M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les membres du groupe UDI-UC sont très heureux de l’organisation de ce débat auquel nous voulons prendre toute notre part. En effet, pour nous, les questions de formation sont absolument essentielles au sein de l’action publique.

Je tiens à remercier le groupe CRC d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour et M. Abate d’en avoir posé le cadre, même si nous allons très certainement diverger dans l’appréciation des solutions à apporter, tant nos approches sont différentes. Quoi qu’il en soit, ce sujet extrêmement important pour les jeunes de notre pays mérite débat.

Le baccalauréat professionnel résulte de la déclaration, en 1984, du ministre de l’éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, estimant que 80 % des jeunes devaient arriver au baccalauréat.

Beaucoup se sont inquiétés de cette déclaration. Certains l’ont interprétée comme la volonté que 80 % des jeunes obtiennent le baccalauréat, ce qui semblait une mission particulièrement difficile à remplir. D’autres ont estimé qu’il s’agissait d’amener 80 % des jeunes au niveau du baccalauréat, de façon à élever le niveau général de formation.

Quoi qu’il en soit, il a fallu mesurer les conséquences d’une orientation de cette nature. En effet, un certain nombre de jeunes qui auraient pu choisir la voie professionnelle se sont sentis déroutés, car ils allaient devoir suivre des études plus générales que celles qu’ils envisageaient. Certes, une réponse a été apportée dès 1985, avec la création du baccalauréat professionnel qui a connu dans les dernières décennies diverses évolutions.

Néanmoins, il faut examiner objectivement la situation actuelle. On constate que 900 000 jeunes âgés de quinze ans à vingt-quatre ans ne sont actuellement ni en situation de formation, ni en situation d’emploi, ni en situation de stage, c’est-à-dire qu’ils sont livrés à eux-mêmes. On doit en déduire que notre système éducatif a failli jusqu’à présent, d’autant que 120 000 jeunes en sortent chaque année en situation d’échec scolaire. Pouvons-nous continuer ainsi ? Non, ce n’est pas raisonnable ! Il faut apporter un certain nombre de correctifs.

Un jeune sur quatre, dans la tranche d’âge de quinze ans à vingt-quatre ans, n’a pas d’emploi, quand le taux moyen de chômage de l’ensemble de la population est de 10 %. Cela montre bien que l’employabilité des jeunes pose un vrai problème et que des efforts de réadaptation et de réorientation doivent être entrepris.

Les élus du groupe UDI-UC ont la conviction que la formation professionnelle est une obligation qui s’impose à l’action publique. Bien sûr, il ne s’agit pas d’orienter l’ensemble des jeunes vers des formations à des métiers ; tous ceux qui le souhaitent doivent pouvoir suivre un enseignement général et acquérir une qualification professionnelle après le baccalauréat. Toutefois, il ne faut pas empêcher les jeunes qui souhaitent s’orienter vers des métiers manuels de le faire, parce que nous avons pu constater, ces dernières années, que les entreprises de certains secteurs ne parvenaient plus à trouver de main-d’œuvre qualifiée leur permettant de fonctionner. Je pense notamment aux plombiers ou aux couvreurs, et à un grand nombre de métiers du secteur du bâtiment. Et c’est la conséquence de la politique qui a été menée, madame la ministre. Un effort de réadaptation doit donc être absolument entrepris dans ce domaine.

Nous, élus centristes, estimons qu’il faut développer une approche identique pour les baccalauréats professionnels et l’apprentissage. Ce dernier constitue une voie essentielle pour la formation. Aussi, je suis heureux que le Sénat prépare un texte de loi consacré à ce sujet. Des signaux extrêmement forts doivent être émis pour encourager l’apprentissage dans notre pays. (M. Jacques Legendre acquiesce.)

Mes chers collègues, soyons francs : en la matière, les chiffres sont particulièrement inquiétants.

M. Michel Canevet. En 2013, on dénombrait, dans notre pays, 423 000 apprentis. En 2014, ils n’étaient plus que 400 000. En 2015, ce chiffre s’est établi, sauf erreur de ma part, à 403 000. Alors qu’il devrait augmenter, il a bien tendance à diminuer !

De plus, lorsqu’on observe ce domaine plus en détail, on constate que l’apprentissage est utilisé de plus en plus largement dans l’enseignement supérieur.

M. Michel Canevet. Par là même, les métiers manuels, ceux qui font appel aux savoir-faire, aux dons des jeunes, souffrent plus encore d’un défaut d’encouragement. Les élèves ne sont pas suffisamment orientés vers ces branches.

En conséquence, ces jeunes doivent faire l’objet d’une approche plus globale.

Mme Catherine Troendlé. Comme en Allemagne !

M. Michel Canevet. Cet enjeu s’observe particulièrement dans le secteur primaire.

Il y a quelques instants, Mme Beaufils a évoqué le domaine agricole. Je l’affirme à mon tour : l’agriculture est bien un secteur privilégié pour la formation professionnelle, et la formation par l’apprentissage pourrait y être développée.

Je suis moi-même élu d’une région où l’activité maritime est extrêmement importante. Le métier de marin est difficile. Or l’apprentissage n’est pas suffisamment développé pour permettre aux jeunes de découvrir sa réalité, avant de s’orienter dans cette voie. Dans cette branche, les formations professionnelles sont aujourd’hui insuffisantes.

La conséquence est claire : si la France est la première puissance maritime du monde, nos flottilles sont en train de s’effondrer, faute non de navires, mais de marins pour les armer. Cette situation est pour le moins paradoxale, alors même que, dans notre pays, le chômage bat de nouveaux records. La France – dois-je le rappeler ? – dénombre plus de 3,5 millions de chômeurs en catégorie A. Il importe de tout faire pour que les jeunes puissent se diriger vers de telles filières, qui ont besoin de main-d’œuvre.

Madame la ministre, je n’ai fait qu’évoquer l’échec scolaire. Je le précise toutefois : toutes les enquêtes menées, notamment l’enquête PISA, montrent clairement que, sur ce front, notre pays est en train de régresser. Il est donc urgent d’agir.

En la matière, les centristes proposent diverses mesures.

Premièrement, pour la préparation du baccalauréat professionnel, les enseignants doivent être plus formés à la réalité des métiers : s’ils veulent en transmettre les savoirs aux jeunes, ils doivent les connaître. À ce titre, je ne reviendrai pas sur l’orientation professionnelle, qu’a abordée Jacques Legendre.

Deuxièmement, l’apprentissage doit bénéficier d’une régionalisation accrue. À l’heure actuelle, on n’identifie pas très bien ceux qui en ont la responsabilité. À nos yeux, ce domaine exige un véritable pilote, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Troisièmement, enfin, il faut encourager le pluralisme dans les formations. Dans de nombreux domaines, comme dans l’enseignement agricole public, c’est le pluralisme qui permet d’obtenir des résultats ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, réussir par la voie professionnelle, c’est possible !

Je vous le rappelle, le rôle assigné à l’enseignement professionnel est d’élever le niveau général des qualifications, donc de lutter contre le décrochage scolaire, d’augmenter la proportion de diplômés, d’améliorer l’insertion professionnelle et, ce faisant, de répondre aux besoins de recrutement.

À cet égard, l’enseignement professionnel est une véritable chance de réussite pour les jeunes, leurs familles et les entreprises.

Le lien avec le monde de l’entreprise, notamment via les vingt-deux semaines de stage, constitue la force du baccalauréat professionnel et l’atout essentiel pour l’insertion des lycéens.

Cela étant, l’orientation et la formation des élèves arrivant en seconde professionnelle doivent s’adapter aux besoins sociaux et économiques des territoires. Il s’agit là d’un impératif pour assurer une insertion professionnelle directe et réussie.

La carte des formations élaborée par l’éducation nationale, les régions et les entreprises tend à répondre au mieux à cet enjeu, même si, je le sais, les divers lycées professionnels de notre pays se trouvent dans des situations bien différentes.

Si certaines formations concernent des secteurs d’activité particulièrement dynamiques et propices à l’emploi – je songe notamment aux enseignements tournés vers les métiers innovants – et présentent une attractivité certaine, d’autres, comme celles qui sont relatives aux services à la personne que de précédents orateurs ont évoqués, subissent davantage de difficultés en termes de débouchés, dans la conjoncture actuelle.

La réforme de 2009 a suscité des craintes, et elle a imposé aux enseignants de s’adapter. Mais force est de constater une nette progression de la poursuite d’études de tous les élèves, notamment des troisièmes SEGPA.

Globalement, les effectifs des filières professionnelles au lycée ne cessent de croître. Le taux d’accès au baccalauréat d’un élève entrant en seconde professionnelle a plus que doublé depuis le vote de cette réforme. Si 60 % des bacheliers rejoignent directement le marché du travail, les autres poursuivent souvent leurs études vers un brevet de technicien supérieur, un BTS.

Madame la ministre, à présent, une réflexion relative à ce parcours scolaire complet, permettant une valorisation de l’enseignement supérieur, mérite d’être engagée.

Si le taux de réussite est bon – il s’établit, je le rappelle à mon tour, à 80 % –, un problème, déjà évoqué à cette tribune, perdure néanmoins : le décrochage.

Ne négligeons pas ce phénomène. En effet, il frappe la population scolaire qui cumule le plus de difficultés, ce – j’insiste sur ce point – malgré tout le travail de suivi des parcours et d’accompagnement individualisé mené sur les plans comportemental et scolaire, lequel fait la particularité et la richesse de cette formation.

Comme dans tous les systèmes éducatifs, et davantage encore dans cette filière, le but est bien de créer une école accueillante et bienveillante.

Les causes de cet échec sont bien connues. Parmi elles figurent les problèmes d’orientation, en particulier le choix par défaut. À cet égard, dès la troisième, l’offre de formation, en matière tant d’apprentissage sous statut de droit privé que de filières professionnelles sous statut scolaire, doit bénéficier d’une meilleure visibilité, pour les élèves et leurs familles.

Des efforts ont été accomplis. Je songe à la création du parcours Avenir et de classes de troisième prépa-pro. Les partenariats entre les centres de formation d’apprentis, les CFA, et les lycées professionnels sont utiles pour nos jeunes. Ils doivent permettre des passerelles et des complémentarités - et non une concurrence. Cela étant, je le sais, il reste encore du travail à accomplir.

S’y ajoute un facteur à ne pas négliger : l’image négative dont souffre l’enseignement professionnel, laquelle est véhiculée jusqu’au sein de l’éducation nationale.

Mme Françoise Laborde. C’est cela !

Mme Catherine Troendlé et M. Jacques Legendre. Eh oui !

Mme Maryvonne Blondin. Cette branche ne doit plus être perçue par les élèves, leur famille et les enseignants comme le parent pauvre de la politique éducative française. Au contraire, pour ces jeunes, elle est l’opportunité de construire un projet professionnel et personnel, pour devenir les citoyens actifs de demain.

Mes chers collègues, avant de conclure, je mentionnerai brièvement deux points.

Premièrement, l’éducation et la médiation artistiques et culturelles doivent avoir pleinement leur place dans tous ces établissements. Il en est de même de la mobilité nationale et internationale, grâce à laquelle des jeunes qui n’en ont pas l’opportunité dans la sphère privée pourront s’ouvrir au monde et à la citoyenneté.

Deuxièmement, il faut lutter contre la perpétuation des stéréotypes de genre, hélas trop présents dans ces établissements.

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

Mme Hermeline Malherbe. Malheureusement !

Mme Maryvonne Blondin. Adaptabilité, professionnalisation, réactivité : tels sont les principes qui doivent guider la filière professionnelle. Ainsi conçu, l’enseignement des lycées professionnels offre réellement à notre jeunesse, et donc à notre pays, une voie de réussite humaine, personnelle et professionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)

(M. Jean-Pierre Caffet remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de remercier les élus du groupe CRC d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Je sais, en particulier, l’attachement que Brigitte Gonthier-Maurin porte à la voie professionnelle.

Trente ans après la création du bac pro, qui a permis de mener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, il est bon de se pencher sur l’état de la voie professionnelle, laquelle est la grande oubliée de la refondation de l’école.

Désormais préparé en trois ans, comme les baccalauréats général et technologique, le bac pro concerne près du quart d’une classe d’âge. Sa création avait pour finalité de mettre en avant l’intelligence du geste, et de la placer sur un pied d’égalité avec les savoirs académiques.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que la commission de la culture a souhaité inscrire l’avis budgétaire consacré à l’enseignement professionnel dans sa réflexion globale relative aux crédits de l’enseignement scolaire. Mais l’idée d’une égalité des filières et des intelligences a malheureusement été dévoyée.

En effet, le constat n’est guère réjouissant : l’obtention d’un bac pro ne constitue pas le gage d’une insertion professionnelle. Sept mois après leur sortie de formation, seuls 43 % des bacheliers professionnels sont en emploi quand 46 % sont au chômage. Parmi ceux qui ont du travail, un tiers uniquement sont en CDI, le reste étant en CDD, en intérim ou en emploi aidé.

En revanche, parmi les titulaires d’un bac pro, on observe une propension croissante à la poursuite d’études. Deux causes permettent, à mon sens, d’expliquer ce phénomène.

La première cause est l’ambiguïté du positionnement même du bac pro. Alors que sa vocation première est et doit demeurer l’insertion dans l’emploi, ce diplôme est aujourd’hui promu comme une passerelle vers l’enseignement supérieur : c’est une forme de dévoiement !

La seconde cause découle du précédent constat : le bac pro n’est plus une voie sûre vers l’emploi. Ces diplômés sont plus nombreux à pousser la porte de Pôle emploi que celle d’une entreprise. Nombreux sont ceux qui, faute d’une perspective professionnelle, se dirigent vers des études longues.

Cette situation aboutit à l’envoi massif d’étudiants dans des filières où ils sont voués à échouer. Le taux d’échec des titulaires d’un bac pro s’élève à plus de 62 % en DUT, et à 95 % en licence universitaire. C’est tout à fait criminel ! Même en section de technicien supérieur un tiers des bacheliers professionnels échouent. Si ces formations sont conçues comme la suite logique de leurs études, ils y sont concurrencés par leurs camarades des autres filières.

Madame la ministre, l’instauration de quotas va dans le bon sens. Mais ces derniers suffiront-ils à inverser la tendance ?

Parallèlement, la voie professionnelle concentre les phénomènes de violence et de décrochage scolaires, alors même que la collectivité y consacre un grand effort financier : la formation d’un élève de lycée professionnel coûte 14 180 euros par an, contre 9 715 euros pour la scolarité d’un élève en lycée général et technologique.

Ce constat étant établi, dans quelle direction faut-il aller ?

Une évolution radicale des mentalités comme des structures est nécessaire.

Premièrement, il faut simplifier l’offre de formation et réduire le nombre de spécialités. Cet enseignement doit être adapté aux réalités économiques et à la diversité des territoires. Certaines spécialités, comme la comptabilité ou le textile, affichent des taux d’insertion dramatiquement bas, et pour cause : les métiers ont évolué. De surcroît, le contenu des formations doit être adapté aux besoins des entreprises, qui se transforment sans cesse. Les employeurs doivent être associés à la définition des référentiels de formation.

Deuxièmement, cet impératif a été rappelé, il faut développer le recours à l’apprentissage. Si la préparation du bac pro en trois ans se heurte à une réticence des entreprises à conclure des contrats d’apprentissage pour une telle durée, il convient de développer les parcours mixtes, qui mêlent une formation en alternance et des cours en lycée professionnel ou en CFA. Mieux vaudrait des parcours plus itératifs, avec une insertion professionnelle plus précoce, mais avec l’assurance de pouvoir poursuivre sa formation, voire se réorienter.

Troisièmement, la gouvernance des établissements professionnels doit être revue. En la matière, il serait de bon ton de s’inspirer de ce qui se pratique dans l’enseignement agricole, où la présidence du conseil d’administration est assurée non par le chef d’établissement, mais par une personnalité extérieure, généralement issue du monde économique. J’avais introduit dans la loi Fillon l’expérimentation de cette mesure : à mes yeux, elle doit désormais devenir la règle.

Quatrièmement, enfin, l’orientation des élèves, aujourd’hui en déshérence, appelle une clarification. Cette dernière passe par le transfert à la région de l’ensemble des moyens dédiés à l’orientation, dont les centres d’information et d’orientation, les CIO.

Mes chers collègues, à elles seules, ces mesures ne sauraient résoudre l’ensemble des difficultés. Mais elles permettraient de limiter l’énorme gâchis, sur le plan humain et en termes d’argent public, que constitue l’échec scolaire dans la voie professionnelle. Il s’agit de rendre cette dernière plus efficiente et plus équitable, mieux en phase avec les besoins de l’économie : c’est notre intérêt, c’est l’intérêt de notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 23 décembre 1985 était promulguée la loi de programme sur l’enseignement technique et professionnel. Cette loi importante, qui reprenait les orientations dégagées par la mission École-Entreprise, visait à rapprocher l’institution scolaire du monde du travail afin de favoriser l’emploi des jeunes hautement qualifiés.

Je tiens également à rendre hommage au travail de Jacques Legendre, dont on pourra bientôt célébrer le quarantième anniversaire en tant que secrétaire d’État chargé de la formation professionnelle. (Sourires.)

M. Jacques Grosperrin. Cette loi de programme était une loi de fin de législature adoptée par un gouvernement socialiste qui avait dû, pour ce faire, convaincre un certain nombre de syndicats parmi les plus conservateurs, CGT et SNES en tête. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

À trente années de distance, on ne peut que constater la triste constance de la formation politique à laquelle vous appartenez s’agissant de l’adaptation de la société aux nécessités de l’emploi.

C’est donc principalement à la droite, revenue aux affaires en 1986, et surtout à René Monory, dont il faut honorer la mémoire dans cette enceinte, que l’on doit le succès et la pérennité de quelques-unes des innovations de cette loi.

Il est vrai que ce baccalauréat professionnel a essaimé dans d’autres pays. Je rends à cet égard hommage au travail que vous avez accompli, madame la ministre, en faveur de l’instauration du baccalauréat professionnel au Maroc à la rentrée 2014-2015. Plutôt que de copier notre dispositif, le Maroc nous a demandé conseil : c’est une démarche intéressante, dont je salue la conclusion.

C’est bien à la loi du 23 décembre 1985 que nous devons l’instauration du baccalauréat professionnel. Son anniversaire – trente ans, le bel âge ! – donne l’occasion de revenir sur la réussite d’un diplôme insuffisamment valorisé. Il est surtout l’occasion d’élargir le propos pour porter un regard sévère sur la formation professionnelle.

Je m’interroge en particulier sur le vrai problème posé par l’entrée à l’université des titulaires du baccalauréat professionnel. On trompe selon moi nos jeunes quand on leur promet que ce diplôme permet d’accéder à l’université : le taux d’échec est trop important ! Je m’inscris en faux par rapport à la conception fréquente selon laquelle le baccalauréat professionnel est d’abord un diplôme : selon moi, il doit avant tout permettre d’obtenir un métier. Voilà ce qui, madame la ministre, nous distingue peut-être le plus à ce jour.

S’agissant du baccalauréat professionnel en lui-même, les chiffres démontrent que ce diplôme a su attirer un public nombreux. Ainsi, en juin 2015, 176 200 jeunes l’ont obtenu, sur un total de 617 900 nouveaux bacheliers. L’année de son trentième anniversaire, le bac professionnel représentait donc 22 % des nouveaux bacheliers. Il faut s’en féliciter : 60° % de ces bacheliers entrent directement sur le marché du travail après l’obtention de leur bac, où ils peuvent mettre à profit leurs connaissances. Il s’agit donc d’une clef puissante d’intégration sur le marché du travail.

De ce point de vue, la réforme portée par la précédente majorité et adoptée dès le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, en 2008, a bien atteint ses objectifs. Il s’agissait en effet de diminuer la durée de préparation de ce baccalauréat afin de recruter des candidats ayant un bon niveau en troisième, capables d’avoir le diplôme en trois ans plutôt que quatre, et donc d’aller chercher des candidats choisissant la filière professionnelle par choix et non par dépit.

On peut également s’interroger sur la suppression des classes du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, ou classes DIMA, qui permettaient aux élèves de réfléchir et les incitaient à choisir une voie professionnelle non pas par défaut, mais bien par envie.

Alors que le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans atteint 25 %, on ne peut que se féliciter de la bonne santé du baccalauréat professionnel et, peut-être, regretter que le Président de la République, qui a pourtant fait des jeunes et de la diminution du chômage les deux priorités de son mandat, n’ait pas porté un regard dans sa direction.

Si l’on élargit le propos à la formation professionnelle, on quitte inévitablement le registre du satisfecit pour celui du regret.

La formation professionnelle représente un budget annuel de 32 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de la défense française, deuxième ministère le plus doté en France. Ce n’est pas rien !

Cette somme considérable devrait permettre d’atteindre des résultats du même ordre en matière d’accès à l’emploi. Or il n’en est rien, car ce budget est mal employé. En effet, il bénéficie principalement – à hauteur de 61 % – aux actifs occupés. On sait pourtant que le frein essentiel à l’emploi réside dans l’absence de formation : ces sommes trouveraient donc une utilité plus grande si elles étaient destinées à des personnes non formées.

Est-il donc vraiment judicieux de dépenser 20 milliards d’euros au profit de personnes qui occupent un emploi ? Poser la question, c’est déjà y répondre ! De surcroît, ceux qui profitent le moins de ce budget pharaonique sont les jeunes et les demandeurs d’emploi.

Bref, les moyens existent, mais ils sont très mal employés. De plus, là où la précédente majorité avait su simplifier le baccalauréat pour le rendre plus opérationnel, la majorité actuelle a réformé la formation professionnelle pour la rendre plus rigide. On peut difficilement faire pire ! Il serait temps, ô combien, de faire mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, quand on parle de formation en alternance, il y a de très fortes chances pour que les observateurs pensent d’abord à l’apprentissage et pour que leur regard se tourne vers nos voisins européens et, en particulier, vers l’Allemagne.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Pourtant, avant d’aller regarder ce qui se fait ailleurs, avant de vanter le modèle allemand, souvent d’ailleurs sans le connaître très précisément, il est très important selon moi de regarder ce qui se fait ici, en France. En effet, la formation en alternance ne se résume pas ici à l’apprentissage : elle comprend aussi l’enseignement professionnel.

En évoquant celui-ci, j’aborde une voie dont la réputation n’est pas forcément à la hauteur de ce qui s’y passe concrètement, une voie qui est encore aujourd’hui ignorée et méconnue, alors même qu’elle répond depuis des décennies à un enjeu absolument essentiel : l’avenir économique de notre pays et sa prospérité.

Voilà pourquoi j’ai tenu à ce que soient célébrés cette année, de la meilleure des façons possibles, les trente ans du baccalauréat professionnel.

C’était en effet l’occasion de redonner un cap, une visibilité et du sens à cette voie qui, je tiens à le souligner, est une voie exigeante et une voie d’avenir, pour nos élèves comme pour notre pays tout entier.

L’enseignement professionnel forme depuis trente ans les ouvriers, les techniciens et les employés qualifiés dont la France a besoin.

Nous disposons sur le territoire national de 1 600 lycées professionnels. Chaque année, comme vous l’avez rappelé, près de 700 000 jeunes y sont formés à plus de 100 spécialités professionnelles. Celles-ci couvrent des domaines extrêmement variés, depuis l’hôtellerie-restauration jusqu’aux métiers d’art, en passant par l’aéronautique, l’automobile ou encore les services à la personne.

Certains de nos lycées professionnels intègrent d’ailleurs également une unité ou une section d’apprentissage, preuve que l’enseignement professionnel et l’apprentissage ne s’opposent pas.

Loin d’être en concurrence, ils sont en réalité deux voies complémentaires.

L’enseignement professionnel et l’apprentissage ne répondent tout simplement pas aux mêmes besoins de la part des élèves. Ils ne correspondent pas aux mêmes profils et proposent deux objectifs distincts.

L’apprentissage, pour lequel votre assemblée a manifesté depuis longtemps, et à raison, son attachement, prépare majoritairement les élèves au certificat d’aptitude professionnelle, tandis que l’enseignement professionnel mène quant à lui principalement au bac professionnel : neuf élèves sur dix passent le bac professionnel par cette voie.

Enfin, l’apprentissage repose sur le statut de salarié, les stages donnant lieu à une rémunération. Dans l’enseignement professionnel, en revanche, l’élève conserve son statut pendant les stages, ou périodes de formation en milieu professionnel. Autrement dit, aucun contrat n’est signé par l’entreprise d’accueil et le jeune, mais une convention de stage lie le lycée à cette entreprise.

Il existe également des différences relatives au nombre d’heures passées en entreprise : la répartition entre le temps en établissement et le temps en entreprise n’est pas la même suivant que l’on est apprenti ou lycéen professionnel.

Apprentissage et enseignement professionnel constituent donc deux voies distinctes qui répondent à des attentes et à des capacités différentes.

Certains élèves s’orienteront vers la voie de l’apprentissage, car ils auront une idée très claire du métier qu’ils souhaitent exercer et voudront être rapidement formés en entreprise, quand d’autres préfèreront recevoir une spécialisation plus progressive tout en bénéficiant d’une formation en alternance sous statut scolaire, ce que leur offrent les lycées professionnels.

Il existe toutefois quelque chose de commun à ces deux voies : le rapport solide qui se construit avec le monde professionnel. Cette relation est absolument fondamentale.

L’enseignement professionnel a besoin des entreprises et celles-ci ont besoin de ces jeunes professionnels. Leur relation doit donc être équilibrée. Voilà pourquoi s’est établi depuis plusieurs années un partenariat entre les lycées professionnels et le monde professionnel. Ce partenariat se révèle extrêmement fécond ; nous avons désormais suffisamment d’années de recul pour en juger.

Des preuves de ce succès, nous en avons tous les jours dans les réussites de nos élèves. Nous en obtenons aussi par le biais des comités où sont réévalués régulièrement les diplômes. Nous avons, ne serait-ce qu’à la dernière rentrée, réussi à rénover 19 de ces diplômes avec la plus grande fluidité. Oui, la relation entre le monde professionnel et l’enseignement professionnel fonctionne !

L’enseignement professionnel présente un autre atout : en conciliant des enseignements généraux et d’autres plus orientés vers la pratique, il évite aux élèves le piège d’une spécialisation trop précoce.

L’insertion professionnelle, pour les jeunes, est un cap, un objectif. Elle ne doit pas être un destin qui pèse de tout son poids sur l’élève. Dans la société d’aujourd’hui, un équilibre doit donc être trouvé entre une nécessaire spécialisation et une capacité d’adaptation, tout aussi précieuse compte tenu des nombreuses évolutions auxquelles chacun doit s’attendre au cours de sa vie professionnelle.

Voilà ce que permet l’enseignement professionnel. C’est aussi ce que nous défendons lorsque, par exemple, nous refusons de permettre à nouveau l’apprentissage dès quatorze ans.