménages à posséder deux voitures. On assiste même à la fermeture de lignes ferroviaires. Quelle différence avec les centres urbains !

À l’ère du numérique, du télétravail, de la télémédecine, de la téléinformation, du e-commerce, de l’e-administration, que de différences avec les villes, où les opérateurs se sont mobilisés rapidement ! Pendant ce temps, nos campagnes attendent. Rien, alors que la 4G est là ! Nos collectivités doivent investir d’une façon significative, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue du Doubs, Jean-François Longeot, pour apporter ces services très attendus.

Aujourd’hui, les territoires ruraux nourrissent des inquiétudes au sujet de la présence médicale et même pharmaceutique, les officines étant parfois bien lointaines. Les populations n’ont pas, c’est vrai, les mêmes chances de survie : en cas d’infarctus ou d’AVC, la distance des services de secours et des hôpitaux joue un rôle crucial.

Nous sommes conscients que ces distances ne diminueront pas ; aussi, essayons de faire en sorte que les dessertes vers les centres hospitaliers, les écoles, les lycées, les gares, les lieux de travail et de commerce, soient de qualité.

Le temps qui m’est imparti s’achève. Je viens de citer quelques exemples montrant que l’égalité des territoires n’est pas vraiment une réalité. Il est grand temps d’inscrire ces territoires dans un scénario d’accompagnement, voire de développement. Des solutions existent, mais il faudra de la volonté pour balayer les inégalités territoriales : des dotations équivalentes pour les communes et intercommunalités égales aux villes, des zones de revitalisation rurale, des ZRR, notamment avec le FPIC, le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, des plans d’excellence rurale plus nombreux, des dotations d’équipement des territoires ruraux significatives – DETR, crédits européens du deuxième pilier et programme LEADER –, davantage ciblées sur ces zones, un accompagnement financier pour les désenclavements routiers, des obligations aux opérateurs des nouvelles technologies pour investir aussi dans ces territoires aujourd’hui oubliés et mettre fin à une injustice territoriale.

Mais attention ! Le législateur ne doit pas fixer les mêmes seuils de population pour les collectivités territoriales. Je pense notamment aux intercommunalités, trop vastes, de 20 000 habitants, dans le cadre d’un dossier LEADER ou de l’implantation d’une pharmacie.

Madame la ministre, mes chers collègues, les acteurs des espaces ruraux, qui entretiennent un rapport affectif avec leurs territoires, sont innovants et combatifs. En dépit des handicaps – éloignement, montagne, faible densité de population –, ils affirment leur capacité de projection, se saisissent de nouvelles opportunités et inventent de nouveaux leviers de développement. En proie à une métropolisation triomphante, la France aura bientôt besoin de ces leviers pour sortir de l’ornière économique et de la dépression où elle s’enferme. Nos concitoyens des villes voudront venir se ressourcer dans ces espaces. Mais encore faut-il que ces espaces soient vivants et disposent de services, principalement en matière de santé.

Notre croissance future est en gestation dans le « creuset » de nos territoires les plus ruraux, qu’il faut protéger et accompagner. Au Gouvernement d’en décider, mais aussi à nous tous, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)