Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les circonstances que connaît actuellement notre pays et que je connais moi-même, la question migratoire se pose avec une acuité encore plus forte.

Bien entendu, il ne faut pas confondre les questions de sécurité liées au terrorisme et les questions politiques, économiques et sociales liées à l’immigration. Pourtant, c’est vrai, elles se recoupent partiellement, car la perméabilité de nos frontières est une faille dans notre défense contre les nouvelles menaces qui se sont rappelées cruellement à nous lors des attentats du 13 novembre dernier.

Mais si la question migratoire dépasse largement cette problématique, il n’en reste pas moins que la tension qui s’exerce aujourd’hui sur le moral de la nation accroît encore plus l’urgence d’adapter notre politique de maîtrise et de contrôle des flux migratoires.

C’est donc avec détermination que j’aborde cette question, consciente de ses enjeux, en raison de mon parcours personnel.

Je tiens à le dire à cette tribune, étant moi-même issue d’une famille d’origine polonaise et arménienne, je sais la contribution que peuvent apporter à la France des étrangers qui viennent chez nous avec, dans le cœur, le respect de la République et la volonté de réussir leur vie.

Je sais l’espoir que peut représenter la France pour les candidats à l’émigration, partout dans le monde. Mais en tant que maire de Calais, je sais aussi les contraintes qu’une immigration incontrôlée, irrégulière, permise par l’affaiblissement des outils régaliens, peut faire peser, tout autant sur la population française que sur les clandestins, qui se retrouvent chez nous dans des situations humainement insupportables.

Monsieur le ministre, le budget que vous proposez est en augmentation, ce dont je ne peux que me réjouir. Mais cela sera-t-il suffisant pour assumer la situation inédite que nous vivons actuellement ? En effet, depuis trois ans, la crise migratoire a changé de dimension.

La situation à Calais en est la preuve la plus évidente. Alors que l’on y dénombrait 500 migrants environ voilà trois ans, nous avons dépassé les 6 000 migrants il y a quelques semaines, pour redescendre aujourd'hui à 4 500.

Face à cette situation exceptionnelle, les moyens mis en œuvre par l’État sont-ils suffisants ?

Nous ne pouvons nier les efforts accomplis par les services de l’État, notamment par le ministère de l’intérieur, et en particulier par vous-même, plus personnellement, monsieur le ministre. Je pense, par exemple, au travail réalisé par l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre contre les filières de passeurs qui exploitent la misère humaine.

Comme le souligne, dans son rapport, notre collègue François-Noël Buffet, sur les dix premiers mois de l’année 2014, huit filières d’acheminement vers le Royaume-Uni ont été démantelées. En 2015, pour la même période, ce sont près de vingt-six filières qui ont été démantelées, dont vingt-quatre sur l’initiative de la direction centrale de la police aux frontières.

Ce travail remarquable de nos fonctionnaires de police doit être salué, même si des réseaux, notamment organisés par certains ressortissants albanais, restent bien trop actifs et doivent encore être combattus.

Je n’oublie pas non plus, monsieur le ministre, les investissements consentis par l’État pour l’aménagement de la lande et du centre Jules-Ferry.

Mais force est de constater l’étendue de la problématique : les questions financières, notamment, restent entières, y compris pour la ville de Calais, qui est amenée à assumer un certain nombre de tâches liées au phénomène migratoire, même si la logique de convention qui lie notre collectivité locale et l’État a vocation à en compenser le coût.

De manière plus générale, je veux souligner l’importance de la réponse apportée au titre de la politique de l’asile, mais celle-ci ne peut faire oublier toutes les autres actions nécessaires pour lutter contre l’immigration irrégulière. En particulier, j’appelle de nouveau le Gouvernement à prendre en compte l’indispensable identification des migrants, spécialement ceux qui ne relèvent pas de l’asile.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Natacha Bouchart. En effet, cette mesure ne peut concerner les seuls réfugiés : elle doit être systématiquement mise en œuvre pour tous les clandestins. L’enregistrement des photos et des empreintes digitales doit être non pas une option, mais une obligation.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Natacha Bouchart. Nous ne sommes pas en mesure de dire, aujourd’hui, qui se trouve sur la lande de Calais !

Se donner les moyens de savoir qui entre sur notre territoire, qui y circule, qui y stationne, à Calais comme ailleurs, c’est se donner les moyens non seulement d’assurer la sécurité de nos compatriotes, mais aussi de procéder à une gestion ferme et rigoureuse des flux migratoires. Ne pas le faire serait, à mon sens, une faute. Face à l’inquiétude de notre population, à la crise migratoire sans précédent que nous vivons, au défi lancé à notre sécurité, peut-on laisser la place au hasard ?

Une telle action d’identification permettrait de connaître les besoins des migrants, pour pouvoir mieux les aider et leur fournir l’aide humanitaire appropriée. Mais mener cette politique de façon systématique nécessite, il est vrai, des moyens, et ce sont ces moyens que le pays attend aujourd’hui.

De même, une politique ferme de reconduite à la frontière, sans laxisme pour les clandestins qui commettent des délits, implique que des moyens conséquents soient au rendez-vous.

Cette fermeté doit aussi s’appliquer aux activistes No Borders, qui instrumentalisent les migrants pour des motifs politiques et sont à l’origine des mouvements de foule et des attaques de migrants contre, par exemple, le site du tunnel sous la Manche, le port de Calais ou les fonctionnaires de police eux-mêmes. Ils représentent la même idéologie et utilisent les mêmes méthodes que celles que nous avons tristement vues à l’œuvre ce week-end, place de la République à Paris. (Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur spécial acquiescent.)

Les No Borders étrangers qui attisent le désordre à Calais doivent être expulsés sans délai de notre pays.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Natacha Bouchart. La situation de Calais, parce que je la vis au quotidien, m’en donne la certitude : la politique de la France en matière d’immigration nécessite une fermeté, qui exige des moyens nouveaux, pour apporter également beaucoup d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. Mme Nathalie Goulet et M. Guillaume Arnell applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un entretien publié le 25 novembre dernier par un grand quotidien allemand, le Premier ministre a réclamé que l’Europe cesse d’accueillir des réfugiés en raison de la menace djihadiste.

Il a expliqué sa fermeté concernant l’accueil des migrants en se référant à certaines indications des enquêteurs français : deux des tueurs du 13 novembre à Paris avaient profité du flux de migrants pour traverser l’Europe et rejoindre la France.

Il semblerait que l’amendement déposé par le Gouvernement visant à augmenter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » confirme cet état de fait.

Passant de 652 millions d’euros en 2015 à 703 millions d’euros pour 2016, le Gouvernement a décidé d’abonder davantage ce budget, en y ajoutant près de 14 millions d’euros, dans le cadre de l’effort déjà engagé au titre du renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme et de sécurisation des frontières.

Si nous ne pouvons que soutenir la décision du Gouvernement d’augmenter les budgets des missions « Justice » et « Sécurités » avec des sommes autrement plus conséquentes – les dotations supplémentaires s’élèvent respectivement à 266 millions et à 340 millions d’euros –, permettez-nous néanmoins de douter de l’objectif qui sous-tend l’augmentation du budget de la mission « Immigration, asile et intégration », à savoir abonder, notamment, les moyens nécessaires à l’armement des hotspots en Italie et en Grèce.

Certes, un renforcement des outils de contrôle aux frontières est plus que jamais nécessaire, mais nous vous mettons en garde contre les amalgames, renforcés par les tragiques événements que nous venons de vivre.

Le thème du terrorisme et celui des migrants se télescopent. Cependant, ne cédons pas à l’instrumentalisation de ces deux sujets, trop souvent pratiquée par la droite au pouvoir !

Nous ne pouvons nier que quelques terroristes passent entre les mailles des flux de migrants. Mais faut-il pour autant renoncer à trouver une solution d’accueil pour l’immense majorité des autres ? Rappelons que la quasi-totalité des réfugiés fuient des zones de conflits et de massacres dans le monde, notamment au Proche-Orient : victimes des persécutions que nous connaissons, ils nous demandent l’asile.

D’ailleurs, si les crédits de l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, sont en nette progression par rapport à 2015, avec une augmentation de 7,4 %, il faut noter que cette action est sous-dotée depuis plusieurs années et nécessite, à chaque exercice, d’importantes rallonges budgétaires.

Les dotations prévues pour 2016 sont hypothéquées, en raison précisément des conséquences, difficiles à prévoir, de la crise migratoire et de la mise en œuvre des programmes de relocalisation, dans le cadre desquels la France accueillera des demandeurs d’asile supplémentaires ; c’est du moins ce que nous osons espérer.

Concernant l’hébergement, on peut se féliciter de la poursuite de la progression du nombre de places en centres d’accueil de demandeurs d’asile : 3 500 nouvelles places seront créées en 2016 et 2 000 en 2017.

En définitive, avec 33 000 places en CADA prévues en 2016, un nombre de demandeurs d’asile estimé à 70 000 et une durée moyenne de traitement des demandes par l’OFPRA de 200 jours, le dispositif national d’accueil restera insuffisant pour garantir un hébergement à tous ceux qui en ont besoin.

Les crédits de l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière, globalement en augmentation, se caractérisent par une hausse significative des crédits dédiés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière.

De manière générale, nous regrettons que la politique menée en la matière s’inscrive dans la continuité de la politique conduite par la précédente majorité.

Dans le cadre du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, nous déplorons en particulier la volonté d’accélérer le traitement des mesures d’éloignement au mépris du droit à un recours effectif pour les personnes en situation irrégulière.

S’agissant de la rétention, on peut, certes, se réjouir que le projet de loi susmentionné prévoie d’accorder la priorité à l’assignation à résidence plutôt qu’au placement en rétention. Mais on peut s’inquiéter de la volonté du Gouvernement, annoncée en juin 2015 dans le cadre du plan « Migrants », de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en optimisant l’utilisation des places existantes dans les centres de rétention administrative.

La banalisation des restrictions à la liberté individuelle par l’interchangeabilité de l’assignation à résidence et de la rétention administrative n’est pas, à nos yeux, acceptable.

Plus spécifiquement, concernant le principe de l’interdiction de la rétention des enfants, rappelons que l’engagement du candidat François Hollande en 2012 était non pas de limiter la rétention des enfants et de familles, mais bien d’y « mettre un terme ». Nous déplorons que cette promesse ne soit pas honorée.

Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » représente, avec 70,2 millions d’euros prévus pour 2016, moins de 10 % des crédits de paiement de la mission. On peut se féliciter que ce programme connaisse, pour la première fois depuis plusieurs années, une hausse de ses crédits de 20 %. Mais là encore, sur le fond, nous regrettons que les procédures d’accès à la nationalité française n’aient pas rompu avec le dispositif mis en place par la majorité précédente.

Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France ne prévoit pas de modifier fondamentalement la logique du contrat d’accueil et d’intégration. Rebaptisé « contrat d’intégration républicaine », celui-ci demeure avant tout, malheureusement, destiné à la maîtrise des flux migratoires. Nous réfutons cette logique d’« insertion-stabilisation » selon laquelle la signature du contrat d’intégration républicaine est nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour. Au contraire, nous considérons que c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui permet de faciliter l’insertion des étrangers.

En définitive, au regard de l’insuffisance des moyens déployés pour faire face à la crise migratoire et du tournant idéologique qui semble être pris par le Gouvernement en matière d’immigration – en témoigne le projet de réforme sur le droit des étrangers en France –, les sénateurs du groupe CRC, vous l’aurez compris, mes chers collègues, ne voteront pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, apprendre qu’une bombe vient d’exploser, qu’une fusillade vient d’éclater ; s’inquiéter pour ses proches, sa famille, ses amis, dont on sait ou dont on peut supposer qu’ils se trouvent près des lieux touchés ; ne rien pouvoir faire ; ressentir l’angoisse de l’attente, puis bien pire, si le pire est arrivé : c’est ce que nous avons vécu le 13 novembre dernier.

Mais cette vie, cette attente, ces deuils, c’est ce que vivent au quotidien, parfois depuis des années, ceux qui aujourd’hui se trouvent dans des camps en Jordanie, au Liban, en Turquie, et tentent, pour certains d’entre eux, de rejoindre l’Europe. Imaginez ce que signifie pour ces personnes : offrir une protection.

C’est dans cette perspective qu’il nous faut aborder cette belle politique, solidaire et humaniste, que doit être la politique de l’asile.

Deux sujets méritent d’être abordés : d’une part, la mise en œuvre de la réforme de l’asile et, d’autre part, le contexte international, les deux étant évidemment liés.

La réforme de l’asile adoptée en juillet 2015 est fondée sur les principes suivants : plus de droits pour les requérants, pour une meilleure efficacité de notre système, moins de détournements de la procédure, un accroissement de la capacité d’intégration et des délais de réponse plus courts.

La lecture des chiffres de l’OFPRA en atteste : depuis 2012, le taux de reconnaissance de protection est passé de 44 % à 77 %, les admissions étant prononcées plus rapidement et plus souvent en première instance ; le stock de demandes a diminué de plus de 20 % en un an ; le nombre d’agents de l’OFPRA est passé de 420 à 525 entre 2012 et 2015.

Après avoir augmenté de manière significative les moyens relatifs à l’instruction des dossiers, il est prévu, pour 2016, de faire des efforts pour ce qui concerne le back office, chargé notamment de notifier les décisions et de dresser les actes de l’état civil.

Même si je déplore le recours trop important à des contractuels, ces nouvelles embauches permettront néanmoins à l’OFPRA de répondre aux exigences de la réforme de l’asile.

Quant à l’augmentation du nombre de places en CADA, qui a déjà été évoquée, elle devrait, conjuguée au raccourcissement des délais de réponse, contribuer à un déblocage de notre dispositif national d’accueil, qui était fortement « embolisé ».

Je salue également le travail accompli à Calais depuis un an – les services de l’État ont convaincu 2 000 personnes présentes sur place de faire une demande d’asile en France –, ainsi que l’efficacité de notre procédure de demande de visa au titre de l’asile : en Jordanie, au Liban, en Turquie, elle permet de recevoir des demandes de la part de ceux qui ont besoin d’une protection de la France.

À mes yeux, il est souhaitable d’avoir un tel dispositif, qui permet aux personnes concernées d’éviter de risquer leur vie pour venir jusqu’en Europe. Mais il faudrait que la procédure soit plus normée et que l’OFPRA puisse jouer un rôle dès l’étape de la demande de validation auprès de l’administration, avant la délivrance du visa.

En revanche, j’aimerais vous faire part de quelques inquiétudes.

D’abord, dans certains départements, les plateformes de premier accueil ne semblent pas capables de donner à temps les rendez-vous au guichet OFII/préfecture. Cela allonge d’autant la possibilité de formuler une première demande d’asile ; nous le constatons depuis la mise en œuvre de la réforme.

Ensuite, alors que nous avons assigné des objectifs à la CNDA, en l’occurrence cinq semaines pour les procédures accélérées et cinq mois pour la procédure normale, les crédits alloués à la Cour – certes, ils figurent dans la mission « Conseil et contrôle de l’État », et non dans celle que nous examinons aujourd'hui – sont en recul. C’est regrettable, car la réussite de la réforme devra nécessairement être une réussite globale. Si la CNDA n’a pas les moyens d’exécuter les tâches que la loi lui confie, c’est un problème !

Enfin, je m’interroge sur les évolutions budgétaires si la France commence à être sollicitée au titre des demandes d’asile dans les mêmes proportions que le reste de l’Europe.

Je voudrais à présent évoquer la situation internationale. Pourriez-vous nous faire un point sur la mise en œuvre des hotspots et sur la relocalisation ? Cette politique est indispensable pour les pays de première arrivée dans l’Union européenne, mais on a l’impression que son démarrage effectif n’est pas parfait.

L’observation des mouvements migratoires dans les Balkans, depuis la Grèce jusqu’à la Croatie, en passant par la Macédoine et la Serbie, met en lumière la nécessité de travailler ensemble, tant pour l’accueil des réfugiés que pour la sécurité des Européens. Il n’est pas logique que des pays européens réalisent deux fois le même travail. Tout doit être coordonné depuis la Grèce jusqu’à l’arrivée en Croatie, afin que les choses se passent le mieux possible. Certes, il est très difficile de contrôler les frontières extérieures de la Grèce. Mais essayons au moins d’avoir des équipes européennes capables d’accompagner au mieux les sorties de Grèce et les arrivées en Macédoine.

Voilà qui m’amène à aborder la question de la sécurisation des frontières. Il y a un contrôle biométrique à l’entrée et à la sortie de la plupart des pays du monde. Si nous voulons consolider l’espace Schengen, il faut instituer un contrôle systématique biométrique à l’entrée et à la sortie. C’est finalement le meilleur moyen d’assurer notre sécurité, en complément avec les dispositions en matière d’interdiction de sortie du territoire que nous avons adoptées au cours de la dernière période.

Je conclurai par une question et une remarque.

D’abord, la France restera-t-elle toujours une exception en Europe ? Les demandes d’asile ont augmenté de 15 % dans notre pays, alors qu’elles ont plus que doublé dans l’ensemble des pays européens. La France doit-elle être durablement une exception, et le peut-elle ?

Ensuite, aucun budget, aussi important soit-il, ne garantira l’intégration des étrangers en France tant qu’on leur renverra systématiquement et à chaque instant leur condition d’étranger au visage ! Aussi, il importe d’affirmer l’égalité des droits et des devoirs de tous ceux qui ont le droit de vivre sur le territoire de la République ! C’est bien plus important aujourd’hui que des variations de quelques millions d’euros sur un budget.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera ces crédits, qui marquent la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre la réforme de l’asile, de faire face aux contraintes internationales et de répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de la réforme de l'État et de la simplification, mes chers collègues, la crise des réfugiés doit, plus que jamais après les événements qui ont secoué notre pays le 13 novembre dernier, trouver une solution globale, c'est-à-dire européenne, mais également internationale, négociée notamment avec la Turquie – cela semble être le cas depuis hier – et l’ensemble des parties prenantes.

Selon les chiffres de l’agence FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, plus de 500 000 hommes, femmes et enfants ont été dénombrés aux frontières de l’Union européenne au cours des huit premiers mois de l’année. C’est donc une urgence humanitaire. Mais il y va de la sécurité de nos concitoyens et de la cohésion de notre pacte républicain.

Dans ces conditions, la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » pour 2016, que nous examinons aujourd’hui, revêt une importance toute particulière. Elle traduit en termes budgétaires à la fois le contexte migratoire particulier que nous connaissons et la mise en œuvre des mesures de bon sens que nous avons adoptées dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile et dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, qui est en cours de navette parlementaire.

L’approche globale du Gouvernement sur le sujet se veut pragmatique. Elle reprend les mêmes objectifs que l’année dernière, et nous continuons – comment pourrait-il en être autrement ? – à y adhérer : maîtrise des flux migratoires, garantie du droit d’asile et intégration des personnes en situation régulière. En d’autres termes, il s’agit d’adapter la politique d’immigration à la réalité économique et sociale de notre pays et de renforcer notre attractivité, tout en luttant contre les flux irréguliers et leurs corollaires : la traite humaine et les réseaux mafieux.

La maîtrise des flux migratoires constitue la condition sine qua non d’une politique d’accueil. Le budget pour 2016 prévoit une progression des crédits de près de 20,5 %, ce qui porte la part de ces actions à 12 % du programme 303. Cette augmentation intervient en complément des différentes mesures visant à nous doter d’un arsenal législatif approprié, que nous avons adoptées.

Je pense particulièrement, en matière d’asile, à l’établissement d’une liste de pays sûrs et à la création de procédures « accélérées » dans les cas où la demande peut apparaître manifestement étrangère à un besoin de protection. Je pense également, en matière de droits des étrangers, aux dispositions relatives à la réduction des délais d’éloignement des personnes en situation irrégulière.

L’immigration irrégulière touche de longue date les territoires ultramarins. Je profite de cette discussion pour souligner que nous devons faire face aux mêmes flux migratoires que la métropole.

À Saint-Martin, territoire dont je suis élu, voilà une dizaine de jours, trois hommes suspectés d’être des ressortissants syriens, mais voyageant avec de faux passeports grecs, ont été interpellés dans la partie néerlandaise de l’île. Ils étaient en provenance de l’aéroport international de Port-au-Prince à Haïti. Une enquête est en cours pour connaître leurs motifs et les réseaux qui ont permis leur arrivée à Saint-Martin. Là encore, la question de la libre circulation au sein de l’Union européenne se pose. C’est bien tout le territoire français qui est confronté aux problématiques de la crise migratoire.

L’accueil et l’intégration des étrangers constituent des aspects clés de la politique d’immigration, ce que la future réforme du droit des étrangers en France a bien acté, avec la création d’un titre de séjour pluriannuel, la simplification des démarches administratives et la promotion de l’apprentissage de la langue française.

De manière essentielle, le budget pour 2016 de la mission s’attache à donner des moyens importants à cet objectif. Contrairement aux années précédentes, une augmentation est prévue. Les autorisations d’engagement et les crédits de paiement progressent de près de 21,3 % par rapport à 2015, atteignant 70,3 millions d’euros pour 2016. Le devoir d’intégration oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale dans sa capacité à respecter les différences. Nous saluons un tel infléchissement de la politique migratoire. Pour que France reste un pays d’accueil où les étrangers sont traités dignement et respectueusement, il faut que la politique d’immigration soit clairement définie et ne soit pas subie.

Je tiens ainsi à souligner que l’effort en la matière doit être particulièrement continu et soutenu. Dans un territoire comme le mien, Saint-Martin, la population a triplé en vingt ans. L’île connaît en effet une forte immigration régionale, principalement en provenance d’Haïti ou de la République dominicaine. La construction d’un projet de société n’est possible que par le biais d’une politique volontariste d’intégration des nouveaux arrivants, doublée d’une nécessaire et obligatoire politique de maîtrise des flux migratoires.

Enfin, et c’est une autre ligne directrice de ce budget, dans le droit-fil de la réforme du droit d’asile, l’accent est mis sur l’exercice du droit d’asile. Les crédits dédiés à cette mission progressent de près de 20,5 %, ce qui permet de traduire en actions la réduction des délais de traitement des demandes et la rationalisation des moyens financiers consacrés à la prise en charge des demandeurs d’asile.

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont ainsi en augmentation.

Mme la présidente. Il va falloir conclure, mon cher collègue !

M. Guillaume Arnell. Nous prenons acte de l’engagement du Gouvernement en faveur d’un plan global de financement de 279 millions d’euros. Mais cela sera-t-il suffisant ?

À l’instar de la commission, nous nous interrogeons également sur l’aide aux communes créant des places d’hébergement, mais aussi sur les financements de l’OFPRA et sur ceux qui sont liés à l’accroissement des missions attribuées à l’OFII.

La tâche est énorme, nous le savons. Le groupe du RDSE votera les crédits de la mission. Mais gardons à l’esprit que, derrière chaque chiffre, il y a des êtres humains !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme Natacha Bouchart, je suis issue de l’immigration.

Initialement, je n’avais pas l’intention de participer au débat sur cette mission. Mais les événements de ces derniers jours m’ont donné une envie folle de m’exprimer sur ce sujet. Nous sommes face à des réalités humaines et, cela a été rappelé, à une crise migratoire sans précédent, dans un contexte de campagne haineuse de rejet de l’altérité, surfant sur les peurs, alliant immigration et terrorisme. On a même entendu quelqu’un déclarer à la tribune que l’immigration d’aujourd'hui était le terrorisme de demain ! Il fallait quand même oser le dire…

L’équation est à la fois politique et budgétaire.

L’année 2015 connaît un pic. D’après les données de l’OFPRA, le nombre de demandes d’asile a augmenté de 12 % sur les dix premiers mois de l’année 2015 par rapport à 2014, avec une accélération au cours de ces derniers mois, avant même que le programme de l’Union européenne pour la répartition des réfugiés, qui prévoit le transfert de 160 000 personnes en provenance d’Italie et de Grèce vers des pays participants de l’Union européenne, ne soit pleinement mis en place.

En France, il est peu probable que l’accueil de demandeurs d’asile se limitera à 31 000 réfugiés. Ce projet de budget pour 2016 est donc hypothéqué par les conséquences, difficiles à prévoir à ce jour, de la crise migratoire.

Il faut trouver des solutions, à la fois humaines, et de nature à garantir la sécurité de notre pays.

Cette année, on a traité 64 000 dossiers, pris 69 555 décisions, décidé que 193 550 personnes seraient protégées et accordé 237 000 certificats de protection. Autant dire que les services sont surchargés ; ils comprennent, si mes références sont exactes, 497 salariés.

Aussi, je m’interroge. Ne devrions-nous pas organiser des bureaux communs de l’OFPRA, ou des offices équivalents, avec nos voisins européens ? Nous pourrions très bien essayer d’agir de concert avec l'Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, afin de traiter une seule fois les demandes des réfugiés, les demandes d’asile et celles des migrants, dont l’accueil soulève aussi des difficultés techniques et administratives.

Il faut aussi décentraliser les bureaux de l’OFPRA dans les zones particulièrement sensibles, comme Nice ou Strasbourg.

Pour répondre à des problèmes nouveaux, il est important d’apporter des solutions nouvelles et innovantes : nous ne pouvons continuer, avec la porosité de nos frontières, en France et en Europe, à garder les mêmes structures centralisées. On devrait essayer – mais c’est sûrement dans les projets du Gouvernement ! –, avec FRONTEX, de décentraliser les bureaux pour les rendre plus proches des lieux de passage. Nous devrions engager une réflexion sur ce point.

L’immigration doit aller de pair avec l’intégration. Tel est le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Comment créer et solidifier le lien citoyen ? Nous l’avons vu précédemment lors de l’examen des crédits de la mission « Sécurités » et les discussions que nous avons eues sur le terrorisme, sans faire de lien entre celui-ci et l’immigration, l’absence de lien citoyen ainsi que la mauvaise connaissance des règles de fonctionnement de la République sont des sources de dysfonctionnement, aussi bien pour l’éducation nationale que pour d’autres secteurs.

Au travers de l’amendement qui sera présenté, le budget alloué à la mission ne répond pas pleinement aux enjeux en matière d’immigration, d’asile et d’intégration, notamment parce que perdure, comme le souligne chaque année notre collègue Roger Karoutchi dans son rapport, une sous-budgétisation des dispositifs en matière d’hébergement, d’urgence et d’allocation.

S’agissant de l’allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d’au moins 40 millions d’euros à la dépense constatée l’année antérieure. Il en est de même pour l’hébergement d’urgence. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous communiquer les éléments dont dispose l’administration pour s’assurer de l’identité des réfugiés venant de Syrie et d’Irak ? J’ai déjà posé cette question écrite, qui figure au Journal officiel du 22 octobre 2015, elle n’a donc strictement rien à voir avec les événements qui viennent de se produire.

Nous sommes certes convaincus que les populations qui embarquent sur des canots pour sauver leur vie n’ont pas nécessairement sur eux leurs papiers d’identité. Néanmoins, l’entrée sur le territoire national doit être encadrée et faire l’objet d’un minimum de mesures de sécurité. Comment vous coordonnez-vous avec l’agence FRONTEX ?

Si ce débat pouvait au moins nous éclairer sur ce point, nous pourrions alors savoir de quelle manière il conviendra de flécher les prochains budgets, notamment pour ce qui concerne l’identification des personnes auxquelles nous nous apprêtons à donner l’asile.

Le flou dans lequel nous nous trouvons est une source inépuisable d’arguments pour les partis non démocratiques qui s’apprêtent à faire un score-fleuve aux élections régionales. Si des partis républicains ne répondent pas à ces questions dans un cadre démocratique, c’est laisser la voie ouverte au Front national. De cela, je n’en veux pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)