M. Hubert Falco. Le problème est là !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si vous aviez la courte patience d’entendre les arguments du Gouvernement, nous serions dans un échange de fond et non dans une réaction subjective. (Protestations sur les mêmes travées.)

M. Hubert Falco. On vous écoute !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Troendlé, je salue l’esprit dans lequel vous avez engagé cette réflexion et la qualité du travail que vous avez effectué, notamment avec la Chancellerie. Vous n’avez pas ménagé vos efforts et, j’espère que vous en conviendrez, la Chancellerie a fait montre à votre égard de l’estime, du respect et de la disponibilité que je lui ai demandé de vous témoigner.

Au demeurant, la présente proposition de loi contient des dispositions que le Gouvernement n’avait pas retenues dans le texte portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, qui visait à transposer plusieurs directives européennes. Ce texte a été déféré, sur une initiative sénatoriale, au Conseil constitutionnel, qui l’a censuré, non pas sur le fond, pour inconstitutionnalité ou en raison du danger que présenteraient ses dispositions, mais du fait de la nature « cavalière » de certaines d’entre elles.

Cavalière, encore que… Il m’est interdit de porter une appréciation sur une décision du Conseil constitutionnel, mais nous avions expliqué qu’il y avait un lien évident entre ces mesures et la transposition de directives européennes, dont l’une oblige les États à prendre des dispositions pour que des informations à caractère pénal concernant des personnes travaillant régulièrement avec des enfants soient transmises aux administrations employant ces agents.

Ce texte ne comportait donc, selon nous, aucun cavalier. Néanmoins, le Conseil constitutionnel s’étant prononcé, nous nous retrouvons face à la nécessité de rétablir ces dispositions.

Donc, madame Troendlé, certaines des dispositions de votre proposition de loi ne correspondent pas à celles que le Gouvernement avait choisi de retenir.

Ainsi, lorsque, à l’article 1er, par exemple, vous faites obligation aux magistrats de prononcer la peine complémentaire, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, madame la sénatrice, vous introduisez une automaticité contraire au principe de l’individualisation de la peine. (Mme Catherine Troendlé fait un signe de dénégation.) Les chiffres globaux sur les condamnations et le nombre de peines complémentaires que nous a rappelés M. le rapporteur à ce propos ne sont pas probants, car ils ne correspondent pas dans tous les cas à des personnes en contact avec des mineurs.

Si l’on vous suit – mais ce serait la liberté du législateur que de le décider –, cette peine complémentaire s’impose quel que soit le contexte professionnel des personnes en cause.

Mme Catherine Troendlé et M. François Zocchetto, rapporteur. C’est notre choix !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je relève que ce choix n’est pas lié à la proximité de ces personnes avec les enfants lors de l’exercice de leur profession ; nous sommes alors dans un autre débat. Le Gouvernement n’a pas choisi d’introduire cette automaticité.

Vos indications supplémentaires, monsieur le rapporteur, prouvent à quel point les parquets, donc l’autorité judiciaire, sont soucieux de protéger les enfants. En effet, cette consigne d’un parquet général demandant de prononcer systématiquement la peine complémentaire peut se concevoir de la part de chefs de cour soucieux de protéger les enfants et de mettre définitivement à l’écart des personnes qui interviennent auprès d’eux. Elle ne concerne pas l’ensemble des individus qui méritent une condamnation, sans être pour autant en contact régulier avec des enfants.

Vous opérez donc un renversement de l’individualisation de la peine et donc de la capacité des magistrats à prononcer la peine la plus adaptée à l’auteur des faits.

De même, à l’article 3, l’obligation, que vous introduisez, de prendre une mesure de contrôle judiciaire, donc avant jugement, vaut condamnation avant jugement, ce qui pose le problème de la conformité de ces dispositions aux principes constitutionnels et, surtout, à la présomption d’innocence.

Enfin, et c’est peut-être le point de désaccord le plus fort avec le Gouvernement, vous ne prévoyez la transmission de cette information, madame la sénatrice, qu’en cas de condamnation.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or nous pensons que, au stade des poursuites, et même un peu plus en amont dans certains cas, dès l’enquête, il y a lieu d’alerter l’éducation nationale ou les administrations.

Tel est le chemin de crête dont je parlais, et il est très étroit : respecter la présomption d’innocence et, dans le même temps, ne pas prendre le risque d’informer trop tard. Or, nous le savons, les délais de la justice sont ce qu’ils sont, sans même tenir compte des éventuels engorgements et retards, en raison des seules nécessités de la procédure en termes d’enquête ou d’instruction. Les délais de la justice ne correspondent pas à l’instantanéité, mesdames, messieurs les sénateurs.

Donc, en plus de la transmission d’informations en cas de condamnation, dont le bien-fondé ne fait pas l’ombre d’un doute,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … il faut qu’au stade des poursuites, lorsque le magistrat dispose d’éléments suffisants pour au moins suspecter la commission des actes, et même au stade de l’enquête,…

Mme Catherine Troendlé. Et la présomption d’innocence ?...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la sénatrice, c’est bien pourquoi je parlais à l’instant d’un chemin de crête : nous sommes soucieux de préserver le respect de la présomption d'innocence, mais non moins soucieux de protéger les mineurs.

Mme Catherine Troendlé. Ce n’est pas constitutionnel !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À cette fin, nous avons trouvé un chemin effectivement très étroit : permettre dans tous les cas la transmission en cas de condamnation et, dans certaines conditions, en cas de poursuite, et ce plutôt que d’attendre plusieurs mois avant de signaler à l’administration-employeur l’existence de poursuites. Il s’agit également de permettre cette transmission à partir d’éléments tangibles dès le stade de l’enquête.

Souvenez-vous bien que, dans le texte du Gouvernement, pour appeler au respect de la présomption d’innocence et engager la responsabilité des administrations qui recevraient cette information et devraient prendre les mesures conservatoires que celle-ci justifierait, mais sans violer la présomption d’innocence, nous avons rappelé - donc dans la loi - ce qu’encourraient ces agents de l’administration en cas d’utilisation abusive de ces données. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Ce n’est pas compliqué !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est simple et lumineux, c’est transparent, c’est clair ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Hubert Falco. C’est vous qui le dites !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, c’est moi qui le dis, qui l’explique et le démontre, monsieur le sénateur (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.),…

M. Alain Gournac. Idée lumineuse ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … puisque je suis en mesure de le faire.

Je suis quelque peu étonnée de ces réactions, car je suis absolument persuadée, comme vous le disiez, monsieur le rapporteur, que nous avons tous le souci de protéger les enfants et, dans le même temps, de ne pas sacrifier les principes sur lesquels repose notre droit.

M. Hubert Falco. Ce ne sont pas les mêmes remèdes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si c’était aussi simple, nous n’aurions pas eu les mêmes débats à l’Assemblée nationale, vous n’auriez pas eu entre vous, madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, des discussions sur certaines dispositions que vous aviez introduites dans le texte de loi. Si c’était aussi simple, cela s’écrirait d’une traite, d’une plume et sans la moindre difficulté ! (Marques d’impatience sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Nous avons à concilier des principes de droit qui ne sont pas simples à concilier, et nous voulons y parvenir de façon sécurisée. Encore une fois, ce n’est pas de la défiance à l’égard des parlementaires, ce n’est pas du temps que nous allons perdre, puisque nous avons déjà transmis au Conseil d’État un texte de loi correspondant à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale et que vous avez également examiné, mesdames, messieurs les sénateurs, texte que le Conseil d’État nous restituera à la fin du mois d’octobre. Dans la foulée – pardonnez-moi la trivialité de l’expression –, le conseil des ministres examinera ce projet de loi, qui sera adopté.

Nous sommes donc dans un calendrier extrêmement resserré, sans doute plus serré que celui que vous auriez suivi avec votre proposition de loi, madame la sénatrice,…

Mme Catherine Troendlé. Sûrement pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … même avec la procédure accélérée. Surtout, ce texte sera sécurisé,…

Mme Catherine Troendlé. Le nôtre aussi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … car il aura été travaillé et probablement validé par le Conseil d’État. (M. Alain Gournac s’exclame.)

Je vous le rappelle, madame la sénatrice, les règlements des assemblées permettent qu’une proposition de loi soit soumise au Conseil d’État. Vous auriez pu faire ce choix pour ce texte : cela n’a pas été le cas, c’est votre liberté.

Le Gouvernement a choisi d’écrire un texte en veillant à sa sécurisation maximale, car rien ne serait plus désastreux qu’un texte de loi visant à protéger des mineurs soit censuré à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité. Nous en serions tous profondément marris ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et sur quelques travées du RDSE. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Alain Gournac. C’est lumineux ! (Rires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel.

M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les lois médiatiques font florès et constituent souvent le mode de législation le plus ordinaire en matière pénale.

Pourtant, si la loi de notre pays ne peut être dictée par des faits divers, le législateur ne saurait non plus être sourd aux dysfonctionnements que ces derniers révèlent, notamment lorsqu’ils concernent la protection des mineurs.

La vulnérabilité de ces derniers n’est pas un sujet que l’on peut prendre à la légère. Au printemps dernier, les événements qui se sont produits à Villefontaine et Orgères ont posé la question des failles de notre système, qui ont pu permettre à des personnes condamnées définitivement – et non simplement mises en cause – pour des actes de nature pédophile de continuer à exercer au sein de l’éducation nationale au contact d’enfants.

À la suite de ces événements, le Gouvernement a diligenté des enquêtes administratives. Les constats sont sévères pour l’administration de l’éducation nationale. Les carences en la matière se situent au niveau tant de la transmission de l’information que de l’usage, pourtant nécessaire, du prononcé, en cas de condamnation pour de telles infractions, de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice.

Comme l’a indiqué M. le rapporteur, les statistiques fournies par la Chancellerie démontrent bien que les juridictions de jugement utilisent peu cette faculté qui leur est reconnue.

Au vu des insuffisances du dispositif actuel, le rapport d’étape conjoint de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale soulignait ainsi qu’il « ne pouvait être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent ».

Par cette discussion, nous entendons déjouer cette prévision avant qu’elle ne se réalise.

La présente proposition de loi reprend les dispositions qui, soumises par le Gouvernement, ont été censurées par le Conseil constitutionnel en juillet dernier en raison de leur nature de cavalier législatif. La proposition de loi s’appuie, à l’instar de ces dispositions, sur le rapport d’inspection, qui préconise une clarification législative ferme et adaptée permettant de protéger au mieux les enfants.

La commission a modifié l’article 3, qui prévoyait une information de l’administration de rattachement avant même condamnation définitive. Comme mon collègue Jacques Mézard avait eu l’occasion de le rappeler en juillet dernier, une telle disposition méconnaissait le principe de la présomption d’innocence.

M. Michel Amiel. C’est pour la conciliation de ce dernier principe avec l’impératif de sécurité qu’a opté la commission.

Nous le savons, des vies peuvent être détruites par des accusations fausses et mal intentionnées.

M. Michel Amiel. La justice, qui ne doit jamais être l’œuvre de l’opinion, doit donc suivre son cours sans être influencée ou entravée.

Ont ainsi été durcies les obligations qui, en la matière, sont à la charge du parquet. Désormais, il est prévu que le parquet transmet à l’autorité administrative les condamnations pour infraction sexuelle contre des mineurs.

En outre, cette proposition de loi rend obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée, le placement sous contrôle judiciaire assorti de l’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs des personnes mises en examen pour une infraction sexuelle à l’encontre d’un mineur.

Ce texte rend également possible l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV.

Toutefois, nous ne pouvons ignorer que les affaires de Villefontaine et d’Orgères ont mis en évidence un dysfonctionnement presque purement administratif.

Comme l’a rappelé le rapport d’inspection, quand les jugements ont été prononcés, les obstacles sont « essentiellement liés à des problèmes organisationnels et à une inadaptation des moyens informatiques mis à disposition des parquets ». Seule une vigilance accrue permettra d’éviter une nouvelle erreur !

La présente proposition de loi contient d’autres avancées.

Les parents doivent avoir l’esprit apaisé lorsqu’ils déposent leur enfant chez un assistant maternel. La sécurité doit y être la même que pour un enfant fréquentant une crèche.

À cet égard, l’article 4 lève une ambiguïté. Actuellement, le renouvellement de l’agrément est automatique et sans limitation de durée lorsque la formation que l’assistant familial est tenu de suivre dans un délai de trois ans après le premier contrat de travail suivant ledit agrément est sanctionnée par l’obtention d’une qualification. Le présent texte prévoit un contrôle périodique du casier judiciaire des majeurs vivant au foyer de l’assistant.

Il s’agirait également de rendre les contrôles plus fréquents : un certain nombre de parents ont rencontré des difficultés avec un assistant familial peu précautionneux ou peu professionnel envers des enfants en bas âge.

Bien entendu, il ne s’agit pas de stigmatiser des professionnels qui, dans l’immense majorité des cas, font leur travail avec conscience et dévouement.

M. Michel Amiel. Parallèlement, il convient de donner davantage de moyens aux départements. Ces derniers sont souvent démunis, face aux cas qu’ils rencontrent, pour mener à bien leurs missions. Nous avons également constaté ce problème lors de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, les membres du RDSE approuveront cette initiative salutaire et de bon sens,…

M. Loïc Hervé. C’est la sagesse !

M. Michel Amiel. … qui remet l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif législatif, comme le veut la convention internationale des droits de l’enfant.

Nous espérons que cette proposition de loi ne se perdra pas dans les méandres de la procédure législative et qu’elle sera définitivement adoptée, et sans tarder ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de remercier Catherine Troendlé. C’est en effet sur son initiative qu’a été déposée cette proposition de loi permettant de mieux protéger les mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles.

Avec de très nombreux collègues, j’ai cosigné le présent texte, tant il me paraît aller dans le bon sens et tant les affaires de pédophilie survenues en Ille-et-Vilaine et en Isère, et rendues publiques au cours du printemps dernier, nous ont bouleversés et incités à réagir.

En tant que législateur, je me félicite qu’aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous puissions débattre de la lutte contre toute forme de pédophilie et rechercher ensemble les moyens d’améliorer un dispositif qui s’est révélé défaillant.

Nous devons proposer des outils législatifs supplémentaires afin qu’un délinquant sexuel ne soit pas en mesure d’exercer une profession en contact avec des enfants ou de s’impliquer dans le bénévolat au plus près de mineurs. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)

La République, à défaut de pouvoir sanctuariser tous les lieux, doit garantir des conditions permettant d’assurer la sécurité morale, physique et affective des enfants dans les secteurs placés sous sa responsabilité directe, au premier rang desquels figure l’éducation nationale.

Les dysfonctionnements observés dans la transmission d’informations entre l’administration de l’éducation nationale et la justice ne doivent plus se reproduire ! À cette fin, notre action est essentielle. Elle doit conduire à l’amélioration effective de la transmission de ces données.

Les conséquences sont trop graves pour que l’on puisse se satisfaire de simples actions annoncées par le Gouvernement. Il convient de légiférer, d’établir un cadre qui devienne incontournable pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.

De plus, le présent texte permettra au corps enseignant de retrouver une forme de sérénité face à cette douloureuse question. Parents, collègues, administration : à l’avenir, chacun saura que tout enseignant en contact avec les enfants n’aura jamais fait l’objet d’une condamnation pour agression sexuelle sur mineur.

Environ un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles en Europe. Ces violences peuvent se manifester sous de nombreuses formes, notamment par des abus sexuels. En responsabilité, nous devons tout mettre en œuvre pour que des mesures soient prises en vue de faire baisser ce chiffre et empêcher que des faits similaires aient encore cours.

Il est important de rappeler que, dans la grande majorité des cas, l’agresseur est connu de l’enfant. Il bénéficie souvent de sa confiance, voire de son affection.

Aussi, nous devons éloigner de victimes potentielles tous ceux qui ont déjà été condamnés pour des infractions pénales de cette nature.

Il est certes difficile d’avancer un chiffre exact en matière de récidive sexuelle. Mais, chacun en conviendra, quoi qu’il en soit, ce chiffre est toujours trop élevé !

Une estimation des niveaux de récidive dans nos pays occidentaux fait ressortir des taux de 13,4 % à cinq ans et de 24 % à dix ans. Quinze ans après leur sortie de prison, 24 % des auteurs de crimes et délits sexuels sont de nouveau condamnés pour des faits similaires.

Bien entendu, ces chiffres ne concernent pas uniquement des délits commis sur des mineurs. Ils n’en sont pas moins édifiants. Le risque de récidive est bien réel. En conséquence, l’adaptation du code pénal se révèle indispensable pour protéger les plus vulnérables, dont les enfants.

Mme Patricia Morhet-Richaud. La protection est insuffisante, et nous devons la renforcer.

N’oublions pas que, outre l’intolérable violation de l’intégrité physique des enfants, les impacts sont considérables : souffrances psychiques, santé fragile, interruption de la scolarité, dépression et même suicide.

Plus les victimes sont jeunes, plus les conséquences sont lourdes. De surcroît, les violences sexuelles sont celles qui ont le plus d’impacts sur la santé mentale et physique à court et à long terme. Notre rôle est donc de renforcer la réponse judiciaire.

En cas de condamnation pour un crime ou un délit sexuel, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs doit être définitive.

De plus, cette décision doit être notifiée sans délai, faute de quoi des mineurs seront exposés à un risque qui peut être évité.

Enfin, un contrôle renforcé portant sur les adultes en contact avec des enfants au domicile des assistants maternels ou familiaux doit permettre de vérifier, par un autre biais, leurs antécédents judiciaires. Cette mesure permettra elle aussi de mieux protéger les enfants.

Je le concède, il s’agit là de contraintes supplémentaires. Mais ces dernières vont dans l’intérêt de tous, enfant, parents et professionnels. Elles permettront d’éviter toute suspicion inutile et tout risque, y compris aux dépens des professionnels eux-mêmes.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : pour toutes ces raisons, je voterai tous les articles composant cette proposition de loi, même avec les modifications apportées par la commission des lois, parce qu’ils protègent les mineurs contre les agressions sexuelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame Troendlé, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de précédents orateurs l’ont rappelé : nous examinons le présent texte à l’aune de deux affaires de violences sexuelles sordides survenues au début de l’année, l’une dans l’Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine.

Extrêmement graves, ces violences ont été commises en milieu scolaire par des éducateurs aux antécédents judiciaires avérés de violences sexuelles ou de pédophilie.

Personne ne peut accepter de tels actes.

La proposition de loi initiale présentée par Mme Troendlé consistait, pour l’essentiel, à introduire deux nouvelles dispositions dans notre droit pénal.

Premièrement, les articles 1er et 2 permettaient à la juridiction de jugement de prononcer une interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne avait été condamnée pour un crime ou un délit sexuel commis contre un mineur.

Deuxièmement, l’article 3 prévoyait que, dès l’ouverture d’une information judiciaire pour un crime ou un délit sexuel commis contre un mineur, l’autorité judiciaire informait l’organisme auprès duquel la personne exerçait une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs.

En l’état, ce texte n’était pas, à nos yeux, acceptable.

Juridiquement, les articles 1er et 2, rendant définitive la peine complémentaire, tombaient sous le coup de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’individualisation des peines. (Mme Catherine Troendlé le confirme.) Ces dispositions, en effet, ne permettaient pas à la juridiction de moduler ces sanctions, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur.

Par ailleurs, soulignons le caractère excessif d’une condamnation à vie, quelle que soit la gravité de l’agression commise. (Mme Catherine Troendlé manifeste sa circonspection.)

Ce constat a été rappelé : les dispositions de l’article 3 ont déjà été débattues par le Sénat en juillet dernier, au titre d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. Les membres du groupe communiste, républicain et citoyen avaient alors voté la motion d’irrecevabilité déposée par le rapporteur, M. Zocchetto.

Par un article introduit à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a repris les mêmes dispositions, il est vrai dans une version « allégée ». Mais ce dispositif contrevenait au secret de l’instruction et au principe constitutionnel de présomption d’innocence. En effet, il permettait au parquet d’informer les administrations de tutelle de l’existence de procédures judiciaires en cours, en dehors de tout contrôle judiciaire, lorsqu’elles concernaient des personnes conduites, par leur activité professionnelle, à travailler régulièrement au contact de mineurs.

Pour toutes ces raisons, nous nous serions fermement opposés à la proposition de loi de Mme Troendlé, telle qu’elle était initialement rédigée. Mais force est de constater que la commission, en adoptant les amendements du rapporteur, François Zocchetto, s’est efforcée, comme le mentionne le rapport, « de définir un équilibre entre la nécessaire protection des mineurs et le respect des principes constitutionnels ». (Mme Catherine Troendlé approuve.)

Aussi, nous saluons la mise en conformité de ce texte avec ces grands principes constitutionnels que sont la présomption d’innocence et l’individualisation des peines.

De surcroît, cette réécriture respecte, selon nous, le secret de l’enquête et de l’instruction, élément essentiel de la procédure pénale. De fait, les mesures envisagées via cette « nouvelle » proposition de loi tendent à protéger les mineurs des auteurs d’agressions sexuelles, en permettant de mieux tenir les personnes concernées à l’écart.

D’une part, la peine complémentaire d’interdiction d’exercer, qui figurait déjà dans le code pénal, est érigée en principe. D’autre part, la transmission de l’information est étendue aux personnes placées sous contrôle judiciaire.

Mais je sais, moi aussi, faire preuve d’équilibre (Sourires.) : deux questions restent en suspens, à commencer par celle des moyens.

La conclusion du rapport des deux inspections générales est sans appel : « Rien ne permet d’affirmer, à ce jour, que toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont bien été transmises à l’éducation nationale ; il ne peut, en conséquence, être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent ».

Les motifs de ces dysfonctionnements n’en sont pas moins clairs : les obstacles à la transmission s’expliquent essentiellement par des problèmes d’organisation, par l’insuffisance des moyens informatiques, par le manque d’interlocuteurs clairement identifiés, investis de responsabilités claires au sein des rectorats et par l’absence de dispositif d’alerte structuré.

Tous ces dysfonctionnements techniques et organisationnels contribuent à la déperdition d’informations entre les deux institutions et nous plongent aujourd’hui dans un climat d’incertitude glaçant.

La seconde question porte sur l’opportunité de légiférer.

Dans la précipitation, le Gouvernement avait d’abord souhaité ajouter des dispositions de dernière minute à la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

La présente proposition de loi apparaît comme un texte de surenchère, que nous examinons aujourd’hui dans sa version entièrement révisée par la commission des lois.