Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie qui revient aujourd'hui au Sénat en deuxième lecture a donné lieu à de véritables débats de conscience. Autant de signes qui révèlent les difficultés et les limites qu’il y a à légiférer sur un sujet aussi sensible que la fin de vie.

Pour ma part, je me réjouis que de tels débats se soient déroulés, même s’ils ont été difficiles. Il est à l’honneur de notre assemblée et de chacun d’entre nous d’exprimer des convictions, surtout lorsqu’elles touchent à l’intime.

Je m’interrogeais déjà dans cette enceinte, lors de la première lecture, sur l’opportunité, voire sur la nécessité, de revenir sur la loi Leonetti. Je ne m’appesantirai pas sur ce point, car Gilbert Barbier vient de rappeler que l’urgence ne se situait effectivement pas là. C’est pourquoi d’autres collègues et moi-même nous sommes attachés alors à faire entendre la voix de ceux qui redoutent une judiciarisation de la mort. Les amendements que nous avions déposés – certains d’entre eux, et je vous en remercie, ont été adoptés – ne visaient pas d’autre objectif.

La navette parlementaire a eu le mérite de faire ressortir des consensus comme des points d’achoppement et de permettre, à la lumière de débats au cours desquels les consciences se sont exprimées, de tendre vers une rédaction plus nuancée, équilibrée et consensuelle du texte.

La rédaction que nous propose aujourd'hui la commission reprend ainsi certaines dispositions adoptées précédemment en séance, et je m’en réjouis. Il ne s’agit toutefois pas d’un rétablissement pur et simple du texte adopté en première lecture, la commission ayant souhaité « atteindre le plus large consensus possible, étant donné la diversité des positions qui se sont exprimées au Sénat. »

Je partage cet avis et tiens à rendre hommage aux rapporteurs et à nos collègues membres de la commission des affaires sociales pour leur travail afin d’aboutir à un texte le plus largement acceptable par tous. Je le dis clairement : le Sénat doit parvenir à un texte, nous sommes résolus à ce qu’il y arrive !

J’ai entendu les appels lancés en faveur du dialogue, mes chers collègues. Je viens de l’indiquer, nous sommes parfaitement disposés à trouver un accord. Je m’étonne néanmoins : les mêmes qui appellent au consensus affirment souhaiter revenir sans délai sur ce texte, au risque peut-être d’en briser l’équilibre ! Le consensus appelle la confiance, l’engagement et la durée. Il ne doit s’agir en aucun cas d’un marché de dupes sur l’instant pour parvenir à un texte.

La première vertu du débat aura été de poser la question des moyens qui sont affectés aux soins palliatifs. Nous avons été nombreux en première lecture à rappeler notre attachement à la mise en place de ces soins sur l’ensemble du territoire, dispositif qui était au cœur de la loi Leonetti. Cette exigence, nous la retrouvons dans le texte issu des travaux de la commission.

Je note que le Gouvernement vient d’annoncer l’octroi d’une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour le développement des soins palliatifs. Si nos débats en première lecture n’avaient eu que ce mérite, ce serait toujours cela d’engrangé ! Il faut continuer dans cette voie.

De plus, un progrès du texte résultant des travaux de la commission concerne la formation, la suppression de la notion de traitements inutiles, la suppression de la prolongation inutile de la vie, l’hydratation considérée de nouveau comme un soin et qui peut être maintenue jusqu’au décès, les directives anticipées qui ne « s’imposent » plus au médecin, mais « sont respectées », et la personne de confiance qui exprime non plus un avis, mais un témoignage.

Toutefois, mes chers collègues, une interrogation demeure à l’article 3, voire une divergence. Nous sommes là au cœur du dispositif.

En première lecture, une majorité d’entre nous avait considéré qu’il ne fallait pas faire de la sédation une pratique irréversible et avait supprimé la mention « et continue jusqu’au décès » en adoptant un amendement en ce sens. Un grand nombre de collègues ont vu dans cette modification une dénaturation de la proposition de loi et ont voté en définitive contre le texte pour cette raison.

Je rappelle que ce qui nous choquait n’était pas tant la sédation en soi, pratique existante et déjà encadrée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, que son caractère impératif inscrit dans le marbre de la loi, et sans alternative. À mon sens, une latitude doit être laissée aux soignants et aux proches. J’ai donc déposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que la sédation soit une possibilité et non une prescription. Ce serait un précédent que d’inscrire une prescription médicale dans un texte de loi. Évitons la judiciarisation de la fin de vie, et plus encore de la médecine.

Pour conclure, je constate que les vicissitudes de la présente proposition de loi révèlent l’ampleur et les difficultés de la tâche qui nous incombe : donner un cadre législatif acceptable et satisfaisant aux pratiques médicales de la fin de vie ! C’est tout l’intérêt de la navette, qui a permis de faire apparaître et de retenir les précisions et les nuances rendant possible l’application de cette proposition de loi au nombre infini de cas de fin de vie.

Mes chers collègues, nous devons bien mesurer et peser les conséquences des mots et des virgules retenus. Les membres de mon groupe détermineront leur vote final à l’issue de la commission mixte paritaire. Nous espérons vivement que celle-ci reprendra l’intégralité des avancées figurant dans le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore, le sujet de la fin de vie est débattu à la Haute Assemblée. Je risque donc de nouveau d’avoir le sentiment de me répéter, car ma position est restée inchangée sur ce point depuis mon arrivée au Sénat en 2001.

Au cours de cette période, j’ai déposé ou signé plusieurs propositions de loi qui relevaient toutes du même esprit et de la même intention. Nous avions réussi à proposer un texte signé par des sénatrices et sénateurs appartenant à tous les groupes politiques de cette assemblée, comme l’a rappelé Mme Bouchoux tout à l’heure.

Je le répète, ma conviction repose sur cette question posée par Balzac dans La Comédie humaine : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? » Le reste n’est que développement et déclinaisons de cette idée.

Comme nous l’avons constaté tout au long des débats, écrire la loi sur les façons de mourir, sur les souffrances de la fin de vie et sur l’aide qui peut être apportée dans ces situations est un exercice très délicat pour le législateur. Nous devons le faire en portant toute notre attention sur l’individu, sa dignité, sa liberté et le respect de ses valeurs. Autant que possible, je considère que notre rôle doit être de lui laisser le droit de décider pour lui-même.

Le professeur Jean-Claude Ameisen a posé récemment une très bonne question : « En fin de vie, entre soulager la douleur ou raccourcir le temps qu’il reste à vivre, qu’est-ce qui est essentiel ? » La réponse devrait être simple : c’est au malade de choisir ce qui est fondamental pour lui, et à personne d’autre.

Il n’est question que d’un droit ; un droit contre la souffrance ; le droit de refuser certaines souffrances. Il est question d’une liberté aussi, d’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser certains malades et ne s’imposerait à personne.

Les opinions sur ce sujet ne reproduisent pas les clivages que l’on retrouve habituellement dans notre assemblée, car elles se forment sur des convictions intimes, qui peuvent être religieuses, philosophiques ou qui rappellent parfois le vécu de ceux qui ont accompagné une personne souffrante en fin de vie.

Je ne vous étonnerai donc pas en exprimant le regret de ce que je perçois comme un décalage avec la volonté de l’opinion publique. J’espérais que cette proposition de loi permettrait aux personnes qui le souhaitent de bénéficier d’une aide pour mourir, qui aurait été réalisée par un acte délibéré. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé avec un certain nombre de mes collègues à l’article 3.

Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort ; c’est un choix entre deux façons de mourir. J’ai osé un temps espérer une loi qui irait plus loin, avec des avancées plus franches. Mais je sais aussi que les véritables changements se font souvent par petits pas. Finalement, cette proposition de loi prend le bon chemin. C’est ce que j’ai compris de votre intervention à l’Assemblée nationale, madame la ministre, lorsque vous avez déclaré que le débat restera ouvert et qu’une étape supplémentaire pourra à l’avenir paraître nécessaire au Parlement. Je l’espère bien. Mais quand ? Et avec quelle majorité ?

Plusieurs dispositions du texte présentent à mes yeux de véritables avancées, qui doivent être reconnues.

L’article 3 de la proposition de loi prévoit la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, afin d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement la vie. Cette sédation est associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie.

La sédation terminale est une assistance médicalisée pour mourir que je qualifierais de « passive ». Nous savons qu’elle est en réalité déjà bien souvent pratiquée. L’inscrire dans la loi permettra non seulement de clarifier le droit, mais aussi d’uniformiser les pratiques sur le territoire. Cela protège donc tant les médecins qui pratiquent cette sédation, que les patients dans leur droit à y avoir accès.

L’opposabilité des directives anticipées est prévue par l’article 8. Là aussi, il s’agit d’une avancée non négligeable. À mesure que l’on élargira ce qui pourra être inscrit dans les directives anticipées, le sens de cette disposition grandira. Donner un caractère contraignant aux directives anticipées, c’est reconnaître l’autonomie de la volonté des malades, ce qui est une très bonne chose.

L’article 9 crée, quant à lui, un réel statut de la personne de confiance. Il la reconnaît comme véritable interlocuteur dont le « témoignage prévaut sur tout autre » et lui donne sa place dans tout dispositif d’hospitalisation, ou lorsque la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté. C’est une avancée considérable. Cet article me semble essentiel tant on voit à quel point ces situations difficiles peuvent déchirer les familles. La désignation d’une seule personne de confiance qui sera l’unique personne référente et d’un éventuel suppléant choisis par la personne malade est une disposition de nature à préserver la liberté et les choix du malade. Je ne peux donc que l’approuver.

Enfin, je souhaite insister sur un dernier point, dont nous aurons à débattre cet après-midi : la question de l’hydratation artificielle qui avait déjà fait débat en première lecture et sur laquelle nous avons trouvé un point d’accord. Cette hydratation doit-elle être considérée comme un traitement qui peut donc être interrompu au même titre que l’alimentation artificielle ou comme un soin ? La commission des affaires sociales a estimé que, au regard de la souffrance que peut entraîner la déshydratation, celle-ci constitue un soin qui peut être – j’insiste sur cette nuance – maintenu jusqu’au décès. Cette rédaction me semble adaptée.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. Elle protège les malades. Cette formulation, après de longs débats, pourrait faire l’objet d’un consensus dans cet hémicycle.

Telles sont, mes chers collègues, les avancées présentées par le texte qui nous est soumis aujourd'hui et que je tenais à souligner, bien que je sois convaincu que la société était aujourd’hui prête à aller plus loin. Voilà pourquoi j’ai déposé avec certains autres collègues un amendement à l’article 3.

Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour remercier le président de la commission de son écoute permanente et amicale, ainsi que les rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable, afin de parvenir à un accord. Le texte examiné hier en commission pourrait, au final, recueillir mon assentiment, même si je ne désespère pas de convaincre la Haute Assemblée lors de l’examen de l’article 3. Enfin, je remercie chaleureusement Georges Labazée de la qualité constante, amicale et fidèle de nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je dirai seulement quelques mots, car nous avons déjà eu de riches échanges lors de la première lecture au sujet des ambitions de cette proposition de loi. Nous avons entendu les inquiétudes des uns, réaffirmées à cette tribune par certains orateurs, et les regrets des autres, qui auraient souhaité que le texte aille plus loin.

Nous avons perçu au travers des interventions qui se sont succédé la volonté exprimée par tous de chercher à répondre, dans le respect des convictions de chacun, aux préoccupations de notre société.

Je commencerai par remercier l’ensemble des orateurs du ton adopté lors de cette discussion générale et de leur recherche d’un compromis, d’un point d’équilibre, d’un consensus peut-être impossible.

Je remercie également, bien entendu, les rapporteurs, le président et les membres de la commission des affaires sociales, ainsi que tous les orateurs de la tonalité apaisée de leurs propos, même s’ils n’ont pour autant rien caché de leurs inquiétudes, de leurs attentes et de leurs regrets.

De même, le travail réalisé par le Gouvernement a précisément été de chercher, par-delà les convictions des uns et des autres, un point d’équilibre permettant de mieux prendre en compte les attentes de notre société. En effet, les différents orateurs l’ont dit, nous avons tous été confrontés – ou nous le serons un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches – aux interrogations que soulève ce texte.

Il arrive, et c’est heureux, que la mort survienne dans des conditions telles que ces questions nous soient épargnées. Mais il arrive aussi, de plus en plus souvent, que nous soyons conduits à nous interroger sur la prolongation des traitements.

Ces traitements méritent, toujours, d’être prolongés. Pour autant, doivent-ils forcément l’être ? Au regard de ce que chacun d’entre nous conçoit et attend de la vie en ses derniers moments, cette question doit être posée.

Encore une fois, nous devons respecter les convictions de tous, quels que soient leurs fondements. Mais je tiens à dire aussi, de la manière la plus forte qui soit, que la proposition de loi que le Gouvernement vous propose d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, est un texte de liberté, et en aucun cas de contrainte pour qui que ce soit.

M. le rapporteur pour avis de la commission des lois s’est inquiété d’une possible automaticité. Or il n’y en a pas et il ne peut pas y en avoir ! Je tiens à le dire ; j’aurais pourtant pu concevoir, vous le savez, que le texte aille plus loin. Lorsqu’il s’agit du choix de la vie ou de la mort, il ne peut pas y avoir d’automaticité. Ce serait une perspective absolument insupportable ! Voilà pourquoi cette proposition de loi est, je le répète, un texte de liberté.

Vous avez rappelé, monsieur Barbier, tout en défendant vos convictions, que j’avais présenté ce texte comme une possible étape. « Une étape vers quoi ? », m’avez-vous demandé.

Quant à M. Godefroy, il a indiqué qu’il se résoudrait à accepter ce texte précisément parce que j’avais expliqué qu’il s’agissait d’une étape. Il s’est également interrogé sur le rythme auquel pourrait avancer la législation en la matière.

Ma réponse est simple : ce texte est une étape vers ce que souhaiteront les parlementaires !

Aujourd’hui, un point d’équilibre a été trouvé entre ceux qui auraient voulu aller plus loin et ceux qui auraient préféré que l’on ne modifie rien.

À ceux qui auraient souhaité aller au-delà, je réponds qu’il leur appartiendra de poursuivre ce débat au sein de la seule enceinte habilitée à se prononcer sur cette question, c’est-à-dire le Parlement, et de continuer à défendre cette attente, cet espoir et cette volonté.

À ceux qui, au contraire, veulent en rester là, je dis que de toute façon la société n’est pas prête à aller plus loin, sauf à susciter sur ces questions des débats sans doute vifs.

Certains, à l’Assemblée nationale, ont exprimé le souhait d’aller plus avant. Adopter leurs préconisations aurait probablement provoqué des réactions encore plus vives que celles que nous avons entendues dans cet hémicycle en première lecture.

Je respecte tout à fait ce que le Parlement décide à un moment donné. S’il n’y a pas dans les prochaines années d’autre travail législatif sur le sujet, c’est parce que les parlementaires auront jugé que c’est mieux ainsi. Il ne m’appartient pas de déterminer à l’avance ce qui sera fait à l’avenir ! Mais, à l’évidence, la porte reste ouverte ; elle l’est en tout cas pour certains d’entre vous et pour une partie de nos concitoyens.

Voilà ce que je voulais dire à ce stade de notre débat. Des questions importantes ont été posées, et je ne les laisse pas de côté.

J’ai déjà évoqué le malaise du Gouvernement s’agissant de l’article 2 tel qu’il est issu des travaux de la commission. Nous reviendrons, notamment, sur la question de l’hydratation. Sans doute y a-t-il moins de distance que ce que l’on croit pour ce qui concerne le critère de l’inutilité qui n’a pas le même sens aux articles 2 et 3. Peut-être y a-t-il là un éclaircissement à apporter ; nous le ferons.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de débattre de ces questions essentielles à l’occasion de l’examen des articles. Je m’en tiendrai, pour l’instant, aux remerciements et au rappel des objectifs poursuivis par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Discussion générale (suite)

7

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. La commission des lois a présenté une candidature pour la désignation d’un membre titulaire au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, je proclame M. Mathieu Darnaud comme membre titulaire de cet organisme extraparlementaire.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

8

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.

Les auteurs de questions du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Ceux des groupes communiste républicain et citoyen, RDSE et écologiste disposent, quant à eux, de deux minutes trente, y compris la réplique.

Je demande aux orateurs de respecter leurs temps de parole.

La durée des réponses des membres du Gouvernement ne doit pas excéder le temps maximal imparti à l’auteur de la question.

situation des chambres d'agriculture en bretagne

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.

M. Joël Labbé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Monsieur le ministre, les présidents des chambres d’agriculture des quatre départements de la région Bretagne ont adressé un courrier à l’ensemble des agriculteurs bretons le 28 septembre dernier par lequel ils les incitent à refuser de déclarer les flux d’azote épandus sur leurs terres.

De ce fait, ces responsables d’établissements publics financés par l’impôt, censés représenter toutes les formes d’agriculture, dans leur diversité, appellent l’ensemble de leurs membres à violer la réglementation. Sur ce grave manquement, le Gouvernement est, à ma connaissance, resté silencieux jusqu’à aujourd'hui.

Monsieur le ministre, nous attendons de vous que vous rappeliez publiquement ces responsables à leurs devoirs, à leurs obligations, à leurs responsabilités. Êtes-vous à même de le faire ce jour devant la représentation nationale ? Telle est ma première question.

Ma seconde question concerne le fond de cette affaire. L’obligation de déclaration des flux d’azote a largement été utilisée comme argument lors des négociations avec la Commission européenne en 2014, pour obtenir de celle-ci la suppression de l’interdiction d’extension des élevages industriels dans les cantons situés en zones d’excédent structurel. Elle a aussi servi pour sortir des contentieux européens sur les prises d’eau redevenues conformes.

Si le principe de la déclaration est justifié, l’application de cette réglementation n’est pas satisfaisante pour nous, écologistes, pas plus qu’elle ne l’est pour de nombreux agriculteurs, mais pas pour les raisons invoquées par les chambres d’agriculture, derrière lesquelles plane, il faut le dire, l’ombre de la toute puissante FNSEA. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Elle n’est pas satisfaisante, car, en cas de dépassement des flux calculés sur un département, il y aura une réduction automatique des flux d’azote de l’ensemble des exploitations, sans prise en considération de leur taille, de leur rentabilité et de leurs pratiques culturales. L’ensemble des agriculteurs, même les plus vertueux, seraient pénalisés. Aussi le volet « sanction » de cette réglementation doit-il être révisé.

Je crois savoir que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à revoir ce volet dans un sens qui soit conforme aux principes d’équité et de proportionnalité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le sujet, que tout le monde a dû parfaitement comprendre, à savoir la règle de l’azote total.

C'est lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ici, au Sénat, que nous avions défini ce principe. En essayant de rester simple, de quoi s’agit-il ?

En Bretagne, alors que certaines zones connaissent un excédent de matières organiques azotées lié en particulier à l’élevage, des agriculteurs achètent de l’azote minéral, avec lequel ils fertilisent leurs terres. Le principe que nous avons posé a été de mettre en place un processus permettant de substituer l’excédent d’azote organique à l’azote minéral : cet engagement nous a permis – vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur –, lors de la négociation européenne sur les zones vulnérables, de sortir un certain nombre de territoires des zones d’excédent structurel, voire des bassins contentieux. C'est un véritable sujet en Bretagne.

Pour appliquer ce principe, il faut disposer d’une référence pour les deux types d’azote, l’organique et le minéral. Tel est l’objet du débat. Oui, les chambres d’agriculture sont des établissements publics. Et si je ne me suis pas exprimé sur ce point, en revanche, un courrier a été envoyé au préfet de région, lequel a réuni l’ensemble des représentants des chambres d’agriculture le 16 octobre dernier pour leur rappeler leurs obligations en tant que responsables d’établissements publics.

Vous avez ensuite évoqué, monsieur le sénateur, le fait que, en cas de dépassement par rapport à l’objectif fixé de flux d’azote total, les sanctions prévues étaient collectives. Je suis prêt, dans le cadre de la négociation qui a été engagée à la suite de la réunion du 16 octobre, à cibler ceux qui utilisent le plus de fertilisants à l’hectare, afin d’éviter justement que tous les agriculteurs ne soient sanctionnés, quand certains sont plus responsables que d’autres.

L’objectif est donc simple. La règle est de mieux gérer l’azote à l’échelle d’une région comme la Bretagne. Nous devons l’appliquer, car elle nous a permis de négocier la sortie des zones d’excédent structurel et des bassins contentieux. Enfin, nous nous sommes mis autour de la table, afin de nous mettre d’accord…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Stéphane Le Foll, ministre. … sur une sanction non pas collective, mais individuelle et ciblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

retraites et pensions de réversion

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Michelle Demessine. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Cette semaine, la presse nationale s’est fait l’écho du cas de futurs retraités qui seront confrontés à des retards de versement de pension. Le président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, a minimisé la situation en avançant que seuls 3 à 4 % des dossiers seraient concernés, soit 23 700 personnes cette année.

Je connais bien ce problème. Depuis 2013, les retraités de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie en font la douloureuse expérience.

Les dysfonctionnements du service public des retraites sont pourtant connus : le surcroît des dossiers certes, mais aussi les effets du « tout informatique » et ses corollaires, à savoir la diminution des effectifs, ainsi que la fermeture des accueils et autres permanences dans les territoires. Bref, une déshumanisation en marche !

Bien sûr, il ne s’agit pas de refuser le progrès. Mais, selon moi, dans le domaine social, l’humain restera toujours une valeur à préserver.

Pour mettre fin à ces situations, après avoir cependant tardé, vous avez, madame la ministre, fait publier le 19 août dernier un décret qui instaure un droit opposable. Néanmoins, ce n’est pas un droit pour tout le monde. Il y a des exclus : les affiliés aux autres régimes spéciaux, qui subissent pourtant aussi des retards, et surtout les bénéficiaires d’une pension de réversion.

Ce fait concerne essentiellement des veuves qui ont de faibles ressources et dont la pension de réversion est souvent le seul revenu. Pour ces femmes, le scandale de la CARSAT, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, continue ! Que comptez-vous faire pour elles ?

Madame la ministre, nos services publics sociaux – c'est le cas non pas seulement de la CARSAT, mais aussi des caisses d’allocations familiales – explosent avec la montée en charge des problèmes sociaux et les conséquences des réformes successives visant à faire des économies de gestion.

Les personnels sont en première ligne : c’est très dur, ils n’en peuvent plus ! Cette pression entraîne des comportements agressifs – quand ce ne sont pas des agressions –, dont ni les usagers ni les personnels ne sont responsables, mais dont ils sont surtout victimes.

Actuellement est en discussion le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Or la convention d’objectifs et de gestion 2014-2017 prévoit encore la suppression de 9 000 emplois dans l’ensemble des organismes sociaux. Depuis 2009, pour ce qui concerne la branche retraite, 1 600 postes ont été supprimés, soit un peu moins de 13 % des effectifs.