M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord souligner que je suis toujours très étonné de l’attribution des textes entre les commissions, qu’il s’agisse, ce matin, de la proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique ou, à présent, de cette proposition de loi, qui a été renvoyée à la commission des finances. Il me paraît logique que la commission de l’économie soit saisie pour avis sur ce texte. En revanche, je comprends moins le choix qui a été retenu pour le débat de ce matin…

Mais j’en viens à la présente proposition de loi.

Ce texte a au moins le mérite de nous permettre un débat sur le logement ou, plutôt sur le mal-logement. Je ne reviendrai pas sur les observations du vingt et unième rapport de la Fondation Abbé Pierre ; il analyse le mal-logement comme un facteur qui amplifie les inégalités et entraîne des dégâts collatéraux, en particulier sur la santé et le décrochage scolaire ou social.

Le mal-logement s’est aggravé depuis l’adoption de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, défendue alors par Mme Boutin. Je me souviens d’ailleurs des débats que nous avions eus à l’époque. Cette loi est souvent appelée par son acronyme, MOLLE. Et, en effet, elle l’a été, « molle » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Il faut en priorité construire ou réhabiliter des logements dignes à loyer abordable, en particulier dans les villes qui en manquent et qui ne respectent pas la loi SRU. En outre, comme vous l’avez évoqué, madame la secrétaire d’État, il faut sans doute territorialiser son application, en fonction des besoins et des demandes des territoires.

En effet, il est anormal d’avoir autant de logements vacants, environ 2,6 millions, autant de personnes sans domicile fixe, autant de mal-logés ; certains parlent de 3,8 millions, comme cela figure dans le rapport que j’évoquais à l’instant.

Environ 3,1 % des logements sociaux sont vacants, avec des pointes à 5 % en Bourgogne. Je ne vais pas évoquer tous les départements du centre de la France, qui se situent globalement au double du pourcentage national.

C’est donc qu’il y a une anomalie dans l’attribution et la construction par rapport aux besoins. Je prendrai simplement comme exemple les 2 000 logements vacants dans mon département. Je pourrais également faire référence au reportage que vous avez pu voir à la télévision sur un maire qui avait réhabilité des logements sociaux et qui ne trouvait pas de locataires, même en offrant trois mois de loyer gratuit !

Certes, lorsqu’on réhabilite des opérations, par exemple dans le cadre de l’ANRU, le loyer augmente nécessairement, ce qui crée des difficultés pour certains locataires potentiels.

Je voudrais à présent évoquer la vacance des logements. Je pense également que notre système de dégrèvement progressif sur la plus-value a un effet de frein pour la mise sur le marché et favorise la détention, sinon la spéculation. Or cela devrait être l’inverse ! Le dégrèvement devrait être pratiquement instantané, en fonction inverse de la durée.

C’est d’ailleurs la position de certains pays nordiques, qui, s'agissant en particulier du foncier, affectent ou taxent la plus-value instantanément et la redonnent à la collectivité qui a placé le foncier en zone constructible. Sinon, il s’agit d’un enrichissement sans cause : ce sont bien les collectivités qui créent la plus-value, et non le propriétaire.

Face à ce constat partagé sur le mal-logement, nous devons nous poser un certain nombre de questions.

L’effort public atteint presque 40 milliards d’euros ; cela a déjà été dit. En loi de finances pour 2016, l’État prévoit ainsi d’y consacrer 18 milliards d’euros, certes en grande partie affectés à l’aide personnalisée au logement, l’APL, dont l’enveloppe approche les 8 milliards d'euros.

Cela m’interpelle ! On transfère des crédits d’aide à la pierre vers l’aide à la personne, comme dans la convention avec Action logement, alors que cela favorise – notre collègue Philippe Dallier peut en témoigner – un effet inflationniste sur le montant des loyers. Certains bailleurs en profitent ! (Approbations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Marie-France Beaufils. C’est une vraie question !

M. Daniel Raoul. Ne serait-il pas nécessaire, au contraire, de plafonner l’APL en fonction de la surface ? Je ne parle pas ici de l’APL pour les étudiants, autre débat qui mérite d’être soulevé. Les sommes ainsi économisées pourraient être affectées à l’aide à la pierre.

On constate en effet des résultats insuffisants et un manque d’efficacité : les efforts s’élèvent à 40 milliards d’euros, pour un résultat que nous connaissons.

M. Michel Le Scouarnec. Vous êtes donc d’accord pour augmenter les aides à la pierre !

M. Daniel Raoul. Afin de gagner en efficacité, le Gouvernement a mis en place un fonds national des aides à la pierre, qui mobilisera 500 millions d’euros pour, nous l’espérons, 50 000 logements sociaux supplémentaires attendus.

Ce dispositif permettra aussi, au-delà de l’aide financière elle-même, de mettre en place une instance de codécision pour la programmation des logements sociaux et leur affectation sur le territoire en fonction des besoins.

Les premiers résultats pour 2015 semblent être au rendez-vous. Ainsi, 125 000 logements ont été agréés, en comptant l’outre-mer et les opérations de l’ANRU, soit une progression de 2,3 % par rapport à 2014.

Lors des auditions que nous avons menées dans le cadre du groupe de travail de la commission des finances sur le financement et la fiscalité du logement, un consensus s’est établi, parmi nos interlocuteurs, sur la nécessité de construire 350 000 logements par an.

Pour lutter contre le mal-logement, il faut actionner tous les moyens et investir dans tous les types de logements, du très social à l’investissement locatif et à l’accession sociale à la propriété. Cela permet de mettre en place un parcours résidentiel, invoqué par tous, qui libère des logements pour les plus modestes.

Or, l’article 1er vise à supprimer purement et simplement le dispositif d’investissement locatif Pinel, alors qu’il a permis, depuis le 1er janvier 2015, de débloquer des programmes en panne sur le territoire et d’augmenter de 23 % les ventes de logements neufs au second trimestre 2015 et de 66 % sur l’ensemble du premier semestre.

Il faut donc conforter cette tendance positive et donner de la stabilité à ce dispositif, mis en place voilà seulement un an. Pour autant, j’adhère à la nécessité d’en contrôler l’application sur le terrain. Je suis sûr que des économies sont possibles.

Il est proposé à l’article 2 de relever le plafond. Je n’y reviens pas de manière détaillée ; cela a été évoqué par plusieurs orateurs. Le premier effet de cette mesure serait d’augmenter l’éligibilité des demandeurs, donc, du fait de la sélection dans les comités d’attribution, de léser les plus modestes. Un effet secondaire serait évidemment de diminuer les recettes des surloyers de solidarité.

La baisse de la TVA à 5,5 % et les exonérations de taxe foncière nous paraissent nettement plus efficaces. On pourrait évoquer aussi le dispositif du prêt à taux zéro. Tout cela me paraît aller dans le bon sens. Comme vous l’avez confirmé, madame la secrétaire d’État, nous attendons le texte sur l’égalité et la citoyenneté, qui permettra sans doute de gagner en efficacité dans l’effort national.

Enfin, j’aimerais faire un petit sur l’article 3 de la proposition de loi. On nous présente cette disposition comme un gage financier. Or il n’y en a pas besoin ; l'adoption de l’article 1er aurait déjà pour effet d'augmenter les recettes publiques ! Par conséquent, ce gage n’a aucun sens, sinon celui d’offrir une tribune politique au groupe CRC pour manifester la cohérence de sa position sur le CICE ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur pour avis, applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de cette deuxième initiative de la journée de nos collègues du groupe CRC, après le débat, nécessaire, que nous avons eu ce matin sur les conséquences du traité transatlantique.

Je voudrais en particulier saluer mon collègue morbihannais Michel Le Scouarnec, à qui j’exprime publiquement mon profond respect pour ses engagements sans faille dans la défense des valeurs humanistes.

M. Michel Le Scouarnec. C’est un bon début !

M. Philippe Dallier, rapporteur. Attendez la suite !

M. Joël Labbé. Nous examinons cet après-midi une proposition de loi dont le titre, « favoriser l’accès au logement social pour le plus grand nombre », ne peut que nous réjouir.

Le constat est sévère. Plus de 3,5 millions de nos concitoyens sont mal-logés ; 140 000 dorment encore dans la rue, dont 30 % d’enfants, et plus de 1,8 million sont en attente d’un logement social.

L’objectif du Gouvernement, que nous partageons tous, était de construire 500 000 logements, dont 150 000 à caractère social. Malheureusement, nous en sommes très loin. Certes, la conjoncture n’est pas favorable. En 2014, moins de 300 000 logements sont sortis de terre.

Une fois encore, je voudrais citer l’abbé Pierre, qu’il est bon de réinviter dans notre Haute Assemblée : « Sur ma tombe, à la place des fleurs et des couronnes, apportez-moi la liste de milliers de familles, de milliers de petits enfants auxquels vous aurez pu donner les clés d’un vrai logement. » (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Cette proposition de loi contient trois articles. Nous devons les examiner attentivement.

L’article 1er tend à mettre fin au dispositif Pinel, qui permet une défiscalisation pour l’achat d’un bien immobilier neuf pouvant atteindre 60 000 euros sur douze ans, à condition évidemment de louer le bien immobilier pendant cette durée.

Cette mesure, censée provoquer un effet de levier dans la construction, ne semble pas atteindre totalement les objectifs souhaités. Par ailleurs, elle coûte extrêmement cher.

Le fait de subventionner, à travers un crédit d’impôt, l’acquisition d’un bien immobilier privé, même assorti d’une obligation de location, peut déjà faire débat. Mais, lorsqu’il s’agit aussi – il faut le dire – de le louer à ses descendants ou ascendants, on peut vraiment douter de l’efficacité du dispositif et penser sérieusement que l’on facilite ainsi l’augmentation du capital privé à des fins individuelles par l’utilisation de l’argent public !

M. Joël Labbé. En outre, madame la secrétaire d’État, ce dispositif crée une iniquité entre les territoires qui sont éligibles et ceux qui ne le sont pas.

M. Philippe Dallier, rapporteur. On ne peut pas l’appliquer partout ! Il faut aussi tenir compte de la demande !

M. Joël Labbé. J’ai moi-même constaté, dans une période pas si lointaine, que les investisseurs choisissent de financer des projets se situant sur les communes qui bénéficient du dispositif, et pas sur les autres.

Le milliard et demi d’euros économisés pourrait servir utilement à alimenter les budgets consacrés directement à la construction de logements sociaux.

Je vous rappelle également les dérives d’un autre crédit d’impôt, qui est autant sujet à débats : le Censi-Bouvard, dont nous n’avons pas parlé depuis un moment. Son volet dédié aux résidences secondaires de vacances était tout bonnement intolérable ; cela constituait un cadeau aux centres de vacances privés, comme Center Parcs, qui sont des consommateurs d’espaces naturels considérables à des fins d’occupation saisonnière à titre privé. Madame la secrétaire d’État, le rapport sur ce dispositif, que nous avions demandé au mois d’octobre 2013, n’a toujours pas été remis par le Gouvernement, malgré des relances régulières auprès du cabinet de Mme la ministre du logement.

L’article 2 nous a laissés perplexes, mes collègues écologistes et moi.

M. Philippe Dallier, rapporteur. Vous n’êtes pas les seuls !

M. Joël Labbé. On peut comprendre qu’il faille relever les seuils permettant d’introduire une demande de logement social. Cela va dans le sens de plus d’égalité et répond à une partie du mécontentement des classes moyennes ayant les revenus les plus faibles, qui estiment souvent n’avoir droit à aucune aide.

Toutefois, dans un contexte de pénurie chronique de logements en général, et de logements sociaux en particulier, on comprend mal comment ce relèvement des seuils pourrait améliorer la situation.

On aurait pu imaginer, à la place, une augmentation des surloyers demandés aux locataires, dont les revenus ont évolué au-delà des plafonds de ressources. Nous aurions alors peut-être mieux perçu l’équité de la mesure.

Nous ne pouvons que souscrire à l’article 3, visant à gager la proposition de loi sur la modulation du CICE, tant nous avons rappelé par le passé nos réserves sur ce dispositif, qui, lui non plus, n’a vraisemblablement pas atteint ses objectifs en termes d’emplois et de résorption du chômage.

Nous continuons de subventionner plus fortement les très grosses entreprises, sans véritable contrepartie, alors qu’elles pratiquent l’optimisation fiscale et embauchent très peu.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et même licencient !

M. Joël Labbé. Cela s’effectue au détriment des très petites et moyennes entreprises, qui représentent un gisement potentiel d’emplois très important, ne pratiquent pas l’évasion fiscale et créent de la richesse sur l’ensemble de nos territoires.

Chers collègues du groupe CRC, je comprends le sens de votre proposition de loi. J’y souscris pour les deux tiers. Toutefois, je serai contraint de m’abstenir, au nom du groupe écologiste, sur l’article 2, à cause des doutes, que vous n’avez pu lever, sur la pertinence du relèvement du plafond de ressources. Pour le reste, comme deux tiers, c’est mieux que la moitié, je me prononcerai en faveur du texte lors du vote sur l’ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les chiffres du mal-logement évoluent sur fond de crise économique et financière, comme l’illustre le vingt et unième rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, publié voilà quelques jours. Il y a 3,8 millions de personnes qui sont concernées à divers titres : sans domicile fixe, habitations surpeuplées, logements privés de chauffage ou insalubres. C’est beaucoup trop !

Au sein de cet hémicycle, nous avons maintes fois évoqué la défaillance de la politique d’aménagement du territoire, qui entretient depuis trois décennies les difficultés économiques et sociales sur de mêmes lieux, au détriment de l'équité spatiale, qui est totalement absente de notre pays. En effet, il est illusoire de croire que la politique du logement peut être élaborée sans l’accompagnement d’une politique de l’emploi, de développement économique, de transports ou encore d’éducation.

Certes, les propositions de loi ne peuvent pas embrasser à elles seules une telle ambition. Toutefois, mes chers collègues, je m’exprimerai sans ambages : les mesures envisagées par la présente proposition de loi auraient pour conséquence d’entraver l’exercice du droit de toute personne à un logement décent, objectif à valeur constitutionnelle consacré en 1995 par le Conseil constitutionnel !

Tout d’abord, l’article 1er tire un trait sur le très jeune dispositif d’investissement locatif privé dit dispositif Pinel, à peine mis en place lors de la loi de finances pour 2015, alors qu’il produit des effets très positifs, avec la construction de plus de 47 000 logements supplémentaires à haute performance énergétique en 2015.

Cela constituerait une erreur regrettable. Ce serait mauvais signal envoyé à un marché de la construction qui connaît actuellement une timide reprise. Par ailleurs, vous le savez, au groupe du RDSE, nous avons beaucoup d’affection et de bienveillance pour Sylvia Pinel. (Exclamations amusées.)

M. Philippe Dallier, rapporteur. Ce n’est pas une raison en soi !

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. Il s’agit du dispositif ; pas d’elle !

M. Jean-Claude Requier. Nous souhaitons que son dispositif soit conservé, même après son départ annoncé du ministère ! (Sourires.)

Nous avons là un instrument plus attractif que le dispositif Duflot et, surtout, un outil territorialisé réservé aux biens immobiliers situés dans les zones tendues, répondant ainsi à des critiques récurrentes sur la dispersion de la politique du logement.

Ce dispositif, qui favorise le logement intermédiaire avec des loyers inférieurs de 20 % au prix du marché, atteint l’objectif visé à l’article 2, qui prévoit le relèvement des plafonds de ressources permettant de bénéficier d’un logement social.

Nous saisissons difficilement cette logique, qui aboutirait à augmenter le nombre de demandeurs de logements sociaux, alors que nous ne parvenons pas à satisfaire les 1,7 million de demandes en attente. L’adoption de cet article supposerait de reconnaître ce droit à la quasi-totalité des ménages, ce qui n’est pas souhaitable, les seuils de revenus en vigueur étant très généreux. Et ce n’est certainement pas la suppression du dispositif Pinel qui pourrait répondre à cette situation de carence de l’offre, puisqu’elle ne pourrait pas créer de logements disponibles immédiatement !

Le logement social doit être réservé à ceux qui en ont le plus besoin, faute de quoi il manquerait sa cible. Je pense en particulier à ceux qui sont reconnus prioritaires dans le cadre du droit au logement opposable. Nombreuses sont encore les familles qui sont logées dans le privé dans des conditions inacceptables et indignes !

La vocation du logement social n’est-elle pas de « satisfaire les besoins des personnes de ressources modestes et des personnes défavorisées », conformément à l’article L. 441 du code de la construction et de l’habitation ?

En outre, le logement social a été conçu pour être une étape transitoire dans le parcours résidentiel des familles modestes.

M. Alain Gournac. Absolument !

M. Jean-Claude Requier. Or nous constatons que cela est de moins en moins le cas dans les faits.

Ainsi, nous aurions davantage compris une proposition de loi visant à favoriser l’accès au logement, social ou non, pour le plus grand nombre en location ou en accession à la propriété. En effet, si la location reste pertinente pour des raisons de mobilité et de dynamisme démographique, la proportion de propriétaires dans notre pays reste faible.

Ainsi rédigée, la proposition de loi ne propose qu’une vision très réductrice des instruments très divers de la politique du logement. En outre, la proportion de ménages modestes dans le parc social est sensiblement la même que dans le parc privé, comme le rappelle à juste titre le rapport de notre collègue Philippe Dallier. Il ne serait ni aisé ni pertinent d’opposer logement public et logement privé.

Si l’intention des auteurs de la proposition de loi est hautement respectable, puisqu’il est évident qu’il convient de poursuivre les efforts en matière non seulement de construction, mais également de réhabilitation des logements, les réponses apportées ne sont pas toujours les plus appropriées ou pertinentes dans le contexte que nous connaissons.

Surtout, la proposition de loi irait à l’encontre de son objectif premier, favoriser l’accès au logement social pour le plus grand nombre, car elle desservirait les ménages les plus défavorisés.

Le projet de loi relatif à l’égalité et citoyenneté qui nous est annoncé permettra d’aborder la politique du logement sous plusieurs angles et d’examiner avec attention la question de l’attribution des logements sociaux ou la détermination des loyers qui méritent d’être réformées.

Au regard de ces considérations – nous ne chercherons pas à calculer s’il y a les deux tiers, les trois tiers, voire les « quatre tiers », comme dirait Marcel Pagnol ! (Sourires.) –, et bien que nous partagions une grande partie du constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi, nous ne pourrons pas y apporter notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous partageons tous plus ou moins le constat : des moyens importants sont attribués à la politique du logement, mais les résultats tardent objectivement à se produire. Il en était ainsi depuis longtemps déjà !

Cela fait vingt ans que nous essayons de déterminer une politique de logement qui, tout simplement, réponde aux besoins des administrés dans nos communes. Mais c’est un débat à gros enjeux.

Pourquoi réformer la politique du logement ? Parce que le logement est au cœur de beaucoup de nos faiblesses : l’emploi, le pouvoir d’achat, la compétitivité… Le secteur est affaibli par un coût du logement qui est reconnu, en tout cas dans les instances extérieures à notre pays, comme prohibitif.

Le logement est le premier poste de dépenses des Français. Cela représente, en moyenne, de 22 % du total des dépenses à 45 % pour 20 % de la population.

Les prix de l’immobilier ont fortement augmenté. Seulement 383 100 permis de construire ont été délivrés en 2015. Nous sommes loin des 500 000 logements sociaux plus ou moins attendus par le Gouvernement.

De surcroît, le taux de rotation est faible dans les logements sociaux, 10 %, contre 22 % dans le privé.

La remise aux normes énergétiques du parc social vieillissant exigera des milliards d’euros. Au demeurant, nous avons tous subi les inconvénients de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, dont, fort heureusement, tous les décrets d’application n’ont pas été publiés.

M. Alain Gournac. Tant mieux !

M. Francis Delattre. La politique du logement est perçue par beaucoup de nos concitoyens comme un échec.

L’offre foncière est insuffisante, notamment dans les zones tendues. Toutes les mises à disposition de terrains appartenant à sphère publique, certes au nom de bonnes intentions, demeurent, pour l’essentiel, des fictions.

Les produits développés sont inadaptés sur bien des territoires. Il faut cesser de prôner une politique d’égalité entre eux alors qu’ils font face à des réalités objectivement différentes.

En région Île-de-France, la déconnexion d’un compte spécial du Trésor préfinançant toutes les réserves foncières qui ont permis la réalisation des villes nouvelles, donc la maîtrise foncière de milliers d’hectares, a été une erreur stratégique.

Aujourd'hui, les logements sociaux construits sont, de manière presque obsessionnelle, affectés de manière prioritaire aux bénéficiaires du DALO. Même si c’est louable, cela ne traite que l’urgence. Il n’y a pas de réflexion sur une politique urbaine de logement à long terme permettant de définir un équilibre des quartiers.

Mme Marie-France Beaufils. C’est pour cela que cette proposition de loi est nécessaire !

M. Francis Delattre. Une telle politique permettrait aussi d’éviter une ghettoïsation propice au développement du communautarisme…

Mme Marie-France Beaufils. C’est caricatural !

M. Francis Delattre. … et de nature à allonger la liste des quartiers risquant d’être relégués et stigmatisés.

L’échec est aussi économique. Cela vient de notre incapacité chronique à répondre correctement à la demande. Ce n’est pas que l’on ne construit pas de logements sociaux dans notre pays ; mais on ne les construit pas là où ce serait nécessaire !

Dans les villes qui dépassent les quotas édictés par la loi SRU, les logements sociaux ont été construits selon une rationalité urbanistique guère humaniste, à l’écart des quartiers anciens, mieux équipés. Dès lors, de nouveaux quartiers qui n’ont ni âme ni identité apparaissent, rendant la vie de la population difficile et, surtout, lui faisant ressentir socialement sa mise à l’écart. L’accès à l’emploi est particulièrement compliqué, par des trajets longs et stressants. Le trajet est même devenu un critère d’embauche pénalisant.

Par ailleurs, la durée d’occupation s’est singulièrement allongée. Elle est de douze ans, alors qu’en principe le logement social devrait seulement être une étape vers l’accession à la propriété ou la location d’un logement de type intermédiaire.

Enfin, la mixité sociale a disparu, dans la mesure où des politiques d’urbanisation ont conduit à une segmentation sociodémographique. Souvent, la recherche de la bonne école par les jeunes ménages altère la mixité sociale, mais aussi intergénérationnelle.

La mixité sociale s’est détériorée aussi parce que l’État n’assure pas toujours ses fonctions régaliennes essentielles : la sécurité sur l’ensemble du territoire français. Ainsi, dans les quartiers où l’insécurité est élevée, la mixité sociale se trouve affaiblie par le départ de certains commerçants, comme par celui des populations qui ont la possibilité de les quitter.

Mais l’échec le plus flagrant est le type d’occupation des logements sociaux. Près du tiers des ménages occupant des logements sociaux ont des revenus supérieurs au plafond de ressources ouvrant droit à l’attribution d’un logement social. Comprendre les difficultés du logement social suppose aussi de s’intéresser aux modalités de gestion des opérateurs et de l’application des critères de ressources.

En aucun cas, la crise du logement ne vient de la raréfaction des aides, souvent invoquée. En effet, 40 milliards d’euros, cela représente tout de même 1,9 % du produit intérieur brut, ce qui fait de la France la championne d’Europe des dépenses dans ce secteur.

Mais les résultats appellent pour le moins de grandes réformes. Aussi, comme il ne s’agit point seulement de critiquer, je vais essayer de formuler quelques propositions de réforme. C’est audacieux. Beaucoup sont d’ailleurs déjà connues, mais il faut les remettre au centre du débat.

D’abord, il faut diminuer le coût de la construction. Il est 50 % plus élevé, à villes et territoires équivalents, qu’en Allemagne. Autant d’argent que les ménages ne pourront pas consacrer à la consommation ou à l’épargne, avec des conséquences directes sur la croissance économique !

Les aides directes tant aux locataires qu’aux primoaccédants peuvent être facilement captées par les propriétaires ou les professionnels de l’immobilier, et avoir ainsi un pur effet inflationniste dès lors qu’il existe une pénurie d’offres de logements. En fait, nous avons besoin d’un pilotage très fin.

De même, les dispositifs protégeant de manière excessive le locataire ont des effets pervers ; tout le monde les connaît.

L’écart en France entre les prix de la construction et ceux de la consommation a augmenté depuis 2005 de 14 %, contre 5 % en Allemagne. Nous ne prenons pas le même chemin que nos voisins, et nous allons dans la mauvaise direction…

Pour inverser cette tendance, il est nécessaire de rationaliser les normes et les obligations réglementaires actuelles en matière de construction : accessibilité pour les handicapés, places de stationnement, obligations et normes techniques rigides, normes environnementales…

Par exemple, il suffirait que 20 % des logements construits respectent les normes, souhaitables, pour les handicapés pour satisfaire les besoins et réaliser des économies considérables.

En revanche, les normes basse consommation d’énergie doivent encore être améliorées. Les résultats sur les charges sont probants ; eux sont lisibles sur les factures !

Ensuite, concernant le foncier, il faut oser la densification en zone urbaine et à proximité des transports.

Certains terrains ayant abrité des locaux d’activité – de petites industries ou des stations-service – sont devenus inoccupés. Il se peut que ces terrains soient pollués, et donc inutilisables, mais l’État et les collectivités territoriales devraient s’associer pour prendre en charge tout ou partie des frais de dépollution et de démolition. Cela permettrait la réalisation de programmes immobiliers à vocation sociale ou intermédiaire dans des quartiers centraux, tout en évitant un renchérissement du foncier dans des secteurs souvent situés à proximité des transports en commun.

Il faudrait également favoriser les politiques de réserves foncières par l’intermédiaire d’établissements publics, tels que l’AFTRP, l’Agence foncière et technique de la région parisienne – à ceci près qu’on lui a supprimé ses moyens d’intervention… –, pour faire du moyen et du long terme. Cette politique avait permis de construire des villes nouvelles importantes, avec un prix du foncier tout à fait raisonnable. En procédant ainsi, nous mettrions aussi fin à des effets de mitage sur des secteurs sensibles ou agricoles.

Il faut en outre favoriser l’émergence de logements sociaux dans des zones très tendues, via la formule de mise à disposition de terrains sous forme de baux emphytéotiques ou via le paiement différé du prix des terrains. Certains montages émergent aujourd’hui, notamment le prêt foncier sur vingt ans, que je vous encourage à pérenniser, madame le secrétaire d’État.

Nous devons repenser les quartiers construits dans les années soixante et soixante-dix en termes de densification et de mixité sociale. Il s’agit d’un travail de longue haleine et de réflexion, incluant le logement intermédiaire, l’accession sociale, les commerces et les services.

En tout état de cause, les dispositifs mis en place doivent servir au développement de l’offre foncière et ne pas représenter des vecteurs de surenchère foncière. En entendant cela, la gauche devrait m’applaudir… (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)

J’en viens aux réformes concernant l’offre.

Au titre du logement social locatif des jeunes, il faut proposer une offre unique aux jeunes, sans distinction entre étudiants et jeunes actifs. Dans le logement social ou intermédiaire, nous devons favoriser l’émergence des baux de location à durée limitée de deux ou trois ans pour favoriser la rotation, donc l’offre, dans ces logements « dédiés », ce qui permettrait à ces jeunes d’avoir du temps pour la mise en place de leur parcours résidentiel. Ces logements pourraient se développer soit au sein de résidences spécifiques, telles que les résidences sociales, soit au sein de résidences de logements familiaux classiques.

Cependant, je regrette que, depuis quelques mois, l’État souhaite agréer non plus des résidences sociales pour jeunes actifs mais des résidences « tous publics », auxquelles pourront accéder, notamment, les jeunes non étudiants. C’est une erreur !