M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe de l'UDI-UC.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’urgence de la situation place l’Europe au pied du mur.

La réponse humanitaire que l’Union européenne pourra apporter en accueillant des réfugiés sur son sol, aussi humaine et digne soit-elle, ne s’attaque pas aux causes de l’exode massif.

Seuls un règlement politique des crises syrienne et irakienne et la disparition de Daech constitueront une solution pérenne et permettront aux millions de Syriens ayant fui vers le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Égypte, l’Irak et l’Europe de retourner dans leur pays.

Comme l’a rappelé le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son discours sur l’état de l’Union, l’heure n’est plus aux atermoiements face à l’urgence et aux dangers. Nous parlons d’êtres humains. Il s’agit de sauver des vies.

La crise résulte d’un contexte international d’une gravité exceptionnelle. Elle appelle une réaction internationale d’ampleur. La communauté internationale doit agir avec fermeté pour éradiquer Daech, afin de pacifier et de reconstruire cette région du monde, et organiser la coalition nécessaire pour atteindre rapidement cet objectif.

Indépendamment de ces conflits, nous sommes aussi appelés à traiter avec humanité les migrations provoquées par la pauvreté et le réchauffement climatique en Afrique.

Certes, la principale cause de l’exode actuel est bien évidemment le conflit dont nous débattons ce soir. Il ne faut toutefois pas occulter le fait que les réfugiés économiques ou climatiques viendront vite grossir les rangs des candidats à l’immigration sur le continent européen si nous ne sommes pas capables de mener une véritable politique de codéveloppement, à l’instar de celle que propose la fondation de Jean-Louis Borloo pour l’électrification du continent africain.

Je rappelle que l’Afrique compte 2 milliards d’habitants. Comment pourraient-ils ne pas songer à venir un jour chez nous s’ils ne sont pas capables de subvenir à leur propre développement ? Accompagnons-les dans le cadre d’un partenariat qui constituerait à tous points de vue une richesse ! D’une part, ce serait valorisant et gratifiant humainement pour les habitants de l’Union européenne. D’autre part, cela favoriserait des échanges économiques entre nous et un continent qui ne demande qu’à se développer ; encore faut-il lui en donner les moyens de façon pérenne.

Un fonds de 1,8 milliard d’euros existe, mais ce n’est pas de cela dont nous avons besoin. Il nous faut plutôt une véritable stratégie qui s’inscrive dans la durée, avec des axes très précis. Il convient d’aller bien plus loin que nous ne le faisons aujourd'hui. À défaut, nous ne parviendrons pas à résoudre les difficultés qui se présenteront très vite à nous demain. Bien sûr, nous le savons tous, nous devrons mettre l’accent sur l’énergie durable, faire attention aux enjeux climatiques et veiller à la protection de l’environnement. Accompagner l’Afrique dans cette voie nous permettra peut-être d’éviter le deuxième écueil qui se trouve devant nous.

Pour ce faire, notre horizon ne peut être seulement national. C’est en étant tous unis et dans l’Europe, et non au sein d’une Europe qui se disloquerait, que nous parviendrons à construire les nouveaux équilibres de la planète et à gérer les crises qui nous attendent.

L’afflux de réfugiés est un test majeur pour les pays européens, qui révèle une fois de plus les fractures d’une Europe divisée, à l’inverse de ce qu’elle devrait être. Comment mettre en place une politique européenne d’accueil des réfugiés quand 85 % des demandes se concentrent sur cinq pays ?

Le 9 septembre dernier, le président de la Commission européenne a évoqué des pistes intéressantes dans son discours sur l’état de l’Union. Il est indispensable d’établir une liste commune de pays d’origine sûrs à l’échelon européen afin d’unifier les politiques d’asile et de clairement distinguer les pays dont les ressortissants ont besoin d’une protection des autres, qui, eux, doivent repartir. Une telle initiative permettrait également de faire le point sur l’immigration en provenance de certains pays des Balkans, car la plupart des demandes ne relèvent pas de l’asile.

Le mécanisme de relocalisation permanent et contraignant est quant à lui soutenu par l’Allemagne et par la France. Que chacun des pays d’Europe prenne sa part dans l’accueil des réfugiés est une mesure d’équité et de raison. Pour être acceptable par nos concitoyens, l’effort doit être partagé par tous. Une nouvelle réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » est programmée après l’échec de celle du 14 septembre dernier. Espérons qu’un accord pourra rapidement être trouvé, car il est seul à même de conforter la solidarité européenne.

Le groupe UDI-UC soutient la proposition franco-allemande de créer des centres d’enregistrement, ou hot spots, installés dans les pays d’arrivé – en particulier en Grèce, en Italie, en Hongrie – afin de contrôler l’identité et le statut des migrants, de distinguer dès leur entrée dans l’Union européenne les immigrés économiques des personnes à protéger, et de répartir les contingents de réfugiés entre tous les pays de l’Union.

Cette proposition pourrait être une partie de la solution, à condition de ne pas transformer ces centres en zones de non-droit et de reproduire ce qui s’est passé à Calais. Il faudra intervenir très rapidement – à cet égard, l’OFPRA, ou d’autres, me paraît un outil adapté – afin d’empêcher des embouteillages, lesquels ne manqueraient pas, très vite, de créer des conditions inhumaines et d’entraîner des débordements susceptibles de faire exploser l’initiative.

Les pistes énumérées par l’Europe démontrent, s’il le fallait, combien il est important d’harmoniser la politique d’asile à l’échelon européen. Si nous ne sommes pas prêts à confier les rênes de cette politique à une agence européenne, du moins faudra-t-il que nous révisions le contenu du règlement de Dublin sur le premier accueil et que nous renforcions activement nos actions en matière de politique étrangère, ainsi que notre aide en direction des pays les plus touchés par les conflits.

Pour nous, centristes, la solution ne peut passer que par plus d’Europe et par une solidarité partagée entre tous les pays. C’est la deuxième étape.

Troisième et dernière étape : c’est au niveau national que la solidarité avec les réfugiés doit s’organiser. Aujourd'hui, nous sommes prêts à faire la preuve dans cette crise que le cœur et la raison peuvent cohabiter.

La nouvelle loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile nous donne des moyens nouveaux et permettra de réduire les délais d’examen des demandes. L’OFPRA peut désormais statuer en priorité sur les demandes manifestement fondées, et de manière accélérée pour écarter les demandes injustifiées. Par ailleurs, cette loi permet de lutter contre les filières grâce à l’orientation directive des demandeurs, d’accorder de meilleures garanties aux personnes accueillies et de prévoir une répartition des demandeurs d’asile.

Il revient maintenant à l’État de faire en sorte que la loi puisse être appliquée rapidement, fermement et avec efficacité, car notre dispositif est actuellement « embolisé » par des demandes qui ne relèvent pas de l’asile. Notre capacité à accueillir des réfugiés serait bien plus importante si les personnes déboutées du droit d’asile étaient effectivement reconduites aux frontières – vous l’avez rappelé comme nous tous, monsieur le ministre. Cette année encore, sur 65 000 demandeurs d’asile – soit le volume moyen annuel –, seules 20 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié. Au total, 40 000 demandes ont donc été rejetées.

Puisque la France accueillera 24 000 réfugiés de plus, l’État doit prendre à bras-le-corps le problème du raccompagnement aux frontières des 40 000 personnes déboutées du droit d’asile chaque année. Celles-ci n’ont pas obtenu de statut, mais elles restent très majoritairement sur le territoire national, où elles s’agrègent d’année en année. Or elles ne sont ni menacées ni persécutées dans leur pays d’origine. Ce n’est pas que nous n’en voulons pas, ce n’est pas que nous sommes inhumains, mais de vrais réfugiés attendent.

J’insiste d’autant plus sur ce point qu’il ne faudrait pas non plus que les Français qui souffrent s’opposent à l’accompagnement et à l’accueil des réfugiés. Il est essentiel que nous puissions montrer à tous les Français que notre pays est aujourd'hui capable d’accompagner ceux d’entre eux qui ont des difficultés en matière d’emploi ou de logement grâce à des politiques de solidarité. On peut faire notre devoir et accueillir des réfugiés, à condition que la loi soit appliquée.

Nous savons qu’il sera difficile de raccompagner aux frontières tous ceux qui sont présents sur le territoire national depuis quelques années, mais nous devons essayer. Il est primordial que nous arrivions à mettre en œuvre des dispositifs tels que le centre dédié d’accompagnement vers le retour, qui fait ses preuves dans l’Est où il est expérimenté, et que nous répartissions sur l’ensemble des territoires régionaux les outils permettant de mieux accompagner les réfugiés et d’accélérer l’instruction des dossiers des personnes devant retourner dans leur pays. Il est en effet plus simple de dire tout de suite à une famille, quand son dossier est instruit en trois mois grâce à la procédure accélérée, qu’on va lui donner les moyens de rentrer dans son pays d’origine que de le faire trois ans après !

Bref, l’OFPRA ne doit pas être concentré à Paris, il doit être régionalisé dans les territoires. Quand l’OFPRA va à Lyon ou à Metz, il parvient à traiter 500 à 600 dossiers en quinze jours alors qu’il lui faudrait sans doute deux ans pour le faire en restant à Paris.

M. le président. Veuillez conclure !

Mme Valérie Létard. Des outils sont disponibles. Nous avons entre nos mains tous les moyens pour relever le défi qui se présente à nous : accueillir les réfugiés avec humanité, conformément à la convention de Genève. Encore faut-il, monsieur le ministre, que l’État, je le répète, mette en œuvre la loi avec fermeté et sans attendre. C’est aujourd’hui ce qui nous fait défaut ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, messieurs les ministres, nous assistons depuis quelques jours à une espèce de surenchère. Qui a l’air le plus ferme ? Qui a l’air d’avoir du cœur ? Comme si l’un était exclusif de l’autre, comme si d’un coup, dans la société française pourtant si fragile, la vérité était simple, claire, unique, uniforme. Personnellement, je ne le crois guère…

Il a beaucoup été question du droit d’asile, que d’aucuns ont présenté comme un principe républicain. Or je rappelle que la Monarchie de Juillet a reçu les réfugiés polonais après la révolte de 1830 et que Napoléon III, durant le Second empire, a accueilli les Carbonari italiens avant l’unification de l’Italie ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce n’est pas la République qui leur a offert l’hospitalité. Le droit d’asile est une tradition nationale, c’est la France dans ses profondeurs, indépendamment des régimes politiques ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour nous tous, l’asile est un droit imprescriptible pour les personnes qui connaissent la douleur, la souffrance, la persécution. La République ne l’a d’ailleurs pas toujours bien pratiqué, quels que soient les gouvernements et leur couleur politique. Mme Esther Benbassa a ainsi rappelé qu’en 1938 le gouvernement français avait refusé de recevoir les réfugiés juifs d’Allemagne. En 1939, c’est dans des camps d’internement que la République a accueilli les Républicains espagnols sur lesquels nous avons entendu un témoignage très émouvant. Ce n’est guère glorieux ! Nous n’avons pas été exemplaires dans le passé au point d’en tirer des leçons.

Monsieur le ministre, personne ne vous dit qu’il faut refuser l’asile aux réfugiés. Personne non plus ne nie la réalité de la guerre. Nous ne sommes ni sourds ni aveugles, nous suivons tous les informations à la radio et à la télévision.

Mais les choses ne sont pas si simples. Le Gouvernement, comme les représentants parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique, sont certes en charge du droit d’asile, mais ils sont surtout en charge de la société française, de la France et des Français. L’un n’est pas exclusif de l’autre, mais la question se pose : comment préserver l’unité de la nation, le tissu et l’équilibre social sans rester non plus aveugle au drame ? Il faut satisfaire ces deux exigences, faute de quoi nous risquerions d’exclure une part de la nation…

Monsieur le ministre, il n’est pas indécent de rappeler que la situation économique et sociale de la France est plus difficile que celle de notre voisin outre-Rhin. En 2014, l’Allemagne comptait 1,5 million d’emplois non pourvus contre 250 000 pour la France. L’Allemagne a également une natalité différente – c’est le moins que l’on puisse dire – et des ressources financières différentes. L’Allemagne ne présente pas non plus le déficit français. L’Allemagne n’est pas dans la situation sociale qui est celle de notre pays. L’Allemagne dans le passé, même si la situation est différente depuis quelques années, et le reste de l’Europe n’ont pas consenti les mêmes efforts que nous en matière d’immigration. La France a en effet reçu un certain nombre d’immigrés, qui étaient non pas des réfugiés politiques ou des réfugiés de guerre, mais simplement des immigrés économiques en provenance d’anciennes parties de l’empire et fuyant la misère ou les difficultés. Il ne s’agissait pas alors de droit d’asile.

Je suis d’accord avec ce qu’ont dit très justement plusieurs orateurs, à l’instar de mon amie Valérie Létard : il faut d’abord régler le problème de la guerre. Monsieur le ministre, vous avez été polémique à la fin de votre intervention et essayé de nous mettre en difficulté sur Schengen. À cet égard, dois-je vous rappeler les déclarations de Pierre Joxe hier ou celles d’un certain nombre de députés socialistes ? M. Malek Boutih a notamment tenu des propos qui ne vont pas exactement dans le sens du Gouvernement, preuve qu’on se pose des questions à gauche comme à droite.

Lorsque nous avons examiné la loi relative à la réforme du droit d’asile, vous nous avez annoncé que la France devrait accueillir 9 000 réfugiés en deux ans. Depuis, les choses ont changé. L’Europe nous demande aujourd’hui d’accueillir 24 000 migrants. Soyons réalistes ! Il est désormais question non plus de quotas, mais d’un « mécanisme permanent de répartition » des réfugiés. Or le vice-chancelier allemand a déclaré devant l’assemblée allemande il y a quelques jours que la répartition des 160 000 réfugiés n’était qu’un premier pas et qu’il faudrait procéder à une deuxième puis à une troisième répartition dans les six à neuf mois à venir.

Le Premier ministre a annoncé qu’il faudrait 230 millions d’euros pour accueillir 24 000 personnes. Par conséquent…

Mme Michelle Demessine. C’est de la logique comptable !

M. Roger Karoutchi. Pardon, mais il s’agit de l’impôt des Français !

Mme Éliane Assassi. C’est bas !

M. Roger Karoutchi. Puis-je continuer à m’exprimer ? Je n’ai interrompu personne, et pourtant…

Le Premier ministre a déclaré qu’il faudrait finalement 600 millions d’euros en deux ans pour accueillir les réfugiés. Pourquoi pas ? Le problème est qu’il table sur 24 000 réfugiés. Or si dans le cadre du mécanisme de répartition, nous devions finalement accueillir 50 000, voire 70 000 personnes, il faudra bien dire à la représentation nationale où vous prendrez l’argent. Cet élément n’est pas dirimant, mais la représentation nationale doit le connaître. Le débat budgétaire aura bientôt lieu, et nous voudrions en savoir plus, monsieur le ministre.

D’ailleurs, les Républicains, ces gens qui, par définition n’ont pas de cœur (Sourires), avaient demandé publiquement, au mois de juillet, pourquoi le Parlement n’était pas convoqué en urgence au vu de l’afflux massif de réfugiés et des décisions qui étaient prises. On nous convoque parfois pour des choses sans intérêt. Cela valait peut-être la peine, même en plein mois d’août, d’organiser un débat au Sénat ou à l’Assemblée nationale sur ce sujet.

J’avais également proposé la tenue d’une table ronde avec tous les partis d’opposition autour du Gouvernement. Sur de tels sujets, on peut parler, on peut expliquer les difficultés de chacun, on peut trouver des solutions.

Ainsi, j’ai entendu quelqu’un dire – je ne dirai pas qui – qu’il faudrait accueillir 15 000 ou 20 000 personnes en Île-de-France. Or j’ai écrit un rapport il y a peu sur l’hébergement : en Île-de-France, il n’y a plus une place dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile ou dans les centres d’hébergement d’urgence. On a déjà procédé à des réquisitions… (M. Didier Guillaume s’exclame.) En Île-de-France, il n’y a pas de place !

Vous-même, d’ailleurs, monsieur le ministre, disiez en juin qu’il faudrait évidemment procéder à une nouvelle répartition territoriale des demandeurs d’asile, parce que la situation n’est pas tenable. Ne le niez pas ! Votre projet de loi sur ce sujet prévoit d’ailleurs une nouvelle répartition. À l’heure actuelle, entre 40 % et 50 % des demandeurs sont en Île-de-France, même si d’autres centres existent, notamment – François-Noël Buffet le sait bien – dans la région lyonnaise.

En vérité, monsieur le ministre, il ne faut pas opposer aujourd’hui ceux qui ont du cœur et ceux qui n’en ont pas. Il faut plutôt se demander où en est la société française. Le Premier ministre a tenu il y a quelques jours des propos similaires aux vôtres, non pas sur le sujet des réfugiés, mais de manière plus globale : selon lui, la société française est fracturée, fragilisée.

M. Roger Karoutchi. C’est vous qui le dites, pas nous ! Dans le même temps, vous défendez l’accueil des réfugiés, affirmant qu’il n’y a pas de souci ! Je peux comprendre les réactions humaines généreuses, mais la responsabilité première du Gouvernement est l’équilibre. Il vous faut dire ce que vous voulez faire pour les Français et comment vous pensez qu’une arrivée massive …

Mme Nicole Bricq. Elle n’est pas massive !

M. Roger Karoutchi. … serait ressentie, assimilée par l’ensemble de la population française !

Sincèrement, il n’y a pas d’opposition. Je ne connais pas un Français qui m’ait dit n’en avoir rien à faire et n’avoir ressenti aucune émotion particulière à la vue des images du petit garçon noyé. Personne, apprenant que des bateaux coulent, ne répond : ce n’est pas mon problème !

En revanche, bien des Français, bien des élus me disent ne pas y arriver, faute de logements sociaux, alors que les demandes s’accumulent et que certaines datent d’il y a deux, cinq, dix ans : il n’y a pas de moyens, pas de capacités financières, alors où va-t-on ? Il faut tout de même dire les choses telles qu’elles sont ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Vous jouez dans la même cour que le FN !

M. Roger Karoutchi. Je n’ai interrompu personne ; vous avez le droit d’avoir vos convictions, j’affirme les miennes et je crois savoir que l’opinion publique est plutôt de mon côté.

Les choses sont claires, monsieur le ministre. Le discours du Gouvernement a d’ailleurs beaucoup évolué, tant sur l’accueil que sur la réaction européenne ; je vous entends bien.

J’entends beaucoup d’incantations, de : « il faut ! » – il faut que l’Europe soit unie ! –…

Mme Éliane Assassi. On a bien fait l’Union !

M. Roger Karoutchi. C’est facile à dire ! Il faut le dire aux Polonais, aux Hongrois, aux Slovaques, aux Tchèques…

Mme Nicole Bricq. Ils n’ont pas la même histoire !

M. Roger Karoutchi. Quoi que vous disiez, leur opinion ne changera pas pour autant. L’Europe, ce sont des États, et les États peuvent dire non. Une réunion de concertation entre gouvernements européens vient d’ailleurs d’échouer. Une autre va avoir lieu, mais je crois avoir compris, d’après les déclarations des Polonais et des Slovaques, que leur détermination à parvenir à un consensus n’est pas plus forte que la fois précédente.

Alors, que va-t-on faire ? Quand on parle d’un « Schengen II », cela vous fait sourire, monsieur le ministre, mais la vérité, c’est que Schengen finira par exploser complètement. On argue que Schengen autorise le contrôle partiel, temporaire, des frontières. C’est vrai, mais enfin, lorsque chaque État en viendra, chacun de son côté, à contrôler telles portions de ses frontières, pour telle période, il faudra bien reconnaître que le système ne fonctionne plus, de tels contrôles devant rester exceptionnels. La situation présente est fort différente !

Si le système explose, monsieur le ministre, il faudra bien trouver une autre solution et refonder Schengen sur des éléments permettant à tous de se mettre d’accord. Cela vous déplaît qu’on le dise, mais c’est la vérité !

Bien des ministres allemands regrettent aujourd’hui d’avoir créé un appel d’air et avouent ne plus très bien savoir comment faire à présent. Ils ont certes eu raison de s’interroger et de finalement changer leur ligne, mais l’appel d’air a eu lieu. On a beaucoup pleuré, et à raison, et on a beaucoup critiqué la situation en Méditerranée : or maintenant, on a la voie balkanique… La Croatie vient d’annoncer qu’elle était devenue une nouvelle voie terrestre, puisque les autres fermaient. Chacun se demande ce qui se passe, les Français les premiers. On a le sentiment que l’Europe est en train d’exploser sous nos yeux…

Dans ces circonstances, le Gouvernement français évolue avec la situation, ce qui est normal, mais il ne rassure pas vraiment les Français sur ses intentions exactes. 24 000 réfugiés ? Personne n’y croit ! Alors donnez-nous d’autres éléments ! Donnez votre accord pour l’installation de centres à la périphérie de l’Europe ou des zones de guerre. On pourrait y regrouper les demandeurs d’asile, y envoyer des officiers de l’OFPRA pour étudier leurs demandes et ne faire venir qu’après ceux qui seraient admis.

Certes, on peut refuser d’accorder le droit d’asile à des migrants alors qu’ils sont déjà présents sur le territoire national, mais il est ensuite difficile de les raccompagner aux frontières. En la matière, nous sommes très loin du compte, même si je ne conteste pas, monsieur le ministre, que vous faites un effort. Alors qu’il faudrait reconduire entre 40 000 et 50 000 personnes aux frontières, seules 15 000 sont effectivement raccompagnées. Votre effort n’est évidemment pas suffisant, et il le sera d’autant moins si l’on doit recevoir massivement des demandeurs d’asile et des réfugiés.

En somme, monsieur le ministre, oui, il faut refonder Schengen, oui, il faut une autre attitude européenne, oui, il faut l’autorité de l’État, oui, il faut que le Gouvernement français rassure les Français,…

M. Didier Guillaume. Très bien, c’est ce qu’il fait !

M. Roger Karoutchi. … oui, il faut enfin maintenir l’équilibre social qui est aujourd’hui menacé en France. (Mme Nicole Bricq proteste.) Vous l’avez dit vous-même dans plusieurs de vos interventions dans les mois passés : la société française est effilochée et fragilisée, et nous sommes économiquement et socialement dans une situation très difficile.

Non – et ce n’est pas moi qui le dis mais bien, à ce qu’il paraît, des gens de gauche – : nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde.

Mme Catherine Génisson. La citation est tronquée !

M. Roger Karoutchi. Oui, nous avons le devoir d’accueillir ceux qui souffrent et sont persécutés, mais le Gouvernement a aussi un devoir d’équilibre : il doit aussi respecter la volonté des Français et surtout, d’abord et avant tout, l’unité de la nation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir organisé ces débats à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ils portent sur une situation dont tout le monde reconnaît le caractère gravissime. Il est donc bon que la représentation nationale soit consultée et informée à ce sujet. Votre intervention a été claire, monsieur le ministre, et je ne doute pas que les réponses que vous apporterez à nos collègues le seront tout autant.

Nous constatons tous que la société est effilochée et fracturée, et que les Français doutent, mais c’est justement parce que la société est dans cet état que nous devons être non pas des commentateurs de la situation, mais bien des acteurs… (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Nous devons tracer la voie et indiquer là où nous voulons aller !

Le débat a été serein et tranquille ; des opinions totalement différentes se sont exprimées : telle est la force de notre assemblée.

Permettez-moi d’évoquer quelques arguments, quelques convictions qui fondent l’action que le groupe socialiste et républicain souhaite mener.

Nous sommes aujourd’hui partagés entre fierté et honte.

Je suis, nous sommes fiers de la France, fiers de notre pays, fiers de l’idéal que nous portons et qui va conduire la France à accueillir des réfugiés.

Je suis fier de ces Français anonymes qui s’engagent dans leur municipalité en disant : « Nous voulons faire un acte de solidarité et accueillir dignement ceux qui fuient les massacres et la barbarie. »

Oui, nous pouvons être fiers de ces maires et de ces communes solidaires : ils se sont immédiatement engagés, sans faire de comptabilité, sans savoir si 1 000 ou 2 000 euros, ce sera trop ou pas assez. De fait, la vie de femmes et d’hommes étant en jeu, nous ne pouvons pas nous comporter comme des experts-comptables, nous devons faire preuve d’humanité. Je le répète : nous pouvons être fiers de ces communes et de ces maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Nous pouvons également être fiers de notre république qui, tout au long de son histoire, n’a jamais hésité à accueillir les réfugiés politiques chassés de leurs pays par les guerres ou les dictatures. Oui, mon cher Raymond Vall, nous sommes fiers d’avoir accueilli des réfugiés espagnols ; les conditions étaient peut-être difficiles, mais vous êtes là et vous êtes aussi la force de notre pays.

Nous pouvons être fiers d’avoir accueilli les boat people