M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, de votre présence.

Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi prochain, 3 novembre 2015, de seize heures quarante-cinq à dix-sept heures trente, et qu’elles seront retransmises sur la chaîne Public Sénat et le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

Dépôt d’un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport annuel sur le financement des établissements de santé.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

10

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour du jeudi 5 novembre au matin par l’inscription des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.

Le temps attribué aux orateurs des groupes politiques sera de une heure.

Acte est donné de cette communication.

En conséquence, l’ordre du jour du jeudi 5 novembre s’établit comme suit :

JEUDI 5 NOVEMBRE 2015

À 10 h 30, à 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit

- Une convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié :

 Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (n° 109, 2015-2016)

• Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : mardi 3 novembre, à dix-sept heures

- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : une heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 4 novembre, à dix-sept heures

- Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain (texte de la commission, n° 118, 2015-2016)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 2 novembre, à douze heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 4 novembre, le matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : une heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 4 novembre, à dix-sept heures

- Suite du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (procédure accélérée) (texte de la commission, n° 122, 2015-2016)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
article 1er

Droits des malades et des personnes en fin de vie

Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Article 2

M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

La discussion générale ayant été close, nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie

Article 1er

I. – L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après le mot : « recevoir », les mots « les soins » sont remplacés par les mots : « , sur l’ensemble du territoire, les soins curatifs et palliatifs » ;

b) (Supprimé)

c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l’application du titre II du présent livre Ier. » ;

2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

II. – La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.

M. le président. L'amendement n° 24 rectifié ter, présenté par M. Mandelli, Mmes Duchêne et Micouleau, MM. Chaize, Bignon et Retailleau, Mme Deromedi, MM. Charon et G. Bailly, Mme Mélot, M. Mayet et Mmes Garriaud-Maylam et Lamure, n'est pas soutenu.

Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

article 1er
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Article 3

Article 2

Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale. Cette procédure collégiale réunit l’ensemble de l’équipe soignante et associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches qui le souhaitent. Ses modalités sont définies par voie réglementaire.

« L’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès. »

M. le président. L'amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, dans le respect de la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale.

« Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité de la personne mourante et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10, y compris les traitements mentionnés à l’article L. 1110-5-2.

« La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. »

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux être très claire sur le sens de cet amendement : il ne s’agit pas de rechercher un nouvel équilibre ou un nouveau compromis. Cet amendement vise à revenir sur certaines des modifications issues des débats de votre commission, et à rétablir le texte dans la rédaction exacte adoptée par l’Assemblée nationale, sans modifier la conception, la définition de l’arrêt des traitements.

J’ai évoqué ce matin, à l’occasion de la discussion générale, le désaccord du Gouvernement sur deux des modifications adoptées par votre commission.

Le premier point de divergence est probablement le plus technique, et celui qui pose le moins de difficultés : il porte sur les critères de définition de l’« obstination déraisonnable ».

La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des travaux de votre commission, supprime l’un de ces critères – ils étaient initialement au nombre de trois - celui de l’inutilité du traitement. Un consensus juridique avait pourtant fini par se dégager, à l’issue des diverses procédures judiciaires engagées, pour définir l’obstination déraisonnable à partir de ces trois critères.

J’entends bien le sens de votre démarche : elle visait sans doute à homogénéiser le texte, en harmonisant les rédactions respectives de l’article 2 et de l’article 3. Mais, si le Gouvernement, en accord avec les rapporteurs de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, a bien reconnu les difficultés d’interprétation qu’engendrerait l’introduction de la notion d’inutilité à l’article 3, en revanche, avec l’article 2, la démarche est tout autre.

En l’occurrence, l’inutilité constitue l’un des critères légitimes – aux côtés des deux autres qui figurent dans le texte – sur lesquelles les médecins eux-mêmes doivent pouvoir s’appuyer pour qualifier une obstination de « déraisonnable ». La suppression de la référence à l’inutilité aurait pour conséquence d’obliger à maintenir un patient sous traitements, empêchant notamment de lui proposer la sédation, alors même que le médecin considérerait que le traitement est inutile.

Cette nouvelle rédaction constitue un retour à un état du droit antérieur à celui de la loi Leonetti de 2005, et donc une régression pour les droits des patients. Le statu quo serait plus favorable aux patients, mesdames, messieurs les sénateurs : autant ne pas légiférer !

Je précise que les spécialistes des soins palliatifs nous ont eux-mêmes indiqué que, dans leur pratique, ils examinaient successivement les trois critères : l’inutilité des traitements, d’abord, leur disproportion, ensuite, leur finalité – le maintien artificiel de la vie –, enfin. Si l’un de ces trois critères est satisfait, ces spécialistes considèrent que l’obstination déraisonnable est caractérisée.

Votre commission a par ailleurs fait le choix, contraire à ce qu’elle avait décidé en première lecture, de définir l’hydratation artificielle comme « un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès. ». Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends parfaitement les doutes qui peuvent légitimement s’élever sur ce sujet – ils ont d’ailleurs pu s’exprimer également à l’Assemblée nationale.

Il est naturel de croire que l’arrêt de l’hydratation reviendrait à soumettre le patient, qui est déjà en proie aux difficultés inhérentes à la fin de vie, à une souffrance de l’ordre de l’insupportable. Ce n’est pourtant pas ce que disent les médecins palliativistes : ils considèrent, dans leur écrasante majorité – d’un point de vue médical, car il ne s’agit pas ici de procédure juridique – que l’alimentation et l’hydratation doivent être appréhendées ensemble.

Mme Nicole Bricq. C’est une réalité !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous avez fait le choix inverse, celui de séparer ces deux problématiques, alors même qu’à l’issue de diverses procédures tant l’alimentation que l’hydratation sont désormais considérées comme des traitements au sens juridique du terme, au niveau national comme au niveau international.

La rédaction que nous vous proposons vise à lever la majorité des incertitudes qui entourent les situations où un patient en fin de vie, qui peut demander à bénéficier de la sédation profonde, demande l’interruption de son hydratation et de son alimentation. Il s’agit de conforter les médecins dans les décisions qu’ils sont amenés à prendre afin d’accéder aux souhaits de leurs patients. La rédaction que vous proposez, en faisant de l’hydratation un « soin » et non un « traitement », introduit au contraire l’idée d’une marge d’appréciation irréductible : le médecin peut considérer qu’il répond à la demande du patient en interrompant les traitements et l’alimentation, en engageant la sédation profonde, tout en se sentant obligé, éventuellement contre l’avis du patient, de maintenir l’hydratation. Les conditions dans lesquelles la vie est ainsi prolongée nous sont certes pour partie inconnues – j’entends ceux qui disent que nous ne pouvons les connaître exactement –, mais, pour moi, le débat n’est pas là : il est dans la définition de l’objectif de la loi.

Or l’esprit de cette proposition de loi consiste à donner une place plus centrale, au cœur de la décision, à la parole et à la volonté du patient. Votre rédaction revient au contraire à décider pour les patients ce qui est utile pour eux, et à leur retirer toute prise véritable sur la fin de leur vie.

La portée de l’article 2 et, partant, de la proposition de loi, en est ainsi considérablement amoindrie. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement défend cet amendement de rétablissement pur et simple, sans aucune modification, du texte adopté par l’Assemblée nationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aurais aimé pouvoir répondre longuement, mais le temps qui m’est imparti ne me le permet pas.

Le Gouvernement conteste la suppression de l’adjectif « inutiles ». Ce terme nous paraît cependant redondant par rapport au terme « disproportionnés », et la trilogie que vous avez décrite, inutilité-disproportion-finalité, pour nous convaincre du contraire, me semble quelque peu artificielle. Je ne pense pas, en tout état de cause, que cette question puisse faire l’objet de polémiques.

Je préfère donc consacrer le temps qui me reste à la question de l’hydratation et de l’alimentation, et au distinguo, délicat, entre traitement et soin.

En définissant l’hydratation comme un soin plutôt que comme un traitement, nous ne souhaitons absolument pas retirer un droit au patient, mais simplement cadrer les choses, de façon que les derniers moments de la vie – je rappelle que c’est là l’objet de cette proposition de loi : les termes ultimes – occasionnent le moins de souffrance possible.

Vous avez évoqué, madame la ministre, les spécialistes des soins palliatifs. Pour en avoir rencontré un certain nombre, je peux vous dire qu’ils ne sont pas tous d’accord. Certains soutiennent que l’hydratation peut bel et bien apporter une amélioration du confort en fin de vie. Ce n’est certes pas toujours le cas : l’apport hydrique peut provoquer une surcharge hydrique aggravant le râle agonique – je l’ai longuement expliqué en commission, puisque je disposais du temps pour le faire.

Les mots que nous avons choisis me paraissent en tout cas très clairs : « L’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès ».

Je voudrais, pour vous convaincre qu’il ne s’agit pas là d’une position personnelle, mes chers collègues, vous renvoyer à un ouvrage récemment publié par le Centre éthique et clinique de l’hôpital Cochin, intitulé L’arrêt d’alimentation et d’hydratation en contexte de fin de vie. Vous y trouverez développée l’idée qu’au-delà de considérations d’ordre purement technique, une symbolique extrêmement forte entoure l’arrêt de l’hydratation. À cet égard, il faut évidemment satisfaire en priorité la volonté du patient, mais sans négliger ni son entourage ni le personnel soignant, disons-le clairement.

La commission mixte paritaire offrirait le cadre idéal et le temps nécessaire pour une discussion aussi apaisée que possible sur ce sujet.

Pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, l’avis de la commission est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Je suis convaincu par la position du rapporteur de la commission des affaires sociales.

Posons-nous sincèrement la question : où est la plus grande humanité ? Dans le fait que, sous sédation profonde, après l’arrêt d’un traitement qui ne peut être poursuivi sans obstination déraisonnable, la fin de vie survienne le plus vite possible ? Ou réside-t-elle dans le fait que cette fin de vie sera accompagnée le mieux possible, en prévoyant non pas l’obligation pour le médecin de poursuivre l’hydratation, mais la possibilité de le faire, s’il le juge approprié ? On élargirait là le champ des actes d’humanité qui peuvent accompagner une fin de vie, dont on sait qu’elle surviendra de toute façon assez rapidement dès lors que les traitements auront été arrêtés pour cause de refus d’obstination déraisonnable.

Pour ma part, j’estime que la position de la commission des affaires sociales est, d’un point de vue éthique, la meilleure.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, vous avez pris huit minutes et vingt-deux secondes très exactement pour nous expliquer que, au fond, l’amendement n° 28 n’était pas si important dans la mesure où il ne vise qu’à rétablir le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.

Pour ma part, cet argument ne me convainc pas. En effet, en deuxième lecture, nous sommes dans la recherche d’un consensus et d’une voie de sortie.

Sur le fond, je rejoins totalement les explications données par le rapporteur. Comme vient de le relever notre collègue Philippe Bas, il s’agit là d’une possibilité. En quoi offrir une possibilité serait-elle une régression par rapport au texte précédent ?

C’est, au contraire, une précision par rapport à la législation en vigueur. Une possibilité, ce n’est pas une obligation, c’est une souplesse. Faisons confiance aux médecins et au personnel soignant pour prendre la bonne décision !

Chacun le sait bien, l’hydratation peut être nécessaire à un moment donné, puis arrêtée, dans la phase ultime, pour ne pas prolonger indéfiniment la vie en cas de souffrance. Cela renvoie d’ailleurs à la question de la fin ultime : à partir de quand sommes-nous dans la phase terminale ?

Laissons les médecins et le personnel soignant s’organiser ! Faisons-leur un peu confiance et ne demandons pas à la loi de tout prévoir ni de tout prédire, car je crains que nous ne nous écartions de cette humanité que nous recherchons !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Madame la ministre, en indiquant tout simplement que vous voulez rétablir le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, vous affrontez véritablement la Haute Assemblée ! C’est une position qui n’est pas très facile à accepter.

Je ne reviendrai pas sur la notion d’inutilité, mais je ne peux pas vous laisser dire sans réagir, madame la ministre, que la nutrition et l’hydratation artificielles constituent juridiquement un traitement. C’est faux ! Il s’agit là non pas de deux médicaments externes à la vie, mais de deux éléments de la vie, qu’ils soient artificiels ou naturels.

La nutrition et l’hydratation constituent la vie, qui, seule, peut décider du moment où elle n’en a plus besoin. On doit accompagner la vie, c'est-à-dire la maintenir jusqu’à ce moment-là, d’autant que l’interruption de l’hydratation et de la nutrition entraîne une mort certaine et rapide, certes, mais dans de grandes souffrances : on meurt alors de faim et de soif !

C’est pour pallier les défauts de la loi actuelle que l’on instaure une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Or, madame la ministre, si le malade est sous sédation profonde et continue, cette sédation ayant précisément pour objet de supprimer la souffrance, le malade pour lequel on déciderait de ne pas arrêter l’hydratation ne souffrirait pas plus, contrairement à ce que vous prétendez.

Les membres de la commission ont accepté de ne pas rétablir la nutrition, mais ils considèrent que l’hydratation est nécessaire. De plus, elle a aussi une valeur symbolique. D’ailleurs, vous le savez bien, pour administrer des médicaments, il faut au moins une voie veineuse pour installer la sédation profonde et continue. Sans perfusion, comment ferez-vous ?

Les médecins ne vont pas injecter des litres et des litres de sérum glucosé ou de sérum physiologique pour provoquer des désordres supplémentaires au patient ; ils agiront en tant que de besoin.

La position de la commission sur ce point est tout à fait raisonnable, alors que l’amendement du Gouvernement est, pour le moins, injustifié.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je rejoins la position du rapporteur et de notre collègue Gilbert Barbier.

Nous parlons ici des personnes en fin de vie, en toute fin de vie. La loi Leonetti, je le rappelle, nous permet d’aller assez loin dans la sédation progressive. Dans 98 % des cas, tout se passe lentement, et sans souffrance pour le malade et pour les familles.

Des études montrent que le patient peut souffrir s’il a soif. Il n’est pas question de pratiquer une hydratation massive. Mais, dans le cas d’une sédation profonde et continue, mettre 500 cc d’eau glucosée par voie intraveineuse pour conserver la veine n’est pas de nature à allonger longtemps la vie du patient ; cela permettra simplement au patient de souffrir moins.

C’est pourquoi je suis très favorable au maintien de l’hydratation.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je ne suis pas médecin et sûrement pas excellent juriste, mais je veux réagir aux propos de mon excellent collègue Dominique de Legge, qui estime qu’il faut faire confiance aux médecins, car c’est leur métier.

À l’instar de nombre d’entre vous probablement, j’ai été confronté dans mon histoire personnelle à des fins de vie catastrophiques, vraiment catastrophiques, madame la ministre. Le personnel médical était tout à fait compétent, dévoué et à l’écoute, mais, faute de pouvoir aller contre la loi et faire ce qui leur était interdit, il se tournait vers la famille, qui, sans compétences médicales, n’en pouvait mais et ne savait que faire, sinon à son tour attirer l’attention de l’équipe soignante sur le fait que le patient souffrait. Mais la loi est la loi. Allez décider, dans ces conditions...

Vous vous retrouvez alors dans une situation qui n’a plus rien de politique. Il n’est question ni de droite ni de gauche. Vous vous demandez simplement ce que vous devez faire.

Comment vivre une telle situation ?

La plupart des membres du groupe Les Républicains, je le sais, suivront la position de la commission. Pour ma part, je m’abstiendrai sur l’amendement n° 28, car je n’ai pas assez de compétences pour décider.

Je le dis à tous, médecins, juristes, franchement, aidez la famille à trouver des solutions, aidez l’entourage. Le patient ? Il ne peut plus s’exprimer, il est en fin de vie. Mais, de grâce, que la souffrance n’apparaisse plus comme une évidence.

Sincèrement, je ne sais pas si la rédaction de cet amendement est meilleure, mais, pitié, ne revenons pas sur la loi Leonetti ! En tout état de cause, il faut offrir aux médecins un cadre légal qui leur permette d’agir.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Madame la ministre, le chemin de crête sur lequel nous cheminons est extrêmement difficile.

J’ai beaucoup apprécié la volonté que nous semblions partager de travailler, comme l’a dit Jean Leonetti, dans la recherche consensuelle du bien commun. Or l’amendement que vous nous présentez cet après-midi, madame la ministre, nous écarte de ce chemin.

Je souhaite que nous suivions la commission parce que les avis des médecins sur l’hydratation sont extrêmement partagés. Il nous semble nécessaire d’en rester à ce qui constitue notre objectif avec cette loi : il s’agit non pas d’abréger la fin de vie, mais d’accompagner le patient durant sa fin de vie moyennant le moins de souffrances possible, en laissant au médecin le soin de savoir s’il doit hydrater ou non la personne.

Pour ma part, eu égard au caractère discordant des réponses, je suis violemment opposée à ce que nous considérions l’hydratation comme un traitement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Comme ma collègue Françoise Gatel, j’aimerais que nous puissions, les uns et les autres, trouver le meilleur chemin possible pour permettre au patient d’exprimer librement son souhait, son désir, sa volonté, et à la communauté soignante d’y répondre de la meilleure façon possible.

M. Karoutchi a évoqué l’entourage du patient. Les équipes de soins palliatifs accompagnent, au premier chef, la personne concernée, mais aussi l’entourage, et c’est la force de ces soins. (M. Roger Karoutchi opine.)

Madame la ministre, j’ai entendu votre argumentation tant dans votre propos liminaire et votre réponse aux différents orateurs que dans la défense de l’amendement n° 28.

Concernant les trois critères à retenir pour ce qui concerne l’obstination déraisonnable, il n’y a pas de différence existentielle, comme l’a souligné M. le rapporteur.

Reste la question de l’hydratation.

L’hydratation a, il est vrai, une valeur à la fois médicale et symbolique. Pour ma part, je souhaite que la rédaction que nous allons adopter soit de nature à laisser au patient le choix ou qu’elle permette d’agir, dans le cadre de procédure collégiale, dans les meilleures conditions possible.

Or, en la matière, il convient d’être vigilant.

Une hyperhydratation, vous l’avez souligné, peut être très préjudiciable au patient et, au contraire de ce qui est recherché, accroître ses difficultés. Une légère déshydratation peut entraîner la sécrétion d’endorphines : le patient va alors se défendre. En revanche, une déshydratation importante causera des douleurs considérables.

Aussi, le dialogue entre la communauté soignante et le patient est la meilleure des solutions à adopter.

Sincèrement, l’hydratation semble, sur le plan à la fois médical et symbolique, être une possibilité importante à conserver. C’est pourquoi je souhaite que l’on achève ce débat en commission mixte paritaire, afin de trouver la rédaction de nature à permettre au patient de mourir dans les meilleures conditions, et dans la dignité.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je veux, à mon tour, m’exprimer sur l’amendement du Gouvernement.

Une fois n’est pas coutume, je me rallierai à la position exprimée par M. Karoutchi. Moi non plus, je ne suis pas médecin, pas plus que Mme Gatel d’ailleurs, dont je rejoins la position.

Tout d’abord, je regrette, madame la ministre, que l’amendement du Gouvernement nous parvienne si tardivement. Cela a été dit – le rapporteur de la commission des lois en a témoigné précédemment à la tribune –, la commission des affaires sociales a eu, sur cette question, de véritables débats au fond. Nous avons réussi ensemble, par-delà nos différences, avec les médecins et les non-médecins, à parvenir à un compromis sur ce texte qui, me semble-t-il, comporte des avancées par rapport au droit actuel pour les malades en fin de vie.

Vous le savez, je l’ai dit ici même, j’aurais voulu que l’on aille plus loin encore. Mais ce texte apporte des droits nouveaux aux malades en fin de vie.

Aussi, il est dommage que, par cet amendement, vous nous obligiez, madame la ministre, à débattre d’une question sans avoir la possibilité de l’examiner au fond.

Concernant l’hydratation, j’ai entendu les explications très techniques de nos collègues. L’intraveineuse qui permet tout à la fois d’hydrater et d’administrer une sédation profonde ? Soit !

Concernant les critères retenus au titre du refus de l’acharnement thérapeutique, notre rédaction de l’article 2 ne semble pas si différente de celle que vous présentez, madame la ministre.

Dans ces conditions, je trouve dommage que le Gouvernement ait déposé un amendement dont l’adoption remettrait en cause l’équilibre que nous avions réussi à trouver au sein de la commission des affaires sociales.

Je ne suis pas en mesure d’avoir une opinion techniquement et médicalement fondée en ce qui concerne l’hydratation, mais mon sentiment est qu’il est nécessaire de la maintenir ; il s’agit d’une position personnelle, qui n’est pas forcément celle de la majorité des membres de mon groupe.

Nous nous abstiendrons sur cet amendement, pour préserver une rédaction d’équilibre susceptible d’être adoptée pratiquement à l’unanimité de notre assemblée, et ainsi poursuivre pour franchir l’étape dont Jean-Pierre Godefroy a parlé ce matin et à laquelle je suis, moi aussi, attachée.