M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16, 22 rectifié bis, 46 rectifié et 48 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 179 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 39
Contre 295

Le Sénat n'a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 1er (début)
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Discussion générale

4

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, avant la suspension de séance, lors du scrutin public n° 179 portant sur les amendements identiques nos 16, 22 rectifié bis, 46 rectifié et 48 rectifié tendant à la suppression de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, M. Poher souhaitait voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

Article 1er (interruption de la discussion)
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Article 1er (début)

Protection de la Nation

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation.

Discussion générale
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Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er (suite)

M. le président. Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 1er.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 6, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire national, en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Aux termes de la loi de 1955, deux motifs peuvent justifier la déclaration de l’état d’urgence.

Le premier, qui a été invoqué à d’assez nombreuses reprises depuis 1955, est l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Le second, en revanche, n’a jamais joué, et il est pour ainsi dire tombé en désuétude : l’état d’urgence peut être déclaré en cas de calamité publique. Dans cette hypothèse, la clause des circonstances exceptionnelles permet à l’administration de prendre les mesures qui s’imposent pour faire face à la situation, et si une catastrophe engendre un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, on retrouve le premier cas de figure.

À l’heure d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, il nous semble plus rigoureux de tirer les conséquences de l’inutilité complète de ces dispositions de l’article 1er de la loi de 1955, en retenant pour seul motif pouvant justifier la déclaration de l’état d’urgence l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Je souligne que cette notion a été parfaitement clarifiée par la jurisprudence, en particulier dans la période récente, via des décisions du Conseil constitutionnel.

M. le président. Le sous-amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Malhuret, Grand, Bignon et Portelli et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, dernier alinéa

Après le mot :

ministres,

insérer les mots :

après consultation officielle par le Premier ministre des présidents des assemblées,

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. À mon sens, la clarification proposée par M. le rapporteur est tout à fait bienvenue.

La Constitution de 1958 garantit, depuis plus de cinquante-sept ans, les équilibres politiques et la stabilité de notre République. Le général de Gaulle n’avait pas jugé bon d’y inscrire les dispositions de la loi de 1955.

Modifier la Constitution est un acte fort, qui ne doit pas être entrepris à la légère, sous le coup de l’émotion ou par calcul politique. C’est pourtant ce que nous sommes en train de faire, et je le regrette.

La Constitution doit définir les règles relatives au fonctionnement régulier des pouvoirs publics, à la séparation des pouvoirs, au fonctionnement de l’autorité judiciaire. Elle doit également énoncer les libertés fondamentales et leurs garanties. C’est dans cette optique que la commission des lois a travaillé, comme l’a expliqué son président.

C’est la raison pour laquelle le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit « comité Balladur », auquel le Gouvernement se réfère volontiers quand cela l’arrange, avait proposé, dans son rapport, un encadrement accru du maintien des pouvoirs exceptionnels.

Si nous avions travaillé dans un autre contexte, et non sous le coup de l’émotion ou de ce que l’on croit être la pression de l’opinion, nous aurions entrepris, comme le comité Balladur le suggérait, de réfléchir à l’encadrement de tous les états d’exception : état d’urgence, état de siège, mise en œuvre de l’article 16.

Il n’en est pas ainsi, et nous ne discutons aujourd’hui que d’un cas, discussion au demeurant inutile puisque le Conseil constitutionnel estime que l’état d’urgence est autorisé par la Constitution actuelle.

Toutefois, puisque l’on a décidé de constitutionnaliser l’état d’urgence, autant en profiter pour accroître les garanties qui l’entourent. Tel est le sens du présent sous-amendement, qui vise à ce que les présidents des assemblées soient consultés par le Premier ministre avant que l’état d’urgence ne soit décrété en conseil des ministres.

M. le président. Le sous-amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Malhuret, Grand, Bignon et Portelli et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, dernier alinéa

Remplacer les mots :

péril imminent

par les mots :

danger clair et présent

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Tout à l’heure, j’ai entendu Philippe Bas affirmer que la notion de « péril imminent » était désormais précisément définie.

Pour moi, cette notion est sinon dangereuse, parce que nous ne sommes pas dans la situation de certains pays que j’ai connus au cours de ma carrière, où son utilisation justifiait tous les états d’urgence, tous les coups d’État, du moins problématique. Elle est susceptible d’ouvrir la voie à un certain nombre de stratagèmes ou de manipulations, d’autant que, pour invoquer un péril imminent, on se réfère généralement à des informations fournies par les services de renseignement, couvertes par le secret défense.

Nous ne trouverons pas de rédaction idéale, j’en suis conscient. Il me semble toutefois préférable de remplacer la notion de « péril imminent » par celle de « danger clair et présent », notamment pour obliger le Gouvernement et le Président de la République à expliquer de façon beaucoup plus précise et circonstanciée la nature du danger encouru.

M. le président. Le sous-amendement n° 38 rectifié, présenté par MM. Bonnecarrère et Kern, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, dernier alinéa

Remplacer les mots :

péril imminent

par les mots :

danger public exceptionnel menaçant la vie de la Nation et

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Je soutiens la révision constitutionnelle et j’ai indiqué tout à l’heure que je m’inscrivais dans la tradition de défense des libertés publiques qui constitue la marque de fabrique du Sénat.

Je souscris à l’amendement n° 6 de la commission des lois visant à exclure la référence à la « calamité publique ». La rédaction actuelle du texte me semble toutefois poser encore une difficulté.

Un « péril imminent » suppose un événement non encore advenu. Or il doit résulter « d’atteintes graves à l’ordre public », c’est-à-dire d’événements qui se sont déjà produits. Une telle définition, qui s’inscrit dans deux temporalités différentes, me paraît ambiguë. La pratique montre d’ailleurs que ce n’est pas le péril imminent, mais les atteintes graves à l’ordre public, qui ont, historiquement, justifié l’état d’urgence.

C’est pourquoi je propose de remplacer « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » par « danger public exceptionnel menaçant la vie de la Nation et résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Cela répond à la logique de protection des libertés publiques que j’évoquais.

Trois arguments militent en faveur de l’adoption de ma proposition.

Premièrement, cette rédaction est parfaitement conforme à l’avis du Conseil d’État, d’abord sensible à la référence à l’ordre public.

Deuxièmement, cette terminologie reprend les dispositions de l’article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la CEDH, qui fait référence au danger public menaçant la vie de la Nation.

Troisièmement, vous avez fait référence tout à l’heure à un avis de la Commission de Venise, monsieur le garde des sceaux. J’ai consulté ce document, dont je n’avais pas connaissance au moment de rédiger mon amendement, et il s’avère que l’alinéa 101 de l’avis de la Commission de Venise est exactement conforme à la rédaction que je propose.

M. le président. Le sous-amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Malhuret, Grand, Bignon et Portelli, Mme Garriaud-Maylam et M. Barbier, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, dernier alinéa

Remplacer les mots :

l’ordre public

par les mots :

la vie de la Nation

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Le motif d’ordre public me semble trop large. Il est susceptible d’être invoqué dans de multiples circonstances et s’apprécie différemment selon le contexte, l’époque et parfois même les mœurs, comme le rappelle la jurisprudence du Conseil d’État.

Il me semble préférable, comme l’expliquait notre collègue Philippe Bonnecarrère, de se fonder sur le critère prévu à l’article 15 de la CEDH, qui fait autorité, cette convention ayant été ratifiée par la France.

J’ajoute que l’article 2 du projet de loi, relatif à la déchéance de nationalité, établit implicitement un lien entre terrorisme et atteinte grave à la vie de la Nation.

M. le président. L’amendement n° 70 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, en cas d’un péril imminent pour la vie de la Nation résultant d’atteintes graves et constatées à l’ordre public.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. La question de la définition de l’état d’urgence et des motifs de sa mise en œuvre est absolument fondamentale, ce qui explique nos interrogations et nos inquiétudes sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence. La notion de péril imminent peut être interprétée de manière extrêmement large, comme l’expérience le démontre. Ainsi, en 2005, le président Chirac l’avait invoquée à la suite des incidents graves survenus dans les banlieues.

Nous avons donc considéré, tout en relevant qu’il n’était pas opportun de constitutionnaliser l’état d’urgence, qu’il était nécessaire que ce péril imminent ait été constaté. Nous ne faisons aucun procès d’intention à quelque gouvernement que ce soit, ancien, présent ou futur, mais nous ne voulons pas que l’exécutif, induit en erreur par les services de renseignement, puisse déclencher l’état d’urgence de manière injustifiée.

C’est pourquoi il nous semble indispensable de préciser que le péril imminent doit résulter d’atteintes graves et constatées à l’ordre public, afin que des présomptions de péril imminent ne puissent pas suffire à déclencher l’état d’urgence.

Cette rédaction, sans résoudre tous les problèmes, permettrait un progrès important au regard du risque que représente la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est favorable au sous-amendement n° 25 rectifié, sous réserve qu’il soit de nouveau rectifié, afin de supprimer les mots « officielle par le Premier ministre ».

La mise en œuvre de l’état d’urgence s’effectue en effet par décret en conseil des ministres, c’est-à-dire par décret du Président de la République. Il paraît donc souhaitable que ce soit le chef de l’État qui consulte les présidents des assemblées, sans qu’il soit pour autant nécessaire de le préciser expressément.

À cette condition, il a semblé à la commission des lois que le dispositif de ce sous-amendement constituait une garantie supplémentaire. Il faut pouvoir faire vite et, même si le terme « officiel » n’a pas un sens juridique très précis, ne pas rigidifier la procédure au niveau constitutionnel. Dans la nuit du 13 au 14 novembre dernier, le conseil des ministres étant convoqué, il était relativement aisé, pour le Président de la République, de prendre l’attache du président de l’Assemblée nationale ou de celui du Sénat, par tout moyen. Le plus important est que cette consultation ait lieu. Moyennant cette modification de rédaction, l’avis de la commission sera favorable.

En revanche, je vous demande de bien vouloir retirer le sous-amendement n° 23 rectifié, monsieur Malhuret. À défaut, la commission émettra un avis défavorable. Je sais qu’il est difficile de trouver des qualifications permettant d’offrir davantage de garanties que la notion de « péril imminent », mais celle de « danger clair et présent » me semble plutôt plus faible. À tout prendre, il vaut mieux conserver la condition du « péril imminent », qui me paraît plus exigeante que celle du simple danger.

Monsieur Bonnecarrère, vous avez déposé un certain nombre d’amendements ou de sous-amendements, dont plusieurs recoupent ceux qui ont été adoptés par la commission.

J’aurai l’occasion, tout à l’heure, de donner un avis favorable à l’un d’entre eux, qui me semble ajouter aux garanties que nous avons souhaité introduire dans ce texte. Toutefois, dans le prolongement des arguments que je viens de développer concernant le sous-amendement n° 23 rectifié, la condition de « péril imminent » me semble, à tout prendre, plutôt plus exigeante que celle de « danger », fût-il exceptionnel et menaçant la vie de la nation. En outre, la notion de péril imminent a déjà donné lieu à des appréciations jurisprudentielles. Si nous adoptons une autre formulation, ce sera un saut dans l’inconnu, et nous ne savons pas si les contours qui seront donnés à cette nouvelle notion par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État seront plus restrictifs ou, au contraire, plus étendus que ceux du « péril imminent ». Dans ces conditions, la sagesse recommande de conserver la notion de « péril imminent ».

C’est la raison pour laquelle je me permets, monsieur Bonnecarrère, de vous faire la même demande qu’à M. Malhuret.

S’agissant du sous-amendement n° 24 rectifié, la notion d’ordre public s’enseigne en première année de droit. Ses contours sont donc bien définis, et assez larges, il est vrai.

Vous avez raison de le souligner, monsieur Malhuret : la notion d’ordre public offre des souplesses qui permettent au Gouvernement de faire face à des situations que l’on ne peut pas prévoir à l’avance. Je dois toutefois insister sur un point essentiel : la justification du décret instaurant l’état d’urgence est contrôlée par le Conseil d’État. La loi qui, éventuellement, prorogera l’état d’urgence pourra elle aussi faire l’objet, soit au moment de sa promulgation, soit par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, d’un examen par le Conseil constitutionnel. S’il est constaté que le Gouvernement ou le législateur ont adopté une conception trop extensive de l’ordre public et que l’état d’urgence n’est pas justifié, la censure tombera immédiatement. Ce serait donc un bien grand risque, pour l’exécutif comme pour le législateur, de prononcer l’état d’urgence sans raison valable.

Il est difficile de dire à l’avance si la notion de « vie de la Nation » sera interprétée plus largement ou de façon plus restrictive que celle d’« ordre public ». Ce concept est en tout cas moins connu que celui d’ordre public. Aussi je demande le retrait du sous-amendement n° 24 rectifié, mon cher collègue. À défaut, l’avis de la commission ne pourra être que défavorable.

Enfin, monsieur Mézard, l’amendement n° 70 rectifié tend à caractériser le « péril imminent » par référence à la « vie de la Nation ». Il a pu se produire, dans le passé, que l’état d’urgence soit proclamé d’une manière qui a été considérée comme justifiée, alors que la vie de la Nation n’était pas interrompue ni menacée. Vous souhaitez certainement restreindre les possibilités de recourir à l’état d’urgence par rapport au droit positif. Je ne peux m’associer à cette démarche.

La commission des lois a rejeté cet amendement. Il serait préférable que vous acceptiez de le retirer, mon cher collègue. Sinon, la commission des lois émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est réservé sur le sous-amendement n° 25 rectifié, pour ne pas dire qu’il y est défavorable. Deux états d’exception sont pour l’heure constitutionnalisés ; le Gouvernement propose qu’il y en ait un troisième, et nous essayons, sans qu’il y ait de vérité révélée en la matière, de rechercher une sorte de parallélisme des formes.

Aux termes de l’article 16 de la Constitution, le Parlement est consulté, par le biais des présidents des chambres, parce que le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. Dans ce cas, le constituant de 1958 a estimé qu’il était utile d’interroger le pouvoir législatif.

Dans le cas de l’état d’urgence, il n’y a pas d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. De surcroît, les dispositions de la loi de 1955 ont déjà été intégrées et vous y avez ajouté le contrôle parlementaire, qui, selon nous, suffit amplement à associer le Parlement, au-delà d’ailleurs d’une simple consultation.

Sur les autres sous-amendements, le Gouvernement partage le point de vue exprimé excellemment par M. Bas. Là encore, certaines notions peuvent parfois apparaître imprécises, alors qu’en réalité elles sont bien définies par les jurisprudences, notamment celle des tribunaux administratifs. Je pense en particulier à la notion d’« atteintes graves à l’ordre public », très bien fixée par la jurisprudence du Conseil d’État, voire par celle du Conseil constitutionnel, qui a fait de la prévention des atteintes graves à l’ordre public un objectif à valeur constitutionnelle. Par conséquent, la référence à cette notion est source de sécurité juridique.

La notion de « péril imminent » a une vocation préventive, mais j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le péril imminent doit naître d’atteintes graves à l’ordre public, qui est donc une notion bien définie. Dans ces conditions, le Gouvernement n’est pas convaincu qu’il soit utile de préciser cette formulation, comme certains d’entre vous le proposent.

Par exemple, le sous-amendement n° 38 rectifié tend à remplacer les mots « péril imminent » par les mots « danger public exceptionnel menaçant la vie de la nation ». Or le péril imminent peut ne concerner qu’une partie du territoire et de la population, et non la Nation tout entière. Ainsi, un précédent gouvernement a décrété l’état d’urgence sur le seul territoire de la Nouvelle-Calédonie. Il nous semble donc que la rédaction actuelle du texte est suffisamment sécurisée pour qu’il ne soit pas nécessaire d’introduire les précisions proposées, qui seraient à mon sens davantage source de confusion que de clarification : je le dis avec beaucoup d’humilité car, en la matière, il n’existe ni argument d’autorité ni vérité absolue.

Par conséquent, le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de ces sous-amendements ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 6 de la commission visant à supprimer le motif de calamité publique pour justifier la déclaration de l’état d’urgence. De notre point de vue, la référence à cette notion a une vocation « curative ». Certes, il n’y a jusqu’à présent jamais été recouru pour justifier l’instauration de l’état d’urgence, mais on peut parfaitement imaginer que, en cas d’accident technologique ou d’épidémie particulièrement fulgurante, cela puisse se révéler nécessaire. Par conséquent, il ne nous semble pas souhaitable de supprimer cette possibilité, qui pourrait s’avérer utile pour faire face à une crise civile de très grande ampleur. Le Gouvernement ne peut que constater, à regret, son désaccord avec le rapporteur sur ce point.

Enfin, dans le même esprit, l’amendement n° 70 rectifié ne nous paraît pas non plus compléter utilement la rédaction actuelle du texte. L’avis est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, en cas d’accident nucléaire, de tsunami ou autre calamité publique, le Gouvernement n’aura nul besoin de procéder à des assignations à résidence ou à des perquisitions ! La notion d’atteintes graves à l’ordre public, dont vous avez rappelé le contenu, parfaitement circonscrit par la jurisprudence, permettrait tout à fait de justifier la mise en œuvre de l’état d’urgence pour limiter la liberté de réunion, de manifestation, ou prendre un certain nombre de mesures d’ordre général en cas de catastrophe naturelle. Par ailleurs, le Gouvernement dispose d’autres moyens d’agir. Votre réponse ne peut donc nous convaincre.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Pour éclairer le vote du Sénat à la suite de débats qui ont eu lieu en commission et qui se sont poursuivis ici, je voudrais que soit levé un doute sur la notion de troubles graves à l’ordre public dans le cas de la mise au jour d’un complot.

Imaginons que, deux jours avant le 13 novembre, les services aient détecté les mouvements des commandos et que le Gouvernement ait ainsi acquis la quasi-certitude de l’imminence d’un attentat. Certes, on peut supposer que, si les indices sont suffisants, le pouvoir judiciaire interviendra immédiatement. Mais, dans la zone grise, dans l’hypothèse où le pouvoir exécutif acquiert, dans le cadre de l’exercice de sa mission de prévention, la conviction qu’il existe un risque élevé de commission d’un attentat, cette circonstance peut-elle être considérée - j’ai pour ma part tendance à le croire - comme constitutive d’un trouble grave à l’ordre public ? Dans la négative, l’objet même de l’état d’urgence se trouverait évidemment fragilisé.

Cela étant, je reconnais que c’est quelque peu solliciter le vocabulaire et les notions juridiques que de considérer qu’une telle circonstance, pourtant révélatrice d’un péril imminent, constitue un trouble grave à l’ordre public…

Que des individus accumulent des armes, des explosifs, louent des véhicules en vue de la commission d’attentats est en soi un trouble grave à l’ordre public. Pourrait-on considérer que celui-ci est suffisamment caractérisé pour justifier l’instauration de l’état d’urgence ? C’est à mon avis une question sur laquelle le Sénat doit être éclairé.

J’indique que le groupe socialiste et républicain, tout en partageant une partie de l’argumentation du Gouvernement, considère que l’adoption de l’amendement de la commission visant à supprimer la référence à la notion de calamité publique renforcerait la crédibilité de la réforme constitutionnelle. En effet, ce sont les autres pouvoirs de police administrative générale ou spéciale à la disposition du Gouvernement qui permettent de faire face à une calamité publique ; ce n’est que si celle-ci donne lieu, par exemple, à des pillages qu’il y a trouble grave à l’ordre public.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Dans le cas d’école que vous nous soumettez, monsieur le sénateur, où le Gouvernement est informé par ses services de l’imminence d’un attentat, c’est à la voie judiciaire qu’il est immédiatement recouru. La menace d’un péril imminent suffit-elle à justifier la déclaration de l’état d’urgence ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. De mon point de vue, la réponse est non. C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi de 1955 ne constitue pas la porte ouverte à l’instauration de l’état d’urgence en toutes circonstances ! Il faut que le péril imminent, dont l’état d’urgence vise à prévenir les conséquences, résulte d’atteintes graves à l’ordre public. Or, dans le cas d’espèce que vous soulevez, monsieur le sénateur, il n’y a pas encore eu d’atteintes à l’ordre public et, par conséquent, l’état d’urgence ne peut pas être décrété. La seule voie d’action est judiciaire.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. L’amendement de la commission est à mon sens tout à fait satisfaisant. On peut être pour ou contre l’état d’urgence, mais les combats d’arrière-garde visant à en réduire artificiellement la portée me semblent assez inutiles.

Pour le reste, la question de savoir si l’on doit retenir le mot « péril » ou le mot « danger » ne me paraît pas vraiment fondamentale.

Certes, on met en avant la jurisprudence, mais chacun sait ce qu’il en est en la matière : les positions des tribunaux peuvent varier en fonction des circonstances. Aussi me semblerait-il plus simple d’adopter en l’état l’amendement de la commission, dont la rédaction est facile à comprendre et à interpréter, plutôt que d’en compliquer ou d’en édulcorer le dispositif au travers de ces différents sous-amendements.