compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie

M. le président. J’ai reçu de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par lettre en date du 13 novembre 2015, un avis sur le projet de loi de finances pour 2016.

Acte est donné de cette communication.

3

Dépôt d’un rapport

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif au bilan de l’application des dispositions de l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

4

Retrait d’une question orale

M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 1311 de Mme Claire-Lise Campion est retirée à la demande de son auteur.

5

Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 20 novembre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les modalités d’application de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (n° 2015-497 QPC) ; la contribution patronale additionnelle sur les « retraites chapeau » (n° 2015-498 QPC) ; l’absence de nullité de la procédure en cas de méconnaissance de l’obligation d’enregistrement sonore des débats de cours d’assises (n° 2015-499 QPC).

Acte est donné de ces communications.

6

 
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions
Discussion générale (suite)

Prorogation de l’état d'urgence

Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du Gouvernement, en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions (projet n° 176, texte de la commission n° 178, rapport n° 177).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les secrétaires d’État, mesdames, messieurs les sénateurs, vendredi soir dernier, le chef de l’État a décrété l’état d’urgence. L’extrême gravité du moment l’imposait.

En moins de deux heures, des terroristes lourdement armés, minutieusement préparés, véritables commandos kamikazes ont frappé à sept reprises dans Paris et à Saint-Denis. Ils ont tué sans pitié, anéantissant 130 vies, et faisant plusieurs centaines de blessés, dont beaucoup luttent encore contre la mort.

L’état d’urgence a été une réponse immédiate, puissante et efficace, pour protéger nos concitoyens, stopper des individus fanatisés, ces criminels qui veulent s’en prendre à notre pays, à ses valeurs, à notre démocratie.

La menace est sans précédent ; une menace globale, intérieure et extérieure.

Ce matin, à Bamako, le Mali, ce pays qui résiste avec tant de courage au djihadisme, a été frappé : vous le savez, une prise d’otages est en cours. Je veux exprimer ici le soutien total de la France, une nouvelle fois, à nos amis maliens et à la démocratie malienne. Nous sommes à leurs côtés, comme nous l’avons été hier et comme nous le serons toujours. (Applaudissements.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France ne plie pas. La France se bat, sur tous les fronts.

Au Sahel et au Levant, nos armées sont déployées.

Ces derniers jours, sur ordre du Président de la République, nos Rafale et nos Mirage ont intensifié leurs frappes. Ils ont bombardé et atteint des sites stratégiques où l’ennemi planifie et ordonne les attaques sur notre sol. Notre porte-avions, le Charles-de-Gaulle, bientôt sur zone, multipliera par trois notre force de frappe. Et nous frapperons Daech sans relâche, pour détruire ses bastions, pour anéantir ses capacités d’action, en mobilisant la communauté internationale ! C’est le sens des initiatives que le Président de la République a décidé de prendre en rencontrant, la semaine prochaine, le Président Obama à Washington, mardi, puis le Président Poutine, jeudi, la Russie ayant aussi été atteinte par un attentat qui a détruit l’un de ses avions de ligne et tué ô combien de Russes.

C’est au Levant que se joue une part de notre sécurité ici. Nous agissons donc à l’extérieur. Nous intensifions également nos actions sur notre sol.

Les policiers, les gendarmes, les services de renseignement, l’autorité judiciaire traquent sans relâche les individus, démantèlent les cellules, les réseaux, frappent durement ceux qui ont pour projet de nous frapper.

Je veux de nouveau devant vous saluer l’action des enquêteurs, l’engagement des policiers du RAID et de la BRI. Il y a deux jours, à Saint-Denis, ils ont permis de localiser et de neutraliser Abaaoud, qui, de toute évidence, a joué un rôle déterminant dans les attaques de vendredi, ainsi que dans différentes tentatives d’attentats contre la France : celle visant des églises de Villejuif et au moins trois autres qui ont pu être déjouées au cours des derniers mois.

Plus que jamais, dans les circonstances actuelles, les forces de l’ordre font l’honneur de notre nation. Leur courage, leur professionnalisme font notre fierté. (Applaudissements.) Chaque jour, chaque instant, ils agissent avec une obsession : empêcher que des individus ne passent à l’acte selon des modes opératoires qui évoluent sans cesse.

Nous devons avoir les yeux ouverts face au risque d’une surenchère de la terreur. Nous sommes plusieurs à le dire, depuis des mois. Dire cela, ce n’est pas alimenter la peur ou je ne sais quel sentiment anxiogène ; ce sont les faits. C’est la terreur qui alimente la peur, pas nos discours, pas nos actes. Dire cela, c’est donc se préparer à toute éventualité, pour y parer, pour mobiliser nos compatriotes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai une conviction que vous partagez, j’en suis convaincu : nous avons changé d’époque. Nous sommes entrés, avec une dureté absolue, dans un moment nouveau.

La guerre a changé de forme. Nous devons en prendre la pleine mesure et agir en conséquence, en nous adaptant en permanence aux évolutions, notamment technologiques, en étant réactifs, mais en ayant une seule ligne de conduite : le respect de ce que nous sommes, de nos grands principes, ceux de l’État de droit.

Nous avons changé d’époque, et nous devons apprendre à vivre avec cette menace. Le message n’est pas forcément facile à faire passer à nos compatriotes.

Résister, ce n’est pas se figer. Et moi, je dis aux Français qui se demandent ce qu’ils peuvent faire, qui se demandent comment être utile : résister, c’est continuer de vivre, de sortir, de nous déplacer, de nous rencontrer, de partager des moments de culture et d’émotion, de rester dans la vie et dans le mouvement.

La France est une grande nation. Elle fait face une nouvelle fois. Et parce qu’elle est la France, qu’elle est regardée, que l’on espère beaucoup d’elle, parce qu’elle a cette ténacité, cette abnégation forgée dans les épreuves du passé, elle doit continuer sa route, sans dévier. Je rencontrerai d’ailleurs, en fin de journée, l’ensemble des partenaires sociaux. Depuis vendredi, comme d’autres forces vives de la nation, ils témoignent leur solidarité. Toute la société civile doit continuer à se mobiliser : c’est ce message que je leur délivrerai.

Chacun de nous a son rôle à jouer. Notre économie doit continuer de se développer, notre territoire continuer d’attirer les touristes, nos magasins d’ouvrir, les initiatives locales, associatives, sportives d’animer notre quotidien. Face aux projets de mort, nous envoyons un message de vie !

Dans le même temps, il nous faut de la maîtrise, du sang-froid, de la vigilance, un esprit de responsabilité collective. C’est comme cela que notre société mènera cette guerre et la gagnera.

Hier, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un mouvement d’union nationale, les députés ont voté massivement la prolongation de l’état d’urgence. Après la réunion du Parlement réuni en Congrès pour entendre le Président de la République, ils ont de nouveau envoyé un message très fort. Ils ont dit notre détermination collective, implacable dans la lutte contre le terrorisme.

Je suis aujourd’hui devant vous pour vous demander de voter, à votre tour, cette prolongation, pour trois mois. J’ai suivi les travaux de votre commission des lois. Je sais que le Sénat, hier, a su dire toute sa détermination, tout son engagement - et je ne doute pas un instant de la force du message qu’il enverra, lui aussi.

Je tiens à saluer votre commission des lois et son président, Philippe Bas, que nous avons tenu à associer étroitement, en lien avec le rapporteur à l’Assemblée nationale, le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas. Vous avez travaillé dans des délais exceptionnels, pour répondre à une situation d’exception. À chaque étape, le Gouvernement a eu le souci de vous consulter sur les évolutions suggérées et, lorsque cela a été possible, d’intégrer vos propositions.

Ne l’oublions jamais : sans sécurité, il n’y a pas de grandes libertés possibles, pas de grandes libertés publiques. La sécurité, c’est un principe fondamental à l’organisation de notre société démocratique.

Depuis vendredi, dans le cadre prévu par la loi du 3 avril 1955, les pouvoirs publics ont ainsi mis en œuvre, sans attendre, des moyens et des procédures à la hauteur de la situation.

En région parisienne, les grands rassemblements ont été interdits jusqu’à dimanche prochain.

En sept jours, 793 perquisitions administratives ont été menées partout en France, de jour comme de nuit. Elles ont permis de saisir 174 armes, dont 18 armes de guerre.

En sept jours, 164 personnes dangereuses ont été assignées à résidence.

Le but de ces assignations et perquisitions, c’est d’aller vite contre les groupes susceptibles d’agir, c’est d’intervenir face à des individus au comportement menaçant.

Dans ce contexte d’état d’urgence, les policiers pourront, sur décision du ministre de l’intérieur, conserver leur arme de service, même pendant les périodes de repos. Tout agent des forces de l’ordre, y compris hors service, a le devoir d’intervenir face à une situation grave ou dangereuse. Cette mesure sera bien sûr encadrée et ne concerne, pour le moment, que l’état d’urgence.

Aux dispositions prévues par cette procédure se sont ajoutées d’autres dispositions pour la sécurité de nos concitoyens.

Nous avons déployé, sur tout le territoire, 3 000 militaires supplémentaires, pour atteindre un total de 10 000. Ils s’ajoutent aux 100 000 policiers et gendarmes et 5 500 douaniers également sur le qui-vive.

Nous avons accru les contrôles dans les gares, les aéroports, les transports, rétabli les contrôles aux frontières intérieures – comme le permet Schengen –, avec 132 points de passage autorisés contrôlés en permanence, dont 61 par la police aux frontières et 71 par les douanes.

Ces actions doivent bien évidemment se prolonger à l’échelle de l’Europe, ce qui veut dire passer à la vitesse supérieure sur au moins deux priorités que nous avons rappelées hier avec Bernard Cazeneuve.

Première priorité : adopter – enfin ! – le partage des données des passagers aériens, ou PNR européen. Je ne comprends pas que des parlementaires européens, y compris des Français, s’opposent à cet instrument indispensable pour lutter contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Je les appelle à la responsabilité, quelle que soit leur famille politique, car cela nous permettra de disposer d’un fichier garantissant la traçabilité des déplacements, y compris à l’intérieur de l’Union. C’est une condition de notre sécurité collective.

Deuxième priorité : prendre toutes les mesures pour assurer une protection effective de nos frontières. Cela suppose au moins deux choses : mettre en place des contrôles systématiques à toutes les frontières extérieures de l’Union, y compris pour les bénéficiaires de la libre circulation, ce qui passe par une révision ciblée des règles de l’espace Schengen, et créer un système de gardes-frontières européens, comme nous le demandons depuis plus d’un an.

Ce matin même, à Bruxelles, le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux ont porté ces sujets dans le cadre du Conseil « Justice et affaires intérieures », convoqué à la demande de la France. Notre position est très claire – elle a été exprimée ici même, voilà quelques jours, par le ministre de l’intérieur en réponse à Roger Karoutchi – : si nous n’avançons pas de manière décisive, Schengen ne survivra pas et on assistera au repli sur soi généralisé de chaque État.

Au cours de nos débats, le ministre de l’intérieur, qui va nous rejoindre, reviendra sur les résultats précis de cette réunion. Mais je peux d’ores et déjà vous dire que le Conseil a montré que les idées que nous portons sont très largement soutenues. Un texte politique a été adopté par consensus. Chacun se rend compte qu’il est crucial, dans l’intérêt même de l’Europe, d’avancer désormais très vite. Après les discours et les décisions, il faut maintenant passer aux actes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, un état d’urgence efficace, c’est aussi un état d’urgence repensé et modernisé. Le projet de loi soumis à votre vote prévoit donc de faire évoluer la loi de 1955. C’est nécessaire : le contexte général, juridique et technologique a bien changé depuis que cette loi a été adoptée il y a soixante ans. L’état d’urgence doit aujourd’hui être doté d’instruments plus performants, mieux adaptés à la réalité que nous vivons.

Le premier dispositif, c’est celui de l’assignation à résidence, qui immobilise les individus radicalisés et les empêche d’agir. Cette disposition est particulièrement adaptée à la menace actuelle. Nous allons donc la préciser pour qu’elle s’applique, non seulement aux individus dont les activités dangereuses sont avérées, mais aussi aux plus radicalisés, aux terroristes potentiels, dès lors qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’ils constituent une menace pour notre sécurité. Ils pourront être conduits à leur lieu de résidence par une action coercitive, être privés de leurs passeports et documents d’identité. Ils seront soumis à des obligations strictes de pointage – trois fois par jour – et de respect d’horaires de couvre-feu, portés à douze heures par vingt-quatre heures selon les termes d’un amendement du député Éric Ciotti adopté par l’Assemblée nationale. Ils auront, enfin, l’interdiction d’entrer en contact par quelque moyen que ce soit avec d’autres individus dangereux. L’Assemblée nationale a tenu à préciser, hier, que cette interdiction pourra être maintenue même en cas de levée de l’assignation à résidence. Les peines encourues en cas de non-respect de cette assignation seront également accrues.

Enfin, vous le savez, nous avons eu un débat avec vos collègues députés, notamment sur l’initiative du groupe Les Républicains, au sujet du placement sous surveillance électronique mobile de certains individus assignés à résidence. Le Gouvernement a entendu cette préoccupation. Il a proposé un amendement visant à ouvrir cette possibilité – il s’inscrit toutefois, je le reconnais, dans les limites très étroites que nous fixe la jurisprudence constitutionnelle.

Le deuxième dispositif, c’est celui des perquisitions administratives, qui permettent de relever des preuves au domicile des perquisitionnés. Désormais, les forces de sécurité, toujours en présence d’un officier de police judiciaire, pourront faire une copie des données stockées dans les téléphones et ordinateurs trouvés sur place. Il est vrai que ces instruments n’existaient pas en 1955.

Pour que ces perquisitions administratives soient les plus utiles et les plus efficaces possible, elles doivent évidemment pouvoir déboucher sur des suites judiciaires immédiates. Tel est l’objectif d’un amendement du président de la commission des lois du Sénat, présenté par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et adopté par les députés.

Les perquisitions sont aussi mieux encadrées : le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui précise qu’elles ne pourront pas viser les magistrats ou les journalistes, ni d’ailleurs les locaux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire. Il prévoit également un droit de recours, conforme au droit commun.

Moderniser la loi de 1955, c’est aussi se doter de nouveaux outils juridiques, particulièrement nécessaires face aux phénomènes d’embrigadement. Je pense bien sûr à la dissolution des associations et des groupements de fait portant une atteinte grave à l’ordre public. Je pense donc à ces mosquées salafistes radicales où l’on prône la haine de nos valeurs, le rejet violent des principes de la République. Oui, notre adversaire, c’est le djihadisme, l’islamisme radical et cette matrice que représente le salafisme ! Nous devons les combattre avec les moyens de la République et avec la plus grande détermination. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Si les moyens juridiques existent déjà, ce projet de loi va permettre d’accélérer les procédures, de fermer ces lieux en l’espace de quelques jours seulement. Nous n’hésiterons pas à employer ces outils.

L’embrigadement se fait aussi, nous le savons très bien, par les réseaux sociaux. Le Gouvernement a entendu hier la préoccupation de l’Assemblée nationale, qui a adopté un amendement permettant au ministre de l’intérieur de prendre « toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».

Moderniser l’état d’urgence, c’est aussi enlever des dispositions qui ne sont pas seulement obsolètes, mais tout simplement en décalage avec notre époque. Le projet de loi entend donc supprimer la possibilité de contrôler la presse, la radio, le cinéma ou le théâtre – une disposition prévue par la loi de 1955, mais jamais utilisée. Dans le même esprit, les juridictions militaires ayant disparu, les dispositions qui les concernent dans la loi de 1955 sont devenues inutiles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous dotons la procédure d’état d’urgence d’outils plus efficaces, adaptés à notre temps. Nous la dotons aussi des instruments nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie. Un amendement important a ainsi été adopté à l’Assemblée nationale, qui inscrit dans la loi l’obligation de tenir le Parlement informé des mesures prises pendant toute la durée d’application de l’état d’urgence.

Le Gouvernement était favorable à cette initiative parlementaire, portée par les députés Urvoas et Poisson, et soutenue par ailleurs sur tous les bancs de l’hémicycle. Des points réguliers vous seront donc faits sur la mise en œuvre de l’état d’urgence. Nous vous communiquerons en outre toutes les informations que l’on pourra vous livrer sur la lutte antiterroriste menée sur notre sol et nos opérations militaires au Levant à l’occasion de réunions régulières et hebdomadaires à l’hôtel de Matignon.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons donc adapter, moderniser l’état d’urgence. Nous devons aussi, parce que la menace est là pour durer, nous donner tous les moyens d’agir efficacement sur le long terme. Nous devons mobiliser les moyens humains, matériels et législatifs nécessaires. Nous avons ainsi créé des postes supplémentaires de policiers, de gendarmes, ainsi que des postes dans la justice. Nous allons en créer davantage : 8 500 au total, 5 000 pour les forces de l’ordre, 2 500 pour la justice, 1 000 pour les douanes. En outre – quoi de plus logique quand la guerre est là –, il n’y aura aucune diminution des effectifs de la défense jusqu’en 2019.

Nous donner tous les moyens d’agir, c’est ensuite lutter mieux encore contre la radicalisation, pour attaquer le mal à la racine.

Nous avons mis en place, dans chaque département, des dispositifs dédiés regroupant tous les acteurs : police, enseignants, travailleurs sociaux. Nous avons commencé à former les professionnels pouvant être en contact avec des jeunes radicalisés pour qu’ils aient les bons réflexes. Nous agissons en particulier dans les prisons, sur les réseaux sociaux. L’objectif est bien de détecter les signes avant-coureurs, de contrer les discours de manipulation là où ils se propagent, de suivre les individus au plus près, de mobiliser également les familles. C’est un travail difficile, de longue haleine.

Aujourd’hui, nous devons aller encore plus loin.

Dans les prochaines semaines – je l’ai annoncé hier –, nous ouvrirons un centre de prise en charge d’individus radicalisés. L’objectif, là aussi, consiste à sortir les individus de l’impasse mortifère dans laquelle ils se trouvent. Cela implique un suivi psychoclinique, un travail individuel, avec nécessairement une grande vigilance quant à la motivation réelle du radicalisé. Cette première expérience, si elle réussit, pourra être généralisée sur tout le territoire. Je rappelle toutefois que la place des terroristes qui reviennent de Syrie ou d’Irak – ne confondons pas les choses – est bien en prison.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous donner tous les moyens d’agir, c’est enfin continuer d’adapter notre droit.

Depuis 2012, deux lois antiterroristes ont été adoptées, et la plupart de leurs mesures sont entrées en vigueur. La loi relative au renseignement, qui inclut de nombreuses propositions de l’Assemblée nationale et du Sénat – de la majorité comme de l’opposition –, renforce quant à elle les moyens de nos services de renseignement, pour leur permettre de mieux détecter les menaces et de surveiller les djihadistes en temps réel. La plupart de ses dispositions ont été mises en œuvre depuis octobre. Cet arsenal législatif sera, je l’espère, bientôt complété par la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, dont le Conseil constitutionnel a été saisi. Je tiens à cette occasion à remercier la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Pierre Raffarin, pour ses propositions et son travail toujours constructif.

Nous devrons, là aussi, aller plus loin en révisant notre Constitution. Ses dispositions ne correspondent plus au type de crises que nous pouvons vivre aujourd’hui – nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur ce point au cours des prochaines semaines.

Soyons très précis. L’article 16 ne pouvait pas être activé vendredi : il n’y a pas eu d’interruption du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ». L’article 36, qui définit l’état de siège, non plus, car il n’y a pas eu de « péril imminent, résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée ». Nous proposerons donc d’inscrire l’état d’urgence en toutes lettres dans la Constitution. Les procédures exceptionnelles qui en découlent doivent bénéficier de ce fondement juridique inattaquable.

Cette révision constitutionnelle, pour laquelle le Gouvernement se montrera particulièrement ouvert à toutes les suggestions qui pourront lui être formulées, nous permettra d’avancer sur deux autres mesures annoncées par le Président de la République lundi et visant à traiter du cas des Français qui se retournent contre leur propre pays : d’abord, l’élargissement de la déchéance de la nationalité aux binationaux nés en France et condamnés pour des faits de terrorisme ; ensuite, l’encadrement rigoureux du retour sur notre sol de ceux qui sont partis faire le djihad : nous voulons faire en sorte qu’ils ne puissent pas revenir sans y être expressément autorisés et sans être soumis, à leur retour, à un suivi très rapproché.

À ce jour, 966 Français sont déjà partis en Irak ou en Syrie, 142 y ont laissé la vie, 588 y sont toujours, 247 en sont revenus. Parmi ces derniers, certains sont de retour en France – beaucoup d’entre eux ont été incarcérés –, certains sont allés dans d’autres pays d’Europe, certains circulent. Mais tous représentent une très grande menace.

Ces deux révisions constitutionnelles que nous proposerons devront bien sûr être encadrées par un contrôle juridictionnel très strict.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a tout juste une semaine, la France a été attaquée. Notre responsabilité à tous, Gouvernement, représentation nationale, c’est d’apporter une réponse à la hauteur. L’Assemblée nationale l’a fait hier. Je ne doute pas que, dans un même mouvement, le Sénat le fera cet après-midi.

Je voudrais saluer sincèrement l’engagement du président Gérard Larcher et de tous les sénateurs, saluer aussi, plus largement, le rôle des élus locaux, en particulier des maires, qui, sur le terrain, doivent rassurer la population, trouver les mots, dire que la puissance publique est là, accompagner la mise en œuvre de l’état d’urgence – beaucoup de réunions se tiennent actuellement à cet effet dans les départements, en présence des élus locaux et des préfets.

Je voudrais saluer enfin l’engagement de l’Association des maires de France, qui, derrière François Baroin, a pris la décision courageuse de tenir cette semaine une réunion exceptionnelle pour témoigner de l’engagement des maires au service des valeurs de la République. Les élus locaux sont les porteurs de nos valeurs face au terrorisme.

C’est ce message d’union, d’union sacrée, c’est-à-dire de très grande force qu’attendent nos concitoyens. L’union fait la force. La force mène à la victoire. Parce que nous sommes unis, parce que nous portons dans notre cœur notre patrie, notre devise républicaine et la laïcité, que nous devons brandir plus que jamais, parce que nous sommes tous blessés, nous irons, je le sais, chercher au plus profond de nous-mêmes ces ressources pour nous dépasser, dépasser nos clivages et nous retrouver dans un même combat.

Ce combat, ce combat de la démocratie contre le chaos, nous le mènerons et nous le gagnerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dans l’épreuve et le deuil, après les massacres du 13 novembre, en pleurant ses morts, la France fait front.

Face à la barbarie, fidèle à lui-même, le peuple français montre le chemin au Gouvernement et à la représentation nationale, un chemin de dignité, de courage et de fraternité.

Les Français ne se laisseront pas intimider par le terrorisme. Ils ne céderont pas. Ils veulent donner l’exemple de leur force, de leur détermination et aussi de leur calme. Ils se souviennent que la patrie des droits de l’homme est aussi celle de la nation en armes.

Notre peuple est aussi fidèle à ses valeurs – celles de la grande Révolution française –, les valeurs d’une citoyenneté qui repose sur la liberté individuelle, sur la liberté de conscience, sur la liberté religieuse, sur l’égalité de tous les citoyens sans distinction de croyance, de race ou d’origine et sur le respect absolu de la vie humaine ; un respect qui trace une frontière infranchissable entre la civilisation et la barbarie.

Je salue l’engagement sans limites des forces de sécurité. Je pense à ces femmes et à ces hommes, exercés à dominer leur propre peur et qui prennent ces jours-ci tant de risques pour eux-mêmes, afin de protéger les Français. Ils le font avec une grande maîtrise, un grand professionnalisme et une grande discipline, sans repos.

Et puis, me tournant vers vous, monsieur le Premier ministre, et pensant aussi à votre ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, je mesure le poids immense de la responsabilité qui pèse personnellement sur l’un et l’autre dans ces heures si difficiles pour notre pays. Je veux vous dire mon respect pour votre engagement et pour le travail que vous accomplissez pour protéger les Français. (Applaudissements.)