M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. J’aurai le même avis, pour les mêmes raisons.

Toutefois, je tiens à revenir sur la raison de toute cette réforme et à répondre aux orateurs qui viennent d’intervenir.

Tout d’abord, M. Bigot l’a très bien dit, prétendre que le droit n’aurait aucun lien avec l’économie est une aberration. Nous parlons de professions dont le chiffre d’affaires atteint une vingtaine de milliards d’euros. Si ce n’est pas de l’économie, cela devrait être gratuit et relever de l’économie du don ! Ou alors, fonctionnarisons toutes ces bonnes personnes !

Mme Éliane Assassi. C’est du service public !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’est pas ce dont nous parlons, précisément. Permettez-moi de ne pas vous suivre dans la logique des trois petits singes, qui voudrait qu’on se bande les yeux, qu’on se bouche les oreilles et qu’on ferme la bouche : parce qu’il s’agit du droit, nous ne serions pas autorisés à nous pencher sur la question !

Une telle approche ne me paraît pas pertinente. Les professions réglementées participent de l’économie. Il est donc normal, monsieur Karoutchi, lorsqu’on évoque l’économie et la croissance, de réfléchir à ces questions, tout comme il est normal de s’intéresser à la grande distribution.

Certes, il s’agit sans doute de professions mieux organisées, plus bruyantes, qui trouvent des relais au sein de la Haute Assemblée comme à l’Assemblée nationale… Toutefois, pourquoi ne faudrait-il pas examiner leur situation ?

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ces professions relèvent, vous le disiez tout à l’heure, de réglementations parfois très anciennes, car il a souvent semblé préférable de ne pas s’en occuper… L’approche de mon prédécesseur a été conforme à son style. Il a d’ailleurs permis de faire avancer le dossier. Je n’ai pas adopté la même attitude, n’ayant jamais stigmatisé ou mis au pilori cette profession – vous ne m’avez jamais entendu tenir de tels propos, monsieur le sénateur. Au contraire, j’ai toujours reconnu sa contribution concernant l’accès au droit et la sécurité juridique.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, je m’amuse d’entendre aujourd'hui votre majorité sénatoriale, qui est la majorité gouvernementale d’hier, défendre, la main sur le cœur, la sécurité juridique. C’est vous, et non pas le gouvernement, qui avez créé l’acte d’avocat et fait la première encoche dans la sécurité juridique, en particulier celle de l’acte authentique.

Nous avons décidé, pour tout ce qui relève du maillage territorial et de la sécurité juridique, de ne rien toucher. En revanche, force est de le constater, ces professions pratiquent des tarifs qui ne sont pas toujours transparents ; elles ont des règles d’organisation qui ne sont pas optimales et des principes en termes d’installation qui sont peu satisfaisants au XXIe siècle. Or notre intérêt porte sur ces trois sujets. Il ne s’agit pas d’une révolution ou d’un big bang, mais de l’introduction d’éléments concrets.

La réaction desdites professions, peut-être habituées à ne pas être au centre de l’attention, a justifié qu’on fasse de leur situation le cœur de ce projet de loi. Or tel n’était pas le cas à l’origine, cette question n’étant pas essentielle sur le plan de l’impact économique.

Si l’on suivait votre logique jusqu’au bout, monsieur Karoutchi, on ne changerait jamais rien. En effet, la grande réforme économique qui permettrait de relancer la croissance n’existe pas. Pour créer la croissance et l’activité, il faut mener une série de réformes, secteur par secteur. Il convient de se pencher sur une partie des services du droit, du secteur de l’énergie, de la distribution, etc. Chaque secteur économique justifie un déverrouillage. Un chiffre d’affaires d’une vingtaine de milliards d’euros, comme c’est le cas de celui de ces professions, est loin d’être insignifiant ; il est donc normal de s’en occuper.

Le présent article porte sur les tarifs. Je dois le dire, je défendrai tout à l’heure un amendement qui n’est pas un simple amendement de rétablissement du texte du Gouvernement.

La commission n’a d’ailleurs pas opéré de suppression pure et simple, ce dont je la remercie. Il y a eu une avancée collective, qui a permis à l’esprit du texte de progresser, puisque, pour la première fois, chacun a reconnu que la fixation des tarifs nécessitait une plus grande transparence et une plus grande régularité. À mes yeux, c’est là le cœur de l’article.

On débattra tout à l’heure de la question des remises, qui a déjà été évoquée. Je voudrais que nous allions, en la matière, vers plus de simplicité.

Somme toute, on le voit bien, nous sommes en train de créer un mouvement, qui me paraît utile. En effet, rendre plus transparente la fixation des tarifs de ces professions, c’est bon pour l’ensemble de nos concitoyens, c’est bon aussi pour notre économie, car ces tarifs représentent un coût non négligeable pour les entreprises comme pour les ménages. Tout cela va donc dans la bonne direction.

Nous faisons collectivement œuvre utile, mesdames, messieurs les sénateurs. Il faut largement dépassionner les débats ; la réaction passionnée, elle, de certains n’est que le reflet du sentiment profond selon lequel il serait illégitime que le législateur s’occupe de textes qui remontent parfois, cela a été dit, à Louis XVIII ou encore avant.

Or nous avons tout de même le droit de moderniser le droit, monsieur Karoutchi, et moderniser l’économie passe aussi par là.

M. Roger Karoutchi. Vous avez tout à fait le droit de moderniser Louis XVIII, cela oui ! (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Tel est l’état d’esprit du Gouvernement. On avance et c’est faire œuvre utile par rapport à la démarche d’ensemble.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je suis surpris, monsieur le ministre, que vous réduisiez l’économie au secteur privé.

M. Emmanuel Macron, ministre. Non !

M. Jean Desessard. Le secteur de la santé représente des milliers d’emplois, et offre des services formidables ; or c’est une économie administrée ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) On ne peut donc pas dire que toute l’économie relève du secteur privé.

Je pense aussi au service de l’eau, aux services municipaux en général ; énormément de services économiques sont gérés par les collectivités territoriales ou l’État.

M. Emmanuel Macron, ministre. On est d’accord !

M. Jean Desessard. Par ailleurs, vous semblez indiquer que tout ce qui date un peu n’est pas bon.

Quand Bruxelles a voulu remettre en cause la Caisse des dépôts et consignations, je peux vous dire, monsieur le ministre, que je n’étais absolument pas d’accord ! Pourtant, cette institution date de Napoléon. Elle est menacée tous les vingt ans, mais elle offre des services extrêmement intéressants.

Qu’il faille, à un certain moment, affiner les choses, actualiser les statuts, j’en conviens. Mais des outils mis en place en des temps éloignés rendent encore des services aujourd’hui.

M. Charles Revet. Il ne faut pas tout casser !

M. Jean Desessard. Dès lors, je m’inscris, sur ce point, dans la démarche du groupe CRC et de nos collègues – comment les appeler ? – de la droite républicaine. (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Les Républicains !

M. Jean Desessard. Nous nous situons donc, comme eux, dans cette perspective : les agents des professions dont nous parlons exercent une fonction de service public ; ils produisent notamment des actes assermentés. Nous défendons aussi l’égalité des tarifs.

C’est sur ce point, monsieur le rapporteur, que je ne comprends pas pourquoi la commission autorise les remises. La remise peut signifier le clientélisme, ou l’existence de clients privilégiés. Elle peut aussi impliquer la concurrence entre études. Il faut être logique : si on conserve la notion de service public, la concurrence ne doit pas avoir lieu, et l’égalité des tarifs comme la répartition sur tout le territoire doivent être assurées.

Je m’abstiendrai donc sur l’amendement déposé par le groupe CRC, car il peut être utile de revoir les conditions d’installation de ces études, ainsi que, peut-être, les tarifs, même si cela doit être fait avec mesure.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 140 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 314
Pour l’adoption 19
Contre 295

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous reprenons l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 12.

L'amendement n° 1664, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le code de commerce est ainsi modifié :

1° Après le titre IV du livre IV, il est inséré un titre IV bis ainsi rédigé :

« TITRE IV BIS

« DE CERTAINS TARIFS RÉGLEMENTÉS

« Art. L. 444-1. – Sont régis par le présent titre les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunaux de commerce, des huissiers de justice, des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires et des notaires.

« Art. L. 444-2. – Les tarifs mentionnés à l’article L. 444-1 prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs.

« Par dérogation au premier alinéa du présent article, peut être prévue une péréquation des tarifs applicables à l’ensemble des prestations servies. Cette péréquation peut notamment prévoir que les tarifs des prestations relatives à des biens ou des droits d’une valeur supérieure à un seuil fixé par l’arrêté conjoint prévu à l’article L. 444-3 soient fixés proportionnellement à la valeur du bien ou du droit. Cette péréquation assure également une redistribution, au niveau national, des sommes perçues au titre de ces tarifs proportionnels et de celui des droits et émoluments de l’avocat en matière de saisie immobilière et de sûretés judiciaires visés à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, au bénéfice d’un fonds interprofessionnel destiné à financer notamment l’aide juridictionnelle, l’accès au droit et les maisons de justice et du droit.

« Des remises peuvent être consenties lorsqu’un tarif est déterminé proportionnellement à la valeur d’un bien ou d’un droit en application du deuxième alinéa du présent article et lorsque le montant de ce tarif est supérieur à un seuil minimal défini par l’arrêté conjoint prévu à l’article L. 444-3 et inférieur à un seuil maximal défini par le même arrêté. Le montant des remises octroyées par un professionnel est fixe et compris dans des limites définies par voie réglementaire.

« Art. L. 444-3. – Le tarif de chaque prestation est arrêté conjointement par les ministres de la justice et de l’économie.

« Ces tarifs sont révisés au moins tous les cinq ans.

« Art. L. 444-3-1. – Les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers de tribunaux de commerce, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les notaires affichent les tarifs qu’ils pratiquent, de manière visible et lisible, dans leur lieu d’exercice et sur leur site internet.

« Art. L. 444-3-2. – Pour l’application de l’article L. 444-3, le ministre de l’économie peut recueillir :

« 1° toute donnée utile, auprès des professionnels mentionnés à l’article L. 444-1 ;

« 2° les informations statistiques précisées par voie réglementaire, auprès des instances représentatives de ces professionnels.

« Art. L. 444-4. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, précise les modalités d’application du présent titre, notamment :

« 1° Les modes d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable ;

« 2° Les caractéristiques de la péréquation prévue au deuxième alinéa de l’article L. 444-2.

« 3° La liste des informations statistiques mentionnées au 2° de l’article L. 444-3-2, et les modalités de leur transmission régulière.

2° Après l’article L. 462-2, il est inséré un article L. 462-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L 462-2-1. – À la demande du Gouvernement, l’Autorité de la concurrence donne son avis sur les prix et tarifs réglementés mentionnés, respectivement, au deuxième alinéa de l’article L. 410-2 et à l’article L. 444-1. Cet avis est rendu public. » ;

« L’Autorité de la concurrence peut également prendre l’initiative d’émettre un avis sur les prix et tarifs réglementés mentionnés au premier alinéa. Cet avis est rendu public au plus tard un mois avant la révision du prix ou du tarif en cause.

« L’engagement d’une procédure d’avis en application du présent article est rendue publique dans les cinq jours ouvrables, afin de permettre aux associations de défense des consommateurs agréées au niveau national pour ester en justice ainsi qu’aux organisations professionnelles ou aux instances ordinales concernées d’adresser leurs observations à l’Autorité de la concurrence.

« Le Gouvernement informe l’Autorité de la concurrence, à la demande de celle-ci, de tout projet de révision des prix ou des tarifs réglementés mentionnés au premier alinéa, au moins deux mois avant la révision du prix ou du tarif en cause. » ;

3° À la première phrase de l’article L. 663-2, les mots : « des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires, » sont supprimés ;

4° Au premier alinéa de l’article L. 663-3, la référence : « L. 663-2 » est remplacée par la référence : « L. 444-2 » ;

5° À la fin du premier alinéa de l’article L. 743-13, les mots : « par décret en Conseil d’État » sont remplacés par les mots : « en application du titre IV bis du livre IV du présent code ».

II. – La première phrase du troisième alinéa de l’article L. 113-3 du code de la consommation est complétée par les mots : « du présent code, ainsi qu’aux prestations mentionnées au titre IV bis du livre IV du code de commerce ».

III. – L’article 1er de la loi du 29 mars 1944 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels est abrogé à une date fixée par décret, et au plus tard à l’expiration du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi. Les arrêtés prévus à l’article L. 444-3 du code de commerce peuvent être adoptés avant cette date.

IV. – Sont applicables à Wallis-et-Futuna :

1° Les articles L. 444-1 à L. 444-4, L. 462-1, L. 462-4, L. 464-1, L. 663-2, L. 663-3 et L. 743-13 du code de commerce, dans leur rédaction résultant du présent article ;

2° L’article L. 113-3 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant du présent article.

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit d’un amendement cher au sénateur Roger Karoutchi. (Sourires.)

Cet amendement ne vise pas simplement à rétablir l’article 12 dans sa rédaction première. Tout d’abord, je tiens à le redire ici, la commission spéciale n’a pas absolument rejeté cet article pour promouvoir ses propres vues. Dans quelques instants, sera défendu un amendement du groupe socialiste, qui visera également à introduire des modifications.

Permettez-moi en quelques mots de donner l’esprit des points qui sont portés par le présent amendement.

D’abord, il s’agit d’apporter des éléments de clarification. En plus des notaires, d’autres professionnels pourront avoir des tarifs proportionnels, ce qui n’était pas le cas dans l’article initial du projet de loi.

Ensuite, à la lumière, d’ailleurs, des débats que vous avez eus en commission spéciale et du texte que vous avez élaboré, nous avons retenu une amélioration légistique visant à regrouper toutes les procédures d’avis de l’Autorité de la concurrence au même article du code de commerce.

Par ailleurs, le présent amendement prévoit l’inclusion des tarifs des émoluments de l’avocat en matière de saisie immobilière et de sûretés judiciaires dans le mécanisme de péréquation – c’est un ajout au texte.

Il y a deux sujets, finalement, qui sont en quelque sorte le dissensus. C’est une discussion que nous pourrons avoir avec le sénateur Bigot tout à l’heure, cet amendement aborde le sujet des remises. Comme vous l’avez souligné, durant le débat à l’Assemblée nationale, j’ai souhaité revenir sur le mécanisme initialement appelé de corridor, qui n’était pas adapté et qui était trop compliqué. Les parlementaires ont décidé par voie d’amendement, avec un avis favorable du Gouvernement, d’instaurer un principe de remise. Sans doute est-il possible d’améliorer encore ce système pour le rendre plus simple et plus lisible.

Les choses peuvent se voir de deux façons. Vous en avez exposé une, tout à l’heure, en défendant l’idée de tarifs déterminés. Le grand apport de cet article et, selon moi, le principal apport du projet initial du Gouvernement est d’instaurer un mécanisme de fixation transparent et régulier des tarifs, qui n’existait pas jusqu’alors. C’est le cœur, qui n’est pas remis en cause par les modifications de la commission spéciale. Je veux y insister, nous partageons collectivement une même philosophie sur ce point, et c’est important.

M. François Pillet, corapporteur. Tout à fait !

M. Emmanuel Macron, ministre. Par ailleurs, certains ont émis le désir de légiférer sur la remise. J’attire votre attention sur le fait que les remises se pratiquent déjà, mais sont insuffisamment encadrées par la loi et le règlement. Surtout, elles restent largement discrétionnaires. L’apport du texte est de prévoir ces remises, avec pour ambition ensuite de définir une limite par voie réglementaire en fixant un seuil au-dessus duquel elles peuvent être effectuées.

L’idée c’est qu’elles ne soient pas opérées client par client, de manière discrétionnaire, mais qu’elles soient affichées de manière transparente par le professionnel. Nous laissons toute latitude à celui-ci de promouvoir, s’il le souhaite, une politique de remise. Somme toute, dans certaines zones, cela peut constituer un élément d’attractivité pour les plus jeunes professionnels, mais encadré par la loi : nous proposons donc ici en quelque sorte un deuxième tarif réglementé.

En particulier pour les classes moyennes ou pour certaines entreprises, notamment sur les transactions les plus élevées, c’est une façon d’améliorer véritablement l’efficacité de certaines prestations. Cette mesure que rétablit l’amendement du Gouvernement constitue le principal distinguo avec l’amendement du groupe socialiste. Il me semble que nous devons avancer dans cette voie pour la rendre la plus simple et la plus transparente possible.

Enfin, sur l’alinéa 5 de l’article initialement voté par l’Assemblée nationale, c’est un dispositif équilibré de remises fixes pour les tarifs proportionnels dont l’assiette est comprise entre deux seuils fixés par voie réglementaire qui était prévu et qui est remis dans le présent amendement, et qui a la faveur du Gouvernement. Il convenait d’insister sur ce sujet.

Tels sont les différents points que je souhaitais évoquer pour défendre cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Avant d’expliquer pourquoi la commission a émis un avis défavorable, je vous donnerai mon sentiment sur les raisons à l’origine de l’espèce d’irritation qui s’est fait jour au sein de certaines professions réglementées et qui a gâché le débat sur ce texte.

Les professions réglementées, je l’ai constaté tout au long des auditions, ne sont absolument pas opposées à une réflexion sur les tarifs ni à une réforme. Cependant, – c’est sûrement tout à fait involontaire – selon la présentation qui en a été faite dans les médias, les professions réglementées n’ont pas évolué en nombre, ou très peu, de leur fait, parce qu’elles se seraient auto-protégées et les tarifs seraient ce qu’ils sont parce qu’elles étaient les seules à en décider. Or, monsieur le ministre, vous l’avez reconnu en filigrane, voire de manière expresse, ce n’est pas vrai. Le nombre de professionnels au sein des professions réglementées est fixé non par les professions, mais par le Gouvernement.

M. François Pillet, corapporteur. Les tarifs, ce ne sont pas les professions réglementées qui en décident. Les tarifs sont fixés non par les notaires, mais par le Gouvernement.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. François Pillet, corapporteur. Voilà pourquoi, curieusement, l’opinion, par un effet de miroir, a critiqué ces professions en leur reprochant d’être immobiles et de se protéger par le biais de leurs tarifs, alors qu’elles n’ont strictement aucun pouvoir sur ces questions.

À mon avis, là est le nœud de l’irritation. Sans cette espèce de fumée ou de montage d’image dans l’opinion publique, les professionnels concernés ne se seraient pas crispés. Je tenais à le souligner, ne serait-ce que pour apaiser des débats qui, de toute façon, resteront très calmes cet après-midi.

En proposant cet amendement visant à une nouvelle rédaction intégrale, le Gouvernement réduit assez considérablement l’espace du débat sur cet article. La rédaction suggérée ici est tellement différente de celle qui est proposée par la commission que je pourrais, comme tout à l’heure pour l’amendement du groupe CRC, mettre un terme à la discussion en émettant purement et simplement un avis défavorable.

Néanmoins, je veux profiter de cette occasion pour débattre. Monsieur le ministre, je vais vous poser un certain nombre de questions afin que vos réponses nous permettent d’avancer dans la suite des débats et de la procédure parlementaire.

Votre amendement écrasant le texte de la commission, on pourrait en conclure que les deux dispositifs sont en opposition complète. Or, monsieur le ministre, vous le savez, mais, si ce n’est pas le cas, j’espère vous convaincre, nos accords sont beaucoup plus nombreux que nos divergences.

En premier lieu, nous sommes d’accord sur l’essentiel, à savoir les grands les principes qui traversent le texte et cet amendement. Vous souhaitez un établissement des tarifs plus transparent et plus clair, qui fasse intervenir un regard tiers. Nous aussi ! Les professions n’ont pas manifesté d’opposition majeure sur ce point. Vous souhaitez une péréquation et des remises tarifaires. Nous aussi !

Ne souhaitant pas laisser à nos échanges le goût du regret ou de l’incompréhension, je voudrais que vous précisiez certains points de votre analyse.

Le premier point concerne le texte susceptible d’accueillir ces dispositions. Vous souhaitez qu’elles soient insérées dans le code de commerce. La commission spéciale a préféré retenir la solution que vous avez vous-même promue à l’article 13 bis, à savoir intégrer directement ces dispositions dans la présente loi.

En effet, le code de commerce traite avant tout des actes des commerçants, ce qui est dissonant avec la qualité d’officier public ou ministériel des intéressés.

La commission spéciale a justement noté que l’argument selon lequel les tarifs des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires s’y trouveraient déjà ne permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit. Monsieur le ministre, vous le savez bien, la seule raison de cette présence est que les procédures collectives se trouvent dans le code de commerce.

J’ajoute d'ailleurs qu’il ne s’agit pas à proprement parler des tarifs de la profession d’administrateur et de mandataire judiciaire mais de ceux de tous les professionnels qui interviennent sous mandat de justice dans ces procédures collectives.

Comme nous vous l’avons dit précédemment, si vous aviez poussé jusqu’au bout la logique de votre argument, vous auriez inscrit dans le code civil le tarif des notaires et dans le code des procédures civiles d’exécution celui des huissiers de justice.

Le deuxième point a trait à la compétence conjointe que vous réclamez pour fixer les tarifs avec le garde des sceaux. C’est une querelle dans laquelle je ne m’immisce qu’à pas légers. Cela ne nous est pas apparu raisonnable. Il n’est pas nécessaire, le Gouvernement parlant d’une seule voix, comme vous le montrez aujourd'hui. S’il s’agit de colorer l’appréciation du garde des sceaux d’une nuance économique, l’avis de l’Autorité de la concurrence, que nous avons conservé, est bien suffisant.

Cette compétence conjointe n’est pas raisonnable parce qu’il nous semble que la décision doit accompagner la responsabilité. Je ne crois pas que vous revendiquiez d’exercer, monsieur le ministre, comme vous le faites pour les experts-comptables, une tutelle conjointe sur les professions juridiques. Laissons donc la décision au ministre qui exerce cette tutelle, sinon, en partageant sa compétence, nous affaiblirions sa tutelle. De toute façon, je le répète, ce n’est pas le ministre qui décide, c’est le Gouvernement.

Le troisième point est relatif à la péréquation tarifaire et l’aide juridictionnelle.

Vous avez défendu, monsieur le ministre, lors de la discussion générale, le principe d’un prélèvement sur les sommes récoltées au titre de la péréquation pour abonder le financement de l’aide juridictionnelle, soulignant avec étonnement qu’il vous paraissait contradictoire de ne pas faire financer par les officiers publics ou ministériels l’accès au droit auquel ils prétendent, à juste titre, me semble-t-il, participer quotidiennement.

Pouvez-vous expliquer au Sénat pourquoi votre étonnement ne s’est pas étendu à d’autres professions du droit ? Il en est ainsi d’une partie non négligeable des avocats, qui n’ont pas d’activité judiciaire, ou de tous les autres professionnels qui pratiquent le droit à titre accessoire – je pense en particulier aux experts-comptables – et dont on pourrait exiger, en suivant le même raisonnement que le vôtre, qu’ils participent à l’effort commun d’accès au droit.

La commission spéciale s’est opposée à ce qu’en cette matière délicate des arbitrages partiels soient rendus. Pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a décidé de limiter la réforme du financement de l’aide juridictionnelle au présent fonds de péréquation ou s’il a d’autres projets ? Dans le cas où il aurait d’autres projets, pouvez-vous nous expliquer pourquoi il a décidé de laisser traiter ce sujet de manière partielle, dans un texte consacré à la croissance économique, alors que nous en attendons un fondateur pour le XXIe siècle en matière de justice ?

Le quatrième point concerne la structure du dispositif de péréquation.

Monsieur le ministre, l’Assemblée nationale a fait le choix, que vous soutenez, d’un fonds interprofessionnel. Or cette interprofessionnalité, à notre avis, pose problème.

En effet, la péréquation mise en œuvre par le fonds peut se concevoir comme un correctif des insuffisances de la péréquation tarifaire puisque cette dernière est construite pour un panier de prestation moyen. Or ce panier ne constitue pas la réalité de l’activité de toutes les études : certaines bénéficieront d’un panier beaucoup plus rémunérateur, selon leur situation géographique et le bassin économique dans lequel elles sont situées, et d’autres d’un panier bien moins profitable. La péréquation financière compense partiellement cette inégalité de situation. Il y a donc un lien entre péréquation tarifaire et péréquation financière, et il est logique que l’une comme l’autre soient organisées au sein de chaque profession. Sinon, cela revient à faire payer par d’autres professionnels – donc d’autres clients – les imperfections du système de péréquation tarifaire retenu pour une seule profession.

Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, comment vous justifiez cela. Vous comprenez bien que ce débat est propre à éclairer des corrections qui pourraient intervenir dans la suite du travail parlementaire.

En outre, la commission spéciale souhaiterait que vous lui indiquiez précisément les raisons de votre hostilité au remboursement, par le fonds de péréquation, des indemnités qu’un nouvel arrivant doit à ses confrères auxquels son installation porte préjudice. Cette mesure me paraissait pourtant présenter un caractère social. Les notaires ne sont pas tous des fils d’archevêque ! (M. le président de la commission spéciale sourit.) Certains deviennent notaires en suivant des études de droit grâce à l’ascenseur républicain, lorsque celui-ci n’est pas en panne. Ces jeunes, grâce à leurs capacités, à leurs valeurs, seront sélectionnés par le concours que nous vous proposerons d’instaurer pour créer leur étude. Au bout de six ans, il leur sera éventuellement demandé de participer à l’indemnisation de leurs confrères préexistants sur le terrain.

J’avoue que cette proposition de la commission spéciale me paraissait posséder un caractère social. Il m’étonne donc que vous refusiez que le fonds de péréquation puisse aussi servir cet objectif.

Le cinquième point a trait au mécanisme des remises tarifaires.

La commission spéciale a fortement modifié le dispositif des remises tarifaires que vous proposez de rétablir parce qu’il lui a semblé contradictoire avec les objectifs assignés au texte.

En effet, nous en avons discuté, le dispositif que vous proposez ne concerne que des transactions portant sur des biens dont la valeur est comprise entre un seuil plancher et un seuil plafond, c’est-à-dire des transactions de moyenne gamme. Curieusement, les transactions sur les biens de haut de gamme, c'est-à-dire les plus rémunératrices, sont ainsi mises à l’abri de toute concurrence par le biais de la remise.

Au contraire, les prestations de moyenne gamme, qui ne sont pas les plus rémunératrices, pourraient, elles, être soumises à cette remise. Or c’est précisément celles-ci qui, dans les petites études assurant le maillage territorial, dans les études de chefs-lieux de canton, assurent l’équilibre économique de la structure. Paradoxalement, le mécanisme de la remise risque de mettre en péril les unités économiques les plus fragiles…