M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi l’inscrire dans la loi ?

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a deux sujets différents, monsieur Hyest : soit on considère que cela peut figurer dans la loi, à condition de mettre le verbe « consulter », soit on considère que cela n’a pas lieu d’y figurer !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Si vous rectifiiez ainsi votre amendement, mon cher collègue, sans aucun enthousiasme, je suis obligé de vous le dire, la commission s’en remettrait probablement à la sagesse de notre assemblée… (Sourires.)

Dans notre droit, l’expression « faire appel » est utilisée, s’agissant des relations entre autorités administratives indépendantes, d’une manière qui implique la participation à l’examen d’un dossier. Cela exposerait donc la CNCTR, dans le cas qui nous intéresse, à devoir partager un secret de la défense nationale que, par ailleurs, le présent texte interdit de partager.

En remplaçant « faire appel » par « consulter », vous retireriez bien le venin – pardonnez-moi l’expression – du dispositif de votre amendement. En revanche, on pourrait dire que sa portée juridique serait inexistante. En effet, demander un avis entre institutions est déjà possible.

Voilà pourquoi, cher collègue, je n’irais pas jusqu’à émettre un avis favorable.

Mme la présidente. Monsieur Sueur, que décidez-vous ?

M. Jean-Pierre Sueur. Je constate que, dans cette réponse, M. le rapporteur rejoint in fine la position exprimée par Mme la garde de sceaux, selon laquelle rien ne s’oppose à ce que la CNCTR demande leur avis à d’autres institutions.

Je salue d’ailleurs cette position. En effet, j’ai parfois le sentiment que l’on considère la CNIL comme un élément quelque peu démoniaque, ou à tout le moins problématique, en la matière. La vérité m’oblige à dire que nous n’avons pas tous, sur cette question, la même position, y compris au sein de nos groupes respectifs.

Pour ma part, je tiens seulement à affirmer que la CNIL est une institution de la République, comme d’ailleurs le Défenseur des droits. Que la CNCTR considère qu’elle peut, pour des raisons d’expertise, consulter une autorité de la République parfaitement légitime et tout à fait respectable me paraît la moindre des choses.

Puisque M. le rapporteur a conclu son second argumentaire en affirmant cette position, qui avait été précédemment articulée par Mme la garde des sceaux, je vais vous faciliter la tâche, madame la présidente, et retirer mon amendement. Suivant les paroles prononcées par M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux, je considère qu’il est naturel que la CNTCR puisse procéder à des consultations, dans le respect, naturellement, du secret de la défense nationale.

Mme la présidente. L’amendement n° 152 rectifié est retiré.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’amendement n° 58.

Mme Cécile Cukierman. Vous vous êtes prononcée, madame la garde des sceaux, sur l’exposé des motifs de notre amendement, mais c’est son contenu qui doit avant tout être considéré.

Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 147 prévoit un lien réciproque entre la CNCTR et l’ARCEP. Nous proposons qu’il soit étendu à la CNIL et l’ANSSI. Cela pourrait être utile ; je dirai même que cela sera de toute façon nécessaire au bon fonctionnement de la CNCTR, pour lui permettre de remplir les missions que vous lui avez assignées.

J’aimerais savoir si la position de refus exprimée à l’endroit de notre amendement a trait au fond du dispositif ou si elle tient simplement à la formulation retenue dans son objet écrit.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie d’abord Jean-Pierre Sueur d’avoir bien voulu retirer son amendement.

Je souhaite ensuite répondre très directement à Mme Cukierman. L’objet écrit d’un amendement est éclairant. C’est une marque de respect vis-à-vis des parlementaires que de s’assurer de la compréhension du dispositif d’un amendement en se référant à son exposé des motifs, l’auteur de l’amendement ayant fait l’effort d’expliciter son intention.

Au-delà de cela, vous savez que les débats parlementaires vont servir de référence. Par ces débats, on contribue aussi à construire la doctrine de la CNCTR. En effet, ils lui serviront tant, sans doute, pour l’élaboration de son règlement intérieur que dans son activité courante. Il lui arrivera probablement de se demander quelle était l’intention du législateur. C’est la raison pour laquelle la référence à l’objet de votre amendement était tout à fait pertinente.

Le dispositif de cet amendement pose une autre difficulté, sur laquelle je ne me suis pas appesantie. Vous proposez que la CNCTR consulte diverses autorités, mais aussi une agence qui ne dispose même pas de la personnalité juridique.

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire qu’une disposition juridique autorise la CNCTR à consulter qui elle veut, si elle juge que cela peut l’aider à exécuter ses missions, missions qui, elles, sont définies par la loi. Nul besoin de base législative donc, surtout si c’est pour citer une agence ne disposant pas de la personnalité juridique.

Mme Cécile Cukierman. C’est tout de même étonnant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement maintient donc, sans vouloir être désagréable, son avis défavorable. (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 58.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de l’article 1er du projet de loi relatif au renseignement.

L'amendement n° 167, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 150

Avant les mots :

Le Conseil d'État

insérer les mots :

Sous réserve des dispositions particulières prévues par l’article L. 854–1,

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 167.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 53 rectifié ter, présenté par MM. Hyest, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Buffet et Calvet, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Chasseing, Chatillon, Cornu, Dallier et Danesi, Mmes Deroche, Deromedi, di Folco, Duchêne et Duranton, MM. Duvernois, Emorine, Falco, B. Fournier, Frassa et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosperrin, Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lenoir et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mme Mélot, M. Milon, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Nachbar, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pointereau, Reichardt, Revet, Saugey, Sido, Vasselle, Retailleau et Gremillet, est ainsi libellé :

Alinéa 152

Après le mot :

et

insérer les mots :

, hormis pour une requête présentée en référé,

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Le projet de loi institue un recours administratif préalable obligatoire auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement avant toute saisine du Conseil d’État par un particulier.

Si cette condition de recevabilité se justifie pour les requêtes au fond, elle n’est pas pertinente pour les requêtes présentées en référé. Dans ce dernier cas, la condition d’urgence doit justifier, en contrepartie, la possibilité de la saisine directe du Conseil d’État.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans un premier temps, le Gouvernement, après avoir envisagé de solliciter le retrait de cet amendement, pensait s’en remettre à la sagesse du Sénat.

Il faut se référer à trois dispositions : celle qui concerne les conditions de saisine du Conseil d'État, l’alinéa 4 de l’article 4, qui institue le Conseil d’État comme juge des référés, et l’article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure, qui s’applique également en cas de référé.

Le Gouvernement hésitait parce que, selon la jurisprudence administrative, le Conseil d'État siège en cas de référé-suspension. Le texte prévoit qu’il en soit ainsi même si la personne a saisi la CNCTR.

Néanmoins, ce qui va sans dire va parfois mieux en le disant. Il s’agit d’une jurisprudence de droit commun, qui concerne seulement le référé-suspension. Il reviendra au justiciable de prouver qu’il a saisi la CNCTR. Peut-être ne serait-il pas superflu faire figurer cette précision dans le texte.

Par conséquent, le Gouvernement s’associe finalement à l’avis favorable de la commission sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 53 rectifié ter.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote sur l'article.

M. Claude Malhuret. Avec le vote sur l’article 1er, nous terminons ce soir le débat sur les trois principaux articles de ce projet de loi.

Le débat a donné lieu, en tout cas en ce qui nous concerne vous et moi, monsieur le ministre de l’intérieur, à un dialogue de sourds. Nous ne sommes d'accord que sur un point : la nécessité de renforcer l’efficacité de la lutte contre les dangers qui nous menacent. Sur le reste, nous nous opposons.

Vous nous dites que les méthodes qui permettent d’intercepter les données de connexion de tous les Français ne sont pas des traitements de masse. Je prétends le contraire.

Vous nous dites que les métadonnées ne sont pas une intrusion dans la vie privée. Je vous réponds que ce sont des données ultrapersonnelles.

Vous nous dites que ce projet de loi est bien plus protecteur des libertés que le Freedom Act. Je vous dis qu’au moment où les Américains ferment leurs « boîtes noires », nous ouvrons les nôtres.

Vous donnez, par les logiciels espions et d’autres moyens, des possibilités d’intrusion dans les lieux privés. Ce faisant, notre collègue Jean-Yves Leconte vous l’a dit ce matin, vous donnez aux services de renseignement plus de moyens que n’en ont les juges antiterroristes eux-mêmes.

Vous nous dites que la future CNCTR apportera toutes les garanties pour le respect des libertés publiques lors des interceptions de sécurité. Je vous ai demandé comment une commission de sept membres pourrait examiner 200 000 demandes d’autorisation par an sans être une chambre d’enregistrement, et vous ne m’avez pas apporté de réponse précise.

Vous avez refusé à Mme Cukierman que cette commission puisse contrôler les logiciels d’interception, et vous m’avez refusé qu’elle soit en mesure de vérifier et d’agréer les matériels utilisés, alors que son nom est « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement » !

Je passe sur tout le reste, monsieur le ministre. C’est la dernière fois que j’interviens dans ce débat. Je ne vous importunerai plus, puisqu’il semble que j’ai été importun.

Madame la garde des sceaux, si je m’adresse à M. le ministre de l’intérieur, ce n’est pas que je vous tienne pour quantité négligeable. D’une part, c’est avec lui que j’ai « discuté », si l’on peut dire, tout au long de ce débat. D’autre part, j’ai cru comprendre, mais je me trompe peut-être, que, depuis le début de l’examen du texte à l’Assemblée nationale jusqu’à maintenant, votre position était probablement beaucoup plus proche de la mienne que de celle du ministre de l’intérieur. Mais c’est à vous d’en décider.

Je ne voterai pas l’article 1er, monsieur le ministre. Je ne voterai pas votre projet de loi. Ne vous en faites pas : dans le contexte émotionnel de la période où vous le présentez, je ne doute pas que vous trouverez facilement une majorité.

Je vous ai dit, et cela ne vous a pas plu, que la mise en place de moyens sécuritaires disproportionnés et problématiques au regard de nos libertés publiques, chèrement acquises, était un cadeau fait aux terroristes, dont l’objectif est précisément, comme ce fut le cas aux États-Unis voilà quinze ans, de nous amener à rompre l’équilibre difficilement obtenu entre nécessité de notre sécurité et exigence de nos libertés.

Je vous souhaite vivement, monsieur le ministre de l’intérieur, que d’ici quelques années il ne se trouve pas un Snowden français pour nous révéler que cette loi a ouvert la porte à des écarts que vous n’aviez pas voulus. Je vous le souhaite, et je le souhaite à notre pays.

Vous nous dites que c’est impossible. Je dis, moi, que vous en ouvrez le risque. L’avenir dira qui de nous deux avait raison.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif au renseignement
Article 1er bis A (nouveau)

Articles additionnels après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 29 rectifié sexies, présenté par M. Gorce, Mme S. Robert, MM. Leconte, Raynal, Duran, Desplan et Aubey, Mmes Monier et Jourda, M. Tourenne, Mme Claireaux, MM. Poher, Cabanel et Durain, Mmes Lienemann et N. Goulet et MM. Assouline et Malhuret, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 822-1 du code de la sécurité intérieure, tel qu’il résulte de l’article 1er, il est inséré un article L. 822-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 822-1-.... – Les fichiers constitués dans le cadre de la mise en œuvre d’une technique de recueil du renseignement autorisée en application du présent livre font l'objet d'un contrôle effectué par la Commission nationale de l'informatique et des libertés siégeant en formation restreinte selon des modalités adaptées fixées par décret en Conseil d'État.

« Cette formation est constituée à partir des membres nommés au titre des 3° à 5° du I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et spécialement habilités.

« Ce contrôle porte sur la conformité de ces traitements aux dispositions de la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 précitée, s'agissant des catégories de données collectées, leur durée de conservation, leurs destinataires et les transferts dont ces données peuvent éventuellement faire l'objet.

« Ces contrôles visent à s'assurer du respect des règles relatives à la protection des données personnelles. Ils ne peuvent en aucun cas conduire à un contrôle de l'activité des services de renseignement.

« Leur résultat n'est communiqué qu'au ministre responsable du traitement ayant fait l'objet du contrôle ainsi qu'au Premier ministre selon des modalités sécurisées. »

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Les interrogations et les craintes qui se sont exprimées pourraient être levées si nous acceptions de renforcer le contrôle sur un domaine qui échappe pour l’instant à toute investigation complète, celui des fichiers de renseignement.

Le dispositif prévu dans la loi de 1978 précise les conditions dans lesquelles les fichiers de renseignement sont créés et déclarés, ainsi que les avis que peut rendre la CNIL. Il est d’ailleurs indiqué qu’un décret peut dispenser d’un certain nombre de contraintes les textes réglementaires concernant ces fichiers : non-publication de l’avis, non-publication du décret.

Pour l’instant, le seul décret que nous ayons concerne les règles applicables aux fichiers créés ou exploités par des services tels que la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, ou la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. Nous ne sommes pas informés sur les fichiers de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, ce qui peut se comprendre.

En résumé, selon le législateur, les utilisateurs de fichiers de ce type doivent se conformer aux exigences contenues dans la loi de 1978. Or, pour garantir le respect des règles, il faut des moyens de contrôle adéquats. Je ne mets pas en cause la déontologie des fonctionnaires concernés, je rappelle un simple principe de droit et, pour tout dire, de précaution républicaine.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a choisi de renforcer les moyens des services de renseignement et de développer des techniques de renseignement désormais plus intrusives. Il a également accepté que ces techniques fassent l’objet d’un encadrement juridique et d’un contrôle, celui de la CNCTR, qui faisaient jusqu’à présent défaut. C’est une avancée, même si l’encadrement porte seulement sur les données recueillies en utilisant ces techniques.

Il faut compléter l’ensemble. Le dispositif serait incomplet si nous n’avions pas l’assurance que les fichiers constitués à partir des données recueillies peuvent faire l’objet d’un contrôle.

Je reviendrai sans doute sur les arguments des opposants à l’intervention de la CNIL, qui, sauf à suggérer une autre solution, est aujourd'hui l’institution la plus qualifiée pour remplir cette mission ; elle a d’ailleurs été créée pour cela.

Je souhaite que notre amendement soit soutenu par le Gouvernement, afin de nous apporter les garanties de sécurité nécessaires dans la mise en place de la présente loi. En réalité, le sort qui lui sera réservé conditionnera mon vote sur l’ensemble du projet de loi. Je ne pourrais pas approuver un texte qui n’irait pas au bout de la démarche et qui ne nous apporterait pas toutes les garanties nécessaires. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du vide juridique actuel.

M. le président. Les amendements nos 5 rectifié quater et 99 ne sont pas soutenus.

L'amendement n° 153 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme S. Robert et M. Desplan, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le IV de l’article 44 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :

1° Les mots : « dispositions du présent article » sont remplacés par les mots : « modalités de contrôles prévues au deuxième alinéa du présent IV » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La conformité des traitements mis en œuvre dans ce cadre est contrôlée par un ou plusieurs membres de la Commission désignés par le président parmi les membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d’État, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes. Le contrôle est effectué dans des conditions permettant d’en assurer la confidentialité. Les conclusions du contrôle sont remises au seul ministre compétent. Les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Cet amendement participe du même esprit que mon amendement précédent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements, qui portent d’ailleurs sur une matière dont nous avons déjà débattu.

Des règles imposent de purger les fichiers des renseignements que l’administration n’aurait pas le droit de conserver. En outre, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont les moyens d’investigation sont très étendus, peut avoir accès à tout renseignement conservé par les différents services appartenant à la communauté du renseignement. J’ajoute qu’un délit d’entrave pourra être retenu contre tout agent qui refuserait de transmettre une information demandée par la CNCTR.

Comme, de surcroît, il existe aussi la possibilité, dans des conditions très libérales, de faire un recours devant le Conseil d’État, le dispositif de contrôle sera extrêmement puissant, caractéristique d’ailleurs de notre État de droit et s’inscrivant dans notre tradition, en évitant de sortir du droit commun du contrôle exercé sur les activités de police administrative.

Ces amendements ont en commun de vouloir introduire la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans ces contrôles, mais cela supposerait que puissent intervenir, dans les services de renseignement, deux institutions administratives indépendantes différentes, exerçant leur contrôle sur des objets différents. Certes, la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut bénéficier, pour certains de ses membres, de l’habilitation au secret de la défense nationale. Cependant, il ne faut pas confondre l’habilitation au secret et la nécessité ou le besoin d’avoir accès à tous les secrets.

La mission de la Commission nationale de l’informatique et des libertés est d’une tout autre nature que celle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. D’ailleurs, elle ne vise pas, dans ses contrôles, à faire en sorte que les renseignements soient légalement détenus par les services ; c’est une appréciation qu’elle ne peut pas porter, en vertu de la loi de 1978. Il semble donc que ce contrôle ne soit pas opportun du point de vue de la surveillance de l’activité des services spécialisés.

Par ailleurs, il risque de se produire des conflits entre, d’une part, les contrôles plus approfondis destinés à vérifier la légalité de l’utilisation des techniques de renseignement et de la conservation des données qui en sont issues et, d’autre part, le contrôle de la CNIL visant simplement à déterminer si des données ont été conservées plus longtemps que la loi ne le prévoit et si les gestionnaires de fichiers ont correctement assumé leur obligation de « nettoyer » régulièrement leurs fichiers pour que n’y figurent pas des données qui ne pourraient plus être conservées parce qu’elles auraient été recueillies depuis trop longtemps.

Pour éviter ce conflit entre une institution qui garantit des droits, notamment le secret de la vie privée, comme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, et une autre institution qui garantit également des droits, mais pas les mêmes, à savoir ceux qui ont trait à la conservation de données personnalisées, il vaut mieux rester dans le cadre de la CNCTR.

C’est la raison pour laquelle nous recommandons le rejet de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Gorce, je sais que ces amendements portent sur un sujet que vous connaissez bien, un sujet qui vous tient à cœur, et que la démarche qui vous inspire n’est pas la contestation des objectifs du texte, mais la volonté de lui donner un équilibre, lequel est souhaité par le Gouvernement lui-même. Compte tenu de votre engagement, je voudrais vous apporter la réponse la plus précise possible.

Les services spécialisés de renseignement mettent en œuvre, aux fins d’accomplissement de leurs missions, des traitements de données à caractère personnel, dont les fichiers de souveraineté, énumérés dans le décret du 15 mai 2007. Six d’entre eux sont mis en œuvre par des services spécialisés : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la direction du renseignement militaire, la direction générale de la sécurité intérieure et Tracfin - traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins. Comme tout fichier, ceux-ci sont pleinement soumis aux dispositions de la loi « informatique et libertés ».

Je tiens à dire très clairement que le projet de loi dont nous débattons n’enlève rien aux prérogatives actuelles de la CNIL, qui exerce aujourd'hui un réel contrôle sur les fichiers de renseignement.

En amont, d’abord : la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit que les actes réglementaires - décrets en Conseil d’État, décrets simples ou arrêtés - créant ou modifiant les fichiers de souveraineté sont pris sur avis de la CNIL. Celle-ci continuera donc d’exercer, aux termes de ce projet de loi, un droit de regard sur la conception de ces fichiers.

En aval, la CNIL met en œuvre le droit d’accès indirect, en vérifiant si le requérant est enregistré ou non sur un fichier de souveraineté. Ce mécanisme permet de préserver l’intégrité des fichiers de renseignement - une personne fichée à juste titre ne connaît pas les informations détenues sur elle ni même ne sait si elle est enregistrée -, tout en autorisant un contrôle par « sondage » sur les fichiers de renseignement.

Le droit d’accès indirect, qui existait auparavant et qui demeure, constitue ainsi la possibilité d’exercer un contrôle des fichiers de renseignement énumérés par le décret de 2007, permettant de garantir que ces fichiers sont mis en œuvre dans le respect de la protection des données personnelles et des textes applicables en la matière - loi du 6 janvier 1978 modifiée et lois spéciales -, auxquels ces dispositifs sont soumis.

Le projet de loi ne réduit donc en rien les prérogatives de la CNIL, mais il renforce le contrôle sur les données recueillies dans le cadre du renseignement.

Deuxième point sur lequel je veux insister : le projet de loi relatif au renseignement conforte le contrôle exercé sur les fichiers.

En amont, la CNCTR exerce un contrôle dans la phase de recueil. Pour l’accomplissement de ses missions, le projet de loi donne à cette commission des pouvoirs sans précédent.

Ainsi, la CNCTR reçoit communication de toutes demandes et autorisations du Gouvernement.

Elle dispose d’un accès permanent et direct aux relevés, registres, renseignements collectés, transcriptions et extractions, ainsi qu’aux dispositifs de traçabilité des renseignements collectés et aux locaux où sont centralisés ces renseignements. Autant il est difficile de centraliser tout en un même lieu, autant, pour tenir compte des remarques formulées par le président de la CNCIS, nous pouvons prendre l’engagement de créer les conditions d’une accessibilité facilitée à ces éléments.

La CNCTR est informée à tout moment, à sa demande, des modalités d’exécution des autorisations en cours.

Elle peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

En cas de manquement, la CNCTR dispose du pouvoir de recommander la cessation de la mise en œuvre de la technique et l’effacement des données collectées irrégulièrement.

En cas d’inobservation d’une recommandation, la CNCTR peut saisir le Conseil d’État, qui peut lui-même tout faire cesser sur-le-champ.

En aval, le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel très important : il peut soulever d’office tout moyen et a le pouvoir d’ordonner la cessation de la mise en œuvre ainsi que, le cas échéant, l’indemnisation de la personne lésée. Il peut également, en cas de manquement susceptible de constituer une infraction, saisir le procureur de la République si cette infraction a un caractère pénal.

Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement des fichiers de renseignement, le Conseil d’État deviendrait, en vertu du projet de loi dans sa version actuelle, juge en premier et dernier ressort du contentieux de l’article 41 de la loi « informatique et libertés », relatif au droit d’accès indirect d’un requérant souhaitant vérifier s’il figure ou non sur un fichier de souveraineté.

Dans la situation qui prévaut aujourd’hui, l’application du principe du contradictoire l’empêche de se fonder sur des éléments dont le secret doit être protégé. Grâce au projet de loi, l’aménagement du principe du contradictoire permettra au Conseil d’État d’exercer pleinement son contrôle en se fondant sur l’ensemble des éléments pertinents. Il s’agit là, monsieur Gorce, comme vous pouvez le constater, d’un progrès extrêmement sensible par rapport à la situation que nous connaissions jusqu’à présent.

Lorsque la formation du Conseil d’État traitera du contentieux relatif à la mise en œuvre du droit d’accès indirect, la formation de jugement se fondera sur les éléments contenus le cas échéant dans le traitement, sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement de ces fichiers. Lorsqu’elle constatera que le traitement ou la partie du traitement faisant l’objet du litige comporte des données personnelles concernant le requérant qui sont inexactes, ou dont la collecte ou la conservation sont interdites, elle en informera le requérant.

Voilà très précisément ce que prévoit ce projet de loi ; je tenais à l’exposer de façon très détaillée parce qu’il est important que ces éléments figurent au compte rendu de nos débats.

Je conclus en répondant à la question qui sous-tend votre proposition.

Dès lors que nous réalisons un progrès considérable, deux attitudes sont possibles : la première consiste à le prendre pour solde de tout compte, la seconde à chercher à aller plus loin. Pourquoi ne pouvons-nous pas aller plus loin ?

Plusieurs raisons expliquent le statut particulier des fichiers de souveraineté. L’architecture de ces fichiers, j’insiste sur ce point, est fondée sur la règle du cloisonnement et de la traçabilité, qui garantissent qu’un même agent ne peut avoir accès à l’ensemble des données enregistrées. Le juge judiciaire lui-même ne dispose pas d’un accès à ces fichiers, dont le contenu est classifié.

Je fais par ailleurs observer que les services étrangers partenaires des nôtres ne sont pas soumis à ce type de contrôle. Ce n’est pas un élément négligeable.

En outre, comme l’a annoncé le Premier ministre, une mission sera confiée au cours du second semestre à l’inspection des services de renseignement afin d’étudier beaucoup plus finement la question de l’articulation du contrôle de la CNIL avec celui de la CNCTR, ce qui permettra d’améliorer encore les choses.

En résumé, le projet de loi renforce les garanties entourant le contrôle des fichiers, tant dans la phase du recueil du renseignement que dans celle du contrôle des traitements. Je vous invite donc, monsieur Gorce, sur la base de ces explications que j’ai souhaitées aussi complètes que possible, à retirer vos amendements ; à défaut, le Gouvernement se trouverait contraint d’émettre un avis défavorable.