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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Abdessamad Kayouh, nouveau président du groupe d’amitié Maroc-France de la Chambre des Conseillers du Royaume du Maroc, qui est au Sénat à l’invitation du groupe d’amitié France-Maroc. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent.)

Il est accompagné par notre collègue Christian Cambon, président de notre groupe d’amitié.

Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue, et je forme des vœux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays. (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (suite)

Lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’un projet de loi visant à renforcer la justice et les administrations de l’État et à simplifier la procédure pénale afin de mieux lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je suis prêt à trouver des réponses chez Mme de Romilly. Lorsqu’on lui demandait quelle était la meilleure définition de la démocratie, elle répondait que c’était la plus ancienne, celle donnée par Platon, selon laquelle la démocratie est le régime de la loi écrite. Tout est dit ! Quand on veut combattre les ennemis de la démocratie – le terrorisme, la criminalité organisée –, notre arme, c’est la loi !

Les événements qui ont eu lieu – je veux moi aussi rendre hommage aux forces de l’ordre et aux magistrats qui travaillent pour éradiquer le terrorisme – ont révélé les déficiences de la loi. Nous devons donc faire en sorte, sans céder à l’émotion, que notre arme, la loi, soit la mieux adaptée possible pour combattre des menaces qui évoluent sans cesse. Si nous ne modifions pas la loi, alors même que les menaces changent de nature, nous ne ferons pas véritablement notre travail. C’est précisément en vue de mieux armer la démocratie que Philippe Bas, Bruno Retailleau, François Zocchetto et moi-même avions présenté au Sénat voilà quelques semaines une proposition de loi.

Le texte qui nous est présenté, qui a été considérablement enrichi – disons les choses comme cela –, puisqu’il compte une centaine d’articles, contre une trentaine au départ, montre que les problèmes que nous avons à traiter sont lourds et nombreux. Il s’agit à la fois de rendre plus efficaces les investigations judiciaires et de lutter contre le terrorisme dans sa globalité.

L’acte de terrorisme est souvent l’aboutissement d’un long processus : la constitution de réseaux, l’achat d’armes et, donc, leur financement. Nous devons apporter une réponse globale à ce phénomène qui est lui-même global. C’est l’un des objectifs du texte qui nous est soumis.

Pour ce qui concerne l’efficacité des investigations judiciaires, des mesures nouvelles et importantes sont issues de quelques idées relativement simples : l’enquête préliminaire, par exemple, doit avoir un rôle essentiel. On voit donc apparaître un couple nouveau, composé du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention. Ce dispositif est une condition de l’efficacité de l’action de la justice, ce qui nous obligera, dans les mois qui viennent, à traiter du statut du juge des libertés et de la détention, qui est aujourd’hui quelque peu « suspendu » et n’existe pas vraiment sur le plan judiciaire.

L’ensemble des technologies spécifiques réservées à l’instruction seront désormais accessibles durant l’enquête préliminaire. C’est une bonne chose et, sur ce point, il n’y a pas de véritable différence de vision entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Je signale à cet égard que de nombreuses dispositions contenues dans la proposition de loi votée par le Sénat en février ont été reprises dans le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale.

S’agissant de la lutte contre le blanchiment, c’est M. le rapporteur pour avis de la commission des finances qui traitera au fond de cette question. La commission des lois a accepté de nombreux amendements qu’il nous a soumis et qui visent notamment à renforcer le rôle de TRACFIN.

Le renforcement des contrôles administratifs constitue un chapitre important sur lequel nous aurons à revenir au cours de nos débats, qu’il s’agisse de la fouille des bagages lors des contrôles d’identité, de la retenue pour examen d’une situation administrative problématique, de la définition du cadre légal de l’usage des armes à feu ou du contrôle administratif des retours sur le territoire national après le séjour sur un théâtre d’opérations terroristes.

Sur ces quatre points très importants, la commission des lois fera des propositions, dont certaines seront un peu différentes de celles souhaitées par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, mais qui iront dans le sens du renforcement potentiel du rôle de l’administration et de l’encadrement de celui-ci par les règles de droit, qu’elles soient constitutionnelles ou conventionnelles. Nous avons en effet veillé à ce que le texte, s’il renforce le rôle et les prérogatives des magistrats, des policiers et de l’administration, reste dans les limites constitutionnelles et conventionnelles. Il ne s’agit pas de sortir de l’État de droit, mais de combattre le terrorisme en allant le plus loin possible dans les limites permises par l’État de droit.

Nous aborderons aussi la question du renforcement des garanties en matière de procédure pénale. Le débat qui portera sur le principe du contradictoire sera, je crois, nécessaire, car, s’il faut que la procédure soit contradictoire, l’enquête doit aussi pouvoir se dérouler normalement.

Nous débattrons également d’un certain nombre de questions fortes. Ainsi se pose depuis quelques jours, avec encore davantage d’acuité qu’auparavant, celle de la perpétuité réelle. Je rappelle que nous avons adopté cette mesure à l’occasion du vote de la proposition de loi Bas. Nous ne nous contredirons pas sur ce point et nous irons jusqu’au bout, en nous conformant aux conditions posées par le Conseil constitutionnel en 1994. Nous veillerons également à respecter les dispositions conventionnelles. Nous ferons donc en sorte que le tribunal de l’application des peines mette en œuvre une procédure particulière visant à ce que la situation du terroriste condamné à la perpétuité soit réévaluée après un délai de trente ans.

Mes chers collègues, face à ces questions lourdes et graves qui vont nous occuper dans les jours qui viennent, nous devons faire en sorte que la démocratie ne soit pas désarmée et que les magistrats puissent jouer pleinement leur rôle, notamment en leur permettant d’avoir accès aux mêmes technologies que les terroristes. On ne peut pas combattre les terroristes avec du papier et des bouts de chandelle ! Nous avons en face de nous des ingénieurs, des personnes super-équipées qui savent parfaitement utiliser les nouvelles technologies. Nous devons disposer des mêmes armes, mais, en plus, pour trouver notre force, nous devons respecter le droit. C’est ce que vous propose la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Paul, rapporteur pour avis.

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 19 et 32 du projet de loi.

Le premier objectif qui nous a guidés pour l’examen de ce texte était de nous assurer qu’il n’y ait pas, pour une même mission, de « décrochage » entre les soldats engagés sur notre territoire et les forces de sécurité intérieure. En effet, ce texte intervient dans un contexte caractérisé par un continuum plus fort que jamais entre menace extérieure et menace intérieure et par une participation légitime des soldats à la protection des citoyens contre cette dernière, dès lors que les terroristes sont eux-mêmes de plus en plus militarisés.

La traduction concrète de ce nouveau contexte est l’opération Sentinelle, qui a conduit au déploiement d’environ 10 000 hommes sur le territoire national. Ce déploiement, exceptionnel par son ampleur et par sa durée, pose un certain nombre de questions, que nous avons notamment pu aborder lors du débat en séance publique du 15 mars dernier sur le rapport remis par le Gouvernement à ce sujet. Notre commission avait également pu approfondir cette problématique lors de son déplacement au Fort de Vincennes, le 27 janvier 2016, auprès des soldats de l’opération Sentinelle.

Se pose ainsi, d’abord, la question de la doctrine d’emploi des militaires sur le territoire national. L’armée est pleinement légitime dans ce rôle. Toutefois, il existe toujours un risque que les compétences et qualités spécifiques des militaires soient insuffisamment exploitées et que ceux-ci soient considérés comme des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure. En outre, l’effort demandé à nos soldats, qui exercent parfois leur mission dans des conditions difficiles au cœur de nos villes, reste très important.

Par ailleurs, plusieurs événements graves ont montré la forte exposition des militaires sur notre territoire. Ainsi, le 1er janvier dernier, quatre soldats ont été attaqués devant la mosquée de Valence par un homme qui a essayé de les renverser avec son véhicule. Les militaires ont tiré et blessé l’agresseur ; un tiers, atteint par une balle perdue, a porté plainte contre les soldats.

Ces événements, et d’autres de moindre gravité mais quotidiens, ont conduit les militaires à s’interroger, d’une part, sur le cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent lorsqu’ils sont amenés à faire usage de la force et, d’autre part, sur la protection dont ils bénéficient eux-mêmes lorsqu’ils sont victimes d’agressions.

Enfin, comme pour les policiers et les gendarmes, des interrogations subsistent quant à la situation des terroristes en fuite après avoir commis un attentat. Les textes en vigueur relatifs à la légitime défense ou à l’état de nécessité ne garantissent pas que leur neutralisation ne sera pas sanctionnée par le juge judiciaire.

Il serait sans doute juridiquement périlleux et quelque peu disproportionné de conférer à nos soldats les mêmes prérogatives lorsqu’ils agissent dans le cadre de Sentinelle et lorsqu’ils sont en OPEX. Toutefois, ces interrogations appelaient au minimum un ajustement du cadre réglementaire qu’ils doivent respecter sur notre territoire. C’est un tel ajustement que prévoit l’article 19 du projet de loi, qui s’applique aussi bien aux militaires des forces armées qu’aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie, ce dont notre commission se félicite. Nous estimons en effet que ce texte peut conforter le passage d’une vision statique de la protection à un mode opératoire en mouvement, avec une combinaison du feu et du renseignement militaire dans le cadre d’une traque antiterroriste. Il améliore également l’emploi de la palette capacitaire des armées en ouvrant l’usage des armes longues, qui étaient inutiles dans le cadre de la stricte légitime défense ; enfin, il rapproche les modes opératoires hors et au sein du territoire national, avec la notion d’identification d’un ennemi et de prise d’ascendant sur lui.

Les modifications opérées par la commission des lois pour simplifier le texte tout en assurant sa compatibilité avec le triptyque « actualité de la menace, proportionnalité de la réaction, absolue nécessité de la réaction », dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, en rendent sans doute l’application plus aisée, en préservant également l’avancée que constituait l’article initial. En revanche, il faut souligner que les interrogations légitimes des militaires sont loin d’être toutes résolues par ces dispositions. Il conviendra notamment de s’assurer que la récente amélioration de leur protection juridique lors de l’enquête judiciaire est bien effective.

Le second article examiné par notre commission, l’article 32, tend à instaurer un régime juridique pour les caméras mobiles des policiers et des gendarmes. Expérimentées avec succès dans les zones de sécurité prioritaire depuis 2013, ces caméras permettent effectivement d’abaisser les tensions dans les situations difficiles. Le texte adopté par des députés était toutefois juridiquement fragilisé par un amendement prévoyant que les personnes faisant l’objet de l’intervention pouvaient elles-mêmes demander le déclenchement de l’enregistrement. La commission des lois a ainsi adopté un amendement de notre commission remédiant à cette difficulté.

Je souligne que la commission des lois a également adopté un second amendement de notre commission permettant aux gendarmes de mieux employer les élèves stagiaires en fin de formation au sein de leurs unités, en leur conférant la qualité d’agents de police judiciaire, ou APJ, alors qu’ils ne sont actuellement qu’agents de la force publique.

Au total, le projet de loi constitue une étape supplémentaire dans l’amélioration des instruments dont disposent les forces de sécurité intérieure et les forces armées pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Nous devrons cependant continuer à travailler pour que la situation spécifique des soldats engagés sur le territoire national soit prise en compte de la manière la plus efficace et la plus pertinente possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jeanny Lorgeoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis du présent projet de loi pour ses aspects concernant la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme, car elle est convaincue qu’il faut moderniser nos outils de contrôle pour parvenir à démanteler des organisations et circuits financiers en perpétuelle évolution.

Le ministère des finances dispose déjà de services qui œuvrent dans cet objectif, qu’il s’agisse des douanes ou de la cellule de renseignement financier TRACFIN, à laquelle la présidente de la commission des finances et moi-même avons récemment rendu visite, sur votre invitation, monsieur le ministre des finances. Toutefois, l’évolution des risques et les enseignements tirés des vagues d’attentats commis en France et en Europe rendent nécessaires de nouvelles dispositions législatives.

Ce projet de loi répond à cette attente, même si je tiens à souligner que l’enjeu est international et, surtout, européen. À ce titre, notre pays devra œuvrer pour que la Commission européenne, qui s’y est engagée, prenne effectivement des initiatives pour renforcer l’harmonisation des mesures de lutte contre le financement du terrorisme et pour que les États membres s’y emploient également. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.

Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions du chapitre IV du projet de loi, qui ont reçu dans leur ensemble l’approbation de la commission des finances. Je me félicite que la commission des lois ait bien voulu reprendre dans son texte nos amendements concernant le plafonnement des capacités de rechargement et de retrait des cartes prépayées, l’attribution du statut de prestataire de services de paiement aux plateformes de monnaie virtuelle, l’accès direct de TRACFIN au fichier de traitement d’antécédents judiciaires, ou TAJ. De même, la commission des lois a également repris nos amendements concernant les modalités de présentation des justificatifs de la provenance des sommes transférées en liquide.

Cependant, quelques-uns de nos amendements n’ont pas été retenus, alors que la commission des finances continue de penser qu’ils sont utiles. Il s’agit notamment, à l’article 14, de la possibilité pour TRACFIN d’interdire aux banques de clôturer des comptes signalés. En effet, si la loi est votée, TRACFIN pourra désormais signaler aux établissements de crédit des situations individuelles présentant des risques élevés, notamment les individus qui font l’objet d’une fiche « S », ce qui est un renversement de la procédure actuelle. Selon nous, ces signalements pourraient conduire les établissements financiers à fermer les comptes concernés, ce qui irait à l’encontre des objectifs. Il faut donc trouver une solution, et nous vous en proposons une. Il y en a peut-être d’autres, nous en débattrons plus tard.

La commission a également adopté une nouvelle rédaction de l’article 16 ter pour mieux encadrer le régime dit des « cyberdouaniers », en limitant son champ d’application aux seuls délits douaniers, en imposant une habilitation des agents et en informant le procureur de la République, qui pourra s’y opposer. La commission des lois souhaite supprimer ces dispositions ; nous les trouvons pourtant utiles, compte tenu des faiblesses du régime juridique actuel et du développement de la fraude organisée via le commerce électronique, sujet auquel la commission des finances est particulièrement sensible, comme le souligne le groupe de travail de notre commission dans son rapport sur le recouvrement de l’impôt à l’heure de l’économie numérique.

Pour conclure, j’indique que votre commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption des articles 12 à 16 quinquies du projet de loi ainsi qu’au I de l’article 33, sous réserve des amendements qu’elle souhaite voir adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

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Demande de renvoi en commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la VRépublique a inventé en matière législative, d’abord, le mouvement perpétuel et, ensuite, son accélération sans limite : de fait, la sortie de route du bolide législatif est inéluctable.

Nous délibérons sous les statues de Colbert et de Portalis. Eux qui ont donné à la France ordonnances et codes qui ont fait l’admiration de tant de nations ne peuvent heureusement pas voir ce que l’on ne peut que nommer une décadence du droit.

Sous le précédent quinquennat, nous nous insurgions contre les lois pénales médiatiques réactives à l’actualité. Je viens de relire avec gourmandise les échanges de 2011 entre le garde des sceaux, Michel Mercier, et notre excellent collègue Alain Anziani sur la garde à vue et le projet d’audition libre. Suivre la voie de l’exécutif est souvent un chemin douloureux, mais certains propos tenus à cette époque par notre collègue ont toujours la même pertinence : « Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines. »

Mes chers collègues, ce maquis devient encore chaque jour plus épais, plus impénétrable ; en cela, il n’y eut point d’alternance.

En trois ans, nous en sommes à la troisième loi sur le terrorisme – j’ai d’ailleurs eu l’honneur d’être le rapporteur de la première. Faut-il aussi rappeler que le texte sur la justice du XXIe siècle est encore en discussion, que la loi Macron a aussi entraîné d’importantes modifications dans le domaine juridique et judiciaire, que quantité d’autres textes ont impacté notre droit pénal et vont continuer de le faire ?

Comment ose-t-on encore nous parler de simplification dans cet empilement désordonné sans aucune cohérence globale ? Pour couronner le tout, l’exécutif nous assène une énième procédure accélérée dans des conditions contraires à un travail parlementaire digne de ce nom.

M. Jean-Claude Carle. Comme c'est bien dit !

M. Jacques Mézard. Que les attentats et l’évolution des méthodes des terroristes justifient de nouvelles dispositions pour faciliter le travail des services de renseignement et de sécurité, nous l’acceptons et le souhaitons ; que l’on crée une nouvelle incrimination relative à des djihadistes de retour, nous le comprenons ; mais l’architecture du texte du Gouvernement était préparée bien avant les attentats du 13 novembre, et le projet de loi qui nous est soumis, aggravé par la frénésie législative des députés, est devenu un salmigondis mêlant crime organisé, terrorisme, organisation de la procédure pénale, et j’en passe… Trois ministres se succéderont d’ailleurs au banc pour défendre ce texte !

Cela va-t-il remettre notre justice sur les rails ? La réponse est non !

De quels maux souffre-t-elle ? D’abord, d’une insuffisance chronique et de plus en plus critique de moyens humains et matériels, même si je reconnais les efforts faits par ce gouvernement en la matière. Ensuite, et cela découle en partie de la précédente observation, d’une incapacité à faire exécuter les peines prononcées. À quoi sert-il de prononcer des sanctions souvent lourdes lorsqu’on est incapable de les faire exécuter rapidement ou exécuter tout simplement ?

M. Alain Chatillon. Absolument !

M. Jacques Mézard. À quoi sert-il d’inventer de nouvelles incriminations, d’aggraver le quantum des sanctions lorsque, de manière schizophrène, on s’évertue à trouver des palliatifs pour permettre aux juges d’application des peines de ne pas incarcérer les condamnés ou de les faire sortir plus vite ? À quoi sert-il de prononcer des peines d’emprisonnement quand nos maisons d’arrêt et nos centrales sont pleines ?

Notre système pénal est à bout de souffle. Il faut que l’exécutif et le Parlement prennent le temps de la réflexion et de la concertation pour le refonder, le moderniser, dans le respect de l’équilibre entre sécurité et liberté.

Le texte qui nous est soumis comporte des articles utiles auxquels nous souscrivons, mais pose un certain nombre de problèmes de fond. Bien sûr, dans le contexte des attentats, tout ce qui est censé améliorer la sécurité, tout ce qui a pour but de faire obstacle au terrorisme et d’en châtier les auteurs, est vécu et revendiqué par l’opinion comme prioritaire, exclusif, essentiel. Nous n’avons jamais eu de goût pour un angélisme à la mode dans certains quotidiens parisiens. Pour nous, pas de faiblesse avec ceux qui assassinent des innocents et avec leurs complices !

Mes chers collègues, il est aussi du devoir et de la tradition du Sénat de veiller à ce que la rigueur nécessaire et l’utilisation des moyens restreignant les libertés ne soient dirigées que contre les terroristes, leurs complices et ne deviennent pas un processus opératoire banal. De ce point de vue, ce projet de loi est susceptible d’entraîner des dérives. Lorsque le Sénat s’éloigne de sa mission de garant des libertés, il n’est plus lui-même.

L’article 18 relatif à la retenue de quatre heures est l’illustration du risque potentiel de dérives : à l’imprécision des mots « raisons sérieuses de penser » s’ajoute le caractère surréaliste d’une « retenue sans audition ». Et que dire de l’incohérence d’une mesure de police administrative sous le contrôle du parquet judiciaire ! Est-ce cela, la simplification ?

En réalité, la lutte contre le terrorisme cache des évolutions de fond de notre procédure pénale. Notre rapporteur Michel Mercier a déclaré que 98 % des dossiers relèveraient de l’action du couple procureur-juge des libertés et de la détention. Le but est-il la dévitalisation et la disparition des juges d’instruction, mots chers à M. Vallini, qui a commencé à les illustrer dans l’affaire d’Outreau avec une réforme à échec retentissant ?

Quant à l’introduction d’un contradictoire partiel avec le parquet au cours de l’enquête, c’est un non-sens : le procureur est une partie poursuivante, non un magistrat impartial. Et que dire de l’officialisation, à l’article 6, de la délation applicable à tout délit relevant de trois ans de prison !

Ce qui caractérise ce texte, c’est l’absence de définitions et le flou de nombreux termes au mépris des garanties requises pour le justiciable, sans respect suffisant du contradictoire ; c’est aussi un glissement de la procédure pénale vers le parquet et une marginalisation du juge du fond au profit de procureurs nommés par l’exécutif.

L’audition, le 15 mars, du premier président de la Cour de cassation est révélatrice du risque que fait encourir ce projet de loi : le remplacement du juge d’instruction par le couple procureur-juge des libertés et de la détention pour décider de nombreuses mesures intrusives « ne peut présenter un niveau de garanties équivalent ».

Sans préjuger de notre vote final, qui découlera de l’examen en séance publique, notre devoir est d’être fidèles à nos principes, quels que soient les clameurs de l’opinion publique et le poids des administrations ministérielles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est dans un contexte particulièrement dramatique que nous sommes de nouveau appelés à débattre d’une loi visant à nous prémunir du terrorisme, après l’attentat qui a frappé nos voisins belges et alors qu’un nouveau projet d’attentat a été déjoué sur notre territoire, à Argenteuil, il y a quelques jours.

Comme vous, nous vivons depuis les attentats de janvier et de novembre 2015 avec une forme de peur et d’angoisse, en ayant à l’esprit ce monstre barbare qu’est le terrorisme avec les ravages qu’il engendre.

Comme vous, nous entendons et nous comprenons la peur de nos concitoyens.

Face à cette situation, n’est-ce pas aux politiques et dirigeants que nous sommes de garder leur sang-froid, d’essayer, dans le trouble des émotions et sur fond de massacre, de trouver un chemin plus lumineux et apaisant ? Ce chemin, nous en sommes convaincus, c’est celui de notre État de droit, de notre République.

Des solutions efficaces doivent être mises en œuvre pour enrayer cette barbarie, mais les véritables solutions, comme les moyens donnés à nos forces de l’ordre, nos services de renseignement et notre justice, et comme notre action politique extérieure, sont noyées sous les lois d’émotion que vous proposez. En témoigne largement le projet de loi de révision constitutionnelle que nous avons récemment examiné. Symbolique, démagogique, inefficace, dangereuse : voilà les qualificatifs que cette loi nous inspire !

Vous nous proposez désormais de faire migrer des mesures de l’état d’urgence vers notre droit commun : « renforcer » la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et « améliorer » l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, comment a priori ne pas adhérer à une telle promesse ?

Dans un livre intitulé L’exercice de la peur et sous-titré Usages politiques d’une émotion, l’historien Patrick Boucheron et le politologue Robin Corey nous apportent un éclairage sur la situation : partant de la mise en place de la politique américaine antiterroriste après les attentats du 11 septembre, ils font l’analyse que, même en supposant que chaque citoyen fasse l’expérience de la peur, elle ne saurait expliquer les politiques adoptées.

Initialement centré, il y a un peu plus d’un an, sur des mesures d’allégement de la procédure pénale, ce texte a pris une dimension très sécuritaire qui l’a fait doubler de volume après les attentats du 13 novembre 2015, l’exécutif y ayant vu le véhicule législatif idéal pour porter la doctrine de lutte antiterroriste prônée alors par le Président de la République.

Sur la forme, nous déplorons que la procédure accélérée ait été engagée sur un texte aussi important. Il s’agit du quatrième texte visant à alourdir l’arsenal antiterroriste depuis 2012 et son examen sera effectué en urgence, alors même que les précédents textes relatifs à la lutte contre le terrorisme n’ont fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse. La procédure est d’autant plus viciée qu’elle s’inscrit dans l’enchevêtrement de trois autres textes, de réforme constitutionnelle, de prorogation de l’état d’urgence et de modification de ce régime.

Ce qui devait constituer le cœur du projet de loi se retrouve relégué dans son titre II, qui contient quelques mesures plutôt positives et favorables, comme l’instauration du débat contradictoire dans les enquêtes préliminaires durant plus d’un an, bien que cela reste limité selon l’avis de plusieurs syndicats de justice. Les mesures financières vont dans le bon sens, notamment celles sur le blanchiment – nous y reviendrons.

Pour le reste, nous assistons à un florilège de mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques. Ainsi, toute personne rendue suspecte d’acte terroriste par son comportement pourra être retenue jusqu’à quatre heures suivant son contrôle d’identité ; les parquets seront en droit d’ordonner des perquisitions de nuit, prérogative réservée jusqu’à présent aux juges ; les procureurs et les juges d’instruction seront autorisés à user de nouvelles méthodes de surveillance jusqu’alors réservées aux services de renseignement ; l’administration pénitentiaire sera habilitée à procéder à des écoutes ; les contrôles administratifs seront renforcés pour les retours de « théâtre d’opérations de groupements terroristes » – on pense à la Syrie et à l’Irak, mais la liste n’est pas exhaustive et peut ainsi s’étendre à d’autres « théâtres ».

Au-delà du caractère fortement attentatoire aux droits et libertés publiques, ce qui nous inquiète dans ces mesures, c’est d’abord le glissement dans notre droit pénal de la caractérisation des infractions : des « débuts d’actes » on passe à des « intentions de faire », des preuves nécessaires on passe à la suspicion suffisante.

Par ailleurs, on crée des délits partout où il y a du vide, notamment pour résoudre des problèmes de fonctionnement.

La réforme du code de procédure pénale n’a de sens que si l’institution judiciaire est matériellement en mesure de mettre en œuvre les dispositions votées. Or les moyens qui lui sont octroyés, même si leur réduction drastique a cessé, sont encore dérisoires au regard des enjeux.

Au-delà de l’importance du juge judiciaire, qui se trouve écarté par les prérogatives croissantes du parquet, ce qui est en jeu c’est l’équilibre même du procès. La présence de l’ensemble des professionnels de la justice – juges, procureurs, officiers de police judiciaire, avocats… – permet un équilibre, même s’il est très fragile au pénal, plus qu’au civil.

Le juge judiciaire, aux côtés des autres professionnels, est certes garant des libertés publiques, mais aussi et surtout d’un procès équitable.

La présente réforme pénale illustre les choix politiques de ces quinze dernières années : des événements de nature exceptionnelle sont utilisés pour justifier la construction d’un droit d’exception qui, on peut le craindre, finira comme toujours par s’appliquer à la délinquance ordinaire au lieu de produire l’effet recherché sur les infractions visées à l’origine.

Mieux comprendre pour mieux combattre, telle est l’unique voie à emprunter en ces temps troubles. Les discours martiaux ne conduiront qu’à l’alimentation d’une haine infondée ; on voit d’ailleurs déjà poindre dans notre République le débat sur la perpétuité totale, réelle. Parallèlement au renforcement des effectifs de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, des projets de paix doivent être plus que jamais envisagés et nos valeurs républicaines – liberté, égalité, fraternité – doivent être renforcées. Ainsi, j’entendais ce midi le bourgmestre de Bruxelles rappeler que la mixité est le terreau de la cohésion sociale, du vivre ensemble et, donc, de la sécurité collective.

Nous savons que ce texte n’améliorera nullement les libertés individuelles et collectives, pourtant inhérentes au sentiment de sécurité de chacune et de chacun. Nous tenterons donc de démontrer, lors de l’examen des amendements, que d’autres choix politiques sont possibles. Toutefois, sachant le sort qui sera réservé à nos amendements, nous voterons certainement, vous l’aurez compris, contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa et M. Jacques Mézard applaudissent également.)