compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Colette Mélot,

M. François Fortassin,

M. Serge Larcher.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures quinze.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 17 mars 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Max Marest, qui fut sénateur de l’Essonne de 1993 à 1995 puis de 2000 à 2004.

3

Hommage aux victimes des attentats de Bruxelles

M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la Belgique, pays voisin et ami du nôtre, a été frappée ce matin par plusieurs attentats, à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem ainsi que dans le métro bruxellois. (Mmes et MM. les sénateurs, M. le garde des sceaux se lèvent.)

Le bilan humain, qui n’est pas encore établi de façon précise, est très lourd : on déplore d’ores et déjà plusieurs dizaines de morts et de blessés.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite en cet instant exprimer aux victimes et à leurs familles notre solidarité et présenter nos plus sincères condoléances au peuple belge, si durement éprouvé. J’ai immédiatement adressé ce matin, en notre nom à tous, des messages de solidarité à la présidente du Sénat belge et au président de la Chambre des représentants.

Ces attaques ravivent le souvenir des terribles attentats qui ont touché Paris il y a un peu plus de quatre mois : face à la barbarie qui ne connaît pas de frontières et face à ceux qui s’attaquent aux valeurs et aux libertés qui nous sont communes, l’Europe doit être unie et poursuivre sans relâche la lutte contre le terrorisme. Nous avons conscience qu’à travers Bruxelles, c’est aussi la capitale de l’Union européenne qui a été prise pour cible et ses valeurs de liberté, de démocratie et d’humanisme, que nous avons en partage et qui fondent le projet européen.

La Belgique et la France, qui ont été particulièrement visées, ont une forte détermination à combattre ensemble le terrorisme islamiste et à démanteler les réseaux djihadistes. Nous avons le devoir de poursuivre ce combat.

Dans un esprit de fraternité et de profonde solidarité avec nos amis Belges, je vous invite à observer un instant de recueillement en hommage aux victimes des attentats de ce matin. (Mmes et MM. les sénateurs, M. le garde des sceaux observent une minute de silence.)

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

Articles additionnels après l'article 2 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Protection de la Nation

Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi constitutionnelle modifié

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemble nationale, de protection de la Nation (projet n° 395, rapport n° 447).

Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Explications de vote sur l’ensemble

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque nous nous sommes, députés et sénateurs, réunis le 16 novembre, nous partagions la même volonté que le Président de la République : répondre aux barbares et envoyer un message d’unité aux Français. Ce qui s’est passé ce matin à Bruxelles – je m’associe évidemment à la douleur du peuple belge – ne fait que renforcer notre détermination.

Nous, parlementaires, avons le devoir de légiférer, de contrôler, d’évaluer, d’écouter et de parler à nos concitoyens. Depuis la mi-novembre, le Sénat a usé de l’ensemble de ces prérogatives.

Aujourd’hui, nous sommes réunis en tant que pouvoir constituant. Ce n’était pas notre demande. Si nous sommes ici, c’est parce que le Président de la République l’a voulu. Il en avait le droit, tout comme il aurait eu également le droit de nous associer à sa réflexion, le 15 novembre, lorsqu’il a réuni un certain nombre d’entre nous… Je pense que nous aurions ainsi pu nous épargner un long chemin erratique.

Nous avions en effet besoin de rassemblement et d’espoir. Quatre mois plus tard, nous n’avons que divisions et amertume. Nous avions besoin de consensus, mais vous nous exhortez aujourd’hui, monsieur le ministre, à trouver un compromis laborieux.

Dans ce contexte, la responsabilité du Sénat est d’aller jusqu’au bout de sa compétence constitutionnelle. Si la seconde chambre saisie avait vocation à s’aligner sur la première, il fallait alors commencer par le Sénat et infliger cette obligation à votre majorité à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. Très bien !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Excellent !

M. François Zocchetto. Nous ne souffrons en effet d’aucun complexe de légitimité, surtout lorsqu’il s’agit de traiter de libertés publiques.

Le premier des deux articles de ce texte a une dimension technique. L’objectif, pour le Gouvernement, était de garantir que l’exécutif puisse utiliser l’arsenal des dispositifs exceptionnels sans encourir de risque constitutionnel. Le Sénat, à l’issue de travaux de grande qualité et avec une majorité très élargie, répond aux attentes du Gouvernement en ayant associé aux demandes de celui-ci des contrepoids puissants au profit du Parlement et du juge. Je me félicite de la rédaction à laquelle nous sommes parvenus.

Disons-le très clairement, l’article 2 ne comporte aucune dimension opérationnelle : il est d’ordre symbolique. Bouleversé par un drame, un pays a besoin de se rassembler autour de symboles ; cela est légitime, mais encore faut-il choisir les bons.

Or, celui qui a été proposé est un symbole négatif, celui du rejet, de la césure entre les citoyens. En effet, sans préjuger de la teneur de la notion d’égalité, les Français ne sont pas identiques. Il y a les Français de naissance et les Français par acquisition de la nationalité ; il y a les Français qui n’ont qu’une seule nationalité et ceux qui en ont aussi une autre.

Dans ce contexte, il eût fallu trouver des symboles démontrant notre volonté de nous retrouver autour des valeurs républicaines, autour d’une histoire à construire ensemble. Or nous venons de passer quelques mois à distiller des messages de repli et de suspicion, alors que nous aurions dû diffuser un esprit de confiance et de fierté.

Quoi qu’il en soit, la proposition du Président de la République, telle qu’amendée par les députés, ne nous donnait le choix qu’entre deux réponses imparfaites, pour ne pas dire mauvaises.

La première consistait à dire que la proposition était inadaptée, inutile, qu’elle n’appelait aucune discussion. Une telle réponse, mes chers collègues, aurait très probablement été perçue comme une inconséquence, car les Français ont retenu que nous avons tous applaudi à Versailles, même si c’était pour des raisons diverses, et surtout pour marquer une volonté d’unité nationale.

Mme Éliane Assassi. Nous n’avons pas tous applaudi !

M. François Zocchetto. Mais, en temps de crise, les élus ne peuvent s’offrir le luxe d’une apparente versatilité.

Nous devions donc discuter de cette réforme, mais fallait-il pour autant avaliser l’apatridie ? Au regard de l’histoire, au regard de nos engagements internationaux, ce n’était tout simplement pas possible !

De surcroît, le texte adopté par l’Assemblée nationale était source de polémiques. On ne peut pas, d’un côté, inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour tous et, de l’autre, annoncer que l’on écrira le contraire lors de la ratification à venir d’un traité déjà signé. On voit bien l’inconséquence d’un tel raisonnement.

M. Charles Revet. Absolument.

M. François Zocchetto. Au contraire, le Sénat a fait le choix de la clarté. La solution que nous avons retenue est, je l’espère, la moins mauvaise. C’est pourquoi, par raison, comme la plupart d’entre vous, mes chers collègues, je voterai ce texte.

En guise de conclusion, je soulignerai trois évidences.

Tout d’abord, le Sénat a démontré depuis quelques mois sa détermination à produire tous les efforts possibles pour lutter contre le terrorisme. Nous avons même devancé les appels du Gouvernement, au travers de nos commissions d’enquête, missions d’information ou propositions de loi – je pense en particulier à celle, extrêmement aboutie, adoptée par le Sénat dès le mois de décembre, et dont je me félicite que le Gouvernement reprenne un certain nombre d’éléments. Nous nous sommes déployés sur tous les terrains de la lutte contre le terrorisme. Je vous demande, monsieur le garde des sceaux, de le rappeler à M. Le Roux, qui s’est permis ce matin de tenir des propos inacceptables ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. Honte à lui !

M. François Zocchetto. J’appelle maintenant le Gouvernement à accompagner notre réflexion, car il ne s’agit pas seulement de colmater les brèches. Il faut traiter le mal à la racine. Comment des jeunes éduqués au pays des Lumières peuvent-ils être séduits par un tel fanatisme ? Pourquoi cet extrémisme prend-il une dimension pseudo-religieuse ? Pourquoi une telle haine envers leurs compatriotes, terme qui d’ailleurs ne signifie rien à leurs yeux ?

Il faut comprendre, mais comprendre ne signifiera jamais justifier, excuser ou se culpabiliser. Il faut comprendre pour agir, pour valoriser ce qui fonctionne. Au-delà de la dérive de quelques milliers d’individus, n’oublions pas que 66 millions de Français récusent la barbarie ! C’est là l’espoir de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la barbarie de Daech a, une nouvelle fois, frappé ce matin en Europe, à Bruxelles. Nous nous inclinons devant les victimes de ces attentats et exprimons toute notre solidarité au peuple belge.

Ce que nous redoutions est arrivé : des attentats suicides, des attentats aveugles ont tué ou blessé des innocents par dizaines, au nom d’une idéologie fanatique.

Le drame de Bruxelles illustre la violence terrible qui secoue des régions du monde et pénètre dans notre société. Oui, notre pays doit être mobilisé pour repousser les agressions terroristes de Daech et de ses alliés.

Or, le projet de loi constitutionnelle que nous nous apprêtons à adopter ou à repousser ne répond pas au légitime besoin de sécurité, à la peur de notre population.

Le vote de cet après-midi ne porte pas sur le point de savoir s’il faut ou non combattre Daech. Notre détermination à cet égard est totale et nous avons, en particulier, toujours combattu les choix diplomatiques et guerriers qui ont créé le chaos.

Le vote porte sur une révision de la Constitution qui, selon nous et beaucoup d’autres, porte atteinte à des principes démocratiques, à des principes républicains.

Notre opposition à cette révision constitutionnelle porte sur le fond comme sur la forme.

Sur la forme, les deux dispositions essentielles de ce texte, la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, sont parfaitement inutiles et inefficaces.

Comme les partisans du projet de loi et M. le Premier ministre lui-même le reconnaissent, ces dispositions relèvent du symbole.

L’état d’urgence dispose déjà d’une valeur pleinement constitutionnelle. Sa constitutionnalisation n’apportera rien, sauf – et là réside l’une de nos critiques majeures – qu’elle le placera au sommet de la hiérarchie des normes, donc hors de portée d’éventuels recours. Ce que M. le Premier ministre appelle une sécurisation n’est rien d’autre, en réalité, qu’une sacralisation.

Or, la lecture de l’article 1er, même corrigé et rendu un peu plus présentable, nous inquiète fortement.

Cet article assure la consécration de l’ordre public dans la Constitution, mais en oubliant, au passage, son corollaire pourtant exigé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : le respect des libertés.

Certes, le Sénat a introduit le rappel de la compétence du juge judiciaire, mais nous aurions préféré qu’il soit signifié clairement qu’il n’y a pas d’ordre public sans respect des libertés.

Vous avez conservé, monsieur le rapporteur, la référence si floue, si temporellement incertaine, au « péril imminent » comme facteur déclenchant de l’état d’urgence.

La correction apportée n’écartera pas la possibilité d’un état d’urgence permanent, ad vitam aeternam. Une fois un attentat perpétré, une menace terroriste avérée, le péril imminent sera permanent.

L’empilement de vingt lois « antiterroristes » depuis 1986 n’a finalement pas permis et ne permet pas de remédier au phénomène des violences liées à l’islam radical.

Que, dans les jours qui ont suivi la tragédie survenue à Paris, le pouvoir ait affiché son autorité face à la menace, nous le comprenons. Mais que, quatre mois après, son discours n’évolue pas, alors que le Premier ministre évoquait ici même, le 17 mars dernier, des milliers de jeunes tentés par la radicalisation, cela nous inquiète fortement.

Ramener la paix dans une région dévastée par près de trente ans de conflits est la priorité absolue. Il faut éteindre ce foyer de haine.

L’élimination de Daech et des autres djihadistes exige une action résolue. La France doit user de toute son influence pour faire cesser le jeu dangereux de certains États avec les groupes armés islamistes. C’est le cas de l’Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats arabes unis, mais aussi de la Turquie de l’autoritaire Erdogan, qui consacre plus de temps et d’énergie à combattre les démocrates kurdes qu’à faire cesser les livraisons d’armes et le trafic de pétrole en faveur d’Al-Nosra ou d’Al-Qaïda. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Diminuer puis faire taire la violence chez nous en France, c’est donner les moyens aux services de renseignement et aux forces de sécurité d’agir, mais c’est aussi donner à l’école de nouveaux moyens pour recréer le lien social, c’est donner à chacune et à chacun la possibilité de trouver sa place dans la société, en particulier par le travail, c’est faire vivre la laïcité.

Ce n’est pas nous qui avons parlé d’apartheid social ; c’est le Premier ministre, au lendemain des tueries de janvier 2015.

Le discours sécuritaire ne peut pas être la réponse de fond apportée à la radicalisation ici et à la guerre ailleurs. Je le redis avec force, le recul de l’État de droit est une victoire pour Daech, qui n’a qu’un seul objectif : la déstabilisation de notre État de droit et la division de notre société.

La déchéance de nationalité, second point sur lequel porte la révision constitutionnelle, est l’exemple même d’une disposition qui divise, qui clive. Son annonce a, dans un premier temps, choqué, car elle était réservée aux binationaux.

Ce qui a choqué aussi, c’est la constitutionnalisation de cette mesure. Pour la première fois, la nationalité était définie dans la Constitution, mais sous une forme négative. L’introduction de ce concept rassembleur dans un texte fondant l’unité de la Nation est apparue à beaucoup comme contraire non seulement aux valeurs de la gauche, mais aussi et surtout aux principes républicains.

Depuis quatre mois, le Gouvernement et le chef de l’État tentent d’imposer cette disposition en louvoyant, en manœuvrant, au détriment des engagements passés, des attitudes passées et cependant récentes…

À l’Assemblée nationale, pour calmer votre majorité, vous avez instauré la « déchéance pour tous », tout en affirmant votre refus de l’apatridie, qui en serait pourtant la conséquence obligée.

Au Sénat, le Gouvernement a dit vouloir refuser le retour à la déchéance de nationalité pour les binationaux, mais il a approuvé la manœuvre procédurière de M. Bas visant à empêcher le vote sur les nombreux amendements de suppression. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est mal me connaître !

Mme Éliane Assassi. De fait, le Gouvernement a ainsi aidé à imposer le texte de la droite sénatoriale, c’est-à-dire celui qui prévoit la déchéance de nationalité pour les binationaux. Ce « pas de deux » entre le Gouvernement et la droite, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, devient insupportable.

Introduire de la sorte le débat sur la nationalité est dangereux. La peur et la haine à l’égard de toute une population qui n’a rien à voir, de près ou de loin, avec l’islam radical se trouvent attisées.

M. Éric Doligé. C’est excessif !

Mme Éliane Assassi. La peur amène à bafouer les principes qui fondent la vieille Europe, celle qui, en 2003, refusait la guerre en Irak.

L’accord inique passé vendredi entre l’Union européenne et la Turquie relève de cette même logique.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Bafouant la convention de Genève sur les droits les plus élémentaires des réfugiés, l’Europe égoïste, l’Europe forteresse oublie ce qu’elle portait aux nues depuis sa création : les droits de l’homme.

Monsieur le garde des sceaux, le groupe communiste républicain et citoyen votera, unanimement et sans hésitation, contre un texte qui, s’il était voté, ternirait la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste et républicain, je veux exprimer toute notre solidarité aux victimes des attentats de Bruxelles et à leurs familles. Après la France, le Mali et la Turquie, c’est aujourd’hui la Belgique qui est touchée. Le monde entier était Charlie en janvier 2015, Paris en novembre dernier ; aujourd’hui, le monde entier est Bruxelles.

Oui, nous sommes en guerre, une guerre qui ne cesse de prendre de l’ampleur. À travers Bruxelles, c’est l’Europe qui a été touchée, disait le Président de la République. La réponse doit forcément être européenne. C’est à l’échelle de l’Europe que nous devons, sans répit, chercher les réponses à cette guerre.

Plus que jamais, en France, ce sont le rassemblement et l’unité nationale qui doivent primer. Plus que jamais aussi, nous devons faire vivre nos valeurs et, plutôt que de parler de la position de notre groupe sur ce texte, je voudrais évoquer ces valeurs. Je n’ai pas envie, aujourd’hui, de polémiquer sur tel ou tel vote intervenu la semaine dernière.

Quelle est notre vision de la société et du pacte républicain ? Les valeurs de la République ne sont-elles pas un bouclier contre toutes les tentations extrémistes ? Aujourd’hui, je crois que nous devons, plus que jamais, souder les Français autour de ces valeurs. Après les attaques terroristes de novembre, les trois couleurs bleu, blanc et rouge ont été fièrement brandies par nos concitoyens ou arborées aux fenêtres, pour manifester leur solidarité.

Cela a montré combien notre drapeau est reconnu comme un symbole de résistance et de liberté. Les Français ont répondu : « présent ! ». Ils ont signifié leur appartenance à la nation française, leur volonté de défendre la République et ses valeurs.

Nos compatriotes ont signifié que la France est debout en se parant de nos couleurs et en chantant notre hymne dans toutes les communes, dans tous les rassemblements.

M. Roger Karoutchi. Certains ne l’ont pas voulu…

M. Didier Guillaume. Pas dernièrement, monsieur Karoutchi !

Oui, qu’elle est belle, la France libre, fière, émancipée et bigarrée de novembre 2015 ! Nous tous, républicains, devons nous en réjouir.

Mais, en même temps, certains de nos concitoyens éprouvent de la méfiance à l’égard de nos valeurs, de nos couleurs, de notre drapeau.

Trop longtemps, le drapeau tricolore de la nation française, accaparé par certains, a signifié repli sur soi, rejet de l’étranger, nationalisme. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette triste vision est une erreur. Oui, nous devons dépasser la revendication patriotique d’un seul jour pour mieux ancrer nos valeurs dans la société. Il a fallu un attentat tragique pour que les Français se lèvent. Nous souhaitons que, désormais, ils restent debout pour défendre nos valeurs, la République et la nation française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

Trop longtemps, les républicains de tous bords ont délaissé le combat pour les valeurs, notamment pour la laïcité, pensant qu’elles étaient acquises.

La montée du communautarisme a fait croire à quelques-uns que cette laïcité était trop molle et inadaptée à notre temps. Pourtant, elle n’a jamais été aussi utile. Il faut la réaffirmer fortement comme un élément essentiel d’un patriotisme rénové.

Nous devons redonner du sens à notre « vivre ensemble ». Sans cela, la xénophobie, le racisme, le communautarisme, la défiance à l’égard de l’autre resteront fortement ancrés dans notre pays.

Le projet républicain et sa revendication sont de véritables boucliers contre le repli et la division. Soyons donc les maillons d’une chaîne d’union républicaine, afin de propager dans la société les valeurs acquises au fil de notre longue et belle histoire commune. Ces valeurs, nous pouvons nombreux les partager, les brandir, les faire prospérer.

Affermir ce qui nous unit, notre socle commun, voilà le travail que nous devons faire pour lutter contre le terrorisme, l’obscurantisme, le racisme, la xénophobie et faire en sorte que notre pays ne soit pas partagé, divisé, fracturé. Il serait dramatique que les attentats perpétrés ce matin à Bruxelles fassent ressurgir de vieilles maladies, de vieilles oppositions.

Oui, il est urgent que l’Europe se réveille, que le registre européen des données des passagers aériens, le PNR, soit mis en place.

Mme Nathalie Goulet. Oui, mais un véritable PNR !

M. Jean-Pierre Sueur. Le PNR est indispensable !

M. Didier Guillaume. Notre groupe insiste fortement sur ce point. Ce n’est pas en internant toutes les personnes fichées « S » que nous réglerons le problème du terrorisme. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Pour en revenir au texte qui nous occupe aujourd’hui, l’article 1er a été adopté à la quasi-unanimité, en tout cas à une très large majorité. Nous avons, en revanche, rejeté l’article 2. Notre groupe, à l’image de la société et de beaucoup de partis politiques, est divisé, mais nous avons tous voté contre le choix de la majorité du Sénat de stigmatiser les binationaux. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. C’est celui du Président de la République !

Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est lamentable !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

M. Didier Guillaume. La semaine dernière, j’ai entendu beaucoup d’orateurs du groupe Les Républicains annoncer qu’ils voteraient ce texte parce qu’ils soutiennent le Président de la République. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Si nous en sommes arrivés là, mes chers collègues, c’est parce que, à l’Assemblée nationale, un compromis a été passé entre les groupes socialiste et républicain et Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est un problème Sarkozy-Fillon !

M. Didier Guillaume. Peut-être cela vous gêne-t-il, mais c’est une réalité ! Je ne reprendrai pas les propos tenus par M. Lagarde ce matin ou par M. Estrosi la semaine dernière…

Pour faire aboutir une réforme constitutionnelle, un accord transpartisan est nécessaire. Le Sénat a fait le choix de ne pas aller dans cette direction. Peut-être cette position évoluera-t-elle, mais nous sommes aujourd’hui loin d’un accord ; je le regrette. Chacun prendra ses responsabilités.

M. Alain Fouché. Pas de problème !

M. Didier Guillaume. Pour conclure, je voudrais saluer le travail de Philippe Bas, président et rapporteur de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Par ses connaissances et sa volonté d’avancer, il a dominé les débats. Naturellement, je regrette que nous n’ayons pas pu trouver un terrain d’entente sur l’article 2, mais je voulais, malgré nos oppositions, le remercier et le féliciter pour la qualité de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du groupe du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault et M. Christian Namy applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)