M. Roland Courteau. Très bien !

M. François Aubey. Pourtant, nous le savons bien, dès lors que l’État confie un monopole à une entreprise privée, il est indispensable que celui-ci soit régulé, de façon à ne pas créer de rente injustifiée.

La rentabilité des sociétés d’autoroutes est aujourd’hui, et ce n’est pas nouveau, sans rapport avec leurs coûts et les risques inhérents à leur activité : leur chiffre d’affaires a augmenté de 26 % depuis 2006 ; leur rentabilité nette, après impôts et charges, a atteint un niveau exceptionnel en 2013, compris entre 20 % et 24 %.

À l’heure où nous manquons d’argent pour financer certaines infrastructures de transport, ces chiffres sont tout simplement indécents.

M. François Aubey. Que faire ? Comment nous dégager d’une telle situation ?

Ces derniers temps, nous avons entendu bien des propositions : taxation des bénéfices des sociétés d’autoroutes, gratuité des autoroutes le week-end, rachat des concessions, etc.

Déjà, il ne faut plus rééditer l’erreur qui a été commise en 2006, quand ont été privatisées de telles infrastructures. En tant que rapporteur pour avis de la commission du développement durable sur les crédits du programme « Transports aériens », je ne puis m’empêcher de penser, à l’instant présent, à nos aéroports…

L’État ne peut et ne doit plus faire preuve de naïveté en consentant de tels cadeaux à des consortiums d’acquéreurs. Monsieur le ministre, nous aurons l’occasion d’en reparler dans les prochaines semaines.

Aujourd’hui, la difficulté réside surtout dans le fait que les sociétés autoroutières sont liées à l’État par des contrats de concession extrêmement protecteurs, lesquels prévoient que, « en cas de modification substantielle ou de création d’impôts, de taxes ou de redevances spécifiques aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, susceptibles de compromettre gravement l’équilibre de la concession, l’État et la société concessionnaire arrêteront d’un commun accord, dans l’intérêt de la continuité du service public, les compensations qui devront être envisagées. »

En clair, taxer les autoroutes n’est pas si simple et entraîne, selon les contrats, soit une hausse des tarifs de péage en leur faveur, soit un allongement de la durée des concessions, ce qui serait un comble.

Nous avons déjà discuté ici, au Sénat, notamment sur l’initiative du groupe CRC, de l’hypothèse d’une renationalisation des sociétés d’autoroutes. Si la privatisation de 2006 était une faute, il n’en convient pas moins de souligner que la renationalisation intégrale serait extrêmement coûteuse : entre 40 milliards d’euros et 50 milliards d’euros selon une estimation de la Cour des comptes.

M. Ladislas Poniatowski. C’est bien de le reconnaître !

M. François Aubey. Cela conduirait finalement l’État à racheter extrêmement cher tout ce qu’il a vendu en le sous-estimant.

M. François Aubey. La privatisation intervenue en 2006 a clairement privé l’État d’une manne financière considérable, de l’ordre de 2 milliards d’euros par an. Toutefois, en ces temps difficiles pour les finances publiques, il nous faut être certains de ne pas corriger une grave erreur de gestion du patrimoine de l’État par une nouvelle erreur. En la matière, seul le cas par cas, concession par concession, semble pertinent.

Surtout, comme l’a souligné l’excellent groupe de travail de la commission du développement durable du Sénat sur les concessions autoroutières, il faut à présent agir à plusieurs niveaux : améliorer la transparence pour rompre avec l’opacité du secteur ; renforcer les contrôles en mettant en place une véritable instance de régulation ; encadrer sévèrement, voire supprimer, les contrats de plan, afin d’éviter les dérives observées ces dernières années, tout en conservant l’option de la nationalisation.

En somme, il nous faut reprendre la main, à l’instar de notre gouvernement annonçant que les tarifs des péages autoroutiers, qui devaient augmenter de 0,57 % en moyenne au 1er février dernier, seraient gelés dans l’attente de l’aboutissement des travaux du groupe de travail parlementaire qu’il a constitué pour explorer les deux scénarios envisageables, à savoir une renégociation ou une résiliation de ces fameux contrats.

Monsieur le ministre, nous devons, tous ensemble, réfléchir à ce qu’il est possible et indispensable de faire dans le cadre du plan de relance autoroutier, non encore signé.

Personne ne pourrait comprendre que le Gouvernement permette un allongement de la durée des concessions des sociétés d’autoroutes en échange de travaux à hauteur de 3,2 milliards d’euros ou que l’on choisisse de prolonger le « système », car, si l’intérêt économique de ce plan est réel, notamment en termes de créations d’emplois – le syndicat patronal du secteur des travaux publics évoque le chiffre de 8 200 emplois créés –, il est important de souligner qu’il pèsera à long terme sur l’État concédant et sur les usagers, qui en ont légitimement assez de toujours et de trop payer.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. François Aubey. Même s’il est encore possible d’aller plus loin, nous pouvons d’ores et déjà nous satisfaire que votre projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, bientôt en discussion au Sénat, donne à la nouvelle ARAFER, Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, une compétence de contrôle sur les évolutions des tarifs des péages, ainsi qu’une compétence consultative sur les avenants aux cahiers des charges de concession ayant une incidence sur ces tarifs.

M. François Aubey. Nous nous réjouissons que les sociétés concessionnaires aient de nouvelles obligations et que le Parlement voie son rôle de contrôle renforcé. En effet, compte tenu des abus passés, quoi de plus normal que nous, parlementaires, soyons informés des projets de modification des conventions ou des cahiers des charges lorsque ceux-ci auront une incidence sur les tarifs des péages ou sur la durée des concessions ?

Nous avons aussi noté le coup de pouce donné à la mobilité durable, les tarifs des péages pouvant être différenciés de manière à favoriser les véhicules propres ou ceux qui sont utilisés régulièrement pour faire du covoiturage.

Mes chers collègues, nos discussions de ce jour le prouvent : les choses bougent du côté de la puissance publique !

Les usagers, eux aussi, s’organisent. Voilà quinze jours, nous apprenions qu’une action collective était menée contre les sociétés d’autoroutes, afin de contester les tarifs des péages sur cinq portions de voies : les autoroutes A1, A6, A7, A9 et A13 seraient concernées. Estimant les coûts de construction de ces autoroutes largement amortis, les automobilistes exigent des sociétés d’autoroutes le juste prix du ticket de péage, qui serait aujourd’hui supérieur d’au moins 20 % à ce qu’il devrait être.

L’autoroute A13, ouverte dans les années quarante pour relier à grande vitesse Paris à la Normandie, est notamment ciblée par l’action collective. Certains péages de cette voie font en effet régulièrement parler d’eux, comme celui d’Incarville, dans l’Eure, dont l’éventuel rachat n’a jamais pu se faire en raison des compensations financières exorbitantes demandées par la SAPN.

Compte tenu des tarifs prohibitifs de nos péages, qui, aujourd’hui, pourrait reprocher aux usagers réguliers de l’A13 de vouloir récupérer la partie surfacturée des 15,10 euros d’un Paris-Caen ou des 8,90 euros d’un Rouen-Caen ? Certainement pas moi ! Ainsi, vous le voyez, mes chers collègues, usagers et élus, chacun à notre niveau, nous travaillons à définir la mobilité de demain.

Au Sénat, la récente discussion sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a été l’occasion de riches échanges en la matière. Le débat actuel sur le devenir des concessions autoroutières, s’il a nécessairement une dimension économique et financière, ne saurait être déconnecté des enjeux environnementaux, d’aménagement du territoire, de sécurité et de santé publique.

Dans les semaines et les mois à venir, les élus socialistes de la commission développement durable du Sénat seront particulièrement attentifs à ce que des mesures pérennes et soucieuses de l’intérêt général soient prises.

Rappelons que, dans un pays encore trop dépendant des hydrocarbures, où le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre, avec 27 % des émissions totales, et où la pollution atmosphérique par les particules serait à l’origine de 42 000 décès prématurés par an, l’avenir est certainement non pas au « tout automobile », mais plutôt à une combinaison de modes de transport à la fois rapides et lents, mécanisés et doux, individuels et collectifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aborder le dossier des concessions autoroutières revient à aborder les dossiers du financement des infrastructures et de l’aménagement du territoire, mais également ceux du report modal et de l’environnement.

Nos réflexions ne peuvent pas aboutir à la remise en cause du système des concessions, lequel a été inventé dans notre pays, car il s’agit d’un atout pour les entreprises françaises à l’étranger. Or nous devons toujours être attentifs à l’écho de nos débats nationaux au-delà de nos frontières.

En préambule, je ferai quelques rappels, car, à mon sens, ce débat doit nous inciter à beaucoup d’humilité au regard des épisodes passés.

J’évoquais au début de mon intervention le financement des infrastructures. Alors que ce dernier a longtemps été assuré par une fraction de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, nous avons connu par la suite des systèmes plus élaborés, avec notamment, en 1993, le plan autoroutier Balladur, puis, en 1995, la mise en place du Fonds d’investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN, dans le cadre de la loi d’aménagement du territoire de Charles Pasqua. Ce dernier texte instituait d’ailleurs une taxe d’aménagement sur les sociétés autoroutières, en même temps qu’il affectait au FITTVN le produit de la redevance domaniale.

Ce fonds a fonctionné pendant quelques années, jusqu’à sa suppression par le gouvernement de Lionel Jospin, lequel organisait au même moment la première privatisation d’une société autoroutière, à savoir ASF-Escota, dans le cadre de loi de finances pour 2002. Je rappelle que cette société était à l’époque le premier concessionnaire en France, le deuxième en Europe et le troisième dans le monde. Les recettes devaient être affectées aux infrastructures, mais, en fait, elles ont été réparties ailleurs.

Cet exemple n’ayant pas suffi, quelques années plus tard, après que l’AFITF eut été créée et que Gilles de Robien eut envisagé d’affecter les dividendes des SEMCA à un financement durable des infrastructures, nous avons connu, en 2005, l’épisode, dont il a été abondamment question aujourd'hui, de la privatisation des sociétés autoroutières par le gouvernement de Dominique de Villepin. Celle-ci a eu lieu non pas dans des conditions confidentielles, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure par Jean-Yves Roux, mais, au contraire, à l'occasion d’un débat très vif.

Je me souviens notamment, comme sans doute Marie-Hélène des Esgaulx, que la commission des finances de l’Assemblée nationale, sur l’initiative de Gilles Carrez, avait demandé de nombreuses expertises, ce qui avait d’ailleurs permis de relever le prix de 10,5 milliards d’euros à 14,8 milliards d’euros, évitant ainsi des conséquences encore plus lourdes que celles que nous constatons aujourd’hui.

Si je formule ce rappel, c’est non pas pour donner raison à ceux qui prétendent que la même politique aurait été menée par des majorités différentes, mais pour nous inciter à essayer de trouver des solutions stables pour le financement des infrastructures, et cela dans une plus grande transparence du système des concessions, singulièrement autoroutières.

Je ne reviens pas sur le rapport de la Cour des comptes de juillet 2013, sinon pour en citer trois extraits : « Le ministre chargé des transports ne négocie pas avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes dans un cadre lui permettant de disposer d’un rapport de forces favorable » ; « les contrats de plan signés pour cinq ans, qui permettent aux entreprises autoroutières de réaliser des investissements compensés par des hausses de péage ne sont pas publics et sont conclus dans des conditions peu transparentes » ; « le système des contrats de plan permet aux concessionnaires de compenser les investissements qu’ils réalisent par des augmentations de tarifs des péages routiers. Ce système, qui devait être l’exception est devenue la règle,…

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Eh oui !

M. Michel Bouvard. … et a conduit à des augmentations tarifaires supérieures à l’inflation, contrairement à la règle originelle des concessions. »

C’est à ces problèmes qu’il nous faut apporter des solutions. De ce point de vue, le débat ouvert par le Gouvernement me semble positif et nécessaire, dès lors qu’il n’aboutit pas à un certain nombre de conclusions tendant à la renationalisation des sociétés d’autoroutes et à la remise en cause de la signature de l’État, comme on a pu l’entendre dire.

Il est aussi nécessaire de lier ce débat à celui du report modal, à celui des nouveaux outils mis en place depuis 1995, à commencer par la directive Eurovignette. Nous avons également des problèmes de financement concernant les infrastructures autoroutières, le report modal et l’AFITF. À titre personnel, monsieur le ministre, je souhaite que ces débats ne soient pas déconnectés les uns des autres.

M. Michel Bouvard. Je mesure la difficulté de la tâche que représente la discussion avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais il ne faut pas traiter cette affaire par compartiments.

Le fonctionnement de l’AFITF nous pose un problème, tout comme le financement du report modal. D’autres outils sont à notre disposition et ils sont complémentaires de la contribution que l’on pourra demander aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, à commencer par l’eurovignette qui ouvre la possibilité de financer les externalités, de flécher les usages et de les lier à des investissements lisibles par nos concitoyens – ce qui représente un grand mérite, compte tenu du recul que nous avons pu prendre collectivement avec l’affaire de l’écotaxe. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté, aux côtés de Michel Destot, une mission confiée par le Gouvernement sur le financement d’une infrastructure dédiée, la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Pour conclure, il convient d’organiser un débat d’ensemble et, à l’issue de ce débat, il faudra que nous puissions traiter ce dossier sous le triple aspect du financement durable des infrastructures, du report modal et d’une approche environnementale qui permette aussi de faire supporter le coût des externalités aux usagers, notamment aux plus polluants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission du développement durable applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la publication, le 17 septembre 2014, de l’avis de l’Autorité de la concurrence sur les concessions d’autoroutes a engagé un débat pour le moins animé. Compte tenu de l’importance que revêt ce sujet et de l’intérêt qu’il suscite chez nos concitoyens, il était essentiel pour nous, élus de la nation, de nous pencher sur l’économie des concessions autoroutières.

Ainsi, à la suite de l’audition par la commission du développement durable de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, celle-ci a décidé de constituer en son sein un groupe de travail, qui a pu mener de nombreuses auditions depuis le 22 octobre et formuler des propositions.

Ce sujet est d’autant plus sensible aujourd’hui que le Conseil d’État a été saisi par les concessionnaires d’autoroutes d’un recours contre la décision de l’État de bloquer l’application au 1er février des hausses tarifaires annuelles prévues.

Ce débat ne doit pas se résumer à un raisonnement binaire, pour ou contre la résiliation des contrats d’autoroutes.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Cyril Pellevat. Il procède d’ajustements plus complexes à engager dans une négociation entre l’État et les concessionnaires pour aboutir à des contrats plus équilibrés.

Le cadre juridique qui entoure cette question est bien évidemment très contraignant. Les contrats de concession courent jusqu’aux années 2030 et ne peuvent être remis en cause sans le versement de lourdes compensations, estimées à 20 milliards d’euros par un rapport d’étape de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la place des autoroutes dans les infrastructures de transport. À cette somme s’ajouteraient les dettes supportées par les concessions, de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. Le rachat généralisé des concessions engendrerait donc un sérieux contentieux et de lourdes conséquences.

Parmi les propositions d’avenir soulevées au Sénat, je plaide pour une révision des contrats de plan qui devraient, en tout état de cause, s’accompagner d’un rééquilibrage total des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, notamment par une révision de la loi tarifaire, avec un gel des péages pendant deux ou trois ans ou, a minima, une évolution raisonnable des tarifs.

En effet, c’est bien le tarif des péages qui retient l’essentiel de mon attention dans les négociations que l’État doit entreprendre avec les concessions. Comme l’a relevé l’Autorité de la concurrence dans son avis, la formule d’indexation des péages sur l’inflation, qui est déconnectée des charges supportées par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, n’était pas pertinente. Cette formule crée une rente, de 20 % ou plus, qui n’est pas justifiée par le niveau de risque supporté par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, compte tenu de leur situation de monopole. En effet, le risque lié au trafic, avec une clientèle de fait captive, et le risque lié à la dette sont limités. Je peux moi-même en témoigner, au vu du cortège de bouchons que connaît mon département pendant les vacances de février.

M. Cyril Pellevat. Les mécanismes d’optimisation mis en œuvre par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui ont versé des dividendes exceptionnels à leurs actionnaires et privilégié l’endettement pour leurs investissements, le prouvent également. Bien sûr, les concessionnaires ont opposé à cette vision des choses la prise en considération de leur dette, à travers le taux de rentabilité interne.

Engager une vraie réflexion sur les tarifs de péages qui conduirait, dans l’idéal, à un gel des tarifs ou à une évolution raisonnable, c’est engager une réflexion sur le pouvoir d’achat des usagers, largement entamé, mais c’est aussi engager une réflexion sur l’aménagement du territoire.

Je prendrais pour exemple mon département, la Haute-Savoie. L’usager y est très fortement taxé par les concessions autoroutières. En effet, la Haute-Savoie est traversée par deux des dix autoroutes les plus chères de France. Quand la moyenne du prix au kilomètre est de 8 centimes d’euro, elle s’élève, sur l’A41 jusqu’à Genève, à 12,46 centimes d’euro et, sur l’A40 jusqu’à Saint-Gervais-les-Bains, à 10,74 centimes d’euro, avec plus de 24 000 véhicules par jour.

L’usager est donc fortement taxé, alors même que les concessions autoroutières ont de fortes garanties de fréquentation : la forte croissance de la population de ce département – une des plus importantes de la région Rhône-Alpes –, une bonne santé économique, l’attractivité de Genève, mais aussi le tourisme – la Haute-Savoie est le deuxième département de France pour la fréquentation touristique. D’ailleurs, chaque année, nous constatons une augmentation de trafic sur l’ensemble du réseau routier de l’ordre de 2 %, routes et autoroutes confondues. Cette augmentation est encore plus marquée sur le réseau autoroutier, de l’ordre de 4 % à 5 %, avec des tronçons où elle atteint plus de 10 %, comme sur l’A41.

La dynamique du territoire serait donc à prendre en considération dans les renégociations des contrats de plan, si elles étaient envisagées, d’autant plus lorsque les départements concernés, et c’est encore le cas de la Haute-Savoie, ne sont pas pris en considération dans le plan de relance autoroutier engagé par l’État en décembre 2014.

Le second aspect que je souhaitais évoquer concerne l’aménagement du territoire. Que constate-t-on, toujours dans mon département ? Sur les autoroutes, on observe une baisse du trafic des poids lourds de 0,6 %, sur l’A40 et sur la « Liane ». Cette baisse significative se traduit par l’engorgement du réseau départemental, avec une fréquentation en hausse de 2,4 %, s’ajoutant à l’augmentation de 1 % du trafic des automobilistes. Renégocier les tarifs des péages permettrait donc de désengorger des routes départementales de plus en plus encombrées, au bord de l’asphyxie. On peut imaginer que les transporteurs routiers pourraient réinvestir les autoroutes qu’ils n’empruntent plus aujourd’hui, du fait d’une hausse des tarifs qui engloutit leurs marges.

Il y a urgence, car ce phénomène ira en s’aggravant. En effet, si l’État a gelé l’augmentation tarifaire des sept sociétés concessionnaires, ce n’est pas le cas sur les tronçons d’autoroutes publiques que compte mon département. Par exemple, pour l’Autoroute du tunnel du Mont-Blanc, l’ATMB, l’augmentation moyenne est de 2,9 %. Sur son site internet, l’Autoroute blanche indique que les tarifs restent identiques à ceux de 2014 pour les véhicules légers, excepté au péage de Nangy, pour la section Scientrier-Gaillard où l’augmentation est de dix centimes d’euro. Or cette liaison est empruntée quotidiennement par des milliers d’automobilistes frontaliers travaillant en Suisse.

En conclusion, les usagers des autoroutes sont de plus en plus nombreux et paient toujours plus chaque année, les routes départementales sont saturées de poids lourds, le chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes progresse plus vite que leurs charges : il y a matière à rediscuter !

Cette réflexion n’est pas facile et les outils en faveur des concessions sont multiples, à commencer par le cadre juridique applicable aux concessions que l’État n’a nullement modifié lorsqu’il les a privatisées. La pratique des contrats de plan, quant à elle, est systématiquement à l’avantage des sociétés concessionnaires, en ce qui concerne tant le champ des travaux compensés que leur prix, comme l’a démontré la Cour des comptes. S’y ajoute l’augmentation de 50 % de la redevance domaniale que l’État impose aux sociétés d’autoroutes : convenue en 2013, elle est compensée par une hausse des tarifs de péage, de 1,5 % sur la période 2015–2018.

Il y a urgence pour la qualité de vie de nos concitoyens et pour leur pouvoir d’achat. Aussi, je demande au Gouvernement des mesures rapides et la reprise en main, de manière transparente et juridiquement solide, avec la consultation du Parlement, des contrats établis avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l’avis de l’Autorité de la concurrence qui a semé le trouble lors de sa parution ni sur les commentaires associés pour dénoncer une « rente » des sociétés concessionnaires d’autoroutes, à la suite de leur privatisation en 2006. Le contexte et la teneur de ce rapport ont été bien analysés par mes collègues avant moi, mais je veux relativiser son importance, eu égard à la situation qui nous occupe aujourd’hui. Je ne reviendrai pas non plus sur le rapport de la Cour des comptes.

Je voudrais vraiment m’attarder sur la question qui se pose aujourd’hui et qui consiste à savoir ce que l’on veut faire de ces contrats de concession : les résilier en vue d’une renationalisation ou les renégocier ?

Pour ce faire, il me semble également indispensable de revenir sur ce qui a été dit, à savoir que les privatisations opérées n’ont pas apporté les financements nécessaires. N’oublions pas que, à l’époque, l’État n’était pas propriétaire à 100 % du réseau. Outre la recette liée à l’achat, l’opération a aussi permis, par le truchement du transfert aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, un désendettement à hauteur de 20 millions d’euros environ.

Au-delà des chiffres, force est de reconnaître que les privatisations ont indéniablement limité les marges de manœuvre de la puissance publique. En revanche, il ne me paraît pas légitime d’insinuer que ces privatisations se sont déroulées dans un cadre opaque. La question qui se pose aujourd’hui est ainsi plus celle de l’opportunité de la privatisation que celle de sa légalité. On pourrait aussi pérorer sur le fait de savoir si le juste prix a été négocié. Sur ce point, le débat reste ouvert. J’ajouterai même qu’il pourrait être sans fin, mais qu’apporterait-il au fond ?

De plus, s’il est légitime de se poser la question du sort des concessions, il faut aussi prendre conscience que le retour de celles-ci dans le giron de l’État ne pourrait se faire que si ce dernier disposait d’opérateurs aptes à prendre la relève. Pour rappel, tous les groupes gestionnaires d’autoroutes sont aujourd’hui privés.

M. Patrick Chaize. Cette opération qui serait par ailleurs très coûteuse apparaît donc aujourd’hui impossible, tant sur plan technique que sur le plan financier.

De ce point de vue, la dénonciation des contrats impose de prendre en considération, d’une part, le « reste à financer » au moment de la dénonciation et, d’autre part, le règlement d’indemnités lourdes prévues au contrat.

D’un point de vue technique, il est à noter que les contrats de concession en cours ne sont que la résultante des contrats initiaux, négociés et signés entre l’État et les sociétés publiques de l’époque, soit finalement « entre l’État et l’État ». On peut donc craindre qu’un certain nombre d’articles n’aient pas été bien encadrés, voire suffisamment précisés. Peut-on reprocher aujourd’hui à ces sociétés d’avoir exploité ces contrats en « épousant » leur forme, dans le but de leur insuffler une meilleure rentabilité ?

Pour clore ces différents rappels, je formulerai deux postulats. En premier lieu, les privatisations qui ont eu cours de 2002 à 2005 n’ont pas donné les résultats escomptés, mais ne doivent cependant pas être « diabolisées ». En second lieu, une réflexion approfondie doit être rapidement entamée avec les sociétés concessionnaires, pour que ces concessions soient renouvelées dans les meilleures conditions, pour l’État et pour les usagers.

Nous constatons aujourd’hui que le taux de rendement d’investissement, le fameux TRI, reste dans l’objectif, même si les prévisions de trafic ne sont pas à la hauteur des estimations. L’investissement peut ainsi être analysé comme rentable.

Une des questions est de savoir si les effets liés au contrat de plan, avec ses conséquences sur les tarifs, et/ou au plan de relance, avec une conséquence sur la durée, ne provoquent pas un « recalage » de la courbe permettant de retrouver une « rentabilité objectif ». J’insisterai sur le fait que c’est ce mécanisme qui perturbe l’usager, puisqu’il aboutit in fine à créer un sentiment négatif de « concession perpétuelle ».

À la lumière de ces développements, force est de constater qu’il est important de sortir de la situation actuelle, mais dans une logique « gagnant-gagnant ». À cette fin, il est donc primordial de mener une réflexion objective portant sur trois axes : la transparence des tarifs, la possibilité de dégager un échéancier eu égard à la durée du contrat de concession négocié et la modernisation des contrats et des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires. Plus que tout, l’usager a besoin aujourd’hui d’une lisibilité à tous les niveaux. Or le sentiment négatif qui domine à l’heure actuelle recouvre deux réalités : l’opacité du tarif et l’échéance de fin de contrat non connue, du fait de la pratique de l’adossement.

De façon pragmatique, il faut pouvoir se rendre compte du bien-fondé du tarif qui est appliqué. En effet, à un moment donné, les autoroutes seront amorties : il est donc important de connaître, dès aujourd’hui, les incidences de cette situation sur la tarification. Or nous sommes contraints d’admettre que la mise en place des contrats de plan annihile cet éclairage et renforce l’impression de concessions illimitées. Il faut donc œuvrer pour sortir de cette impasse.

Une fois la notion de transparence rendue effective, la mise en place d’une perspective de tarifs devient de fait envisageable. Il apparaît en effet primordial de pouvoir garantir à l’usager que le tarif payé est bien conforme au service rendu. La lisibilité de la date de fin de contrat devient donc un élément important, sinon indispensable, afin de pouvoir mettre en place un échéancier et une perspective rationnelle d’évolution des tarifs.

Concernant la gestion des contrats de concession, il est aujourd’hui primordial de faire désormais prévaloir des relations équilibrées entre l’État et les sociétés. Les contrats de plan doivent donc s’inscrire dans une relation modernisée grâce à un renforcement des capacités de contrôle de l’État, comme l’a justement souligné notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ.