M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un texte d’une telle ampleur emporte forcément une certaine dramaturgie. Nous avons connu des temps forts, des temps plats, des moments de surplace, des tunnels, de brusques accélérations, et aussi, il faut le dire, des mouvements d’humeur ! (M. Jacques Mézard opine.)

C’était long, le président François Zocchetto l’a dit, mais c’est parce qu’il y avait une certaine urgence, d’autant que rien n’avait été fait auparavant. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Les gouvernements successifs étaient restés les bras croisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Nous étions, hier, heureux d’en avoir fini…

M. Bruno Sido. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. … et nous nous sommes congratulés. Nous étions surtout heureux d’avoir su travailler en nous respectant les uns les autres. Aujourd’hui, vient le moment du choix politique.

Tous, nous avons salué l’engagement total du ministre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Isabelle Debré applaudit également.), sa volonté de convaincre, de répondre point par point aux arguments contraires, d’où qu’ils viennent, d’y revenir sans arrogance et avec la pédagogie nécessaire.

M. Michel Bouvard. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. La majorité de la commission spéciale, son président et ses corapporteurs, dont il faut saluer la constance et la présence continue, avaient arrêté une stratégie avec la majorité sénatoriale : pas de confrontation systématique, mais des réécritures. Nous avons pourtant pu constater que, parfois, ces réécritures valaient suppression de l’esprit général du texte.

Il revenait au groupe socialiste de tenir la ligne de soutien à notre gouvernement.

Chaque fois, en particulier, qu’il s’est agi de défendre et de maintenir des dispositifs de négociations et de dialogue social contre des décisions unilatérales des employeurs, comme cela a été malheureusement le cas pour le travail du dimanche, nous sommes restés fidèles à nos principes : pas d’accord, pas d’ouverture !

Chaque fois que nous avons dû défendre notre conception de l’entreprise, au cours de plusieurs débats presque philosophiques, en tout cas très politiques, nous nous sommes engagés : une entreprise n’est pas seulement une société de droit, c’est aussi et surtout une communauté d’intérêts, dans laquelle les salariés doivent être traités en parties prenantes.

Ce fut notamment le cas lorsqu’il s’est agi du droit d’information des salariés. Je veux vous dire, monsieur le président Retailleau, que nous n’avons vraiment pas apprécié votre manière de le qualifier. J’ai cru, un moment, que vous aviez commis une erreur de langage ; cela peut arriver ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Cela n’arrive pas au président Retailleau ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. Mais, en relisant les débats, il m’est bien apparu que vous aviez utilisé le qualificatif de « toxique » à propos de ce dispositif. À mes yeux, vous avez commis là une mauvaise action et prononcé une mauvaise parole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Il y eut des temps forts et productifs. J’en retiendrai trois.

Ce fut d’abord la matinée consacrée à la couverture des zones blanches et au déploiement de la fibre, qui a abouti à un amendement du Gouvernement adopté à l’unanimité. Vous avez, monsieur le ministre, immédiatement convoqué les opérateurs pour qu’ils s’engagent aux côtés des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Nicole Bricq. C’est un honneur pour nous d’avoir voté cette mesure ici.

C’est également le Sénat qui aura voté le mécanisme de surinvestissement pour les entreprises.

M. Albéric de Montgolfier. Mais c’est nous qui l’avons proposé !

Mme Nicole Bricq. J’y vois une marque de reconnaissance à l’endroit de cette institution de la part du Gouvernement, et je l’en remercie.

Beau travail, également, que celui qui a conduit à un accord sur le crédit interentreprises, lequel libère les entreprises de banques, toujours frileuses quand il s’agit de les financer.

Il y eut aussi des temps plats, durant lesquels nous avons fait du surplace : impossible de s’entendre, par exemple, sur la spécialisation de certains tribunaux de commerce.

À la vérité, à la décharge de la commission spéciale, je dois dire que nous avions passé la matinée à écouter le corapporteur s’efforcer de convaincre sa majorité, très rebelle à cette idée, de ne pas voter la suppression. On peut comprendre qu’après cela vous n’ayez plus voulu céder sur rien, monsieur le corapporteur !

La commission spéciale a parfois rencontré des difficultés à contenir sa majorité, mais elle a aussi prêté la main à quelques débordements. J’ai compté dix épisodes, dont aucun n’était majeur, qui vous ont conduits à céder sur votre stratégie ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je les ai comptés !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Dix, sur 135 heures de débats…

Mme Nicole Bricq. Malgré les objurgations du président Capo-Canellas, vous n’avez pu empêcher votre majorité d’en rajouter dans les exonérations sociales et fiscales non justifiées.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Vous, vous n’avez cessé d’en rajouter dans la fiscalité !

Mme Nicole Bricq. J’ai fait un décompte rapide : il est tout de même étonnant que ceux qui nous réclament plus de 100 milliards d’euros d’économies au dehors de cet hémicycle aient ainsi ajouté près de 300 millions d’euros de dépenses ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. Didier Guillaume. Exactement !

Mme Nicole Bricq. Enfin, la majorité sénatoriale a voulu placer dans ce texte quelques marqueurs politiciens, et c’est de bon cœur que la commission spéciale a suivi sa majorité, dès lors qu’il s’agissait du social et du travail.

On retiendra, entre autres, les agressions contre le compte pénibilité et les seuils sociaux.

M. Francis Delattre. Mais on ne retiendra pas votre discours ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. C’est décidément faire peu de cas des partenaires sociaux !

De même, le renversement des accords de maintien de l’emploi défensifs, transformés en accords offensifs, alors même que vous savez parfaitement que le Gouvernement doit très prochainement s’en entretenir avec les partenaires sociaux pour prendre une décision qui sera traduite dans la navette parlementaire, est une mauvaise manière faite au Gouvernement et un mauvais coup porté au dialogue social.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Oh !

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Nicole Bricq. Si nous avons pu aboutir sur la réforme prud’homale, nous avons échoué à faire évoluer significativement les professions du droit, car la majorité sénatoriale s’est montrée franchement conservatrice à ce sujet.

À l’heure des comptes et du choix, le groupe socialiste a considéré que le texte pouvait assurer sa bonne fin dans la navette parlementaire, au service de l’économie, de la croissance et de l’emploi pour la France et les Français.

M. Roger Karoutchi. Ça veut tout dire !

Mme Nicole Bricq. Certes, il contient des mesures qui visent à le « droitiser »,…

Un sénateur du groupe UMP. Et donc à l’améliorer !

Mme Nicole Bricq. … mais elles n’ont reçu aucun aval du Gouvernement que nous soutenons et, fort heureusement, elles ne survivront pas à la navette ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

En conséquence, la réforme l’emportera sur la régression et l’immobilisme, et cela motive notre abstention finale ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

M. Jean Desessard. Après quinze jours de débats, le Sénat a achevé l’examen de l’un des plus longs textes que notre assemblée ait eu à étudier.

Sur la forme, j’ai eu l’occasion hier de souligner le bon climat des débats, grâce à l’écoute constructive dont ont fait montre le ministre, les corapporteurs et le président de la commission spéciale.

Sur le fond, dans sa philosophie générale, le projet de loi tend à déverrouiller un certain nombre de secteurs, dans l’objectif affiché de créer de l’activité et de la croissance. Ouvertures de lignes privées d’autocar, liberté d’installation et regroupement des professions réglementées, simplification du droit de l’environnement, ouverture facilitée des commerces le dimanche et la nuit : telles sont certaines des propositions qui nous sont faites.

Tout d’abord, monsieur le ministre, nous sommes réservés quant au potentiel de croissance que vous pensez obtenir grâce à ces mesures de dérégulation.

Ensuite, en vertu de votre volonté de produire toujours plus, vous considérez comme autant d’obstacles des règles qui tendent à préserver notre patrimoine ou notre environnement ; obstacles aussi des règles qui garantissent le droit des salariés à disposer de temps libre ; obstacles encore des règles qui garantissent l’éthique des professions réglementées.

Cependant, afin de limiter l’impact négatif de certaines mesures, vous avez prévu des contreparties. Ces contreparties permettent à votre réforme d’atteindre un point d’équilibre que l’on peut qualifier de « social-libéral ».

Mais qu’adviendra-t-il si une nouvelle majorité est aux commandes (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Francis Delattre. Excellente question !

M. Jean Desessard. … et si un nouveau ministre de l’économie occupe votre poste ?

Le projet de loi ouvre des brèches qui peuvent être exploitées dans une logique tout autre que celle de l’actuel gouvernement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Le projet social-libéral peut très facilement devenir libéral tout court. C’est précisément ce qui s’est d’ores et déjà produit lors de l’examen du texte au Sénat. La majorité de droite… (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et du centre !

M. Jean Desessard. … ou la majorité sénatoriale, pour ne pas vous vexer, chers collègues, a profité de votre projet de loi, monsieur le ministre, pour y apposer sa marque et rompre l’équilibre que vous proposez.

M. Gérard Cornu. Heureusement !

M. Jean Desessard. Sur le travail dominical et nocturne, les entreprises auront la possibilité de déroger très largement aux contreparties en s’affranchissant du dialogue social.

M. Jean Desessard. À l’occasion de la libéralisation du transport par autocar, la majorité sénatoriale a adopté un amendement visant à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional.

Et puisque l’on traite largement du droit du travail, pourquoi s’arrêter ? Pourquoi ne pas instaurer trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière et territoriale, relever les seuils sociaux et permettre de déroger aux 35 heures ? (Marques d’approbation ironiques sur les travées de l'UMP et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

M. Joël Guerriau. Très bien !

M. Jean Desessard. Le risque d’une dérive libérale n’est donc pas hypothétique : le texte qu’il nous est proposé aujourd’hui de voter nous en apporte la preuve.

Nous déplorons aussi très vivement l’adoption, à cinq heures du matin, juste avant l’interruption de nos travaux pendant deux semaines, de l’amendement qui vise à permettre le stockage de déchets radioactifs à Bure, dit « amendement Cigéo », qui avait même été appelé par priorité afin de s’assurer qu’il serait voté avant la fin de la séance !

Pour être objectif, il faut cependant prendre acte du travail du Sénat sur plusieurs points. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) La limite kilométrique de déclaration des lignes d’autocar à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a été relevée pour ne pas concurrencer les lignes publiques. L’article 29, qui empêchait la démolition de bâtiments soumis à recours contentieux, a été supprimé. Enfin, le Sénat a adopté une position équilibrée au sujet des professions réglementées en redonnant la main au ministère de la justice sur les installations et en encadrant les remises.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellent !

M. Jean Desessard. Toutefois, ces quelques avancées ne changent en rien notre analyse globale.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. C’est dommage !

M. Jean Desessard. Nous refusons la logique de ce texte, selon laquelle la croissance sera au rendez-vous de la dérégulation. Nous ne pensons pas qu’il faille de la dérégulation pour créer de la croissance. Nous craignons aussi, comme je l’ai déjà dit, qu’une autre majorité ne s’engouffre dans la brèche ouverte et n’impose toujours plus de dérégulation au nom d’une hypothétique croissance. Cette nouvelle majorité, monsieur le ministre, n’aura pas les limites que vous vous êtes imposées dans ce texte.

Les écologistes voteront par conséquent contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Marques de déception feintes sur les travées du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. Avant de donner l’appréciation globale du groupe communiste républicain et citoyen sur le fond de ce projet de loi, je voudrais m’arrêter quelques instants sur la forme de ce débat parlementaire.

En trois semaines, nous avons dû examiner en séance publique un véritable monstre juridique. Ces sables mouvants législatifs ont gêné l’appréhension de ce texte par les parlementaires, mais aussi par les citoyens.

Comme nous l’avons indiqué en défendant notre motion d’irrecevabilité, la loi doit être intelligible, compréhensible pour tous. Votre texte l’est-il, monsieur le ministre ? Hors de ces murs, a-t-il permis un véritable débat dans le pays sur le choix de société que vous portez, à savoir le libéralisme ?

Cette question de forme n’est pas un détail. A l’heure où le Sénat annonce vouloir se réformer, on s’interroge : une démocratie parlementaire peut-elle fonctionner en étant soumise à une telle inflation législative ? Ce texte regroupait l’équivalent d’au moins quinze projets de loi !

Par ailleurs, au regard de la masse de ses dispositions, il est inadmissible d’imposer la procédure accélérée. Alors que 600 amendements, au moins, ont été adoptés au Sénat, est-il acceptable que l’Assemblée nationale ne se ressaisisse pas de ce texte ? Rappelons qu’elle ne l’a pas adopté en tant que tel puisque, faute de majorité de gauche pour vous soutenir, monsieur le ministre, M. le Premier ministre a dû dégainer brutalement le « 49.3 » !

Un accord en commission mixte paritaire paraît invraisemblable tant les amendements de la droite sénatoriale poussent les feux du libéralisme à leur paroxysme. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Vous n’avez encore rien vu !

Mme Éliane Assassi. Un tel accord serait une violence inadmissible faite à la majorité de l’Assemblée nationale et à ces dizaines de sénateurs de gauche, socialistes en particulier, qui avaient déjà refusé la dérive libérale du texte initial.

Monsieur le ministre, c’est une question grave. Je sais votre intention d’aller vite dans ce débat. Vous êtes en effet inquiet des effets dévastateurs que pourrait avoir dans l’opinion, et dans l’électorat de gauche, la divulgation des multiples capitulations devant le marché que recèle ce texte.

Votre projet, monsieur le ministre, comme nous l’avons dit et répété tout au long de ce débat, a une cohérence, celle d’un libéralisme assumé, d’un libéralisme qui envahit tous les aspects de la vie publique et privée, un libéralisme que vous assumez pleinement. Pourtant, le 6 mai 2012, les électeurs ont voulu mettre un terme, et pour une bonne part d’entre eux radicalement, sans compromis, à la dérive libérale des années de présidence de M. Nicolas Sarkozy.

Votre projet, monsieur le ministre, consiste en une dérégulation à tout va. Vous ouvrez massivement les lignes de transport routier de voyageurs, au détriment de la sécurité et de l’écologie, quitte à affaiblir l’un des atouts majeurs de notre pays : le transport ferroviaire.

La concurrence est votre maître mot : « mettre en concurrence », « faire jouer la concurrence », « la compétition »… Pourquoi pas « le combat » ? Les idéaux de fraternité, d’égalité et de liberté – celle de bien vivre et de s’épanouir, non celle de vendre, d’acheter et d’exploiter – sont noyés dans votre océan normatif.

Dérégulation et concurrence sont aussi les points clefs des dispositifs de privatisation adoptés par le biais de ce projet. Monsieur le ministre, vous nous refaites le coup des autoroutes avec les aéroports ! La collectivité a investi pour de grandes infrastructures très rentables ; vous les cédez au privé, aux actionnaires. Comment s’étonner que, dès à présent, l’ombre du Qatar plane sur les aéroports concernés, à Lyon et à Nice ? (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

L’industrie de défense elle-même est soumise à la pression du privé : vous instituez un partenariat surprenant avec un géant historique de l’armement allemand, au risque de perdre le lien nécessaire entre armement et diplomatie nationale.

Même le secteur du logement n’a pas trouvé grâce à vos yeux, puisque vous privilégiez le logement intermédiaire en remettant en cause l’effort réel pour le logement social engagé par Mme Duflot. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)

Discrètement, vous multipliez les dispositions en faveur de l’actionnariat. Actionnariat salarié, dites-vous ; mais, comme nous l’avons démontré, le dispositif des actions gratuites de l’article 34 fait des cadres dirigeants les principaux bénéficiaires de ces nouveaux cadeaux.

Jamais, dans votre texte, il n’est question de faire participer à l’effort de croissance les banques et les détenteurs de capitaux !

Enfin, le volet social de votre texte est truffé de régressions majeures : extension du travail dominical à douze dimanches par an, avec une généralisation en perspective ; remise en cause des prud’hommes et de l’inspection du travail ; instauration d’une procédure civile qui placera le salarié devant les avocats tout puissants du patronat.

Ces quelques mots ne permettent pas de traduire l’ampleur des transformations que vous proposez.

Pour conclure, je veux m’arrêter sur les conséquences des mesures sénatoriales adoptées avec votre assentiment.

La droite vous a manifesté un soutien constant durant ce débat, vous applaudissant à maintes reprises. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Isabelle Debré. Pas toujours !

Mme Éliane Assassi. La droite a donné son approbation aux grands axes que je viens d’évoquer, à l’exception remarquée des articles relatifs aux professions juridiques. Elle va même plus loin, et trop souvent avec votre assentiment, monsieur le ministre.

Parmi ces mesures se trouve l’extension du travail dominical, qui, dans les entreprises de moins de 11 salariés s’effectuera sans contreparties. Les enseignes culturelles pourront ouvrir le dimanche, car la culture, même le dimanche, cela consiste sans doute à vendre et consommer… Les accords « offensifs » de maintien de l’emploi apportent de nouvelles dérogations aux 35 heures et font régresser les droits des salariés. Leur droit à l’information est lui aussi limité, et la loi Hamon est battue en brèche. Les seuils sociaux augmentent pour mieux diminuer les droits collectifs des salariés.

Je citerai enfin la destruction du compte pénibilité et la mise en place, à la demande du groupe UMP – et avec votre accord, monsieur le ministre : c’est dans le Journal officiel – d’une commission chargée d’écrire un nouveau code du travail simplifié. M. Gattaz a dû bien dormir le soir du vote de cet amendement ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Et que dire de la privatisation des trains régionaux, autorisée par la majorité sénatoriale ?

Votre texte, monsieur le ministre, est un formidable réceptacle pour toutes les régressions sociales. Il ouvre la boîte de Pandore en brisant les digues construites en France durant des décennies par les luttes des salariés, les luttes du peuple que symbolise le programme des « Jours heureux » du Conseil national de la Résistance.

Pour vous, le droit du travail est un frein à l’expansion du marché. Vous avez bien raison : là où il a sombré, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les inégalités ont crû, la pauvreté s’est développée.

Nous refusons votre modèle de société, que beaucoup, à la droite de cet hémicycle, approuvent.

Nous savons qu’à gauche, nous ne sommes pas seuls. Nous agirons pour rappeler que la gauche a d’autres valeurs, celles de l’humain, de l’égalité et du partage, et qu’elle porte des propositions alternatives, comme nous l’avons démontré tout au long des débats.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre ce projet, encore aggravé, si cela était possible, par la droite sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de trois semaines de débats sur ce projet de loi, notre Haute Assemblée a adopté en séance publique pas moins de 280 amendements, qui se sont ajoutés aux modifications apportées par la commission spéciale, dont je salue le travail, en même temps que son président et ses corapporteurs. Le texte a ainsi substantiellement évolué par rapport à la version que nous avait transmise l’Assemblée nationale.

En commission spéciale comme en séance publique, le groupe RDSE a apporté sa contribution à un texte ambitieux – probablement trop d’ailleurs – pour l’avenir de notre pays.

Tant par la diversité des sujets abordés que par son impact sur l’état d’esprit général, mais aussi et surtout sur des aspects très concrets de la vie de nos concitoyens, ce projet de loi restera un texte hors norme, ayant permis de battre une série de records ! (Sourires.)

À l’issue de ce travail, qu’on peut qualifier de marathon législatif tant les organismes ont été mis à rude épreuve – jusqu’au bout de la nuit, parfois –, nous estimons que le texte sur lequel nous allons nous prononcer aujourd’hui est, dans l’ensemble, meilleur – ou moins mauvais (Nouveaux sourires.) – que celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale dans les conditions que l’on sait.

Certes, ce projet de loi ne nous donne pas pleine et entière satisfaction, et nous maintenons d’importantes réserves sur bien des points. Cependant, qui peut être entièrement satisfait par un texte contenant autant d’articles et embrassant autant de sujets ? À l’inverse, qui peut prétendre que ce texte ne comporte aucune disposition intéressante, que ce soit dans sa version initiale ou dans les versions adoptées successivement par l’Assemblée nationale et par le Sénat ? Si, dans le « Macron », hélas, tout n’est pas bon, tout n’est pas mauvais non plus ! (Rires.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellent !

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité des membres de notre groupe a adopté sans grande difficulté les articles concernant la question du travail dominical, qui n’est pas la plus importante à nos yeux. Je ne reviendrai donc pas en détail sur une réforme qui a pourtant beaucoup retenu l’attention des médias.

Nous sommes également favorables aux dispositions relatives à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

En revanche, d’autres domaines constituent une priorité pour nous, comme le logement, la vie des entreprises, le droit du travail et, bien sûr, les professions réglementées, thème sur lequel le président de notre groupe, Jacques Mézard, s’est beaucoup investi.

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. C’est exact !

M. Jean-Claude Requier. Si nous déplorons le fait que certaines mesures figurant dans le texte n’aient pas été suffisamment amendées dans le sens de nos convictions et de notre conception de l’intérêt général, nous nous réjouissons d’être parvenus à convaincre la Haute Assemblée sur d’autres sujets.

Tout d’abord, dans le domaine du logement, l’adoption de nos amendements favorisera la mise en œuvre de dispositions utiles en matière de simplification, de facilitation et de réduction des délais, notamment dans le domaine de la construction de logements sociaux, et encouragera le développement de l’habitat participatif.

En outre, l’élargissement de la composition de la commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier à une représentation des professionnels de l’aménagement introduira davantage d’efficacité et de pluralisme dans ce secteur.

Ensuite, s’agissant des experts-comptables, c’est sur notre initiative que le Sénat a supprimé la possibilité d’instaurer une rémunération au succès pour les activités exercées à titre accessoire, évitant ainsi les dérives bien connues que l’on constate dans les pays anglo-saxons.

Enfin, dans le domaine de la justice commerciale, notre ténacité a également payé : nous avons fait adopter une mesure instaurant la présence de droit des présidents de tribunaux de commerce au sein des formations de jugement des tribunaux spécialisés. Cette mesure apportera une expertise et une connaissance du terrain supplémentaires. Nous préservons par là même un principe de proximité dans la gestion des affaires.

À cet égard, monsieur le ministre, votre projet de loi n’était pas, d’une façon générale, suffisamment marqué par l’empreinte du terrain, des territoires et de la réalité vécue par les Français. C’est cette marque que le RDSE et, plus largement, le Sénat auront permis d’inscrire dans ce texte.

Oui, le Sénat est utile !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Ces trois semaines de débat en fournissent une nouvelle démonstration ! Quelque chose me dit que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, pour ne pas dire que vous en êtes convaincu ! (Sourires.)

Cela dit, quelques sujets d’insatisfaction et de préoccupation demeurent pour tout ou partie des membres de mon groupe.

En premier lieu, nous déplorons que les enjeux spécifiques aux territoires ruraux n’aient pas davantage été pris en compte en matière de mobilité et de libéralisation des services de transport. Nous considérons qu’il n’est pas de bonne politique de remettre en cause la pérennité du réseau ferroviaire secondaire, seul garant de l’équilibre entre les territoires, au profit du transport routier. Loin d’encourager l’égalité des chances, le texte risque d’aggraver les inégalités territoriales en favorisant ceux qui, sur le plan économique et territorial, disposent déjà de plus d’atouts.

En deuxième lieu, la volonté, affichée dans le cadre la réforme de la justice prud’homale, de réduire les délais de jugement est certes louable, mais elle risque, dans la rédaction actuelle du texte, d’aboutir à une justice au rabais, voire de complexifier les procédures. Plus que jamais, si l’on veut développer une véritable culture de la conciliation, il faut avoir le courage de mobiliser des moyens pour former les conseillers prud’homaux à celle-ci.

En troisième lieu, nous nous inquiétons de l’adoption d’une mesure visant à supprimer la fiche individuelle du compte pénibilité. Bien que nous soyons en principe favorables à un assouplissement, nous ne voudrions pas que les mesures de simplification soient prises au détriment des salariés les plus vulnérables.

En quatrième et dernier lieu, la réforme des professions réglementées reste, à nos yeux, la partie la plus discutable du projet de loi. Nous regrettons les mesures adoptées sur la liberté d’installation des avocats : elles risquent de renforcer les déserts juridiques et d’entraîner une perte de « matière grise », notamment dans des territoires ruraux qui seront une nouvelle fois les premières victimes. À cet égard, nous regrettons la remise en cause de la postulation des jeunes avocats aux tribunaux de grande instance, qui préservait cet équilibre. Mes chers collègues, le Sénat aura le devoir de revenir à terme sur ce dispositif.

De manière plus globale, nous restons opposés à la vision trop technocratique et parisienne qui se dégage, selon nous, des articles concernant les avocats, les notaires, les huissiers et les commissaires-priseurs. Ces dispositions nous semblent encore trop déconnectées des réalités locales et du terrain. Monsieur le ministre, soyez un ministre de terrain, venez à la rencontre des territoires et des Français !

Lors de nos riches échanges sur la couverture de la téléphonie mobile, qui ont duré toute une matinée, vous avez montré votre intérêt pour la ruralité. Puisque votre agenda est désormais quelque peu allégé (Sourires.), profitez-en pour sortir de Bercy ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Venez donc dans le Lot déguster au passage une bécasse ! (Rires et exclamations.) Rendez-vous en Lozère, dans le Cantal, dans le Gers, et même en Corrèze !